Banish the Snakes – Convertir l’Irlande sur un lancer de dés
GMT Games se mettraient-ils aux jeux coopératifs ? C’est en tout cas avec un certain étonnement que j’ai découvert que l’un de leurs derniers jeux, Banish the Snakes de Kevin McPartland et Jerry Shiles, est un jeu coopératif. Venant d’un éditeur connu surtout pour ses wargames, ce jeu a éveillé ma curiosité. Si le thème de la conversion chrétienne ne m’attirait pas outre mesure, l’histoire du Moyen-Âge irlandais et le travail de l’illustrateur Terry Leeds auront fini de m’intriguer.
On a tendance à associer Saint-Patrick à la fête pendant laquelle la bière coule à flots et où on s’habille en vert. En réalité, le saint patron d’Irlande est un personnage semi-légendaire dont on raconte qu’il aurait contribué significativement à la conversion de l’Irlande au christianisme, au cours du cinquième siècle. Devenu également un symbole du mouvement nationaliste irlandais, Saint-Patrick a fait l’objet de récits dans lesquels quelques sources historiquement valides se mêlent à des topos littéraires et à des légendes païennes.
Banish the Snakes fait le choix de se concentrer exclusivement sur le travail de conversion mené par Saint-Patrick et d’autres évangélisateurs de son temps. En effet, dans ce jeu coopératif pour un à six joueurs, vous incarnez un ou plusieurs Saints qui joignent leurs forces pour convertir les quatre régions d’Irlande, avec leurs Peuples, leurs Chefs, leurs Rois et leur Haut-Roi, tous représentés par des blocs.
Allons, il est temps de partir à la rencontre des Gaëls d’Irlande et de partager avec eux la Bonne nouvelle, en leur montrant qu’elle n’est pas incompatible avec leurs croyances – mais sans violence, ce n’est pas une croisade.
À quels saints se vouer ?
À son tour, chaque joueur révèle et applique les effets d’une carte Événement. Ensuite il dispose d’un nombre d’actions qui dépend de son niveau de zèle. Chaque action permet de se déplacer dans une case adjacente, de donner une carte à un autre Saint ou encore de construire ou d’améliorer une église. Sans oublier, bien sûr, l’évangélisation, qui augmente nos chances de réussir une conversion, et la conversion elle-même. Nous finissons notre tour lorsque nous n’avons plus d’actions disponibles ou lorsque notre saint meurt en épuisant son zèle.
Bien sûr, nos efforts seront tendus à la conversion des peuples d’Irlande car c’est elle qui rapporte le plus de points. La partie peut se terminer de plusieurs façons : par la propagation du paganisme partout en Grande-Bretagne, l’épuisement de la pioche d’événements ou la mort de l’Acolyte d’un saint. On fait alors un décompte de points et on regarde le niveau de victoire (ou de défaite) correspondant. Mais on remporte aussi une victoire immédiate et totale si l’on arrive à convertir tous les peuples païens en ouailles chrétiennes, à n’importe quel moment de la partie.
La conversion étant l’action centrale du jeu, nous allons, dès la mise en place, réfléchir à notre stratégie et choisir les Saints en fonction de leurs habiletés. Les Druides pouvant pénaliser de façon significative toutes nos tentatives de conversion dans une région donnée, nous allons souvent commencer avec Ibar, l’Évêque de Beggerin, dont on raconte que les capacités de conversion provenaient paradoxalement de son éducation chez les Druides. Pour nous aider à convertir les Leaders, nous pourrons faire également appel à Finnian, Abbé de Clonard qui était un centre monastique réputé en Europe pour la qualité de ses enseignements.
Au début de la partie, nous devons également nous accorder avec les autres joueurs pour choisir six Saints que nous mélangerons aux cartes Événement – ils remplaceront nos camarades qui, faute de zèle, s’en iront au paradis pendant la partie. Autrement dit, en sachant que nos Églises risquent d’être détruites, que nos Ouailles seront remplacées par de nouveaux Païens et que les Leaders seront renversés, nous réfléchissons à la stratégie commune à adopter, dès la mise en place. Évidemment, le nombre de joueurs autour de la table a aussi une incidence sur cette stratégie.
Des croyants facilement influençables
La conversion est une action dont le déroulement est simple : on lance un dé et, si le résultat est supérieur à la valeur minimale de réussite, alors la conversion est couronnée de succès. S’il est identique à cette valeur, rien ne se passe. S’il est inférieur, vous perdez un point de Zèle et, si votre tentative visait un Druide, alors vous éveillez les pouvoirs d’un Dolmen – ce qui aura pour effet d’ajouter un modificateur de -1 pour toutes les tentatives de conversion dans la même région.
Effectivement, la foi est une question de modificateurs positifs et négatifs. Chaque bloc (peuples, leaders ou druides) que nous tentons de convertir porte un modificateur allant de -1 à -6. À celui-ci nous devons ajouter l’influence religieuse et politique. L’influence religieuse est calculée à partir du Druide ou de l’Église présente dans une région, à quoi l’on ajoute également les Dolmens, les Tombes et les Reliques. L’influence politique est calculée d’après une hiérarchie : les Peuples sont soumis aux Chefs, les Chefs, aux Rois, les Rois, au Haut-Roi.
S’il est négatif, le résultat de ce calcul indique la valeur minimale de conversion à dépasser avec notre dé. Si la valeur est positive, la conversion est réussie automatiquement. Pour des conversions compliquées – un druide coriace combiné à un ou plusieurs dolmens, par exemple – nous pouvons toujours dépenser des points d’Évangélisation pour obtenir l’équivalent en modificateur positif. Ainsi, le hasard du lancer de dé peut être prévenu et mitigé par nos actions et quelques combotages particulièrement astucieux avec les capacités des Saints ou les cartes Don du Saint−Esprit.
Avoir la patience d’un saint
Aussi persuasifs soient-ils, les saints de Banish the Snakes devront s’attendre à de mauvaises surprises. Autrement dit : la conversion de l’Irlande n’est pas un long fleuve tranquille, puisque, régulièrement, des attaques et des raids troubleront nos plans. À mesure que l’Empire romain décline et que le paganisme se répand en Écosse, à Strathclyde et en Grande-Bretagne, des événements d’attaques et de raids provenant de ces régions sont mélangés au deck.
Ces événements ciblent une ou plusieurs régions et nous contraignent à remplacer des chefs, des rois et, s’il s’agit d’une attaque majeure, même le haut-roi. En fonction de l’intensité de l’événement, on remplacera également un nombre plus ou moins important d’Ouailles et de Peuples païens, et on éliminera une ou plusieurs Églises. Même si l’on peut avoir l’impression que nos efforts sont anéantis comme un château de cartes, je n’ai pas trouvé dérangeant que le jeu nous oblige à revoir et à adapter notre stratégie.
Paradoxalement, ces événements introduisent des répétitions dans le déroulement du jeu car ils nous forcent à revenir dans des régions que nous pensions acquises. Mais c’est alors la stratégie qui varie. Par exemple, pour permettre aux autres joueurs de continuer à convertir les Rois locaux, sans influence politique négative, on se déplacera en urgence dans la région de Southern Uí Néill pour reconvertir le Haut-Roi à Tara. Enfin, ces remplacements peuvent aussi réserver de bonnes surprises : un Leader chrétien peu charismatique peut être remplacé par un autre plus influent, ou un Chef très récalcitrant, par un Chef mieux disposé envers la foi chrétienne.
Conseil d’ami : n’oubliez pas de construire des églises : outre à apporter des bonus dans les conversions lorsqu’elles sont améliorées, les églises permettent surtout d’éviter que les druides reviennent dans des régions que nous aurions laissées sans berger pour nos ouailles. Construire des églises sert avant tout à occuper une province d’un point de vue religieux, pour créer une communauté chrétienne là où des druides pourraient être tentés de revenir nous mettre les bâtons dans les roues.
Fog of faith ?
Peu compliqué, Banish the Snakes est un jeu agréable qui pourra convenir aussi bien aux joueurs initiés qu’experts. Vous pourrez le sortir facilement car les parties ne dépassent pas les deux heures, et il est possible d’y jouer entre un et six joueurs. Si vous y jouez en solitaire, je vous recommande de jouer avec au moins deux Saints, pour ne pas éprouver de sentiment de répétition et essayer de convertir plusieurs régions d’Irlande en même temps.
De Banish the Snakes, j’aime beaucoup les illustrations, du point de vue de l’agrément esthétique et de la lisibilité, et l’utilisation de la mécanique de blocs. Elle peut sembler étonnante et donner à penser que c’est un jeu d’affrontement, mais il n’en est rien : les blocs servent surtout à cacher les modificateurs des Druides et des Leaders et introduisent une part de hasard supplémentaire qui donne le sentiment que les conversions ne sont jamais jouées d’avance.
L’envers de l’utilisation des blocs, c’est l’entretien nécessaire à les remplacer chaque fois que des événements le demandent, ce qui rend l’exécution des événements fastidieuse. Si, en les remplaçant, on tire les leaders du côté chrétien, les blocs ont le défaut de rendre visible le modificateur positif qu’ils peuvent rapporter en cas de conversion. On finit par s’habituer à placer son pouce sur le sticker et à le découvrir lentement pour s’assurer que le bloc est du bon côté – mais ce n’est pas parfait d’un point de vue ergonomique.
D’un point de vue thématique, je n’ai pas le sentiment qu’il soit nécessaire d’adhérer à la foi chrétienne pour l’apprécier. Au contraire, le texte d’ambiance sur les cartes fait souvent preuve d’un peu d’ironie, et ne pas être croyant permet probablement de jouer à Banish the Snakes avec plus de légèreté. En revanche, j’aurais aimé que l’aspect historique soit plus travaillé et approfondi car, sans être un expert de la période historique représentée, j’ai eu l’impression que le jeu prenait des partis un peu caricaturaux, au sujet du rôle de la conversion à la chrétienté pour la culture et la civilisation irlandaise.
En somme, avec une complexité un peu plus importante qu’un Pandémie, Banish the Snakes s’adresse à ceux qui cherchent un jeu coopératif dont les parties ne s’éternisent pas. Avec une part non négligeable de hasard introduite par le tirage de certaines cartes et les blocs, les parties comportent des rebondissements qui, combinés avec le système de résolution des événements introduisent de la variabilité. L’envers de ces événements, c’est qu’ils rendent le jeu répétitif en nous obligeant à refaire des conversions. En effet, même s’il est bien conçu d’un point de vue mécanique, le système d’influence politico-religieuse scripte le jeu un peu trop fortement à mon goût, en nous incitant à convertir d’abord les Druides, ensuite les Leaders et enfin les Païens.
Si vous tolérez voire appréciez le hasard, vous verrez que, même quand la situation semble désespérée, vous êtes toujours à temps pour prêcher l’évangile au pays de Saint-Patrick. Je le déconseillerais en revanche aux joueurs qui aiment pouvoir mettre en œuvre une stratégie définie d’avance ou ont du mal à supporter la répétition. De même, si vous êtes à la recherche d’un jeu historiquement rigoureux sur la conversion de l’Irlande au Moyen-Âge, je ne suis pas sûr que Banish the Snakes vous convienne – on est plus dans la mobilisation folklorique voire mythique de la figure de Saint-Patrick et de ses acolytes.
La traduction des règles en français est disponible ici, mais il faudra quand même un peu de familiarité avec la langue de Shakespeare pour résoudre le texte des événements.
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