Civolution : la civilisation bac à sable
Civolution a été annoncé en 2023 par Deep Print Games, Shan nous en parlait dans cette news. Stefan Feld a quelques perles à son actif. Citons, parmi elles, Trajan, L’année du Dragon, Luna, Bora Bora. Et surtout Les châteaux de Bourgogne qui a d’ailleurs été réédité dans une version Deluxe (on en parlait ici avec Imhotep). Le monsieur est un maître des dés, de l’aléa.
Toutefois, sur celui-ci j’allais un peu à reculons. Dans ce jeu de civilisation, nous avons pas moins de 18 ressources et 22 actions différentes. On est loin de l’épure que j’aime dans les jeux. Si vous avez un doute, les 38 pages de règles, 12 pages de glossaire et un livret récapitulatif avec sélection d’icônes par joueur finiront de vous convaincre que Stefan Feld est parti dans une autre dimension et c’est sûrement son jeu le plus difficile. D’ailleurs, il culmine à 4,21 en Weight ou poids sur BGG, contre 3 pour Châteaux de Bourgogne. Attirance, répulsion, qu’est-ce qui serait le plus fort ? C’est la curiosité qui a gagné.
Le thème le plus claqué au sol
Comme son nom l’indique, nous allons créer une civilisation, enfin pas tout à fait, nous sommes des étudiants de l’Académie technique de la Création (oui des sortes de dieux). Agéra, la dirigeante (une IA) de cette institution nous met à l’épreuve durant 4 ères, et pour cela, nous avons une console qui va servir de plateau personnel. J’hésite entre le tableau de bord d’un Boeing 747 ou celui d’une centrale nucléaire pour vous décrire ce plateau.
Entendons bien, quand on est amateur d’eurogame, le thème n’est pas quelque chose qui nous arrête, et les créations de Sir Feld sont souvent très plaquées, mais dans Civolution, ça nous a tous fait sourire.

J’aime bien la boite qui montre une sorte de monde ouvert avec des fées, des personnages bizarres, mais qu’on ne verra pas vraiment dans le jeu.
Console de jeu commande
Civolution est un énorme bac à sable où nous allons construire notre civilisation, agrandir nos tribus, découvrir de nouveaux territoires, les explorer, les exploiter, mais aussi commercer. Pas moins de 30 actions recensées sur notre console. Actions que l’on va en plus pouvoir faire évoluer en niveau 2 et 3. On reviendra sur ces améliorations.

Tableau de bord
Tout ça c’est sur le côté droit. Côté gauche, on a notre plateau avec nos constructions possibles, Bateau, Ferme ou encore Colonies et surtout les 18 ressources possibles. Tout cela occupe une grande place, car chaque joueur a sa propre console, et, par-dessus, il faudra ajouter les cartes ainsi que les puces de divers types.

Les ressources
On a bien sûr un set de départ avec des cartes, des ressources et tutti quanti. On a donc dès le début une multitude de possibilités et c’est à la fois très excitant et très intimidant. Sur quel bouton j’appuie en premier ? Mais ça ne risque pas d’exploser ?
Si tout cela fait peur, en réalité le jeu consiste à combiner deux de nos dés afin de réaliser une des actions. Ainsi, j’utilise un dé 5 et un dé 2 et je réalise l’action de procréation. Pouf ! Un nouveau meeple arrive sur un des territoires où je suis présent. Plus tard, ce meeple, je vais pouvoir le déplacer « Migration » ou exploiter des territoires pour récupérer des ressources et jouer des cartes. C’est principalement ce qui va me permettre de construire un moteur, de ressources, de points de victoire, etc. Le nombre de possibilités est phénoménal.

Mise en place
Le plateau central est lui aussi assez vaste, et au départ, on ne compte que deux pions sur des cases de départ. Cependant, on va le peupler et retourner les tuiles Sites face cachée, découvrant ainsi de nouveaux territoires avec parfois des conséquences imprévues. L’interaction ici est limitée, le monde est vaste. Oh il y a bien une concurrence sur les places pour construire des fermes, c’est vrai, et un peu d’opportunisme, mais ça reste secondaire. En explorant un territoire, on peut gagner un ou deux points de victoire, mais parfois l’emplacement est pris, on peut certes déloger le joueur, mais le jeu n’en vaut pas la chandelle (notre meeple est fatigué et placé couché, ce qui l’empêche de migrer et surtout risque de le voir disparaître à la phase de nourriture). De fait, on s’établit ailleurs, le monde est assez grand pour ne pas avoir besoin de convoiter l’herbe du voisin.
Lorsque mes dés sont épuisés, je devrais réinitialiser pour les récupérer. Au début, on a un dé pour chaque valeur, mais ensuite on devra jouer avec le hasard. Heureusement, on pourra augmenter ou diminuer un dé comme dans Château de Bourgogne. Mais ça aussi, je vais en reparler.

Cartes événement
Cette phase de réinitialisation fait avancer le marqueur de tour jusqu’à la fin de l’ère avec sa maintenance (il faut nourrir les meeples), la météo avec ses incidences positives ou négatives pour les joueurs et ses décomptes, la résolution de la carte événement (connue à l’avance) qui bénéficiera au joueur qui aura le mieux répondu à la demande. Cette phase demande une attention particulière et il vaut mieux la confier au joueur procédural pour ne rien oublier ; fort heureusement, le plateau et l’ergonomie sont parfaits.
On termine par un décompte un peu comme dans Terra Mystica, Age of Innovation, Barrage, etc., un scoring de fin de manche rapportera des points, selon notre évolution, par exemple, je gagne 2 points par avancée sur la piste de Culture (c’est quoi ce truc ?, tu n’en a pas parlé).
Une extrême Modularité
Oui, il y a aussi des pistes. Cinq pistes exactement. Avancer sur l’une d’entre elles permet de gagner des bonus. Par exemple, je peux tourner une tuile de module.

Pistes de technologie
La console peut être grandement améliorée et c’est ici que réside à la fois la clé de la victoire (encore que le jeu reste très ouvert), mais surtout le plaisir de jeu, car, tout à coup, on ne construit plus un bâtiment, mais deux, on produit plus de ressources, etc. Plus vite on le construit et plus notre moteur se développe. Au niveau 3, les actions deviennent très puissantes.
Les cartes sont l’autre élément essentiel du jeu, c’est ainsi que l’on va créer notre moteur de jeu, gagner des actions gratuites, améliorer notre console, avancer sur les pistes, etc, et, vu la quantité dans chaque famille, les possibilités sont énormes. C’est elles qui ajoutent un peu de thème, même si, en réalité, le jeu est plutôt abstrait.
Les dés sont jetés
Parlons de quelque chose qui fâche. Nous l’avons dit en introduction, Stefan Feld est un maître de l’aléa et des dés. Seulement, si vous n’avez pas les dés pour réaliser une action, votre machine va se gripper. Bien sûr, comme dans Château de Bourgogne, on peut renoncer à une action pour avoir deux ouvriers, ici ça sera des jetons Idées. La finalité est la même : pouvoir ajouter ou soustraire 1 au dé pour gérer le hasard. Ce hasard-là fait partie du jeu, un autre me dérange un peu plus, celui lié à la piste de Faveurs.
En effet, le dé rose va servir pour des actions facultatives, sous forme de Test. Si mon niveau de faveurs est à 1, seul un dé de valeur 1 me permet de gagner le bonus. Heureusement, je peux utiliser des jetons idées. Si j’avance sur cette piste, ça sera un dé de valeur 1 ou 2, etc. J’augmente les probabilités de réussir, mais encore faut-il trouver les moyens de faire avancer cette piste. L’autre possibilité étant d’avoir un autre dé rose (avec deux dés on augmente les proba).
La règle nous rappelle que les tests de faveurs sont non essentiels et s’apparentent à des actions bonus. Mais allez dire ça à Alexis qui vient de rater son troisième test consécutif, pendant que les autres joueurs, eux n’ont pas ce problème, la frustration peut être légitime. De plus, je ne suis pas complètement d’accord avec ça. Les bonus peuvent faire la différence parfois.
Personnellement, j’augmente rapidement l’Action Sagacité, ce qui me permet dès le niveau 2 d’avoir 6 jetons d’idées. Ainsi, je peux mieux contrôler cela.
L’aléa est aussi présent dans la composition de la map. En se déplaçant, on peut tomber sur la tuile souhaitée, ou découvrir des sites qui donnent beaucoup de points ou qui permettent de construire des bâtiments, etc., mais ça fait partie du jeu. Si vous n’aimez pas l’aléatoire, Civolution risque de vous frustrer très fort :).
les stratégies
Une autre des caractéristiques de Stefan Feld reste la salade de points, et Civolution en regorge, vous avez du point en sauce, en vinaigrette. Si bien que, dans une partie j’étais totalement largué au point, mes adversaires ayant près de 50 points d’avance sur moi durant la dernière ère. Sauf que toutes les cartes et tuiles que vous avez placées sur votre console (au-dessus) vont donner des points selon leur hauteur. Au niveau 1 elles ne rapportent que deux points, au niveau 2, 3, etc. Jusqu’au niveau 5 où elles peuvent rapporter jusqu’à 10 points. La contrepartie c’est que les cartes coûtent de plus en plus cher en fonction du niveau où elles sont placées.
Alors, dans cette partie, j’étais assez peu présent sur le plateau et sur les décomptes de fin de manche, mais ma console m’a rapporté énormément de points, sans oublier les pistes, dont une d’entre elles, où j’avais atteint le dernier niveau (2 pts par niveau). Si bien que je me suis intercalé entre le premier et le troisième joueur :).
Pour moi, Civolution est un jeu bac à sable, on peut partir dans une quantité de stratégies qui peuvent être viables. Les décomptes de fin de manche m’ont évoqué Age of Innovation, à la mise en place on connait tous les décomptes, et l’on va comme dans AOI construire notre jeu en fonction de cela, et on ne peut pas vraiment s’y soustraire si on veut l’emporter. Il faut aussi prendre en considération les cartes événements. La courbe de progression me semble énorme et le nombre de possibilités assez conséquent.
Bilan
Avant de vous donner mon avis, j’avais quand même envie de louer l’édition, car on est au niveau de la perfection. À commencer par la boîte de jeu qui contient des boîtes pour ranger le matériel pléthorique. Problème, vous ne savez pas comment tout ranger ? Sauf qu’ici sont imprimés des détrompeurs pour trouver où ça se range, tout est à sa place, rien ne bouge. Autre idée géniale, notre plateau (console) est pliable et contient toutes les tuiles. Ouvrir du mauvais côté et vous devez tout remettre en place, mais ils y ont pensé. La mise en place aurait pu être un calvaire et au contraire, tout est facilité grâce à cela. L’ergonomie est aussi un modèle du genre, tout est évident et à sa place, l’éditeur (Deep Print Games) a réalisé une interface utilisateur parfaite.
Dans mon intro j’ai insisté sur les 38 pages, le glossaire, le livret récapitulatif par joueur, mais là encore on est dans la perfection, tout est présent, et si (chose qui arrivera dans vos premières parties) une question survient en jeu, un coup d’œil dans le glossaire vous dira à quelle page de la règle vous trouverez l’info. Je crois que Civolution propose un des meilleurs livrets de règle que j’ai jamais vus.
Ton avis ?
Plus j’affine ma culture ludique et plus j’ai une certaine appétence pour les jeux épurés, ou rien ne dépasse. J’ai même en horreur ces jeux avec des règles à tiroirs qui rendent le tout abscons, et je pensais en me lançant dans Civolution que j’avais affaire à un jeu dans ce genre-là. Toute ma première partie j’étais perdu dans cette console de centrale nucléaire, je pestais contre le jeu, le hasard, la quantité de choses qui me noyaient et m’amenaient à jouer de manière sous-optimale. Cependant, plus la partie avançait et plus le jeu avait du sens, plus j’avais la sensation de construire une stratégie, un moteur, plus je percevais aussi ce que j’aurais pu faire différemment. J’ai donc fini le jeu exsangue, pas complètement satisfait, mais avec l’envie de rejouer et le sentiment que je devais le faire pour me faire un avis qui ne soit pas lapidaire.
Je suis partagé. Je me dis que le jeu aurait pu être encore meilleur avec quelques épures, pourtant tout tient et a du sens. Je ne suis pas non plus convaincu par l’aléa sur les dés roses.
Après la première partie, il devient plus intuitif, la construction du moteur est satisfaisante, les parties se différencient fortement. SI j’avais été déçu par Marrakech, Civolution me réconcilie avec les jeux de Stefan Feld, même si je lui préfère encore Les châteaux de Bourgogne, qui semble une référence indépassable. Civolution est un bon jeu, à ne pas mettre entre toutes les mains toutefois.
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