[Cuzco] Devenez l’Empereur mégalo !

Les beaux jours reviennent et les grands espaces vous appellent ! Cela tombe bien, car au nord de Cuzco s’étendent les territoires encore vierges de Moray, une région entre forêts et montagnes qui n’attend que votre venue pour être développée. C’est une occasion unique pour vous, en tant que grand dignitaire Inca, de montrer votre talent en développant de nouvelles cultures, en installant de nouvelles villes qui accueilleront des Temples démesurés afin d’organiser de fastueuses fêtes en l’honneur du Dieu Solaire. 

Malheureusement, vous ne serez sans doute pas seul à partir à l’aventure, et il est à craindre que d’autres personnes mal intentionnées aient entendu parler de ces vastes terres… Il faudra probablement jouer des coudes afin d’augmenter votre prestige et de peut-être enfin acquérir le titre tant convoité d’Empereur ! 

 

LA RICHESSE INCA

Vous voilà devant l’immensité des espaces encore sauvages de la région de Moray représentée par un large plateau sur lequel figurent des emplacements pour accueillir des tuiles hexagonales.
Il existe des tuiles simples, doubles et triples: de quoi développer des paysages variés et vallonnés. Leur épaisseur est suffisante pour assurer une bonne préhension et c’est réellement un plaisir que de les manipuler. 

D’une manière générale, le travail d’édition de Super Meeple sur cette ré-édition est comme toujours irréprochable, et cette nouvelle mouture de Java ne fait pas exception. Après que les jeux Tikal et Mexica soient passés entre leurs mains expertes, ce dernier volet de la « Trilogie des Masques » (le deuxième chronologiquement) du célèbre duo Kramer & Kiesling bénéficie également d’une refonte d’exception. Soyons honnêtes, je n’ai pas eu entre les mains la version « originale », mais mon ami Google m’a permis de me rendre compte du chemin parcouru. Ce qui impressionne le plus est le traitement réservé aux temples qui gagnent en lisibilité grâce à une gestion en trois dimensions : on prend de la hauteur, et le rendu global n’en est que plus agréable !

On appréciera également le remplacement des cylindres de bois par des meeples en forme d’Inca, ce qui rend l’ensemble plus immersif, même si comme nous le verrons, le jeu s’avère tout de même fondamentalement abstrait. 

D’autre part, le graphisme a également été repensé avec un rendu plus moderne et un peu moins « old school », le jeu d’origine datant tout de même de 2000 (l’année du bug informatique qui n’a pas eu lieu). Difficile de dire si je préfère la précédente version ou si j’adopte cette nouvelle proposition… J’avoue (un peu honteusement) que le style « old school » me plaît beaucoup, et que j’aurai du mal à choisir (mon côté petit vieux en devenir, j’imagine !). De la même façon, les cartes « Fête » représentant des reliques m’apparaissent plus impersonnelles que les précédentes, qui proposaient un style plus… festif !

 

Java (crédits BGG)

 

Par ailleurs, les aides de jeu se montrent très pratiques et exhaustives, même si je regrette que les gains en points de prestige n’y soient pas mentionnés. Il aurait été bienvenu de reprendre le tableau de synthèse proposé dans le livret de règles. On ne va pas bouder notre plaisir, car les scorings se mémorisent facilement et rapidement, et c’est un oubli (probablement volontaire) qui n’est pas très handicapant. 

 

 

LE DILEMNE DE L’EXPLORATEUR

Quand on découvre pour la première fois Java Cuzco, on est un peu perdu devant les choix proposés. Chacun notre tour, nous disposons de 6 points d’action à dispatcher parmi différentes… actions. 6 points, cela fait beaucoup car cela peut trop ouvrir le jeu pour les adversaires, mais 6 points, c’est également très peu, car de nombreuses possibilités sont souvent intéressantes : gare à l’analysis paralysis

Penchons-nous sur les aides de jeu afin de découvrir les multiples façons de dépenser ces points. Pour commencer, le premier point sera obligatoirement investi dans l’action de pose d’un territoire : et oui, quoi que vous fassiez, le jeu se rapprochera inexorablement de la fin de partie qui se déclenchera lorsque toutes les tuiles triples auront été placées sur le plateau.
Malgré tout, rien ne vous empêche de jouer une tuile simple ou une tuile double de votre réserve personnelle (vous disposez de 5 terrains doubles, de 2 terrains simples village/ville, et de 3 terrains simples cultures). Attention, car cette réserve s’épuise rapidement, et vous n’aurez probablement pas assez de tuiles pour faire tout ce que vous voulez : utilisez-les de manière optimale ! 

Le paysage se dessine alors sous vos yeux. Cependant, il existe quelques règles de pose. Tout d’abord, une tuile doit être déposée sur les hexagones dessinés sur le plateau. Vous avez le choix de ne poser votre terrain que sur un ou deux hexagones si vous le désirez, mais sachez que chaque morceau qui dépassera de la zone de jeu vous retirera 1 point de prestige. Quand on sait que le vainqueur sera le joueur en possédant le plus, cela freine les ardeurs des plus téméraires !
Evidemment, si c’est pour obtenir encore plus de points, c’est un investissement qui peut s’avérer être rentable, surtout en fin de partie. Vous pouvez également former des terrasses en superposant les tuiles les unes sur les autres, à la seule condition que deux formes identiques ne pourront se chevaucher : c’est parti pour le grand puzzle et la fonte des neurones cherchant à trouver la position la plus judicieuse ! Bien entendu, les hexagones ne pourront pas se retrouver à voler à travers le plateau, et il ne faudra pas qu’il y ait de vide en dessous. C’était bien tenté ! Autre petite règle, vous n’aurez ni le droit d’éradiquer vos concurrents (vous pourrez faire courir vos meeples Inca sur le plateau), ni d’écraser les temples construits (ne soyez pas impatient, vous ne tarderez pas à savoir comment), et encore moins de réunir deux villes (un peu comme le croisement de rayons à SOS Fantômes, mais en moins grave) ou de combler un bassin d’irrigation. Vous ne faites pas la différence entre villes et villages ? La ville est un village qui possède un temple. Du coup, pour faire plus simple, une ville ne pourra jamais posséder plusieurs temples en son sein. 

La deuxième action possible est la migration de vos meeples qui iront se dégourdir les pattes sur le plateau. Cela vous coûtera 1 point d’action de faire rentrer (ou sortir pour mieux le faire revenir par ailleurs) un Inca depuis le bord de la forêt et 2 points si c’est depuis le bord de la montagne (régions qui bordent les extérieurs du plateau). Vous en serez également de votre poche d’1 point d’action si vous avez l’idée saugrenue de passer d’une culture à un village/ville ou inversement.
Par contre, vous serez ravi d’apprendre qu’une course effrénée à travers les cultures ou à travers un village/ville ne vous coûtera pas le moindre point : c’est toujours ça d’économisé !

Comme la vie d’Inca ne se limite pas à gambader, vous aurez également la possibilité de bâtir un Temple : cela fait plaisir aux Dieux, et rapporte de plus quelques points de prestige.
La règle est simple : je ne peux construire ou agrandir le même édifice qu’une seule fois par tour. Oui, car cela rapporte un nombre de points de victoire égal au niveau du Temple divisé par deux (que ce soit la construction ou l’agrandissement). Vous croyiez vraiment pouvoir utiliser un point pour gagner un point, puis un point pour en obtenir deux,… Ils sont fous ces Incas ! 
Malheureusement, comme tout est une question de taille, la hauteur maximale d’un Temple ne pourra être supérieure aux nombres d’hexagones qui composent la ville, sachant que la base du Temple est de 2 et que chaque niveau fait grimper la construction de 2 en 2 jusqu’à un total de 10 au maximum. Il est important de remarquer que chaque Temple ne pourra atteinte l’ultime étage, car les éléments sont de plus en plus rares (pour ceux qui exigent des détails, il y a 12 niveaux 2, 11 niveaux 4, 10 niveaux 6, 8 niveaux 8 et 6 niveaux 10). 
Un petit détail d’importance : pour effectuer ces deux actions, votre Inca devra occuper la position strictement la plus haute dans la ville: une façon de montrer aux Dieux qui est le chef dans la cité !
  

D’autre part, vous avez également la possibilité de bâtir des bassins d’irrigation (histoire de favoriser la croissance des cultures). Cela vous coûtera la modique somme de 1 point d’action. C’est probablement moins prestigieux que d’ériger un édifice religieux, mais cela peut être très lucratif. En effet, lorsqu’une étendue d’eau est entièrement close (les bordures du plateau ne permettent pas d’entourer des bassins d’irrigation), le joueur qui possède l’Inca le plus haut sur ses rives marque 3 points de prestige par hexagone de bassin : un investissement rentable à n’en point douter ! Malheureusement, les tuiles d’irrigation sont en nombre limité et les débuts de partie pourront être une course à qui en profitera le plus.

Si malgré toutes ces possibilités, vous ne savez pas comment investir vos points d’action, vous pourrez toujours récupérer des cartes de fête de la pioche (ou la carte visible si vous préférez), dans la limite de 2 par tour. Sur ces cartes figurent différentes reliques, parfois une, voire deux. C’est très joli, et en plus, cela peut rapporter un complément de points fort intéressant ! 

En effet, à la fin de votre tour de jeu, vous pourrez décider d’organiser une fête dans les villes où se trouvent vos meeples.
Dans ce cas, on effectue des enchères jusqu’à ce que tout le monde passe, en jouant des cartes fête où sont dessinées les mêmes reliques que la carte de fête laissée visible à côté de la pioche.
En fonction de la hauteur du Temple de la ville, et du nombre de joueurs qui ont investi le plus grand nombre de reliques (il peut y avoir des égalités), on gagne plus ou moins de points (évidemment, il vaut mieux être seul, dépenser le moins de cartes possible, et réaliser cette action optionnelle dans une ville avec un édifice de belle taille !).
Lorsqu’une fête a lieu, on place un petit disque solaire sur le sommet du Temple afin de se souvenir qu’aucune autre fête ne pourra être organisée en ces lieux tant que le Temple n’aura pas été agrandi.  

 

Dès que la dernière tuile triple de terrain a été jouée, c’est le dernier tour pour le joueur actif, qui procédera à son décompte personnel après avoir dépensé tous ses points d’action du tour.
Il marque des points pour chaque ville où il a placé un Inca, en fonction de sa position sur les terrasses et en fonction de la hauteur de l’édifice. S’il occupe les sommets de la ville, il marque autant de points de prestige que le niveau du Temple, et seulement la moitié s’il est le deuxième dans les hauteurs. Les rangs suivants ne rapportent rien… 

 

SAVOIR CONTENTER LES DIVINITÉS

J’avoue avoir été relativement décontenancé par ce que Cuzco proposait lors de ma partie de découverte. J’ai eu du mal à vraiment savoir ce que je devais faire et quelles étaient les actions qui me rapporteraient un maximum de points, peut-être la faute d’une partie sous le soleil de midi en extérieur dans les environs de Divonne les Bains. Toujours est-il que j’ai pas mal tâtonné, m’égarant bien souvent sur ce vaste plateau. Mes Incas se sont retrouvés un peu isolés autour de courtes étendues d’eau, ce qui ne me procurait que quelques poignées de points de victoire, tout en me tenant éloigné des Temples les plus lucratifs. 

On a d’ailleurs souvent l’impression que chacun de ses coups est une invitation au joueur suivant à venir se greffer sur son jeu : l’opportunisme joue à plein, et il faut une concentration de tous les instants pour ne pas faire d’erreur et laisser les adversaires s’engouffrer dans la brèche. Ceci est d’autant plus vrai que chacun bénéficie de trois actions supplémentaires utilisables à son tour sous la forme de jetons bonus, même si on ne pourra monter qu’à 7 points d’action, le cumul de ces jetons n’étant pas possible. Et là, tout de suite, ça ne rigole plus, car le plateau peut se modifier en profondeur, faisant basculer des positions dominantes (sur les hauteurs) et permettant de clôturer de bien plus intéressants bassins d’irrigation. Les cerveaux fument et certains tours peuvent traîner en longueur, même si le jeu demeure globalement fluide. 

La tempo dans l’utilisation de ses terrains simples et doubles est également primordiale, car jouées trop tôt, ces tuiles ne permettront pas de prendre de la hauteur avant son décompte final individuel, et on risque de regretter amèrement de s’être battu pour quelques points de construction ou d’agrandissement de Temples…
Le placement (de tuiles ou de meeples) est d’ailleurs évidemment de première importance, et il ne faut sans doute pas hésiter à manger à tous les râteliers en envoyant de multiples émissaires à la conquête du plateau, tout en brisant les velléités de ses adversaires en coupant des villes en deux. Celles et ceux qui ont pu prendre du plaisir à jouer à Taluva (arrivé quelques années plus tard, et dont je suis friand), se rendront compte que le fruit n’est pas tombé bien loin de l’arbre, et que Cuzco est le digne Père de son rejeton!  

Suite à cette première partie, nous avons remis sur le métier notre ouvrage, en repartant à l’assaut de la Cordillère des Andes (à domicile cette fois). La partie fut plus intéressante encore, avec une course aux bassins d’irrigation sur le début de partie jusqu’à leur épuisement, puis avec une lutte acharnée pour la domination des différents Temples.
Evidemment, jouer ces étendues d’eau est risqué, car on peut prendre du retard dans le placement de nos Incas sur le plateau, ce qui peut rendre le décompte final douloureux. Mais marquer 15 points d’un seul coup comme mon aîné a pu le faire donne un plaisir certain (d’autant plus que le score final était pour la seconde fois à son avantage…).
Bref, je ne suis pas certain qu’une tactique soit plus payante qu’une autre, sauf celle de profiter des ouvertures de ses adversaires (Bouh! Qu’il est méchant le Lama!). 

Au final, ces deux parties à 4 joueurs et en famille m’ont beaucoup plu et je repartirai volontiers en voyage en Amérique du Sud quand l’occasion se présentera.
Au regard des nombreux coups possibles, et malgré la quasi absence de hasard, je pense que le renouvellement sera au rendez-vous, et j’ai déjà envie de m’essayer à de nouvelles tactiques (comme un parasitisme accru notamment, mon côté fourbe, à n’en point douter !). Seule la mécanique des fêtes m’a moins enthousiasmé que le reste, je l’ai trouvée un peu anecdotique. Pourtant, il y a de réels coups à jouer et des points complémentaires à gagner, mais j’ai sans doute été refroidi par une lutte acharnée sur des enchères contre mon épouse, lutte qui nous a laissés exsangues en cartes reliques, laissant la porte ouverte à ma descendance qui ne s’est pas privée d’engranger des points de prestige à faible coup ! 

Malgré ce système vieillissant (comprendre, en voie de disparition) avec ces nombreux points d’action à dépenser (mais il y a sans doute des exemples récents que vous ne manquerez pas de laisser en commentaires !), cet « ancêtre » de 2000 a de beaux restes et saura faire le bonheur des joueurs d’aujourd’hui pour peu qu’ils n’aient rien contre les jeux un peu abstraits. Attention cependant, car malgré son apparente simplicité, les plus jeunes d’entre nous auront du mal à dompter la bête : 12 ans semble une bonne idée.

 

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1 Commentaire

  1. snaketc 12/04/2019
    Répondre

    Très bon article merci, j’ai voyagé. Il va falloir que je ressorte ma vieille boîte de Java que j’avais acheté après Tikal et que je n’ai jamais testée (depuis plus de 15 ans).

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