Bureau of Investigation, H.P. Lovecraft : Détective Conseil

Il y a des jeux, dès qu’on vous en parle, vous en tombez amoureux. Cela a été mon cas sur Sherlock Holmes: Détective Conseil (SH:DC). C’est pour moi le summum du jeu d’enquête, et il sera bien difficile à détrôner (Détective ne lui arrive pas à la cheville, c’est dit !).

Bon en revanche, si j’ai aimé les livres de Lovecraft, je fais une petite overdose des jeux sur ce sujet. Et pourtant, c’est sans surprise que le croisement des deux arrive sur nos tables. Si les deux univers semblent difficilement compatibles (même si des romans s’y sont aventurés), la mécanique de Sherlock Holmes: Détective Conseil se prête très bien à l’ambiance de recherche des romans du créateur de Cthulhu. Et c’est donc ce que va essayer de faire Bureau of Investigation, Enquêtes à Arkham & autres contrées, dont je vais vous parler.

 

 

Les vieux pots, la meilleur soupe, tout ça. Tout ça?

Le cœur de Bureau of Investigation est donc celui de Sherlock Holmes : Détective Conseil. Pour rappel, il va nous falloir résoudre des enquêtes, en nous rendant dans différents lieux. Chacun correspondra à un paragraphe à lire, qui nous donnera des indices, et petit à petit les indices nous permettront de comprendre ce qu’il s’est passé. Beaucoup de lecture donc, les choix se limitant aux endroits où l’on veut se rendre, tout le reste c’est de la déduction pour assembler les pièces du puzzle.

Ce système est donc repris par Bureau of Investigation qui va « simplement » ajouter la couche de fantastique de Lovecraft. Enfin… ça c’est vrai pour les deux premiers scénarios. Mais on parlera des autres plus tard.

Pour les deux premiers scénarios, on aura néanmoins une nouvelle mécanique intéressante : cette fois, lorsque l’on se rend dans un lieu, on peut choisir si on veut plutôt interroger les personnes qui s’y trouvent, ou bien enquêter sur le lieu. Et ça c’est quelque chose que j’espérais voir dans ce jeu. En effet, il arrivait souvent que dans SH:DC on se rende dans un lieu qui nous semblait pertinent, mais plutôt en ayant envie de sortir la loupe que d’aller poser des questions. Sauf qu’on ne pouvait pas. Cette fois, si, on pourra choisir, et donc faire l’un, l’autre ou les deux. Mais attention, cela nous coûtera du temps, ressource en quantité limitée.

 

Le choix des lieux à visiter

 

Sur le papier, j’étais donc assez séduit. En pratique, malheureusement je suis resté un peu sur ma faim. D’une part parce que souvent l’enquête ne donne pas vraiment les résultats escomptés : typiquement, si on veut examiner le lieu d’un crime, il vaut souvent mieux interroger les personnes qui s’y trouvent plutôt qu’enquêter. Pas très intuitif. L’enquête est plus là pour approfondir les choses et prendre les personnages en filature, mais de façon générale, j’ai trouvé que cela tombait souvent à plat et n’apportait pas beaucoup d’éléments en plus.

Que dire de l’apport de l’univers de Lovecraft ? D’abord, on notera que l’auteur s’est vraiment penché sur les nouvelles de l’ami Howard, et s’en est largement inspiré pour ces scénarios. Cela n’aidera pas forcément à répondre aux questions posées par les enquêtes néanmoins (heureusement). Les inspirations ne sont d’ailleurs pas cachées, et même citées en fin d’enquête en nous invitant à les lire. Je salue la démarche.
Par contre, en matière de plaisir ludique, je ne suis pas non plus convaincu. Le jeu nous le dit dès le début : vous n’aurez pas toutes les réponses. Et en jeu, c’est vrai qu’on ne les aura pas. Cela pourrait ne pas être un problème, et correspondre même bien au thème, sauf que la solution nous expliquera tout, de façon très factuelle ! Et là, tout s’écroule un peu : on a un petit effet douche froide avec un contraste important entre des effets paranormaux intrigants parmi lesquels on devait naviguer, et tout d’un coup une explication qui tient en quelques lignes et jettent une lumière crue sur le mystère. Tous les éléments énigmatiques sont résolus et on a un peu l’impression de se faire divulgacher une histoire. On a même des réponses à des questions sur lesquelles nous n’avions aucun indice et dont on ne savait même pas qu’on se les posait ! Surtout que l’écriture de Lovecraft est de l’épouvante, tout est suggéré, rien n’est décrit, le mystère reste souvent entier, et c’est ce qui donne envie de lire d’autres nouvelles et romans, pour comprendre l’univers et tracer les indices de compréhension de son monde, percer les mystères.

 

 

Ce n’est pas le seul problème que j’ai eu avec la résolution d’ailleurs. Plutôt que de répondre à des questions en fin d’enquête, il nous faudra choisir trois lieux où envoyer des forces de police pour régler la situation. Chaque lieu correctement choisi nous rapporte des points. Là ou SH:DC vous permettait de « valider » votre enquête en vous posant des questions sur des éléments que vous avez découverts, ici vous pouvez avoir fait beaucoup de découvertes et n’avoir aucun point car vous n’aurez pas envoyé vos troupes aux bons endroits. Or le choix des lieux pertinents me semble un peu arbitraire, et on ne comprend pas trop comment on aurait pu déduire l’importance de certains lieux (ou l’absence d’importance d’autres).

Comme dans son auguste aîné, le jeu nous propose des enquêtes parallèles, mais qui sont soit plus intéressantes que l’intrigue principale et pourtant ne rapporteront pas de point, soit complètement annexes et en rapporteront. Certes, on ne joue pas pour le score, mais la résolution nous a laissé à chaque fois un goût un peu amer en nous donnant l’impression d’avoir complètement raté la partie, alors que nous avions pourtant vu la majorité des éléments pertinents.
L’absence de Sherlock Holmes, c’est à dire d’une piste pour nous remettre dans le droit chemin, se fait aussi sentir et ajoute encore de la difficulté.

Attention, ici je dois modérer mon propos : il est tout à fait possible que nous n’ayons pas été assez bon pour le jeu. Certains indices ne me semblent trouvables que par un coup de chance, mais peut être qu’en réfléchissant et en faisant les bonnes déductions, on peut en réalité les obtenir. Trop confiant de par mon expérience sur SH:DC, je suis peut être passé à côté de raisonnements que j’aurais dû mener et recoupements. C’est notamment une question que je me pose sur le troisième scénario, où l’on doit à un moment faire une action qui, pour moi, est inconcevable car elle transgresse « les règles » du jeu. Là aussi, difficile d’en dire plus sans spoiler, mais sans prendre beaucoup du recul avec le cadre et la mécanique du jeu, il n’est pas possible de trouver quoi faire et on peut se sentir bloqué. Mais force est de constater a posteriori que les indices sur ce qu’on attend de nous sont là, et donc peut être que d’autres joueurs, en se creusant plus les méninges, trouveront la solution.

Un petit mot sur les journaux : ils sont bien présents dans les deux premières enquêtes, mais restent propres à l’enquête elle même : pas besoin de compulser les journaux précédents. Chouette, je n’aimais pas cette étape dans SH:DC.

 

 

Ce n’est qu’un début

Je n’ai pour le moment joué qu’à trois scénarios, mais je vois poindre qu’en plus de l’univers de Lovecraft, l’auteur a voulu jouer un peu avec le jeu originel. En plus de la mécanique d’enquête, on trouvera aussi dans le second scénario, un système de temps qui passe, et donc on aura des personnages qui évoluent au fur et à mesure de l’histoire et de nos découvertes. Quelque chose que j’attendais de voir là aussi dans SH:DC.

Comme promis, parlons du troisième scénario, qui change d’ailleurs radicalement la mécanique. Exit les enquêtes, nous n’auront que des lieux à visiter, pas de choix entre interroger ou enquêter. On part assez confiant, avec une mission simple, un terrain de jeu très limité… jusqu’à ce que tout bascule. Tout d’un coup les règles (ou du moins, la façon de les utiliser) sont transformées, les enjeux changent du tout au tout, et on est presque (presque) dans un nouveau jeu. Pour le coup, la plongée dans le Mythe fonctionne à fond, et je n’ai pu que me dire « wahou » quand on en est arrivé là.
Sauf que… là aussi, j’ai un avis mitigé sur la réalisation, mais cette fois paradoxalement, car le jeu atteint parfaitement son but, d’une certaine manière. En effet, cela m’a rappelé un autre jeu également dans l’univers de Lovecraft, Les montagnes hallucinées : j’étais sorti de la partie très mal à l’aise, car le jeu m’avait mis en grande difficulté, au point de me demander si je n’étais pas fou. Or, c’est exactement ce que le jeu essaie de nous faire ressentir, et même si je ne me sentais pas bien, c’est selon moi un tour de force, car le jeu réussit à faire ressentir aux joueurs ce que leurs personnages ressentent. Et bien ici c’est un peu la même chose. Nos personnages sont perdus dans une boucle sans fin ? Et bien nous aussi. Et cette sensation est, non pas agréable, mais celle que l’on recherche en jouant à un tel jeu. Donc j’ai envie de dire bravo. Le problème, c’est qu’arrivé à un certain point, on sort du jeu et on se sent obligé de « tricher » pour avancer. C’est une fine ligne de crête sur laquelle marche Bureau of Investigation, et malheureusement finit par chuter.

Je suis donc très embêté, car je reste pour le moment sur ma faim concernant Bureau of Investigation. Et pourtant j’ai vraiment envie de l’aimer ce jeu. Pourquoi ? Et bien parce que quand je vois ce qu’il essaie de faire, j’ai le sentiment que celui-ci a été fait par quelqu’un qui a le même ressenti et le même amour que moi pour SH:DC et la bande à Cthulhu, et qui me propose tout ce que j’aurais aimé voir dans un jeu sur cette mécanique et ce thème. Bref, j’ai l’impression de saisir l’intention du jeu et des choix qui ont été faits, et celle-ci me séduit complètement. Elle est ambitieuse et généreuse (et encore je n’ai pas joué le scénario 4 qui semble loucher du côté des flammes d’Alderstein)… mais des grains de sables grippent la machine, et je reste assez déçu pour le moment par le jeu. C’est assez frustrant, mais j’attends de voir ce que les deux derniers scénarios proposent.

L’éditeur Space cowboys, également éditeur de SH:DC, propose une démo téléchargeable, nommée L’étudiant disparu.

 

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4 Commentaires

  1. Meeple_Cam 23/03/2022
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    Pour ma part, j’ai été séduit par Bureau of investigation. Il faut savoir que je suis passé complétement à coté de SH:DC (essayé dans de mauvaises conditions, ce qui ne m’a jamais motivé, surement à tord, d’y revenir). Etant un gros joueur de Horreur à Arkham JCE, c’est ce qui m’a motivé à essayé cet opus. Je partage les griefs de Fouilloux sur le jeu, mais j’ai passé 5 très bonnes expériences de jeu. J’ai trouvé le jeu très immersif, fidèle  l’univers avec une vraie sensation de devenir fou sur le 3eme scénario. J’ai parfois eu l’impression de revivre une aventure de Horreur à Arkham JCE, mais d’une autre manière. A savoir, j’ai joué en « trichant », c’est à dire que je ne me préoccupe pas du nombre de pistes limitées. Ce que j’aime dans ce jeu est justement d’explorer un peu tout pour arriver à une conclusion. Le 4eme scénario m’a particulièrement plu, car fait à la manière des flammes d’Adlerstein. Le jeu m’a reconcilié avec la mécanique de SH:DC, et me pousse à lui redonner sa chance.

  2. morlockbob 24/03/2022
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    Pour le moment, très déçu par les deux premières affaires qui offrent une « solution » introuvable même en parcourant la totalité du livret.

    Je reconnais ensuite le travail effectué par l’auteur, qui connaît son LOvecraft et réussit à créer l’ambiance. De bonnes idées de mécaniques sont a souligner.

     

  3. Tibo 03/04/2022
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    Si on s’en tient aux autres médias qui présentent ce jeu sans avoir joué les 5 scénarios, on peut  effectivement être dithyrambique sur ce jeu, et à juste titre tant l’immersion et le travail d’auteur sont profonds.
    Mais on ne sort pas indemne de ces 5 investigations : on y retrouve admirablement bien le côté Lovecraftien qui nous laisse pantois après la lecture de l’ultime page, mais cet état est malheureusement trop contrasté par un sentiment d’inachevé laissé par une experience qui n’aura pas su transformer l’essai. Au démarrage de chaque investigation, on est littéralement happé par le pitch qui génère de grands espoirs d’expérience, et puis malheureusement plus on s’enfonce dans le Mythe, et plus on en sort par un désintérêt causé par un fil rouge d’indice ou de mécanique de jeu pas assez présents pour nous retenir. Là où la lecture de HP nous tenant en allène page après page, le jeu ici pêne à y parvenir. Cela est un grief, mais au final ce petit goût d’inachevé n’enlèvera pas le bon souvenir de jeu, dont toutes les bonnes idées et certaines mécaniques régalent : mention spéciale aux évolutions scénaristiques en cours d’investigation, et au scénario 4 qui est génial de complexité et de création.
    Pour conclure, on peut remercier l’auteur et les Space Cowboys de nous avoir concocté cette perle ludique imparfaite mais si généreuse.

  4. Labulme 09/04/2022
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    Mythos Tales VF actuellement en campagne crow founding sur ulule sera peut être mieux. En tout cas reste plus qu’un jour pour se lancer :

    https://fr.ulule.com/mythos-tales/

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