Bruxelles 1893 – Modules à gogo

Bruxelles 1893 est un jeu de gestion au passif prestigieux. On parle tout simplement du grand prix de l’As d’or 2014, réservé aux plus costauds des jeux de gestion. Le bébé de Pearl Games (éditeur belge responsable de Deus, lui aussi en lice dans la liste de l’as d’or et bien pressenti pour le Grand Prix 2015, qui est finalement allé à Five Tribes) a donc un bien beau pedigree, et en tant que pousseur de cubes, je dois bien admettre que j’étais séduit dès le pitch.

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Quelques grands bâtiments. Oui, c’est de l’art nouveau, du vrai !

 

Architectonique

Les joueurs incarnent des architectes de l’école art nouveau, et on trouvera facilement des références à des personnages historiques de la Belgique de l’époque. Et, comme de bien entendu, le matériel, du plateau central aux plaques personnelles, en passant par les cartes, rutile de fioritures que Guimard ou Solvay ne renieraient pas. L’esthétique art nouveau ne fera pas mouche pour tous les joueurs, disons-le. Ses arabesques, ses moulures et sa prédilection pour les pastels assez tranchés (pistache, rose clair, jaune cassé, ocre) en feront un jeu au graphisme étudié, chargé en thème, et chargé tout court. Mais cela reste très ergonomique, et je dois reconnaître que cela me séduit plutôt. Je suis preneur de graphismes différents, qui ne succombent pas au standard imposé par les Xavier Collette, Naïade et autres Miguel Coimbra – j’apprécie et admire le travail de ces artistes, soit dit en passant, mais je ne suis pas contre un petit peu de changement.WP_20150521_09_24_51_Pro

Chaque architecte a un grand œuvre, représenté sur son plateau personnel, et recouvre l’édifice de six petites tuiles représentant des bâtiments d’importance moindre.

 

Le reste de la mise en place est un peu plus longue. Trois tas de cartes s’ajoutent vers le plateau, on donne des meeples à chapeau, des disques de score et de marqueurs, des œuvres d’art face cachée, cinq tuiles compte-tours, et six bandes à installer à côté du plateau. Ah, et il y a également la roue de construction qu’il faut établir.

 Le plateau est donc subdivisé en 2 parties : le plateau « art nouveau » comprend toutes les bandes et accueillera la plupart des actions des joueurs. Le plateau « Bruxelles, lui, n’affiche que 4 actions, mais ça ne lui enlève rien. Et c’est là que l’on trouvera scores, jauges et nombre d’informations importantes au jeu.

 

Comment qu’on gagne

Dans Bruxelles 1893, le but est de devenir l’architecte le plus réputé de la Galaxie – ou, plus modestement, de la capitale belge. Pour ce faire, il faut accumuler des points de prestiges. Certains sont gagnés en cours de partie :

  • vendre une œuvre d’art rapporte un certain nombre de points (et d’or) ;
  • construire peut en donner, si l’on n’emploie que des matériaux nobles ;
  • dominer des régions du plateau art nouveau avec ses meeples en octroie aussi ;
  • si des voisins viennent visiter les cases du plateau art nouveau occupées par des bâtiments que vous contrôlez, il se peut que vous bénéficiiez de points ;
  • enfin, un personnage en donne à chaque utilisation.

 

Pour le scoring de fin de partie, voici ce qu’on marque :

  • chaque matériau encore en la possession de son propriétaire vaut 1 ;
  • les sous, les personnages les œuvres et les meeples au-dessus du troisième donnent un certain nombre de PV, en fonction de comment on aura favorisé telle ou telle stratégie ;
  • les étages construits de notre grand œuvre rapportent chacun un certain nombre de PV, selon l’échelle d’architecture ;
  • enfin, les personnages non payés soustrairont 5PV chacun.

 

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Quelques bonshommes. Bols et Van De Velde font monter des jauges, Maeterlink influe sur les points de victoire, et Empan donne le droit à deux jokers.

 

Normalement, rien qu’à lire cette liste, vous avez le vertige. C’est souvent le cas lorsqu’on explique le jeu en profondeur, mais au final, les différentes pistes à suivre se recoupent, et sont plutôt simple et logiques, servies par une ergonomie qui ne faillit que rarement – voire pas du tout.

 

Meeple City

Les actions sont au nombre de neuf. Sur Bruxelles, on trouvera :

  • L’activation de personnages ;
  • L’obtention de trois jokers de construction;
  • Le gain de sous, en fonction du cours indiqué par la carte bourse ;
  • Une action du plateau Art Nouveau (sous quelques restrictions), sans poser de meeple sur le plateau Art Nouveau.

 

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Les quatre actions du plateau Bruxelles, plus les jauges, le deck de bourse, et le palais de justice.

 

Le plateau Art Nouveau, lui, permet cinq actions présentes cinq fois sur le plateau, mais grignotées par l’équerre. Les possibles effets sont :

  • L’obtention d’une œuvre d’art ;
  • La collecte de 2 matériaux nobles;
  • La construction d’un étage du grand œuvre ;
  • La vente d’une œuvre d’art ;
  • Le recrutement d’un personnage et son activation.

 

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Le premier joueur place l’équerre sur le plateau Art nouveau en fonction de la carte Bourse révélée à chaque tour. Cela restreint les actions possibles.

 

Pour ce qui est du plateau Art nouveau, on est dans du classique-classique : difficile de ne pas voir la pose d’ouvriers emblématique du genre gestion. En revanche, sur Bruxelles, le joueur avec le plus grand nombre de meeples en perdra un à la fin du tour. Hop, au palais de justice !

Ce classicisme n’est cependant qu’illusoire : le cœur du jeu se joue rarement sur ces actions, bien qu’elles soient le moteur de la victoire. En effet, la budgétisation de votre cabinet d’architecte est au moins aussi importante que le reste ! Chaque action du plateau Art Nouveau doit être assortie d’au moins un franc belge. Ce détail peut paraître anodin de prime abord, mais on s’apercevra que la création de beaux bâtiments passe par un fonds de roulement qu’il faut maintenir. Pis encore (ou mieux encore, en fait !), la dépense entraîne un achat : celui qui a dépensé le plus de sous sur chaque colonne gagne une carte bonus permettant de scorer selon des manières alternatives, d’avoir des symboles Manneken Pis pour avoir plus de chances de commencer ou encore pour obtenir des bonus, allant de la récupération de meeples à l’avancement sur une des 3 jauges du jeu.

 

Une fois ceci fait, on passe à des décomptes de majorité sur le tableau Art Nouveau pour gagner quelques points de victoire, puis on passe au nettoyage du plateau et on est reparti pour un tour d’actions.

 

Les parties avoisinent vingt-cinq minutes par joueur… pour des architectes avertis. Pour peu qu’on soit en rodage ou avec des joueurs occasionnels, il est difficile de ne pas aller sur du 40/personne. Le jeu s’explique bien, de par sa logique et son ergonomie réussies, même si l’abondance de matériel, de règles et de paramètres fait que même les plus aguerris ploieront sous la surcharge d’informations. Mais Bruxelles est tellement logique, et tellement séquencé, qu’on pourra se jeter dedans à corps perdu très facilement.

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Le module de vente d’œuvre d’art, qui octroie des points de victoire et des francs belges. Bien entendu, le curseur bouge. Ici, on ne peut vendre ni vert ni bleu (lorsqu’on vend, on recouvre un des deux espaces).

 

Stratégie

Au fond, le jeu ne s’appuie pas seulement sur les mécanismes de pose d’ouvriers, mais les utilise pour développer un équilibre. Il faudra jongler entre les différents axes de développement et savoir où thésauriser et où dépenser ses ressources pour obtenir plus à court terme. Mais il faut bien se rendre compte que l’on ne peut pas tout faire, et c’est rare que les autres joueurs vous laissent accéder à toutes les actions dont vous avez besoin. Il sera ainsi très rare de voir un joueur construire la sixième portion de son Grand Œuvre. C’est frustrant… comme un jeu à l’allemande. On voit le bout du chemin dès le début, sans pour autant être capable de dire que l’on va progresser dans l’une ou l’autre des voies : malgré une dose assez bien pensée de planification, l’opportunisme galope aussi, et on cherchera parfois à damer le pion à l’autre sans trop se soucier de sa trajectoire globale. C’est peut-être un des seuls défauts que je trouve à ce Bruxelles 1893 : on ne parvient pas à gommer les écueils des jeux à l’allemande, et la façon d’interagir m’a semblé assez fade. On ne va jamais accuser de perte sèche : on aura seulement des actions plus ou moins rentables. Mais peut-être suis-je devenu un brin difficile…

Pour autant, le côté gestionnaire est pleinement satisfaisant. La multiplicité des paramètres à prendre en compte fait de Bruxelles 1893 un jeu complexe et complet, offrant des stratégies impossibles à tenir, mais dont on voit tout à fait le développement. Les dilemmes sont toujours intéressants, et on ne veut jamais être dépassé par les événements ; pour cela, on disperse son attention en évaluant les données à sa disposition, c’est-à-dire tout le jeu (puisqu’il n’y a aucune info cachée). C’est à la fois ce qui est vertigineux et immersif dans cet opus : être architecte n’est pas une promenade tranquille, c’est avec grand intérêt qu’on se saisit des outils à notre disposition, qu’on mitige ses stratégies, pour parvenir à ses fins. Le tout est de savoir quoi sacrifier, ou qui avantager, pour aller au bout du chemin.

 

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Après quelques tours, les bâtiments commencent à se construire, et on marche sur des oeufs. Orange est ici très dominant, mais Bleu a certainement plus de bâtiments !

 

Les stratégies qui s’offrent aux joueurs sont assez claires : aller vers son grand œuvre, dominer à coup de meeples bien placés sur le plateau art nouveau, jouer sur le côté social de l’architecture en se payant des notables, ou encore en tirant profit des œuvres d’art. Comme dit précédemment, il est bien difficile de tenir une seule stratégie, et on ira manger un peu à tous les râteliers sur les premières parties. Bien entendu, avec un peu plus d’expérience, on arrive à gérer un peu plus, et on va trouver plus de richesse dans telle ou telle stratégie ; les œuvres d’art font de la thésaurisation quand le recrutement massif de gentilshommes relèvera plus des combos, alors que la majorité sur les blasons du plateau art nouveau tient de la tactique. Comme chaque module reste relativement accessible, le jeu se déroulera en général sans trop d’accroc. Vous pourrez ainsi choisir les orientations qui vous plaisent, tenter et expérimenter de façon tout à fait tranquille, sans vous casser la tête outre mesure. Car malgré les vastes possibles qui rentrent en collision dans ce plateau Art Nouveau, il est toujours possible de se cantonner à sa stratégie, dans son coin.

 

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Ces cartes bonus démultiplient les possibilités, vraiment !

Verdict

Je dois donc m’admettre assez séduit par ce Bruxelles 1893 qui, sous couvert d’une vastitude (belgicisme) tout à fait tentaculaire, reste abordable. Cependant, il est difficile de ne pas voir dans cet opus les marques caractéristiques d’un eurogame : interaction très indirecte, assez peu agressive (même si certains comportements de joueur peuvent changer la donne). À ne pas mettre entre les mains d’allergiques au cube, donc. En revanche, il faut reconnaître que le thème et son habillage donnent un sacré coup de frais aux jeux de construction… ce qui n’était pas gagné d’avance. Un bilan très positif, donc, pour Bruxelles 1893 ! La diversité des modules pourra perdre des joueurs peu habitués au genre gestion/transformation de ressources, mais pour les aventureux, cela reste abordable car pas du tout abscons et servi par une ergonomie au poil.

À mon avis, il faut bien une dizaine de parties pour épuiser les possibilités du jeu. Et pour totalement le maîtriser, disons vingt, en theorycraftant un peu dessus. De quoi occuper vos méninges.

 

MàJ 03/06 : clarification d’un point de règles.

 

Fiche de Bruxelles 1893

Un jeu de Etienne Espreman
Illustré par Alexandre Roche
Edité par Pearl Games
Pays d’origine : Belgique
Langue et traductions : Francais
Date de sortie : 01/10/2013
De 2 à 5 joueurs
A partir de 13 ans
Durée moyenne d’une partie : 125 minutes 

 

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Le compas de construction, et deux meeples pris dans des embrouilles juridiques au tribunal.

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10 Commentaires

  1. Fred 02/06/2015
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    Le placement d’un meeple sur une case du plateau art nouveau (avec quelques restictions, mais permettant d’échapper à l’équerre).

    C’est marrant c’est la deuxième fois que je lis ça. Mais ce n’est pas correct : la case d’action « Parc du Cinquantenaire » sur le plateau « Bruxelles » ne permet pas de se placer sur le plateau « Art Nouveau » mais de pouvoir exécuter n’importe laquelle des 5 actions de ce plateau, qu’elle soit encore disponible ou non sur le plateau, et sans avoir un débourser de Franc Belge. La preuve page 7 de la règle :

    Le joueur peut choisir une action parmi les 5 actions du plateau Art Nouveau. Le joueur ne doit pas poser d’assistant sur le plateau Art Nouveau. Il est toujours possible de choisir une action même si elle n’est plus disponible sur le plateau Art Nouveau. Cette action ne permet pas de participer aux enchères du plateau Art Nouveau.

    Cool l’article sinon 🙂

    • Fred 02/06/2015
      Répondre

      Les tailles de caractères, ce n’est pas moi qui les ai décidées 🙂 ça rend un peu illisible mon commentaire

  2. Umberling 02/06/2015
    Répondre

    Han, c’est vrai. J’ai fait la première partie avec les bonnes données mais ça me semblait plus logique autrement (un peu plus de prise de risque avec 2 meeples utilisés, plus des sous, moyennant quoi on peut obtenir un bonus. Je corrigerai tantôt.

  3. Djinn42 02/06/2015
    Répondre

    Un jeu fabuleusement riche. Plusieurs niveaux de stratégies à intégrer (placement, enchère, ressources, majorités). Un must.

    « qui ne succombent pas au standard imposé par les Xavier Collette, Naïade et autres Miguel Coimbra »

    Content qu’il manque Vincent Dutrait dans cette liste pour le coup.

  4. Fred 02/06/2015
    Répondre

    Sinon tu pourrais dire aussi que le jeu est jouable sur le fabuleux site Boite à Jeux 🙂

  5. Cormyr 02/06/2015
    Répondre

    un de mes coups de coeur de ces dernières années. Un jeu très riche avec de l’interaction entre joueurs. Alors oui, on attaque pas, au sens d’un affrontement un joueur, on ne détruit pas ce qu’il a construit, mais le jeu des majorités, le positionnement sur certaines actions, la vente au bon moment, tout cela oblige à jouer en fonction des autres joueurs. Il faut aussi s’adapter aux stratégies développées par les uns et les autres. Laisser un joueur partir seule sur une voie, c’est le laisser gagner. Alors pour moi, y a vraiment de l’interaction, même si on ne frappe pas son adversaire 🙂

  6. ZARIN 02/06/2015
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    Bruxelles 1893 est aussi pour moi, l’un des meilleurs jeux récents. Mais avec un gros bémol : la phase d’enchère si elle joué contre un joueur très agressif peu amener pas mal de frustration et vous dégoutter du jeu. Car quand j’enchère 10 voire 12 et que mon adversaire mise 11 ou 13, je pleure ! Et j’estime qu’il faudrait un frein dans les règles à ce genre de situation.

  7. eolean 02/06/2015
    Répondre

    Idem, je me joins au concert de louanges ! Je crois que c’est le jeu qui a eu la meilleure note parmi les tests que j’ai fais pour Ludovox ! Et il le mérite. Son équilibrage diablement efficace, cette multitude de stratégies possibles et son design particulièrement réussi en font un must have pour tous les amateurs d’euro game ^^

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