Opération Zèbre, de la culture générale un peu barrée

Les jeux de culture générale ne sont pas si courants dans nos colonnes. Et si celui-ci nous avait un peu tapé dans l’œil lors du dernier festival de Cannes (preuves ici ou là), nous revoici avec quelques parties au compteur, l’occasion de vous en parler un peu plus en détail.

En quoi Opération Zèbre sort du lot ? Déjà, parce qu’un zèbre, ça ne passe pas inaperçu, sauf si vous êtes un prédateur, mais ça, c’est une autre histoire (et qui reste une hypothèse). En tout cas, sachez que chaque zèbre a un motif unique de zébrure, un peu comme les empreintes digitales chez l’humain. Même s’il peut faire penser à d’autres jeux comme lui, Opération Zèbre a lui aussi une identité unique.

À voir aussi : notre Ludochrono

Dans Opération Zèbre, l’idée sera de faire deviner un mot (plusieurs domaines sont proposés : Films, Séries, Personnages, Personnalités, Monuments, Sites naturels, Villes et territoires) en rayant un maximum de lignes sur son descriptif. Plus vous rayez de lignes, mieux c’est mais plus cela s’avérera difficile pour les autres de deviner…

Surtout, certaines informations sont plus pertinentes que d’autres bien sûr. Faire deviner le film “E.T.” en disant “téléphone maison” semble tout de suite plus évident par exemple. Ces informations, plus précieuses, coûtent plus chères en points. C’est là où le jeu est joliment travaillé. Car chaque carte “descriptif” a été écrite minutieusement pour vous poser des dilemmes, mêlant info clefs, essentielles, et beaucoup plus secondaires, voire volontairement déroutantes, avec un retour à la ligne savamment réfléchis.

La boîte propose ainsi 490 “documents classifiés”. Documents classifiés que vous devez censurer pour communiquer avec d’autres agents sans trop élevé de Suspicion (si vous accumulez trop de Suspicion, vous perdez la partie). Un thème d’espion qui n’est pas sans rappeler Codenames ou Decrypto avant lui.

Chaque ligne que vous ne rayerez pas sera lue à voix haute : tâchez d’enchaîner vos phrases avec fluidité, comme si votre texte voulait dire quelque chose. On pense un peu à Nouvelles contrées où l’on se retrouvait à lire des textes qui perdaient de leur sens pour un effet surprenant et comique des plus délicieux.

Côté édition, Big Moustache ne s’est pas arrêté sur une belle idée de départ. L’éditeur, qui respire l’amour pour son produit, propose un mode novice et avancé, en coopération ou par équipes. En mode compétitif, l’équipe adverse a 10 secondes pour tenter une interception (qu’elle note secrètement), si elle trouve le mot, cela lui fera des points (en cas d’échec, elle a rien à y perdre). De quoi ajouter un peu de suspens si vous êtes suffisamment nombreux pour que ça s’y prête – le jeu annonçant une envergure de 2 à 12 joueurs.

Côté mode avancé, vous pouvez ajouter une ou plusieurs cartes Protocole (contrainte) et Mission Spéciale (objectif). Là aussi on sent une lointaine inspiration de Nouvelles contrées : Effacer le premier mot de chaque ligne, ne pas laisser deux lignes consécutives, supprimer tous les mots avec une lettre Majuscule, etc. On regrette un mode avancé parfois un peu trop riche en règles, on aurait aimé quelque chose d’aussi élégant que le principe de base. Dans la même veine, le livret de règles est bien trop chargé à l’œil à mon goût, on en a un peu de partout : coups de Stabilo, encarts, chapôs, mots en majuscules, entourés, soulignés, le tout avec une typo de machine à écrire qui donne du thème mais s’avère peu confortable à lire… sans doute un peu d’excès de ~~zèbre~~ zèle de la part d’un primo éditeur.

Bon, et vous ne trouvez pas le mot ? Pas de panique, vous avez le droit à un indice. Soit la première lettre du mot à deviner, soit une phrase supplémentaire. Tout cela n’est pas gratuit en Suspicion évidemment, cette perte se faisant de manière aléatoire via le tirage d’une carte Echec et pouvant être assez piquante, on essaiera tout de même de ne pas en arriver là. Cela reste un jeu de culture générale, si on n’a pas la réponse, on ne va pas l’inventer…

La phase de préparation (simultanée) où chacun lit sa carte dans son coin et décide quoi rayer/quoi garder fait partie du charme du jeu. Il y a une part de prise de risque dans bon nombre de ces rayures. Vous devez arbitrer sur ce qui doit rester et ce qui peut être retiré, et ce qui va potentiellement porter à confusion avec le texte tronqué et décousu ainsi créé. C’est le deuxième point attractif du jeu : ces textes cryptiques que l’on prend un malin plaisir à lire ou à entendre, dont on perçoit les indices sans qu’ils n’aient de sens. D’autant qu’il faut respecter la ponctuation et ne pas marquer les coupes faites dans le texte. Pas si simple !

Le seul truc un peu dommage, c’est que la règle nous conseille de rayer de façon à ne pas dépasser une valeur de quatre en Suspicion. Dans mon cas, je me retrouve donc souvent à rayer quasiment toute la carte, laissant une phrase clef, voire deux (allez, parfois trois), ce qui diminue grandement l’effet amusant des textes abracadabrants. J’aurais finalement préféré qu’on ne me donne pas ce conseil et qu’on me laisse constituer mes textes n’importe comment !

Tout compte fait, Opération Zèbre s’avère un drôle d’animal, un spécimen attachant qui a le mérite de renouveler un peu les sensations du genre avec ses zébrures. On apprécie le fait qu’il ait trouvé des solutions pour garder tout le monde à bord, même en version compétitive, avec la règle de l’interception : On n’a jamais trop le temps de s’ennuyer, on raye en simultané, on devine en simultané.

Bien sûr, je le disais, cela reste un jeu de culture générale. Contrairement à un TTMC où on peut s’en sortir à peu près dignement même en étant une grosse bille dans un domaine, si une carte ne vous parle pas, il est rare que vous puissiez en faire quelque chose. Vous pouvez toujours rayer au hasard et compter sur le talent des autres. Soulignons que le niveau global n’est pas trop “expert”. Par exemple, Léonard de Vinci, la Pologne, McGyver, OSS117, Pac Man, Churchill, ou 2001 l’Odyssée de l’espace sont le genre de mots qu’il faut deviner. Le jeu prévoit d’être accessible dès 14 ans, là, cela dépendra de vos adolescents.

Avec son idée originale de censure ludique et son édition pas parfaite, mais honnêtement réalisée avec amour, Opération Zèbre propose un concept qui parvient à sortir les oreilles du troupeau. Enfin un jeu de culture générale qui propose une expérience rafraîchissante, dynamique, qu’on a envie de faire découvrir, il en arrive pas si souvent sur nos tablées. À ce train-là, de petits packs d’extensions seront utiles, avec peut-être d’autres domaines abordés pour plus de renouvellement, sans quoi on risque de tourner en rond. Allez, affûtez vos stylos noirs et vos cerveaux riches de savoir, et préparez-vous à zébrer à tout-va !