Haaa, la vie de paysan dans les années 70… Labourer, semer, récolter, suer pour au final nourrir toute la famille, enfin ceux qui ont survécu à la peste. Ha oui, précision, c’est 1670.

La vie à la ferme, à la fois simple et exigeante, demande anticipation et persévérance. Pas franchement un long fleuve tranquille. Le projet de la nouvelle version du jeu Agricola non plus manifestement. 

Agricola: Special Edition propose une version “revisitée” du célèbre jeu d’Uwe Rosenberg, avec des “illustrations inédites et une ergonomie repensée” nous dit-on. Le jeu est lancé sur la plateforme participative de l’éditeur, Gamefound, et divise la communauté depuis deux semaines.

D’un côté, cette édition rassemble toutes les extensions précédentes, avec des centaines de nouvelles cartes, et introduit « Irrigations », une nouvelle extension qui met les joueurs au défi de gérer l’eau pour développer leur exploitation. De quoi faire saliver les amateurs de carré potager que nous sommes (d’autant que le français est proposé).

D’un autre côté, à première vue, la production orientée kiloplastique a quelque chose d’un peu contradictoire avec le “retour à la terre” du jeu de Rosenberg… Et surtout, les illustrations sont largement soupçonnées d’avoir été générées par IA, d’où un review bombing assez virulent sur la fiche du jeu BGG, qui montre la petite note de 6.5/10. 

Trois artistes sont pourtant crédités sur la fiche en question, Patryk Jędraszek, Ewa Labak, Pamela Łuniewska, mais quand on observe l’illustration de la cover de près, de nombreux détails font en effet grincer des yeux des dents. La génération d’image par IA est notamment connue pour donner des mains approximatives et des objets peu fonctionnels. Or, la manière de tenir la faux par la paysanne n’est pas très naturelle, la conception de la pointe de la faux elle-même questionnera toutes les personnes ayant déjà tenu une faux, les mains de l’enfant qui fondent littéralement nous donnent des sueurs froides, et même les oignons suspendus nous coupent un peu l’appétit. 

L’éditeur avait plus d’un millier de cartes à illustrer. Le jeu ici est proposé à un prix concurrentiel impressionnant quand on considère le contenu proposé. “En fait, cette campagne d’Agricola est saluée pour son faible coût au regard de la quantité de composants, et il ne fait aucun doute qu’une grande partie de ces économies est due à l’IA qui crée les prompts initiaux. Ironiquement, Awaken Realms a probablement embauché plus d’artistes que n’importe quelle autre société de jeux de société.” résume un utilisateur de BGG provenant du Connecticut baptisé Guldur. On sait en effet que l’éditeur a posté des offres d’emplois pour des postes d’illustrateurs… qui maîtrisent Midjourney. 

Awaken Realms a expliqué sa politique lors de la campagne de Grimcoven (image ci-dessus), cherchant la transparence, ils expliquaient alors que tous leurs visuels finaux sont réalisés ou retravaillés par des artistes humains. Dans ce message, l’entreprise affirme qu’elle ne cherche pas à remplacer ses artistes. L’équipe artistique d’Awaken Realms comprenait alors 15 artistes internes à plein temps, plus des prestataires externes, et continuait de croître. Selon leur poste, l’IA est utilisée uniquement pour améliorer la qualité ou accélérer la création – pas pour économiser sur les coûts humains. Awaken affirme soutenir concrètement ses artistes plutôt que de faire des déclarations publiques symboliques tout en licenciant ensuite (une critique implicite envers d’autres acteurs du secteur).

“Agricola est l’un de mes cinq jeux préférés depuis sa sortie en 2007-8. J’ai tellement d’amour pour lui dans mon cœur, ce qui se passe aujourd’hui est absolument dévastateur pour moi.” écrit un passionné canadien, nommé Avi Kroo, dans un thread baptisé “Reasons not to back”. “Il est temps pour moi de me rendre à la réalité et de comprendre qu’un jeu qui a beaucoup d’âme, de charme et de magie humaine est entre les mains de sociétés et d’entreprises qui ne partagent pas ma vision de ce que j’aimerais que ce hobby soit.” Un post parmi beaucoup d’autres qui regrettent une certaine déshumanisation de la création avec ces visuels. “L’art de l’IA a peut-être sa place dans le prototypage, mais dans une version premium d’un jeu, je pense que l’art de l’IA est absurde…” peut-on lire plus loin.  

Il existait déjà une controverse autour de l’utilisation d’images générées par IA par Awaken Realms pour la campagne de Puerto Rico 1897, ce qui avait conduit l’éditeur à retirer ces visuels après l’intervention du détenteur de la licence. Pour certains, le recours à des outils IA (déjà intégrés dans la plupart des logiciels comme Photoshop) ne fait qu’accentuer une dynamique de compétition et de surproduction déjà délétère, qu’il est plus que temps de questionner. Pour d’autres, la transparence de l’éditeur sur sa politique IA et la générosité de la proposition ludique donnent au contraire envie de soutenir la démarche ; plus de 10 800 personnes ont d’ailleurs déjà backé le projet (financé en 4 minutes). Et vous, qu’en pensez-vous ?  

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