Carnival of Monsters : Encore un jeu de draft de Richard Garfield

Sortez les trompettes et faîtes couler l’encre : « Richard Garfield vient de sortir un nouveau jeu ! » C’est ainsi que les éditeurs communiquaient quand Carnival of Monsters est arrivé sur les étals. Considéré par beaucoup comme un des auteurs les plus influents du monde du jeu, le papa de Magic débaroulait en 2019 avec cet opus qui pourrait être considéré comme le troisième d’une trilogie après Bunny Kingdom et Chasseurs de Trésors. En effet, si la mécanique de draft tient son origine de formats de tournois particuliers de Magic, Richard Garfield va se la réapproprier dans chacun de ses trois jeux avec à chaque fois une touche différente. Allumez les projecteurs, le spectacle peut commencer !

Une Sirène

Carnival of Monsters est là pour nous frapper d’abord en plein dans la rétine. Sept illustrateurs différents (et pas des novices, Loïc Billiau, Martin Hoffmann, Dennis Lohausen, Michael Menzel, Oliver Schlemmer, Claus Stephan, et Franz Vohwinkel) ont été convoqués pour dépeindre cet univers sombre qui, la comparaison est inévitable, évoque celui de Magic.

Les créatures et les paysages étalent leur grandiosité sur presque tout l’espace que les cartes du jeu leur offre, ne laissant de la place que pour une légère iconographie minimaliste. À côté de ça, pour les humains de cet univers, exploration et aventure ne servent qu’à servir des besoins pécuniers ou à exciter la populace en manque de sensations fortes.

Si cette ambiance forte et mature permet une bonne immersion dans la thématique du jeu, l’édition met carrément trop le paquet sur le matériel au point d’en faire un jeu que l’on pourrait qualifier de « sur-édité ». Il faudra m’expliquer à quel moment on a besoin d’autant de pièces et de jetons lors d’une partie ? De même, le plateau complètement inutile n’a l’air d’être là que pour justifier la taille de la boîte… et donc le prix.

 

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Une Licorne

Et le jeu en lui-même dans tout ça ?
Une fois encore, Richard Garfield nous propose un cocktail à base de draft associé à une autre mécanique. Bunny Kingdom nous proposait un mélange avec de la spatialité, Chasseurs de Trésors nous proposait un croisement avec de la majorité et Carnival of Monsters nous fera penser à … Magic. Eh oui, décidément la boucle est bouclée, Magic invente le draft et ce jeu est un draft à la Magic. Plus précisément, il ne se focalise que sur l’aspect progressif que propose une partie de Magic : on explore de nouveaux terrains afin de pouvoir jouer au fur et à mesure de la partie des monstres de plus en plus impressionnants. On construit et fait évoluer sa zone de jeu, et parfois on met de côté un monstre que l’on espère pouvoir jouer plus tard.

Comme dans les deux autres titre de cette trilogie, on saupoudre de cartes à effets immédiats, d’autres à effets continus et des cartes d’objectifs de fin de partie pour scorer quelques points bonus. Recette classique, que l’on retrouve dans les autres jeux de draft, du plus classique 7 Wonders au plus récent L’Île des Chats.

On peut noter cependant un détail peu anodin : prendre des risques ou chercher à « contre-draft » pour ennuyer les adversaires coûtera souvent de l’argent et le jeu propose une véritable pression monétaire via une mécanique d’emprunts qui vous pénalisera assez lourdement si vous dépensez sans compter. Sans être un aspect vraiment principal du jeu, cela suffit pour changer un peu le paradigme habituel d’un jeu de draft.

Pour ce qui est du nombre de joueurs.euses, comme beaucoup de jeux de draft, il s’adapte très bien à diverses configurations. Votre idéal dépendra de vos goûts : il y en a qui préfèrent jouer à peu pour que les cartes tournent plus rapidement, d’autres qui aiment à l’inverse brasser beaucoup de cartes.

 

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Une Chimère

Malheureusement, ce ne sont pas vraiment des éléments suffisants pour se démarquer des kilotonnes de jeux de draft qui sortent depuis 10 ans. Le jeu ne décolle pas vraiment, les cartes ne proposent que des effets basiques et vont rarement plus loin que juste rapporter x ou y points de victoire. Il y a tellement peu de saveur dans ces monstres qu’il a fallu rajouter une mécanique rendant certains d’entre eux dangereux, mécanique qui est au final une légère prise de risque plus hasardeuse qu’autre chose car tout finit par se régler sur un lancer de dés sur lequel on a aucun contrôle.

Les monstres, bien qu’ils soient divisés en différentes couleurs selon les terrains qui permettent de les jouer (tiens tiens, ça me rappelle un certain jeu de cartes à collectionner), n’ont au final aucune identité. Seule une des couleurs possède des monstres un peu différents, toutes les autres sont strictement identiques. Même la carte goodies que propose l’éditeur est dérisoire tant son effet est tout aussi peu exceptionnel. Bref, à mon sens, cela manque d’effets, de pouvoirs, de personnalité, tout ce qui aurait pu rendre chaque couleur voire chaque monstre un peu plus unique. Triste spectacle que de considérer cette myriade de créatures comme de simples objets à points de victoire.

Autre point fâcheux : le jeu s’avère très spéculatif. Puisque tout est pareil et que le deck de cartes est immense, on ne sait pas trop vers quelle direction notre stratégie doit se diriger. Certes, le public réclame un type de créature chaque saison, mais cela semble vraiment un moyen très artificiel de nous forcer des choix au début de chaque draft, ce qui va juste favoriser injustement ceux et celles qui auront la chance d’avoir les bonnes cartes en début de draft ou qui étaient déjà axés sur cette couleur les manches précédentes. Cette taille du deck implique également des situations où les parties peuvent commencer au ralenti avec très peu de terrains lors des premières manches, ou à l’inverse, pas beaucoup de créatures à jouer lors des dernières manches.

 

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Conclusion

Carnival of Monsters est un titre qui cherche à être très attirant mais qui au final derrière ses effets de pyrotechnie et ses paillettes, n’a pas grand chose à offrir. Pourtant, les deux autres jeux de la trilogie arrivaient à prouver que l’on peut faire quelque chose de nouveau avec la sempiternelle mécanique du draft. Carnival of Monsters ressemble plutôt à un jeu qui cherche à se positionner sur un marché comme une sorte de jeu de draft pour débutants. Dommage pour lui, Sushi Go fait pareil mais avec bien plus de peps et de personnalité.

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10 Commentaires

  1. Ludiculture 31/10/2020
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    Bien écrit et complet, rien à dire. Contrairement au jeu qu’il critique, c’est d’la bonne came ^^

  2. Cargo Toaster 31/10/2020
    Répondre

    Bel article. J’aime les nombreuses références citées, le ton employé et l’avis tranché du propos. Pouces en l’air.

  3. Guillaume 31/10/2020
    Répondre

    Enfin ! Enfin une chronique de jeu qui n’est pas une (mauvaise) réécriture des règles ! Enfin un peu de contextualisation, d’histoire, de comparaison. Ce que ça fait du bien ! Et le parti-pris ne me paraît pas putaclique, bref, merci, Le Pionfesseur !

    • LePionfesseur 04/11/2020
      Répondre

      Merci à toi pour ce commentaire, ça me tiens bien à coeur justement de faire une critique qui ne soit pas comme tu dis « une (mauvaise) réécriture des règles »

  4. morlockbob 01/11/2020
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    joué et oublié

  5. Galanix 01/11/2020
    Répondre

    Merci pour ce article. Je suis cependant d’accord et pas d’accord Avec vos points de vue. Certes une partie du matériel peut s’avérer mal pensé… Le grand nombre de pièces, le plateau anecdotique (mais je préfère qu’il y en un tout de même), le rangement dans la boîte peu cohérent avec le Matos et le design de la boîte qui ne reflète pas vraiment le jeu. Par contre, j’ai trouvé que le jeu est très bien ficelé et superbement illustré. Je trouve au contraire que chaque type de monstre et de terrain sont très distincts et le fait que l’iconographie soit très discrète, offre une thématique beaucoup plus immersive, qu’un 7 wonders où, au final, on ne regarde que très peu, voir pas du tout les illustrations. Le côté monétaire qui offre une prise de risque dans le jeu est simple mais efficace. Ce n’est peut être pas le meilleur jeu de draft mais c’est pour ma part l’un des plus immersif et qui arrive très facilement à accorder joueurs novices et avertis !

    • Cezar 03/11/2020
      Répondre

      Je rejoins l’avis sur la qualité d’écriture et la contextualisation, par contre, je plussoie Galanix sur la critique en elle-même ! Je suis patron d’un bar à jeux et CoM à très bien fonctionné, tant entre nous que parmi nos ludistes. Alors il est vrai qu’il y a trop de pièces (notamment celles de 10 et 20, nous n’avons pas compris l’utilité) et que le gros deck a…bha le défaut des gros decks (Race for the Galaxy aussi à ce compte là), mais pour le reste, le jeu tourne bien, avec des débutants ou des joueurs plus confirmés. La mécanique de prise de risque avec les « têtes de monstres » rajoute une tension en fin de manche pas désagréable et de la vie autour de la table quand le jet est mauvais. La mécanique d’endettement est maline, les points se comptent facilement, le matériel (bien que prolifique pour pas grand chose, c’est vrai) est très joli…bref, n’enterrez pas ce jeu trop vite. Pas le futur 7W, aucun doute. Un bon jeu à essayer, aucun doute aussi d’après nous.

      • LePionfesseur 04/11/2020
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        Merci pour ton retour !

        Je suis pas d’accord sur ta comparaison avec Race for the Galaxy puisque dans ce dernier on brasse énormément de cartes au cours de la partie et il y a même une action (Explorer +5) qui te permet d’augmenter tes chances de trouver ce que tu veux.

        Aussi, j’aimerais préciser que ce n’est pas parce que le jeu fonctionne qu’il est bien, sinon Monopoly serait le meilleur jeu à l’heure actuelle 🙂
        Mais bon, il faut dire aussi que pour moi une critique n’a même pas vraiment à dire objectivement si un jeu est bien ou non, c’est plus une grille de lecture supplémentaire pour décortiquer et ressentir le jeu.

        • Cezar 06/11/2020
          Répondre

          Hello ! Effectivement dans RfTG tu as plus de possibilités pour voir plus de cartes, mon exemple était un peu grossier, j’admets.

          Par contre, je n’adhère pas à ton exemple sur le monopoly (qui doit être volontairement provocateur, je l’entends). Quand mes clients me disent qu’ils ont appréciés, quand ils lui trouvent des qualités, quand ils sont à même de m’expliquer pourquoi le jeu leur a plu et qu’ils comparent cela à d’autre titres, c’est que le jeu a des qualités. Après, c’est vrai, la qualité d’un jeu est surtout dans les yeux de la personne qui s’y amuse (ou pas). Mais comparer CoM et le monopoly…

          Ma réaction d’origine était juste motivée par le fait que je me mets à la place de lecteurs qui pourraient se dire en lisant ton article, « ok je passe » un peu rapidement. J’apportais alors juste ma modeste expérience pour dire que, si, le jeu valait le coup d’être découvert à mon sens. Je comprends tout à fait qu’on ne puisse pas apprécier ou qu’on préfère d’autres titres, mais je rencontre suffisamment de personnes qui me disent le préférer à it’s a Wonderfull World, par exemple, pour le défendre un peu 🙂

          Au plaisir !

          • LePionfesseur 07/11/2020

            Je ne compare pas Monopoly à CoM, c’était un exemple pour illustrer le fait que ce qui fait qu’un jeu est « bon » ce n’est pas son succès (sinon tu considères de fait que Monopoly est le meilleur jeu du monde, ce n’est pas un exemple provoc’, j’ai juste pris le jeu qui se vends le plus en fait).

            Mais sinon oui c’est cool hein que tu apportes ton ressenti, je ne dis pas le contraire ! Même si encore une fois, ma critique n’est pas un guide d’achat, je dirais que ça s’adresse même plutôt à ceux et celles qui ont déjà joué aux jeux (à titre personnel je consomme beaucoup de critiques cinéma / musique après avoir découvert l’oeuvre en question).

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