Terres d’Arle en vue

Essen est tout proche et comme bien souvent nous y attend une nouveauté de l’ami Uwe Rosenberg, chef de file de la gestion à l’allemande que l’on ne présente plus. Arler Erde, ou plutôt Terres d’Arle en VF chez Filosofia, présente la particularité, pour un jeu qui comme vous allez le constater est plutôt d’un beau calibre, de ne se jouer que de 1 à 2 joueurs.
Après la forêt noire et sa Route du Verre, Uwe continue donc à nous faire voyager dans les coins les plus pittoresques d’Allemagne.

Bienvenue en Frise orientale

Ce nouvel opus revendique un fort caractère autobiographique puisqu’il met en scène Arle et ses environs, contrée comme chacun sait réputée pour la qualité de son lin. Or, le point commun entre l’auteur et l’éditeur Frank Heeren (de Feuerland Spiele) est d’en être tous les deux originaires. Le secteur textile, dont les ancêtres Rosenberg avaient fait leur métier, est logiquement à l’honneur dans le jeu.

Cet environnement se prête à un thème très agricole : gérer son exploitation et les alentours au cours des 9 manches que dure la partie. Mais attention car Terres d’Arle joue dans la cour des grands.

Une charrette bien remplie

Le format de la boite est éloquent : c’est celui de Caverna ou encore Terra Mystica, jeux à matériel surabondant. On y trouvera, outre les différents plateaux, un nombre de ressources relativement impressionnant et sous trois formes différentes :

  • les matériaux de construction (Bois, Argile) et les textiles (Toile, Tissu, Cuir) sont des tuiles double-face. Basique au recto, avancé au verso.
  • les stocks de biens (Nourriture, Grain, Laine, Lin, Peau) sont dématérialisés sur une échelle numérotée grâce à des compteurs cylindriques
  • les animeeples (Mouton, Bovin, Cheval) sont bien sûr de la partie
  • enfin la très glamour Tourbe sauve l’honneur du cube en bois par sa présence, on la remercie

 

Une jolie palanquée de tuiles vient compléter cet inventaire, dont des Champs (de Grain ou de Lin), des Forêts/Parcs, des Stalles et autres Etables pour vos animaux, ainsi qu’une trentaine de Bâtiments et 9 Destinations par joueur, à visiter au cours du jeu.

Pour terminer, des tuiles de deux tailles différentes représentent les Véhicules qu’il est possible d’acquérir. Il y en a six différents, de la Charrette à bras, économe mais peu spacieuse, au puissant Fiacre qui nécessite deux chevaux pour le traîner. Il est à noter que l’ensemble de sa flotte de véhicules doit pouvoir être casée dans sa Grange, c’est à dire l’un des deux plateaux personnels de chaque joueur, où l’espace est vous vous en doutez limité.

Sur les sentiers battus

Si la rubrique précédente ne vous a pas encore fait fuir et a même éveillé en vous un air de déjà-vu, vous ne serez guère plus surpris par la mécanique de base du jeu. Chaque joueur dispose de 4 marqueurs d’action par manche, et en pose un à son tour, sur un emplacement d’action à usage unique pour la manche.

Cette fois-ci, pas d’accumulation d’éléments sur les cases non utilisées d’une manche sur l’autre, mais un principe d’outils prégnant dans le jeu : il s’agit de dix échelles différentes, en marron ci-contre, permettant chacune d’améliorer le rendement d’une ou plusieurs actions et/ou effets de bâtiments bien précis. Investir dans des Pièges à Poissons permettra ainsi de pêcher plus efficacement par la suite, et je vous laisse imaginer à quoi les Haches, Métiers à tisser, et autres Tables d’abattage peuvent bien servir.

Concernant les bâtiments, ils sont catégorisés par couleur, et on les dispose dans la partie gauche du plateau, en rouge ci-contre. Seuls 18 sont constructibles à chaque partie, ce qui permet de varier les combinaisons disponibles.
Leur construction nécessite un emplacement pour accueillir la tuile sur son plateau personnel et le paiement d’un coût, en matériaux de construction et en biens selon les cas. Ils octroient une fois construits un certain nombre de PV, ainsi qu’un effet immédiat ou permanent, par exemple des conversions.

Une pincée d’inédit

Oui alerte, on vient de détecter une petite originalité ! Les 30 actions du plateau principal sont en fait de deux catégories :

  • 15 dans la partie gauche, en jaune ci-contre, sont réservées à l’été/automne, c’est à dire aux manches impaires
  • 15 dans la partie droite, en beige ci-contre, sont disponibles uniquement en hiver/printemps, c’est à dire lors des manches paires

 

Dans leur majorité, ces actions sont très distinctes et interdépendantes, ce qui impose une planification minutieuse. Cette alternance est par ailleurs très thématique : que certaines activités d’extérieur n’aient pas cours toute l’année est plutôt cohérent.

Le même dédoublement a été appliqué à la phase de Récolte (renommée Inventaire pour l’occasion), sans laquelle un Rosenberg ne serait rien. Ainsi à la fin de l’automne, vos champs produiront des céréales et vos animaux du lait. Les naissances et la tonte de la laine n’auront lieu qu’à la fin du printemps, donc 4 fois dans le jeu seulement.
Ne rêvez pas, il faut toujours se sustenter lors de cette phase, et la quantité à fournir est fixée à 3 Nourritures. A la fin de l’automne vous seront demandés en sus deux unités de Tourbe comme combustible pour l’hiver à venir.

Un des enjeux est donc d’agrandir son espace vital afin de pouvoir développer ses différentes activités. L’auteur s’est inspiré de ses connaissances topographiques des lieux pour nous concocter les deux façons d’y parvenir.

  • Vers le haut, repousser les eaux de l’estuaire passe par la construction de digues : les cases sont libérées par tranche de trois, dès lors qu’une digue horizontale au delà que la précédente est complète
  • Vers le bas du domaine, gagner sur les marécages se fait en deux étapes : assécher dans un premier temps, puis détourber les 4 cubes qui en résultent, pour obtenir au final deux belles cases constructibles

Un soupçon d’aventure

Les Véhicules jouent un rôle spécial dans le jeu. Comme nous l’avons vu, leur achat octroie au joueur un espace utile d’une configuration variable. Charger tout ou partie d’un véhicule n’est pas une action et se fait de manière libre à son tour. En fonction du type de tuile chargée, se passent différentes choses :

  • S’il s’agit d’un matériel de construction ou d’un textile, la tuile reviendra upgradée (côté avancé) au joueur à la fin de la manche. C’est la manière principale de transformer son Tissu en Habit d’été, son Bois en Poutre ou encore son Argile en Brique. Cette dernière possibilité coûte au passage une Tourbe.
  • S’il s’agit d’une tuile Destination, vous vous y rendez durant la manche pour commercer. Il faut alors immédiatement fournir au moins une des ressources que la ville en question recherche, dont la liste plus ou moins vaste figure au recto de la tuile. En échange est versé au joueur un montant donné en Nourriture.

    A la fin de la manche, cette tuile Destination est ajoutée verticalement et côté verso sur l’échelle d’Expérience de Voyages du joueur. Plus une destination est lointaine, plus la tuile est large : elle nécessite plus d’espace dans le véhicule, mais ajoute en contrepartie plus d’expérience.

Des PV et l’addition

A la fin des 9 saisons, on a l’habitude maintenant, on prend le petit carnet fourni et on fait le total des points de chaque joueur :

  • Les matériaux de construction avancés et les Textiles valent chacun de un demi PV à 2PV.
  • Les stocks de biens peuvent également rapporter des PV selon la position du compteur. Au maximum 3PV pour un compteur au plus haut, soit 15 unités dudit bien.
  • Les équipements de la Grange (principalement les Véhicules mais pas que) rapportent les PV indiqués sur la tuile
  • Les tuiles du domaine rapportent les PV indiqués, à l’exception des champs qui ne valent rien. Les Bâtiments peuvent être de gros pourvoyeurs, jusqu’à 15PV pour les plus difficiles à construire.
  • Chacune des dix échelles d’outils peut rapporter des PV selon l’avancement, jusqu’à 7PV pour les Fours.
  • L’échelle d’Expérience de Voyages indique un nombre de PV (jusqu’à 10) en fonction des destinations visitées
  • Des points négatifs sont attribués si les marécages n’ont pas été complètement asséchés et/ou si les digues n’ont pas été construites au maximum

Un tout qui défrise ?

La grosse interrogation concerne le positionnement. Terres d’Arle se joue uniquement à deux joueurs, créneau réputé difficile et sur lequel les éditeurs font a priori montre d’une relative frilosité.
Alors que ce type de configuration donne habituellement lieu à une certaine épure, Uwe Rosenberg et Feuerland prennent le problème complètement à contre-pied. Il s’agit bel et bien d’un jeu d’une ambition et profondeur comparable à ce qui se fait de plus abouti dans les jeux de gestion. Il franchit d’ailleurs peut être un pallier jamais atteint pour cette configuration spécifique.

Il semble donc s’adresser aux joueurs expérimentés, déjà amateurs du style. S’il n’y a pas de mécanisme démesurément complexe individuellement et que tout est assez logique thématiquement – il faut le souligner une nouvelle fois -, il parait difficile de mettre un débutant face à un tel mastodonte. Même les habitués pourraient être un peu dépassés en première(s) partie(s) par le nombre de possibilités assez vertigineux.

Par ailleurs, il ne peut prétendre aux deux atouts qui ont sans doute contribué au succès d’un Agricola Terres d’Elevage. Son encombrement le rend peu adapté à une utilisation nomade, et sa durée annoncée est de 2 heures, probablement sans compter le temps d’installation.

Reste alors à savoir si le segment de marché à la fois client du gros jeu de gestion et de la configuration deux joueurs exclusive sera prêt à investir dans un nouveau titre somme toute assez similaire à ce qui existe déjà en long, en large et en travers. Nombre de points communs avec Agricola, Ora & Labora, et surtout Agricola Terres d’Elevage, pour ne citer qu’eux, n’auront en effet pas échappé au connaisseur. Jusqu’au livret de règles qui réutilise les illustrations de personnages de La Route du Verre, tout concours à donner l’impression d’une redite de plus.

Et pourtant

Et pourtant, si les prédécesseurs sus-mentionnés n’ont en général pas à rougir de leur mode deux joueurs, n’en reste pas moins que leur plein potentiel est plutôt atteint à partir de 3/4. Agricola tourne bien à deux, certes. N’empêche que celui qui ne le pratique qu’en tête-à-tête rate une partie du jeu, parce que certaines cases d’actions et cartes sont réservées aux configurations supérieures. Un « gros » Rosenberg non tronqué à deux joueurs, à bien y réfléchir, voilà qui est finalement presque… nouveau !

Et pourtant, à force d’y regarder de plus près, votre serviteur, qui il est vrai fait partie du profil cible, a senti peu à peu son doute initial s’estomper, et être remplacé par l’irrépressible envie d’avoir cette boite entre les mains. Nous voici en grande partie face à un mélange de mécanismes pré-existants, remaniés entre eux et imbriqués avec juste un soupçon d’ingrédients frais. Mais ce cocktail fait diablement envie.

Les conditions de reproduction des animaux et le changement de premier joueur recèlent quelques subtilités inédites – dont je vous ai fait grâce dans cette présentation allant à l’essentiel – qui titillent fortement. L’alternance été/hiver, les véhicules et les voyages, les outils, rien de vraiment innovant en soit. Mais ces petites variations pourraient bien suffire à créer des sensations de jeu finalement différentes.

Assez différentes pour tout le monde ? sans doute que non. Autant il est probable que Terres d’Arle saura séduire une frange de fans d’ores et déjà acquis à la cause, autant j’ai du mal à voir en quoi il pourrait éventuellement faire changer d’avis et convaincre les joueurs imperméables au genre, ou lassés par la succession des précédents titres.

Indépendamment de ces considérations, le soin global apporté à l’édition ne fait aucun doute. Le livret de règle, rédigé par Uwe lui-même, ne déroge pas au niveau de qualité habituel. Clair et didactique malgré quelques répétitions, il n’est pas avare de rappels synthétiques et autres tableaux récapitulatifs qui le font gonfler artificiellement. Ses quelques 20 pages le font paraitre plus complexe qu’il ne l’est en vérité.
Au niveau des illustrations, on reste sur de l’ultra-efficace avec un Dennis Lohausen décidément en vogue chez les éditeurs allemands. Après La Route du Verre, il continue ici dans la même veine. On y reconnait à la fois son propre style, mais également certaine une cohérence avec le travail de Klemens Franz sur le reste de la série.

Un mot pour finir sur la variante solo : elle est tellement naturelle par rapport au jeu à deux que son explication tient en… une phrase.

 

Un jeu de Uwe Rosenberg
Illustré par Dennis Lohausen
Edité par Feuerland Spiele, Z-Man Games, Filosofia
Pays d’origine : Allemagne
Langue et traductions : Allemand, Anglais, Français
Date de sortie : Essen 2014
De 1 à 2 joueurs
A partir de 12 ans
Prix constaté : Précommande VO 45€, prix boutique probable : environ 55€
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6 Commentaires

  1. eolean 09/10/2014
    Répondre

    Je suis vraiment dubitatif sur ce titre. 

     

    Autant j’accueille avec bienveillances ses jeux parce que plus d’un m’ont enthousiasmé (caverna par exemple que j’ai beaucoup aimé), autant ce jeu me parait effectivement une séquelle bidouillé de ses anciens jeux. 

     

    J’ai la sensation que je rejouerai au même jeu (sans émotions nouvelles) à la différence que celui-ci serait bien mieux équilibré pour 2 joueurs.

     

    Soit ce sera un nouveau Twilight Struggle, une référence nouvelle dans le jeu de gestion à 2 joueurs, soit il n’attirera que les fans de Rosenberg qui joue la plupart du temps en duo…(J’ai la sensation étrange qu’il est spécialement calibré pour les couples de joueurs allemands ^_^)

     

    Bon, je reste prudent car je me suis souvent trompé sur cet auteur, donc à tester pour le moins, mais je dois avouer que je joue très peu en un contre un…

  2. Rimsk 09/10/2014
    Répondre

    Super présentation, merci Grovast. Je suis amateur des Rosenberg et je joue beaucoup à 2 donc ça pourrait m’intéresser. Reste à voir si j’aurais envie de mettre 50€ dans le jeu alors qu’on a déjà 3 ou 4 jeux d’Uwe… A essayer mais je le garde derrière l’oreille. Encore merci pour ton article, top qualité, comme toujours^^

    • Grovast 09/10/2014
      Répondre

      Le plaisir est pour moi :o)

      Si tu es fort, le mieux reste de toutes façons d’attendre quelques mois les retours à froid. Mais comme patience et passion ne font pas super bon ménage…

      • Rimsk 10/10/2014
        Répondre

        Héhé oui c’est un peu le souci, mais bon, y’a énormément de jeux qui arrivent donc je vais rester calme sur celui-là !  🙂

  3. Lordsavoy 15/10/2014
    Répondre

    J’ai déja du mal à sortir Caverna (sans doute la boite qui en impose trop)  quelle connerie entre nous de mettre du matos pour 7 et de faire banquer + de 60e la boite alors qu’une boite pour 4 joueurs (a mon avis la meilleur config) aurait largement suffi, pris moins de place, et couté – cher.

    Je risque pas d’acheter celui-la.

    J’ai aussi du mal a sortir le havre à + de 2 joueurs car c’est bon mais très long…

    Et je n’ai pas encore eu l’occaz de sortir la route du verre !

    Je passe et c’est définitif !

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