My Island – Sortez les polyominos !

My City aura été une petite beauté du début 2021 là où on ne l’attendait pas : un Knizia Legacy. Quelque chose de léger, de facile à sortir, mais aussi de tendu avec toujours de petites frustrations et microdilemmes qui prennent vite des proportions plus fortes. Une narration qui tenait sur un timbre poste mais franchement, est-ce qu’on avait envie de se cogner une histoire peu inspirée qui prenait de la place ? Vingt-quatre parties, dévorées en l’espace de huit sessions de jeu. Une expérience si forte qu’elle en est nommée au Spiel des Jahres. Trois ans plus tard, voici venir une suite, My Island. J’ai réuni le même groupe pour remettre le couvert. Tout le monde sur les starting blocks, hypé comme jaja. Alors ?

 

Un axe de plus

Exit les polyominos, bonjour les polyominos : la grande différence va être le passage d’une grille carrée à une grille hexagonale. Chaque joueur a sa petite île, son petit pré pas-carré, justement. De même, la forme des pièces ne sont plus si importantes. Désormais il n’y a plus de bâtiments en L, en croix, en carré, en W. Les pièces sont désormais plus simples mais sont composées de plusieurs zones. Et c’est celles-ci qui seront importantes. On les mettra ensemble, on les assemblera, de façon à créer des zones groupées d’une même typologie de couleur. Seulement voilà, les tuiles ne coopèrent jamais. C’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire.

 

Au beau milieu de votre île, une forêt vierge. Autant de cases inaccessibles. On se dit bien qu’on va progresser dans l’histoire, et que, comme dans l’aîné, on va déforester. Patience. On y viendra.

Une île toute vierge !

 

Miroir miroir

L’adage parle des vieux pots et des bonnes soupes. Clairement le pot n’est pas neuf, mais n’est pas éculé non plus. On retrouve des tropes bien connus dans tout le gameplay : lors d’un tour, on retourne une carte d’un paquet central et chacun place la forme correspondante sur son île. On commencera toujours près d’une plage, avec à chaque partie des règles différentes, bien qu’il faille toujours construire de façon adjacente et en faisant correspondre au moins un type de terrain de nos tuiles. Recouvrir les plages d’habitations, parvenir à créer de grands groupes de champs, d’habitations ou de murets, entourer certains éléments du plateau d’un type particulier ou en relier à la mer, voilà des règles que l’on pourra rencontrer. Chaque case de plage vide en fin de partie ? Moins un point. Chaque pièce de polyomino que vous ne souhaitez pas placer ? Un point en moins. Ah. Vous pouvez mettre fin à votre participation pour un épisode, ce qui également crée des moments où vous ne jouez plus mais les autres si (généralement tardivement, si bien que cela ne dérange pas). Bref, vous vous retrouvez dans My City. On retrouve également la frustration signature du jeu : on attend telle ou telle tuile qui ne vient pas, on aurait envie de construire correctement mais on se retrouve à construire une île de bric et de broc. On râle en voyant une pièce maîtresse sortir trop tôt.

 

Quant à la progression, les ajouts re règle d’une partie à l’autre sont minimes, mais chaque enveloppe vient avec son lot de surprises. Parfois on est très agréablement surpris, parfois c’est moins inspiré, il n’en reste pas moins que les huit enveloppes renouvellent le contenu. Par contre, chacune vient avec son feuillet de règles et un feuillet récapitulatif des scorings en vigueur. Ça, c’est pratique. Les règles dispersées partout ailleurs, on recommande moins. Et cela aura les écueils du Legacy ou du jeu en campagne : pour peu que vous décrochiez un peu trop, il faut que quelqu’un relise toute la documentation. Mais rien d’insurmontable si vous vous y prenez à l’avance ou si vous n’espacez pas trop les sessions de jeu. Pensez à organiser votre rangement de boîte aussi, ça aide bien 🙂

 

Oui, My Island a un grand frère, et les similitudes sont criantes. Les bonnes similitudes. (Ah, et si vous voulez de la documentation sur My City, vous la trouverez abondante sur la fiche du jeu.)

 

 

L’île des sept différences

Mais mais mais mais. Le fait d’avoir plusieurs terrains par tuile et des missions basées sur des types de terrain, cela va tout changer ; notamment côté scoring. On retrouvera un scoring évolutif, avec une complexité allant croissant. On retrouvera des petits bonus en cours de partie (ah, tiens, un autocollant double champ qui remplace un champ simple. Ah tiens, une double habitation…). Du catch up aussi : si vous perdez, vous n’avez pas de cercle de progrès, mais avez de quoi vous rattraper les parties d’après, allant d’autocollants à placer sur son plateau, ou sur ses tuiles. Cet équilibrage semble plus fin que dans My City : le rattrapage n’est pas égal d’une partie à l’autre, n’est pas forcément utilisé, ou disparaît à un moment donné. Cette critique souvent adressée à My City disparait (un peu).

 

Au milieu de la campagne, le jeu a déjà bien pris en complexité. Il a toujours été un peu plus difficile que son aîné, mais prend en enjeu. Il suffit de peu pour le rendre plus difficile. Un polyomino à forme particulière, les autocollants doubles, un scoring alternatif… Combinez tout cela et en résulte un jeu vraiment, vraiment très difficile. Les dernières parties vous mettront une pression assez hallucinante.

La progression fait évoluer les règles : elle en fait apparaître, elle en fait disparaître aussi : il n’y a jamais de décompte chiant, de salade de points totale, de prise de tête sur ce qu’il faut faire ou pas. Les enjeux croissent de partie en partie, tranquillement, avec des finaux souvent cruciaux. Notre île change, peu à peu, avec ses obstacles, ses difficultés de terrain, ses idiosyncrasies. On se l’approprie peu à peu. Par contre, les changements d’une île à celle d’un voisin ne sont que minimes, expérience très maîtrisée oblige. Les tuiles que l’on a modifiées changent aussi durablement notre façon de concevoir des zones. Bref, une progression qui a un feeling clairement différent, mais que tout mon groupe de joueurs apprécie.

Je pense toujours que My City constitue une porte d’entrée de choix dans les jeux du genre, et je ne recommanderais pas du tout cet opus-ci, qui s’adresse plutôt aux gens familiers du système, ou à des joueurs plus initiés.

On retrouvera un côté de plateau avec un mode Éternel (rejouable) que je trouvais déjà gadget sur le grand frère, si ce n’est pour faire essayer le jeu, le partager, pour que d’autres joueurs puissent comprendre de quoi il retourne avant de se lancer. J’ai un couple d’amis qui a surkiffé et qui a continué à jouer un peu au mode éternel, mais c’est bien tout.

La pioche contre laquelle vous pesterez.

 

Tue-le-glamour

Le thème est toujours autant aux fraises. Vraiment on s’en passerait bien, et vu le manque d’inspiration global du thème, on se dit que tout le monde chez Kosmos et l’équipe de Knizia a laissé le truc pour la dernière minute. Les entrefilets narratifs créent un asthme qui se veut épique. Alors tant qu’à faire, en plus, autant bien l’illustrer, hein ? Ben non. C’est moche, et de façon très inégale. Certains éléments de graphisme (les monstres) sont véritablement dégueulasses et ne mériteraient pas d’être dans un jeu fini. On peine à croire ce qu’on fait. Si vous avez été appelés là pour l’aventure, je n’ai qu’un conseil à vous donner : fuyez vite. Par contre, si vous êtes là pour les nœuds au cerveau, pour les dilemmes à gogo, pour de la spatialisation bien challengeante et de la bonne planification, oui, là vous allez en avoir pour votre argent. 

Je ne dis pas totalement que le jeu trompe sur la marchandise, mais tout de même : une île mystérieuse à défricher, une forêt touffue d’où parviennent des bruits étranges, du legacy qui bien souvent se fait avec une certaine narration… il y a de quoi penser à des jeux d’exploration et de survie bien plus épiques.

La fin de campagne est aussi source d’une complexité plus grande, de pas mal d’interaction et de difficultés croissantes : difficile de ne pas se sentir contraint, sous pression. Les six derniers chapitres furent émaillés de jurons et de sueurs : on rampe pour essayer d’atteindre les objectifs. Sans rentrer dans les détails spoilants, certains objectifs auront un balisage un peu imparfait : on se doute bien qu’il sera important de les courir, sans pour autant qu’on sache comment les exploiter au mieux. 

Enfin, les règles sont parfois un tantinet brouillonnes, laissant juste l’ombre nécessaire à ce qu’on se pose des questions désagréables.

 

(Mais on aime vraiment bien quand même. Parfois.)

Vous amener à reconsidérer le terrain et les opportunités à chaque coup, à chaque partie, vous faire espérer et désespérer, voilà ce que My Island fait, et très bien. Une belle suite à My City, qui améliore quelques menues anicroches de son aîné, sans pour autant parfaire complètement l’expérience : on aurait pu avoir une narration plus convaincante.

On y replonge avec délice tout de même : les nouveautés sont suffisamment nouvelles, les nœuds au cerveau suffisamment différents pour que l’on apprécie de remettre le couvert.

Au menu des regrets, par contre, il y aura une compartimentation un peu forte de certains objectifs et une fraîcheur moindre que My City. Et certains choix de design qui mettent vraiment la pression aux joueurs.

 

 

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