Lorcana – jetez l’encre sur les rivages du jeu de cartes à collectionner…

Le train de la hype est parti depuis longtemps. Dès l’annonce d’un jeu de cartes à collectionner Disney, tout le monde, y compris chez nous, a frémi. Je crois que l’on s’est tous dit “oh punaise, c’est le prochain gros truc dans le monde du J2S et du JCC.” C’était l’an dernier. Désormais, le jeu est sorti, avec sa saison de spoilers savamment orchestrée, avec sa rupture quasi-instantanée, son jeu organisé qui devrait démarrer, ses spéculateurs et scalpers qui font monter le cours des cartes. Et un petit procès opposant Upper Deck Entertainment à Ravensburger et un des auteurs de Lorcana (on en parlait ici).

 

Alors, Lorcana, qu’est-ce que ça dit ?

Le gameplay

Qui a joué à Magic ou Hearthstone (ou le jeu de cartes Pokémon) n’aura aucun mal à se faire au jeu : on se glisse dans Lorcana comme des pantoufles.

Le but du jeu ? Aller à 20 Lore. On gagne du Lore en inclinant nos personnages en les faisant partir à l’aventure, chaque personnage ayant une valeur d’aventure. Vous pouvez défier un personnage incliné, et les personnages s’infligent des dégâts en fonction de leur force. Les actions vont dans la défausse une fois jouées. Personnages, objets et ressources sont utilisables une fois par tour en les inclinant, et sont redressés au début de chacun de vos tours. Ludochrono ici pour un peu plus 😉

Je n’ai pas parlé de deux choix de design très forts : le premier concerne les ressources, à savoir l’encre. La plupart des cartes sont encrables, ce qui veut dire que, à votre tour, vous pouvez les placer dans votre réserve d’encre. Incliner les cartes dans votre réserve d’encre génère de l’encre, ce qui vous permet d’en jouer. C’est un peu le système de mana de Magic, mais sans aucun terrain dans votre paquet : vous devez choisir les cartes que vous sacrifiez, et potentiellement prendre le risque de perdre une carte importante pour vous. Il y a une courbe, puisque vous n’avez la possibilité d’encrer qu’une seule fois par tour. Choisir quand s’arrêter n’est pas si facile et il faut évaluer quand jouer une carte est plus important que de l’encrer. Ce choix n’est pas anodin, mais, quelque part, est plutôt facile à résoudre : pour jouer des cartes, il faut encrer. 

Rafiki n’est pas encrable mais est, à ce jour, une carte de contrôle très intéressante.

 

Le second choix est celui d’une temporalité asynchrone : vous jouez tout votre tour, l’adversaire joue tout son tour. Il n’y a pas du tout d’interaction pendant les actions de l’autre. Vous déroulez votre stratégie sans interruption (ce qui ne veut pas dire sans encombre). Cela signifie pour Lorcana un espace de design moindre, mais surtout des règles simplifiées : pas de règles de fenêtre de priorité pour les actions des joueurs, pas de pile d’effets à résoudre. On va vers une simplification qui fait penser à celle d’un Hearthstone.  On arme sa stratégie, on voit comment elle résiste face au tour adverse, et on recommence. Grâce à ces mécanismes très propres, Lorcana part sur de bonnes bases d’accessibilité et se place dans le haut du panier des jeux de cartes à collectionner grand public. Et j’insiste sur le grand public ; le but ultime de Lorcana n’est pas de tutoyer Magic ou autres jeux de ce niveau de complexité (ou plus), mais plutôt de taquiner les géants comme Pokémon.

 

L’histoire de Lorcana

Lorcana est un petit univers de Disney parallèle : chaque joueur y est un Illumineur doté d’un Encreur, un outil qui permet de donner vie à des personnages fictifs. Chacun de ces personnages est un Glimmer, et est un aspect des personnages, pas leur intégralité. Cela veut dire qu’Hadès, Mulan et Vaiana se tutoient et que Simba met des mandales aux balais animés de Mickey apprenti-sorcier (ce même Mickey qui peut en même temps être détective ou matelot en noir et blanc). Et les Glimmers peuvent être Floodborn, Storyborn ou Dreamborn. Oui, c’est la termino française, tout cet anglais. J’imagine que Disney a mis sa patte et que c’était plus facile pour le copyright. Storyborn semble être issu d’une histoire précise quand Dreamborn semble indiquer que la carte n’est pas présente dans un univers Disney existant ; il s’agit de la création d’un Illumineur qui aurait rêvé le personnage autrement. Quant aux Floodborn, nous n’avons pas beaucoup de détails, mais les personnages de ce types semblent avoir complètement renversé les attentes quant à leur archétype : le capitaine Crochet aura fauché de la poudre de fée, Elsa assume d’être la reine de l’hiver, ou Aurore a repris son château. On en saura plus “dans les prochains sets”. Aucune carte n’interagit avec ce sous-type des cartes à ce jour mais la prochaine extension, l’Ascension des Floodborn, viendra sûrement contredire ceci…

Pour ce qui est de la pertinence de ces termes dans le jeu, on les oublie totalement. Là où Magic nous ancre plus dans son univers, où Arkham Horror fait des efforts démentiels pour nous faire vivre le Mythe, où Flesh and Blood rapproche la caméra au plus proche des personnages-joueurs, Disney Lorcana hausse les épaules et avance cette approche tiède et absconse à l’histoire racontée par le gameplay : on n’a aucune idée de ce que représente le Lore récupéré, l’encre n’a aucune tangibilité, par exemple. Heureusement que le jeu marche très bien. (Mais ceci ne demande qu’à être complété par d’autres extensions… ‘fin, vous voyez, quoi…)

 

Les facettes du jeu

Pour constituer votre paquet, vous avez besoin de soixante cartes, et chaque carte peut être présente en quatre exemplaires (mais vous pouvez avoir plusieurs versions de chaque personnage en quatre exemplaires : quatre Aladdin, Prince Ali et quatre Aladdin, Hors-la-loi, par exemple. Chaque paquet peut contenir jusqu’à deux Encres, qui sont des couleurs… et donc, des orientations de gameplay et de grandes stratégies. On pensera très fort aux couleurs de Magic, là encore. Personne ne sera surpris en lisant les différentes stratégies de chaque encre :

Rubis

Vous voulez jouer de façon instantanée ? Réagir rapidement, cramer les ressources adverses ? L’encre rubis est faite pour vous : faites perdre du lore à l’adversaire pour le ralentir et éliminez ses meilleurs personnages en défi grâce à des boosts de forces inopinés. Par contre, pour la flexibilité et le long terme, on ira voir ailleurs.

Saphir

L’encre saphir est, pour le premier set, un peu faible ; elle permet des stratégies au long cours, plus contrôleuses, mais avec quelques outils de pioche sélective et des cartes pour encrer plus vite, il y a de la promesse de construire des jeux avec des synergies et des combos permettant de négliger le début de partie pour exploser en fin de partie.

Des cartes représentatives de leur encre respective. Bouclier de Vertu échappe souvent aux joueurs les plus novices, mais permet de l’action multiple ou de la sauvegarde de personnages.

 

Acier

L’encre acier défie avec moins de régularité que l’encre Rubis, mais elle frappe très fort, principalement à cause du mot-clé Offensif, qui donne de l’attaque lorsqu’un personnage défie. Mais au contraire de Rubis, Acier a également des défenses pas nulles, au prix d’un peu de souplesse dans le plan de jeu.

Émeraude

Grâce à l’encre émeraude, vous générez des palanquées de Lore avec des valeurs généralement plus élevées que celles des autres couleurs. Mais en plus, vous privez vos adversaires de possibilités : Mère Goethel empêche les personnages de partir à l’aventure tant qu’elle est épuisée et sur le plateau, Kuzco bannit les personnages le défiant.

Ambre

L’ambre est la couleur de soutien et de résilience par excellence, avec de nombreuses cartes boostant nos Glimmers, avec du soin, et des mots-clé tels que Rempart pour protéger des personnages clé (Simba étant impressionnant dans ce rôle), et un poil de récursion (récupération de cartes dans la défausse). 

Améthyste

L’encre améthyste propose pas mal de moteurs de pioche (Maléfique, Miroir Magique, Mes Amis de l’Au-delà) mais aussi des outils plus “techniques” : Mickey l’apprenti-sorcier réanime ses balais lorsqu’ils meurent en défi, Elsa gèle et épuise des personnages adverses : l’encre du contrôle, assurément.

 

Les combinaisons sont à la fois riches, et à la fois, aujourd’hui, limitées. Limitées en ce sens que les cartes se ressemblent encore beaucoup car les diverses stratégies disponibles pour chaque encre ne sont pas étoffées.

 

Un univers vaste…

Aujourd’hui, Lorcana est limité dans ce qu’il peut vous proposer. Mais, quelque part, c’est normal : à chaque jeu complexe il faut un produit d’appel. Si vous jouiez déjà aux jeux de cartes à collectionner il y a dix ans, vous avez peut-être vécu les débuts de Hearthstone. Et le jeu était simple, voire simpliste, proposant peu de pouvoirs, et des cartes avec peu de pouvoirs hors de petites variations statistiques. Désormais, Hearthstone a poussé les potards à 11 et est beaucoup plus riche, grâce à un pool de cartes plus important et une meilleure maîtrise de son expérience joueur. Lorcana est dans le même cas, avec une base intéressante et riche, mais que l’on sent encore limitée. 

Des personnages emblématiques… parfois en plusieurs versions. On passera sur les petites dissonances ludonarratives (hé, j’ai trois Simba en jeu, et l’un de mes Simbas utilise un cimeterre volé pour te défier ta fée Clochette).

 

 

De la même façon, les 204 cartes du set 1 pourraient laisser croire qu’il n’y a que peu de communes inutiles, que l’on appelle communément du papier peint. Mais en revanche, il y a bien des rares incontournables. Certaines cartes manquent encore de soutien pour être véritablement efficaces (je parlais du Saphir, plus haut, qui peine encore à être compétitif, mais le Mickey apprenti sorcier souffre par exemple du même problème). Je crains que les joueurs qui jouent de façon occasionnelle et ceux qui ont des decks compétitifs ne se retrouvent violemment séparés par des niveaux de jeu trop séparés. Pour autant, les paquets de démarrage fonctionnent bien, et suffisent largement à donner une idée de ce que peut être le jeu en accompagnant les joueurs vers plus de personnalisation grâce à un booster. Après quelques parties, on se sentira tout de même frustré et poussé à l’achat tant la synergie entre nos cartes est mineure : on en voit les axes, des bouts qui dépassent, mais on est incapables de mettre quoi que ce soit en action. Il faudra repasser à la caisse avec l’achat de vingt ou trente boosters pour avoir quelque chose qui tourne un peu mieux. Au prix du booster, heureusement que ça nous aide. Et beaucoup de cartes clés sont rares, bien entendu… Et la pénurie du moment rend la spéculation vraiment pénible : les collectionneurs veulent juste leur collection complète, les joueurs compétitifs les bonnes cartes en quatre exemplaires, et les scalpers, eux, préfèrent spéculer et se faire des sous sur le dos de tout le monde. Résultat, si vous voulez un deck compétitif aujourd’hui, il vous en coûtera plusieurs centaines d’euros.

Au rang des plaintes, on retrouve également la fin de partie qui, en l’état et surtout avec les decks de démarrage, finit souvent en eau de boudin : on arrive à court de cartes en main, et, sans moteur de cartes en main, on s’en remet souvent à la chance, au topdeck. Dès que vous construisez un peu plus les paquets, cela va mieux et seules les stratégies trop agressives arriveront à court de ressources (ce qui veut généralement dire qu’elles ont perdu).

Enfin, parlons un peu accessibilité. Lorcana indique être jouable à partir de huit ans. Je dirais que c’est possible, mais un peu utopique : à huit ans, de nombreuses petites interactions qui font la finesse du jeu vont être omises. Neuf ou dix ans semblent plus adaptés. Légèrement plus complexe qu’un Pokémon, pour un premier set. Car, qu’on ne s’y trompe pas, sous ses dehors gentils et abordables, Lorcana fait bien partie de ce genre de jeu : la courbe d’apprentissage y est longue et, avant de maîtriser les subtilités et finesses de jeu, il faudra enquiller nombre de parties.

 

Lorcana s’appuie sur ses aînés, proposant finalement peu de grandes nouveautés, un peu comme des pantoufles encore chaudes qu’on réenfile, mais semble avoir les billes pour produire un grand jeu… lorsque les sets suivants se seront révélés.

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