Les Poilus : la poilade ? [Zoom sur la 2e édition]

Les Poilus est un jeu coopératif pour 2 à 5 joueurs, édité par Sweet November en partenariat avec le musée Historial de la grande guerre, sur le thème de la première guerre mondiale. Pour autant il ne s’agit pas d’un wargame. Soyons clair : en jouant aux Poilus, vous n’aurez pas l’impression d’être un soldat avec un fusil à baïonnette dans les mains. D’ailleurs, contrairement à la plupart des jeux de guerre, l’objectif du jeu n’est pas de « gagner » la guerre, juste de la traverser. Vous et votre bandes de potes. Vivants.

Vous n’aurez pas de « boches » à tuer, mais plutôt des symboles à aligner et des camarades à soutenir. S’agit-il d’un jeu abstrait alors ? Pas vraiment, car au cours du jeu vous aurez tout de même une impression terrible : celle d’être broyé par une machine infernale et inhumaine, la guerre. Sans doute les poilus du siècle dernier ont-ils ressenti cela, au fond de leurs tranchées sous les pluies d’obus.

Le jeu a tellement bien marché qu’une deuxième édition est désormais disponible. Nous reviendrons sur les modifications en fin d’article. 

La pause culturelle

L’Albanie est un petit pays d’Europe qui a connu une dictature communiste très longue, d’abord sous l’influence russe, puis sous l’influence chinoise. En ce temps-là, un écrivain, Ismail Kadaré, décrit tout cela dans des romans et des nouvelles fantastiques (ce qui lui permet aussi d’éviter la censure).

Il décrit son pays, l’industrialisation et la construction des infrastructures mais aussi la privation des libertés individuelles. Après « l’ouverture » du pays, le capitalisme à outrance remplace le communisme à outrance, et notre écrivain continue son travail.

Dans on oeuvre, Ismail Kadaré utilise le fantastique comme symbole de l’absurdité politique. Tout ça pour dire, Les Poilus, c’est un peu le même principe allégorique, appliqué au jeu : ici l’abstraction transcende de façon archétypal l’absurdité de la guerre. Magistral. 

Fin de la pause, retournons jouer en cours de récré !

Matériel

Le matériel se compose d’un paquet de cartes, de quelques jetons, d’une règle et d’une aide de jeu. Tout tient dans une petite boîte carrée et c’est très bien comme ça !

Les cartes sont magnifiquement illustrées par Tignous (dessinateur qui, pour la triste histoire, est une victime de l’attentat de Charlie Hebdo comme vous le savez sûrement). L’intérieur de la boîte aussi est très beau. Paysages dévastés, barbelés, visages ravagés aussi… et de temps en temps une lettre d’amour ou une colombe.

Le paquet se compose de deux types de cartes :

  • Les cartes « symboles » qui représentent de 1 à 6 symboles correspondant aux difficultés rencontrées par les poilus : nuit, pluie, neige, obus, gaz et sifflet (le coup de sifflet annonçait l’assaut dans les tranchées).
  • Les cartes « coups durs », toutes différentes, qui représentent les traumatismes subis par les poilus. Chaque « coup dur » est associé à une pénalité pour le joueur. On appréciera la grande variété en la matière : cela va de l’interdiction de parler à une vulnérabilité particulière à l’un des six symboles, en passant par des modifications de règles (tirage de carte, etc). Enfin, certains « coups durs » pénaliseront les autres joueurs plutôt que vous-même, normal ils devront vous supporter, vous et vos traumatismes !

 

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Enfin les jetons soutien servent à indiquer un autre joueur (celui à votre gauche, celui à votre droite, etc).

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Les jetons

 

Conditions de victoire et de défaite

Les cartes sont réparties sur deux piles : la première représente les épreuves, elle est placée sur la carte « colombe » qui indique la fin de la guerre. Si cette pile est vidée, et que les joueurs n’ont plus de carte en main, c’est gagné ! Vous avez survécu jusqu’à la paix.

Le reste des cartes forme la pile du moral, elle est placée sur la carte « monument aux morts ». Si la pile du moral s’épuise et que le monument aux morts devient visible, la partie est perdue. De même si un joueur accumule quatre « coups durs » ou plus en fin de tour : il meurt et le chagrin emporte les autres.

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Monument aux morts contre colombe

 

Votre mission, si vous l’acceptez (mais vous n’avez pas de choix…)

Le jeu se répartir en plusieurs tours, appelés « missions ». À chaque mission, le « chef de mission » change. En plus d’être le premier joueur, il a la responsabilité de choisir l’intensité de la mission, c’est-à-dire le nombre de cartes qui sera pioché par chaque joueur sur la pile des épreuves (en général, de 1 à 3).

Le pion "chef de mission"

Le pion « chef de mission »

 

Ensuite, commence la mission proprement dite. L’objectif des joueurs est d’écouler le plus possible des cartes en main. Chaque joueur joue donc une carte à son tour. Les cartes « symboles » vont au centre de la table, tandis que les « coups durs » sont joués devant vous et vous affectent personnellement, de plus ils resteront en jeu d’une mission sur l’autre. Mais le même symbole ne doit pas apparaître plus de deux fois sur l’ensemble des cartes, sous peine de voir la mission échouer.

Afin d’éviter l’échec, si vous n’avez plus de cartes jouables à votre tour, vous pouvez vous retirer de la mission. Vous ne jouerez alors plus jusqu’à la fin de la mission et vos « coups durs » ne handicapent plus vos camarades. Lorsque vous vous retirez, vous choisissez secrètement un jeton de soutien.

Bien entendu, les « coups durs » viendront compliquer la donne, par exemple en vous interdisant de vous retirer dans certaines situations, ou au contraire en vous y obligeant !

La mission se termine soit par échec (3 symboles identiques), soit par une réussite (chacun s’est retiré à temps). En cas d’échec, les cartes jouées au centre de la table sont remélangées dans la pile des épreuves (donc vous n’avez pas progressé vers la colombe !), en cas de réussite ces cartes sont retirées du jeu.

Les jetons soutien sont alors révélés ; si un joueur obtient une majorité de soutien, il peut éliminer des « coups durs ». En cas d’égalité, personne n’est soutenu et rien ne se passe ! Il est donc très important de deviner quel joueur les autres vont soutenir.

Enfin, vient la baisse du moral : pour chaque carte restée dans la main des joueurs (qu’ils n’ont pas réussi à jouer durant la mission donc), une carte de la pile du moral est déplacée sur la pile des épreuves (minimum 3 cartes).

Ensuite une nouvelle mission commence. S’ajoutent à cela les discours et les porte-bonheurs qui peuvent vous offrir un répit en défaussant des cartes.

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Cartes de personnages

 

Dure la vie et durée de vie

La durée de vie du jeu est bonne, les combinaisons formées par les cartes « coups durs » étaient différentes à chaque partie, genre : « Je suis entêté, donc je ne peux me retirer de la mission que si j’ai moins de deux cartes en main. Mais comme je suis aussi frénétique, je tire deux cartes de plus au début du tour… on est mal barré ! ».

Trois niveaux de difficulté sont proposés, et le site du jeu propose aussi quelques variantes additionnelles.

Et en pratique, ça donne quoi ?

  • Une première partie avec des joueurs experts, notamment amateurs de poker, a donné des résultats mitigés. Les Poilus est un jeu à base d’information secrète : les cartes que vous avez en main et le soutien que vous avez joué doivent rester secrets. Mais avec des joueurs de poker aguerris, ces informations ne restent pas cachées bien longtemps ! Au final, la partie sera gagnée facilement, avec l’aide de plusieurs petites triches discrètes mais efficaces.
  • Une seconde partie, avec des joueurs qui ne connaissaient absolument rien aux jeux de sociétés modernes, s’est soldée par un échec. Ils ont eu du mal à comprendre le jeu.
  • Une troisième partie (aussitôt suivie d’une quatrième) en famille, avec des joueurs « intermédiaires », a été un franc succès (même si nous avons perdu !). À la fin, l’impression de faire face à une « machine diabolique » était telle que la partie s’est achevée sur un fou rire monumentale – le rire nous est apparu comme la seule réaction possible ! On est foutus ! Perdus, pelés, tondus… Ha non on est poilus !

 

Au final, voilà un jeu qui a du poil de la bête 🙂 Je le recommande notamment aux amateurs de jeux coopératifs, capables de jouer sans (trop) tricher.

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Points forts :

  • L’abstraction comme symbole de l’absurdité de la guerre
  • Les illustrations qui collent parfaitement
  • La diversité des cartes « coups durs » et de leurs combinaisons

 

Points faibles :

  • La difficulté semble diminuer avec le nombre de joueurs
  • Ne conviendra pas à tous les groupes de joueurs
  • Les jetons soutien pas toujours équilibrés (sur la première édition seulement)

 

2e-

La deuxième édition 

Moins de 5 mois après sa toute première édition, le jeu bénéficie déjà d’une deuxième édition. Sweet November revient pour nous sur les améliorations apportées par rapport à la première édition :

► Le visuel de couverture a été modifié pour être moins austère (un personnage a été ajouté au premier plan et l’intensité du bleu a été renforcée pour proposer davantage de couleurs)

► La règle a été précisée et aérée pour faciliter l’apprentissage (elle passe ainsi de 8 à 12 pages et bénéficie des remarques des joueurs recueillies au fil des premiers milliers de parties). Cette règle est téléchargeable sur le site du jeu où quelques variantes sont également proposées.

► Les joueurs sont désormais obligés de recevoir 3 cartes Épreuves chacun lors de leur première mission (règle d’entrée en guerre la Fleur au Fusil).

► Les textes des cartes Coup Dur ont été précisés pour éviter toute interprétation.
 

► Les jetons Soutien ont été rééquilibrés (6 à droite, 6 à gauche) et leur couleur a changé pour être davantage visible lorsqu’ils sont joués sur les cartes « Poilus ».

► Le jeu porte au dos de boîte le logo tricolore de produit officiel de la Commémoration du Centenaire et présente son partenariat avec l’Historial de la Grande Guerre de Péronne.

Cette deuxième édition conserve la même référence, le même code et le même prix que l’édition originale.

Par ailleurs, des planches de 3 jetons « Soutien à gauche » ont été éditées pour les propriétaires de la première édition qui souhaiteraient bénéficier d’un équilibre plus favorable de leur Soutien. Ils sont disponibles sur simple demande via l’adresse internet contact@jeuxsweetnovember.fr ou via les revendeurs.

 

>> La fiche de jeu

Un jeu de Fabien Riffaud, Juan (ex Jean-Charles) Rodriguez
Illustré par Tignous
Edité par Sweet November
Langue et traductions : Français
Date de sortie : 02/2015
De 2 à 5 joueurs
A partir de 10 ans
Durée moyenne d’une partie : 30 minutes  

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5 Commentaires

  1. fouilloux 20/08/2015
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    Un jeu qui m’a bien séduit, et qui est pour la définition d’un sérious game: on sensibilise à un thème tout en s’amusant, sans passer par la bête phase de question réponse. Une belle preuve que le jeu de société, ça peut aussi être du sérieux.

  2. atom 21/08/2015
    Répondre

    Super article pour un super jeu qui méritais un coup de projecteur c’est fait. C’est vrai que c’est abstrait mais le thème choisi faut que l’on rentre bien dedans. Comme le thème est grave et commémoratif on a pas franchement envie de se marrer, donc les parties ont un coté solennelet sérieux. les coups durs sont vraiment bien, ils peuvent bien bloquer le jeu.

    Pour ce qui est des défauts :

    tout d’abord sur la première version, tu l’a dit cette erreur d’impression qui fait que l’on n’a pas des soutiens équilibrés. qu’ils ont corrigés ensuite.
    Le gros défaut c’est le mode 2 joueurs qui nécessite de jouer avec un joueur neutre qui ne choisira pas ses soutiens, mais le tirera au hasard. Cela rends le jeu impossible sans avoir de la chance, on a essayé plusieurs fois, et quand on a gagné c’est que l’on avait vraiment eu de la chance.

    • Jiba 21/08/2015
      Répondre

      J’ai testé le jeu à 3, 4 et 5 joueurs, mais jamais à 2… merci pour le retour à 2 joueurs (donc j’éviterai cette configuration !).

      D’un côté tu as raison, le thème est grave, de l’autre j’ai connu des parties qui se sont terminées en fou rire !

  3. Juan Serval 21/08/2015
    Répondre

    Excellent jeu que ce « Poilus ».

    Testé à plusieurs configurations , tout se joue bien , effectivement à deux pas exceptionnel si ce n’est pour découvrir le jeu en lui-même.

    Fait rare, un jeu coopératif qui se joue vite et qui tourne ma foi plutôt bien avec des joueurs non expérimentés.

    Un indispensable dans toute bonne ludothèque

  4. Max Riock 25/08/2015
    Répondre

    Pour l’instant je ne l’ai essayé qu’à 2, et avec la répartition déséquilibré des jetons soutiens et c’est vrai que cela ne doit pas être la meilleure configuration !

    Merci pour cet article qui fait bien ressortir tout ce que je pense de se superbe jeu

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