Primal: The Awakening : Plus c’est gros, plus ça passe ?

Avec ses 11 302 contributeurs, ses deux gros millions d’euros collectés et son pledge de base à plus de 130€, la campagne de financement de Primal : The Awakening aura démontré une fois de plus que Kickstarter est la plateforme de la démesure. La plateforme de l’impossible aussi : même ceux qui, aujourd’hui, raillent le prix exorbitant de la boîte ne peuvent nier qu’un jeu de cette taille n’aurait aucune chance d’être vendu en boutique via le circuit classique.

PRIMAL: The Awakening - Au Meeple Reporter

SIZE MATTERS

Primal est le deuxième jeu des italiens de Reggie Games, mais aussi de leur designer maison, Tommasso Mondadori. Déjà lors de leur première sortie, ELO Darkness (my old friend?) le studio avait montré une forte appétence pour les jeux king size, tout en se limitant toutefois à proposer des cartes pour un pledge bien plus contenu de 49 euros. 

Ici toutes les limites ont été dépassées : comprenant deux boîtes, même pour le pledge “core”, Primal – et c’était un argument de vente – nous propose pléthore de figurines allant jusqu’à 90 mm afin de nous plonger complètement dans son univers.


TON UNIVERS IMPITOYABLE

Et cet univers n’est pas rose pour un sou. S’inspirant sans les citer de classiques vidéoludiques comme Monster Hunter (en ce moment sur KS d’ailleurs), Primal vous projette dans un monde aride au sein duquel vos héros doivent lutter contre des créatures gigantesques pour assurer leur survie. Chaque partie mettra en scène le duel entre une bête aussi sauvage que démesurée et les chasseurs choisis par les joueurs.

Complètement coopératif, le jeu repose sur une IA qui se veut élaborée afin de simuler au mieux la tension des combats. Et c’est bien là l’autre argument du deuxième projet de Reggie Games : proposer des affrontements nerveux, intenses et hautement interactifs, afin de restituer au mieux les sensations offertes par les jeux vidéo modernes. Alors, pari réussi?

 

TEMPÊTE DANS UN VERRE D’EAU

Une fois la mise en place terminée, on a l’étrange sensation d’avoir oublié quelque chose : les jetons se comptent par dizaines, les decks de cartes s’empilent un peu partout, mais un élément central semble manquer : le plateau. De fait, Tommasso Mondadori a fait le choix d’être minimaliste à cet égard et ne propose comme théâtre des évènements qu’un carré de la taille d’un grand tapis de souris qui servira de décor à tous vos affrontements.

 

Il est vrai que, posée sur ce petit plateau, la bête qui se dresse devant vous paraît d’autant plus impressionnante, mais on a tout de même la sensation que nos héros ont peu de marge pour manœuvrer. L’impression d’ “étendue sauvage” voulue par le thème en est grandement amoindrie.

 

WELCOME TO THE JUNGLE

Si le principe de Primal est simple, occire des monstres, ses mécaniques n’en sont pas moins riches et travaillées. Chaque joueur, une fois son personnage choisi, va se voir doté d’un deck représentant à la fois ses options tactiques (attaquer, défendre…) mais aussi son endurance. Chaque carte jouée se paiera en défaussant d’autres cartes de sa main, et le deck épuisé symbolisera la fatigue du personnage en combat. Chacun choisira également une “compétence spéciale”, débloquée en réalisant certaines actions, ainsi que toute une panoplie d’armures et d’équipements.

Le monstre, quant à lui, possède un certain nombre de cartes qui vont le rendre aussi unique qu’imprévisible. Un deck de postures d’abord, représentant la façon dont il se comporte et les éventuels points faibles qu’il expose. Un deck de comportement, ensuite, dictant ses réactions aux mouvements des joueurs. Des decks d’opportunité, enfin, permettant aux deux camps de tirer parti de situations particulières. Certains d’entre vous verront peut-être ici un emprunt assez élégant au système proposé par Kingdom Death: Monster.

 

LE NERF DE LA GUERRE

Les cartes de chaque héros sont uniques mais présentent la même structure, à savoir un symbole (indiquant une carte offensive ou défensive), une couleur, et d’éventuels effets. Chaque joueur va à son tour avoir la possibilité de jouer jusqu’à 5 cartes dans un ordre particulier, l’objectif étant de réaliser le combo le plus dévastateur possible. La plupart des actions vont vous offrir un bonus si elles sont jouées avant ou après certaines autres, transformant chaque tour en un mini-puzzle vous poussant à optimiser chaque mouvement et à mesurer chaque carte défaussée. 

Puisque j’ai défaussé une carte bleue (Bulwark) pour jouer ma dernière carte (Agile Move), je peux piocher 2 cartes.

 

Comme je le radote souvent, “Il faut savoir avec qui l’on joue”. La course à l’optimisation avec des ressources (les cartes) très limitées peut vite mener à la paralysie d’un joueur, embourbé dans des calculs savants, surtout s’il n’a pas pris soin, pendant le tour des autres, de commencer à planifier ses actions. A cet égard, j’aurais tendance à vous déconseiller le jeu à plus de deux si votre groupe débute, car le nombre de mécaniques à appréhender entraînera, malgré les efforts des développeurs, un downtime non négligeable.

Le positionnement aura lui aussi son importance, car il vous faudra vous adapter aux déplacements du monstre afin de lui infliger des dégâts et éviter qu’il ne vous attaque trop facilement. Dernier élément essentiel, vous aurez la possibilité en dehors de votre tour de défausser des cartes afin de porter assistance à vos alliés (la plupart du temps, en leur permettant de piocher). Cette mécanique, loin d’être anecdotique, renforce la possibilité de combos dévastateurs tout en permettant aux joueurs dont ce n’est pas le tour de rester impliqués dans le combat.

Les capacités en gras permettent souvent de jour hors de votre tour, ou de déclencher des effets spéciaux.


COUNTER STRIKE

Vous vous en doutez, la créature ne sera pas en reste et dispose de nombreuses possibilités de vous mettre au tapis. En dehors du fait qu’elle gagne chaque tour en puissance tout en vous punissant si vous ne jouez pas suffisamment de cartes défensives, elle dispose de tout un arsenal d’actions qui vont se déclencher à des moments précis.

Le fait d’avoir joué une carte rouge (Knockout) déclenche immédiatement une réaction du monstre…

 

Et c’est ce qui fait le sel de Primal, cette interactivité permanente avec l’IA, lui donnant vie et lui permettant de transcender son statut de simple tas de cartes automatisé. Tout au long de la partie, le monstre aura sur son plateau un set de 3 cartes, changeant régulièrement, et indiquant des événements déclenchant chez elle une réaction. Qu’il s’agisse de votre positionnement ou des cartes que vous jouez, la créature aura de nombreuses opportunités de s’en prendre à vous pendant votre tour, et vous devrez souvent peser le pour et le contre entre jouer un combo puissant et risquer un féroce retour de bâton.

… réaction qui peut être aggravée par le nombre de jetons Struggle en jeu.


SUR LE FIL

Les parties, dynamiques, exigent ainsi de chacun une concentration absolue : entre la composition des combos de cartes, la gestion du positionnement des divers protagonistes et la surveillance constante des réactions possibles du monstre, Primal réussit son pari de proposer un jeu tendu, exigeant et on ne peut plus vivant. 

Les tours, relativement courts quand on a acquis les bons réflexes, sont joués dans un esprit de communication et de coopération constante, entre actions héroïques et sacrifices de sa main afin de porter assistance à un allié mal en point.

Le fait que les cartes de comportement du monstre tournent beaucoup, mais aussi qu’à certains moments de la partie il change radicalement de posture, crée une imprévisibilité permanente qui impose de devoir régulièrement changer ses plans et de s’adapter à la volée.

 

FRAIS DE CAMPAGNE

Afin de justifier son prix et dans la plus pure tradition des projets Kickstarter à extensions multiples, Primal propose un mode “campagne” en plus de chaque affrontement pouvant être joué séparément.

À celles et ceux qui s’attendraient à vivre une aventure à la Tainted Grail ou Horreur à Arkham, je vais doucher les espoirs très vite : le jeu est et restera un “boss rush”. Il n’est question ici ni d’embranchements narratifs, ni de lore étendu, ni même de quelqu’aspect de gameplay que ce soit, en dehors de la castagne de monstres.

Les différentes boutiques sont le seul vrai attrait du mode campagne.

 

Et il faut bien en être conscient avant d’investir dans Primal, car l’univers comme le thème se seraient bien prêtés à des quêtes de recherche, au développement d’un camp ou à plus d’interaction au sein de l’équipe. En lieu et place, le jeu de Reggie Games propose simplement des intermèdes entre les combats, pendant lesquels vous allez pouvoir améliorer votre équipement en fonction des matériaux que vous avez récolté, ainsi que quelques quêtes génériques orientant sensiblement votre manière de jouer.

Normalement, cet état de fait ne devrait être une surprise pour personne vu la manière dont le jeu a été vendu pendant la campagne, mais chasseur averti en vaut deux : ce n’est clairement pas pour son storytelling épique que vous craquerez pour Primal. Gardons à l’esprit, cependant, que le nombre impressionnant de monstres (chacun ayant son IA propre) développés pour le jeu n’inspire aucune crainte quant à la variété et à la rejouabilité du titre.

Les deux monstres présentés dans le prototype.

 

JUSTE UNE QUESTION D’HABITUDE

Comme une certaine catégorie de jeux coopératifs, Primal: The Awakening se targue d’être parfaitement jouable en “soluo” (un joueur incarnant deux personnages), et autant vous dire que mon expérience en la matière n’a pas été de tout repos. Deux éléments majeurs nuisent pour moi à une expérience satisfaisante en solitaire : 

Le premier est tout simplement le fait que l’on perd le côté collaboratif du jeu, qui devient une sorte de casse tête sans trop de saveur : on étale les cartes de ses deux héros, on essaye de calculer ses meilleurs options, on planifie à l’avance les “interruptions” que le chasseur dont ce n’est pas le tour va pouvoir jouer. De fait, on sort complètement du côté électrique du mode multijoueurs, quand Michel crie “Ne bouge pas, je vais te sortir de là !” en posant une carte Assist pendant que Jessica utilise une compétence de Ranger pour permettre à tous de piocher des cartes.

 

Le deuxième élément, qui est lié au premier et qui l’aggrave, c’est qu’il y a beaucoup trop de choses à penser seul pour réussir, sans un minimum de parties à son actif, à profiter du moment sans oublier quelque chose. A chaque carte jouée, il vous faut : calculer le coût de votre action, réfléchir à l’action suivante permettant un combo, regarder la main de l’autre chasseur au cas où il pourrait effectuer une action hors tour, vérifier les cartes comportement du monstre pour vérifier si vous avez déclenché une réaction. Mais aussi vérifier si vous n’avez pas déclenché la carte Péril, si vous ne remplissez pas l’objectif particulier du monstre, si vous avez débloqué la compétence spéciale d’un de vos héros ou si votre arme ne vous permet pas d’utiliser une capacité spéciale suite à n’importe lequel des évènements cités précédemment.

Revers de la médaille de vouloir proposer un jeu aux accents vidéoludiques : la multitude de jetons et de déclencheurs à surveiller.

 

Bien assez donc pour perdre le fil de son tour, de ses actions, voire même de la partie, et pour sortir complètement de l’ambiance épique que Primal installe avec tant de brio.

 

MORNE PLAINE

Si la partie mécanique tient malgré tout ses promesses, l’immersion souffre pour sa part de choix éditoriaux discutables. Reggie Games a pris le parti de prioriser les miniatures “joueurs”, et de reléguer tout ce qui avait trait au décor au second plan. Ainsi, sur un pledge de base, vous aurez tout loisir d’admirer et de peindre chacun des chasseurs, mais ceux-ci pendant la partie devront se résoudre à se cacher “derrière” des jetons rocher ou buisson en carton, sans relief.


Si j’entends le fait que les figurines des personnages sont essentielles pour beaucoup de joueurs, nul doute qu’une « offre “meeple » à la manière de The Great Wall aurait permis de tirer les prix à la baisse, tout en offrant l’avantage de proposer quelques éléments de décor en trois dimensions. Le plateau de jeu étant déjà réduit à son strict minimum, le choix de proposer des bouts de carton pour représenter l’environnement de chaque créature (seul élément variable du terrain) casse clairement l’immersion, tout en donnant à l’ensemble un côté “cheap” collant mal au tarif demandé.

 

MI-VOUIVRE, MI-RAISIN

Alors que le prix demandé pour un all-in (près de 350 euros) m’avait clairement dissuadé de m’intéresser à Primal, force est de constater une fois le jeu en main que les mécaniques du jeune studio fonctionnent, et fonctionnent même très bien. Alors que les adaptations et les copycats d’œuvres vidéoludiques sont légion dans le jeu de société depuis des années, c’est la première fois qu’un jeu me fait ressentir cette immédiateté, cette interactivité, sans nécessiter la moindre companion app de surcroît. Le tout est servi avec une direction artistique sobre et efficace, collant vraiment au thème sombre sans plagier les jeux vidéo du genre. 

Si votre budget est aussi vaste que votre espace de stockage, je ne peux que vous encourager à vous lancer dans cette aventure qui crée un vrai précédent dans le monde du jeu coopératif. En compensant le décor fade avec une “terrain box” à 24 euros, et en gardant à l’esprit que malgré son mode “campagne” le jeu est avant tout un boss rush mal adapté au solo, Primal: the Awakening, ne manquera pas de vous faire vivre des heures de combat acharnés et passionnants. Dommage, au final, que l’éditeur ait tant misé sur la forme.

 

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1 Commentaire

  1. Gougou69 24/04/2021
    Répondre

    Mais mais mais… Que voilà un bien bel article, aussi riche en informations qu’en ressentis, en positif qu’en (un peu) négatif ! Tu nous prouves que tu es aussi à l’aise à la plume qu’à la caméra. Merci au passage pour m’avoir convaincu (mais en était-il besoin ?) que ce jeu n’est absolument pas pour moi, ni maintenant ni jamais.

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