Alma Mater : un jeu trop scolaire ?
Alma Mater est la nouvelle création de Acchittocca, la réunion des quatre auteurs et autrices (Flaminia Brasini, Virginio Gigli, Stefano Luperto, et Antonio Tinto) de l’excellent Egizia (2009) et du plus fade Terramara. Réalisé chez Eggertspiele, un éditeur habitué aux eurogames exigeants (citons Great Western Trail, Mombasa ou Coimbra...) avec aux pinceaux (numériques), un certain Chris Quilliams bien en forme avec son trait stylisé.
La mère nourricière
Alma Mater est une locution latine qui évoque l’université, celle qui ensemence les esprits. Dans le jeu, il sera question de recruter des étudiants et des professeurs des quatre matières que sont l’art, la médecine, le droit et les mathématiques, tout cela en pleine Renaissance. Nous allons nous affronter pendant tout un semestre, soit 6 tours de jeu, et à la fin gagnera celui qui aura le plus de connaissance ou prestige dans un décompte (très salade de points, disons-le).
L’économie de la connaissance
Nous sommes dans un jeu de pose d’ouvriers avec un twist bien connu : exit la pose d’ouvrier bloquante, les lieux ne sont pas limités à un seul joueur. En revanche, le suivant arrivé sur place devra y placer deux ouvriers, celui d’après, trois, etc.
On commence chacun avec quatre ouvriers et il existe plusieurs moyens d’en récupérer deux de plus. Alma Mater fonctionne comme beaucoup de jeux du genre avec des ressources, qu’il s’agisse des ducats, mais aussi et surtout, des livres. Eh oui, pour recruter des élèves ou même des professeurs, il nous faudra dépenser des livres – on ne peut pas faire plus thématique.
Un élève dans les arts (ci-dessus tout à gauche) nous coûte deux livres d’un type, mais aussi un livre d’un autre type. Pour les premiers, on n’est jamais mieux servi que par soi-même et l’on va donc utiliser notre étudiant de départ qui, moyennant monnaie sonnante et trébuchante, produit quelques livres. Ces ouvrages vont être placés soit dans notre réserve, soit dans nos étagères. Chaque joueur étant associé à une couleur de livres, il faudra donc obtenir des livres d’autres couleurs ! Cela tombe bien : une des actions disponibles consiste à acheter des livres de la réserve d’un autre joueur. C’est ce que j’appelle l’économie de la connaissance. Il y a une véritable circulation de cette monnaie ! Je t’achète tes publications au prix que tu as fixé sur tes étagères, et tu vas, à ton tour, en acheter à un autre joueur, etc.
D’ailleurs, cela apporte un soupçon de négociations à ce jeu de gestion, du genre « si tu viens chez moi je viens chez toi ensuite ». Il y a également des dictionnaires (les livres jaunes), n’appartenant à aucun joueur, mais n’étant pas des jokers. Le fait que chaque joueur soit associé à une ressource rappelle Founders of Gloomhaven, mais en beaucoup moins tortueux, et beaucoup plus efficace. On pourrait aussi évoquer Yinzi de Costa et Rôla chez Spielworxx qui a un mécanisme similaire, puisque les cubes des joueurs deviennent des matériaux prisés par les autres joueurs.
Avec ces mêmes ouvrages, on engage des professeurs. Cette fois, on paye les livres que l’on souhaite, mais on doit les placer sur le professeur engagé. Désormais, quiconque voudrait engager ce professeur devra le faire avec les livres demandés… encore un moyen de donner de l’attrait à nos propres livres ! Cependant, si vous êtes premier à choisir, vous devrez défricher le sujet en payant une somme de ducats conséquente. Ce surcoût du premier sert surtout de mécanisme de catch-up.
Gravir les échelons universitaires
La grande majorité de l’interaction du titre est liée aux livres. Si, au premier tour, on recrute nos étudiants avec n’importe quels livres pourvu que l’on ait la diversité requise, pour les tours suivants, cela dépendra d’une piste du savoir, et le joueur en tête sur cette piste aura un avantage car ses livres seront plus prisés.
Cette petite incitation nous pousse à évoluer sur la piste du savoir, mais il faudra en payer les prérequis. En fin de segment, on atteint un jalon rapportant un bonus. Et, comme de bien entendu, plus on progresse, plus les bonus deviennent alléchants : un recrutement d’étudiant gratuit, quelques ducats et même des professeurs, parfois quand on arrive tout en haut.
Combos
Comme des titres connexes – Coimbra ou Lorenzo il Magnifico, au hasard –, certaines actions, comme la piste du savoir dont je parlais précédemment, nous permettent de réaliser quelques cascades d’effets. Les étudiants nous offrent des effets immédiats lors de leur recrutement, mais aussi un gain quand on réalise telle ou telle action. Cet aspirant doctorant me donne une évolution gratuite sur la piste du savoir, quand un artiste me rapportera des ducats à chaque tour. Les professeurs, eux, ont un fonctionnement différent. Une fois engagé, un livre de couleur est placé dessus. Pour que le professeur dispense son savoir et active son pouvoir, on devra dépenser un livre de cette couleur. Là encore, on peut réaliser quelques combinaisons intéressantes. Mais les professeurs ne servent qu’une fois par ronde de jeu.
D’autant qu’en début de jeu, chaque joueur part avec un érudit qui va lui offrir un pouvoir. Il en existe trois autres que l’on va pouvoir utiliser si (et seulement si) on a atteint une condition. Là encore, on va pouvoir réaliser quelques enchaînements délicieux. Il nous a semblé que certains étaient quand même un peu puissants, tel Léon Battista Alberti qui permet de ne pas dépenser de livres quand on utilise le pouvoir d’un professeur.
Sur le chemin retour de l’école
Visuellement, le travail magnifique de Chris Quilliams se retrouve bien. Et j’emploie le terme « retrouver » à dessein, car certaines illustrations sont reprises telles quelles de Coimbra. Un peu dommage. Comme dans Coimbra, l’iconographie s’avère trop profuse, et l’on passe notre temps à demander la règle pour comprendre le fonctionnement de tel étudiant ou professeur. Le matériel est de très bonne facture, plateaux joueurs ajourés, livres en plastique de couleur, etc. Si l’on excepte ce thermoformage totalement inefficient, l’ensemble est vraiment de très bonne qualité. Les cartes Recherche sont nombreuses et permettent une bonne rejouabilité mais…
Analyse ludique
Alma Mater est un énième jeu où il faut analyser la mise en place. Dès le début de partie on connait les trois érudits, les tuiles honneur qui nous permettent de les débloquer, la piste de savoir. Les étudiants sont toujours les mêmes. Les professeurs sont tirés en début de la partie. Nous allons donc analyser tous ces éléments et tenter de “faire au mieux”. Le bon côté de cela ? Chaque partie sera différente, ou presque. L’inconvénient, c’est que cela engendre un jeu très déterministe, laissant peu de place à l’improvisation, à la folie d’un grain de sable venant perturber notre stratégie. On se retrouve dans un jeu très mathématique, où il faut anticiper, anticiper, anticiper : « pour engager ce professeur d’art, j’ai besoin de tant de livres, par conséquent je dois prévoir et acheter aux différents joueurs. »
Mon dernier grief concerne la salade de points indigeste que l’on nous sert : on remporte des précieux points de prestige en fonction des professeurs engagés, multiplié par le nombre de jalons que l’on a franchi sur la piste du savoir. Les étudiants en mathématiques nous donnent des points sous conditions, et on en remporte aussi en multipliant le nombre d’étudiants sur notre plateau personnel, etc. L’ensemble s’avère perturbant, sans compter qu’il est compliqué d’estimer où en sont les autres – ce qui est un bon et un mauvais point, selon son avis sur la question.
Le gimmick des bouquins que l’on s’achète est une excellente idée, mais est rapidement relevé au rang de gimmick justement, qui toutefois offre une belle interaction au titre.
S’il existe une version deux joueurs, elle nécessite un paquet simulant un troisième joueur… et rien ne vaut un vrai joueur. De fait, le jeu doit se jouer à minimum trois et je pense même que la configuration idéale reste quatre joueurs.
Entre sa salade de points difficile à avaler et l’analyse de mise en place qui fait refroidir le plat… Alma Mater a le mérite de proposer quelque chose d’original, qui sort des sentiers battus, mais pour le reste, par ici, on l’a trouvé trop scolaire.
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morlockbob 16/04/2021
et bien merci pour ce jp, me suis longtemps demandé si oui, si non…
juste un truc, le thermo à l air bien adapté sur la photo, en quoi est il « inefficient » ?
atom 18/04/2021
En fait, tu as des compartiments comme sur Coimbra pour chaque chose, les livres de couleurs sont sensés être séparés, les meeples des couleurs aussi et les cartes ont chacun des compartiments, mais à la fin tu finis par tout mélanger car de toute façon ça tient pas. idem les cartes il il y a trop d’espace dans la boite une fois fermées, si bien que tout sera en vrac si tu espères la transporter dans un sac à dos, mais même à plat, tu n’est pas assuré de devoir tout re reranger.
Salmanazar 16/04/2021
Bon bah, le plus sympa du jeu est la couverture de la boîte !
atom 18/04/2021
l’idée est sympa, la mécanique aussi, mais au final ça prends pas aussi bien qu’on ne l’aurait espéré. Et surtout sa profondeur est relative et soumise aux changement dans le setup, ce qui fait que ça reste un peu faible à notre gout.