Les foulancements jdr : janvier 2022
J’ai entendu dire que, fort·e de vos petits chèques à Noël et aux étrennes, vous vous retrouviez avec un petit pécule, que vous ne saviez pas dépenser.
Rassurez-vous, les campagnes de financement participatifs ne s’arrêtent jamais. Si fin décembre, on a vu dans Impitoyables Bourgades une fin de campagne en apothéose ou les chats dominer le monde, Janvier (Jaaaaaaannnnvvvieeeerrrr ! dirait Jean Gabin) verra s’affronter sous nos yeux deux mondes opposés : nos racines latines contre notre culture comics américaine, un système ludique contre un système narratif, un gros éditeur contre un petit, Ulule en face de Gameontabletop, ville vs campagnes, … Vous allez être écartelés vifs, hurlant que vous ne voulez pas choisir mais il le faudra quand même, ou bien c’est votre porte-monnaie qui paiera l’addition. Levons le rideau sur ces gammes susceptibles de vous occuper tout 2022 en folles soirées.
Premiers de corvée
Le studio Agate s’est fait connaître avec Les Ombres d’Esteren. Leur goût pour les gammes étoffées (7ème mer, Dragons) les a rendus coutumiers de la plateforme de financement Ulule. C’est leur huitième appel de fonds, et la prise de risques n’est pas vraiment au rendez-vous quand la livraison est indiquée pour janvier 2022 (uniquement les PDF, mais tout de même). Vous aurez à peine le temps de claquer vos étrennes que les livres seront dans votre boîte email ! L’argument convaincrait n’importe quel addict en plein sevrage, mais je sens que vous avez quand même envie de savoir de quoi cause Brancalonia.
Dans l’Etat-lie (vous avez le jeu de mots ?), vous incarnerez donc des branquignols, comme on dit par chez nous, des mercenaires désargentés qui ont souvent la poisse, jamais le bon équipement, et qui doivent faire contre mauvaise fortune bon cœur. Créé par l’éditeur italien Acheron Games (un nom moins italien), cet univers de « fantasy spaghetti » mélange les codes du Western spaghetti transposé à l’époque médiévale à un folklore italien très peu exploité dans les jeux de rôles. À en croire notre réputation, nous les français, sommes moitié latin, et dans la cour des séducteurs européens, les italiens sont les seuls à nous voler (parfois) la vedette. Le duel à l’épée ou la bagarre de taverne, nos fines lames sous la haute monarchie (les trois mousquetaires, mousquetaires de l’Ombre, ou les lames du Cardinal) la pratiquaient avec le panache gascon bien avant que Brancalonia ne se décoiffe. Le jeu de rôles Shade tirait également partie de la culture italienne à travers la cité des doges, les condottiere, la commedia dell’arte et les aspects religieux. Gouailler pour mériter pitance dans un monde imméritant me rappelle les parties de Dying Earth inspiré du Cugel de Jack Vance. Alors quoi, pourquoi cette campagne décolle-t-elle aussi vite ?
La magie du financement participatif, c’est de nous faire rêver des mondes fantastiques en quelques illustrations. Si Agate a toujours soigné le visuel de ses jeux, la patte graphique de Brancalonia présente une chaleur et un onirisme qui tranche avec le système qui le propulse. Cadre de jeu pour la 5ème édition du plus célèbre des jeux de rôles, le contre-emploi séduit, comme la proposition d’Archipels « Sortez de vos donjons » avait fait le buzz au début du d20 en France.
Les personnages inspirés de Bud Spencer et Terence Hill dans des décors sortis de Don Quichotte ou de Pinocchio, des quartiers colorés et populaires où les éclats de rire et de voix ne sont jamais loin : nos d20 éduqués à la classe d’armure et au jet de sauvegarde n’en ont pas croisé beaucoup.
Ces mercenaires pour qui le style remplace la puissance de feu doivent accomplir des missions, renommées corvées pour l’occasion, afin d’assurer leur pitance et de payer les prochaines festivités. Ces dernières foisonneront à travers les deux ouvrages proposés pour ce lancement : une quinzaine semble-t-il pour nous garantir de nombreuses heures de découverte.
Les contreparties vont de l’offre PDF à la totale avec la tétralogie Dragons en prime (l’option sera surement épuisée d’ici la parution de cet article !), et leur prix reflète la qualité des ouvrages de l’éditeur, ornementés de moult illustrations et d’accessoires qui font plaisir (comme une carte en poster).
Pour qui cherche comment exploiter ses règles de Donjons et Dragons 5 et sortir de la fantasy épique généralement associée à ce système, Brancalonia est le parfait candidat. Joyeux, exotique, entraînant les joueurs à parler plutôt qu’à jeter les dés, il s’impose déjà comme une extension de premier ordre à la locomotive de Wizards of the Coast.
Quand t’es dans la Brume, depuis trop longtemps…
En quelques années, l’auteur Amit Moshe a réussi à créer une licence majeure du jeu de rôles et personne ne peut le lui enlever. En puisant dans les thématiques américaines modernes que sont la Grande Dépression, les super-héros et les mégapoles, il propose une quintessence de ce que l’on aime outre-manche : le polar noir, les histoires de flic, les luttes de pouvoir pour les quartiers, les super-pouvoirs et des âmes immémoriales qui se retrouvent au même endroit pour le plus grand plaisir des joueurs. Mais ce n’est pas tout.
Il a également réussi à repiquer toutes les bonnes idées des systèmes narratifs populaires (Apocalypse World, FATE), et à en faire des mécaniques qui servent l’ambiance du jeu.
Enfin, les visuels dans la pure tradition comics attirent nos yeux habitués au style des BD américaines au premier coup d’œil. J’ai personnellement craqué sur la gamme pour les illustrations avant même de connaître le jeu !
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas les systèmes de jeu évoqués, en voici quelques principes : vous ne remplissez pas de fiche de personnage, vous choisissez un rôle (comme une classe dans D&D), qui détermine vos capacités (appelés Traits). Les traits agissent en compétence ou en contrainte, ou viennent préciser une situation. Le Maître de Cérémonie (MC) possède un catalogue d’équations narratives, les actions, qui déclenchent un jet de dé : il décide alors des traits qui s’appliquent pour cette scène et ajoutent le jet de 2d6 du personnage. Entre 7 et 9, c’est une réussite en demi-teinte ; généralement il y a un coût à cette réussite. Au dessus, la situation se passe comme le joueur l’avait prévu. En dessus, elle échappe à son contrôle, et le MC va faire avancer l’agenda des adversaires, ou vous mettre des bâtons dans les roues.
Dans ce type de jeu, rien n’est écrit à l’avance, on joue pour voir ce qui va arriver, et les rebondissements surviennent par les échecs et semi-échecs de chaque personnage. Et contrairement aux idées reçues, le fait de scripter le récit autour d’actions n’empêche absolument pas de faire faire à votre alter ego ce que bon vous semble.
City of Mist vous plonge directement dans un dilemme fondateur : un gars ordinaire, qui a des pouvoirs extraordinaires. Son bout de chemin va l’amener à découvrir des secrets, mais plus il va utiliser ses pouvoirs, plus il aura de difficulté à vivre sa vie d’humain ordinaire.
La brume, ce voile magique qui empêche les gens de cette ville de voir la réalité et d’en saisir les luttes de pouvoir, empêchera vos joueurs de se transformer en super-héros connu de tous. En termes comics, vous ne dépasserez jamais le niveau des Vigilantes qui se battent pour leur quartier. Vous n’êtes d’ailleurs pas obligé de jouer un héros, c’est la quête pour votre vérité et votre identité qui vous poussera en avant ; si vous tournez mal, pas sur que vos collègues vous remettent dans le droit chemin.
City of Mist plante un décor contemporain avec de nombreux emprunts au cinéma : le film noir, les mafieux, les histoires de flics ou de super-héros qui défendent leur ville. La Brume offre la possibilité de découvrir des secrets continuellement. Vos personnages n’ont pas la vision complète du tableau parce qu’ils ont résolu une énigme ; ils continuent d’investiguer dans un cloaque où les situations sont mouvantes et les changements réguliers. La seule satisfaction que vous aurez, c’est d’avoir appris à vous gérer, à faire des trucs cools avec vos pouvoirs ou à les remiser sans trop d’embrouilles.
L’arrivée de cette gamme en français grâce au Barbu Inc viendra combler le cœur de ceux qui aiment les jeux motorisés à l’Apocalypse ou à FATE. Au vu de l’édition américaine, elle sera forcément somptueuse, et remettra au devant de la scène les jeux narrativistes qui excitent toute une communauté internet à défaut d’être visibles dans les news pour rôlistes. Mais pour peu que vous traversiez la Brume, vous verrez comme c’est sympa !
2022 en filigrane
“Le néopolar, c’est un peu comme le western spaghetti.”
— François Guérif
Je ne vais pas être l’énième pénible à vous parler de la crise sani… ou du changement clim… mais les mois qu’on passe en ce moment ne sont pas roses. Que ce soit au cinéma ou dans nos jeux, nous avons besoin de nous identifier, et quand le monde autour de nous ressemble à un château de cartes sur lequel une brise se lève, on laisse parfois les grands sentiments épiques de côté.
L’offre de jeu de rôles du moment tend à exacerber les notions de résistance, de lutte, de galères financières et de pouvoirs insoupçonnés.
Tels les personnages de Witchblade/Darkness (et de manière générale tous les héros d’Image Comics), on aimerait parfois se réveiller avec le pouvoir d’un dieu dans sa poche. Pour autant, les petits tracas quotidiens restent là, moteur d’émotions, de motivations, d’intrigues. Si on se bat, ce n’est plus pour sauver la princesse, mais SA princesse. Si on franchit le portail d’un manoir hanté, ce n’est plus pour enquêter sur les mystères mystiques mais pour ramener un proche qui s’est fait enlever. Si les deux jeux ci-dessus ont un ADN opposé, ils partagent la même proposition de réveiller nos envies et nos peurs, de nous faire voir les bienfaits de la fraternité et de l’entraide, de nous armer d’humour et d’inventivité plutôt que d’équipements derniers cris.
Alors en attendant les livraisons de Vermine 2047 ou d’Hawkmoon Résistance qui vont nous parler de survie de l’espèce, ces deux financements participatifs de Brancalonia et City of Mist sont parfaits pour rire de notre misère, et envoyer un crochet du gauche à ceux qui voudraient nous exploiter. Les deux s’appuient sur des systèmes solides, et promettent un suivi intéressant (qui dépendra bien sûr des ventes … c’est là où vous intervenez).
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FX 10/01/2022
On me susurre dans l’oreille que Brancalonia vient de recevoir Prix du Public aux NDU Awards : Meilleur cadre de campagne, meilleur supplément pour le Macaronicon, prix de l’originalité et meilleure direction artistique.
Shanouillette 10/01/2022
Hé bhé !
ça fait envie tout ça…
FX 10/01/2022
Le live vidéo et la page de financement de CoM sont ouverts https://m.youtube.com/watch?v=lxf92RTbjDY
El Charlot 11/01/2022
La référence de Brancalonia me semble être le chef d’œuvre du cinéma Italien qu’est Brancaleone (que je recommande à n’importe quel fan de médiéval Monty Pythonesque https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Armée_Brancaleone)
FX 18/01/2022
merci pour la référence !
FX 18/01/2022
Nous ne vous avons pas baratiné : les deux campagnes sont un franc succès, tous les paliers explosés, il ne reste que quelques heures. Pour vous convaincre de prendre Brancalonia, un petit actual play avec que des gens bien : https://www.youtube.com/watch?v=3Wttp7zG1Gc
Et si vous avez des questions sur City Of Mist, je vous envoie un lien d’invitation exclusif vers un Discord tout frais en VF qui vient de s’ouvrir : https://discord.gg/7qdcJPbS
A bientôt à travers les brumes !
el Charlot 18/01/2022
Merci, grace à vous j’ai pris Brancaleone, qui à l’air simplement énorme. L’équipe d’Agate fait de plus de gros efforts pour animer le pledge avec des news ou des commentaires bourrés d’humour (et le faire grossir, en rameutant des boutiques, ce qui nous a débloqué 2 palliers direct :)), vraiment, que du bonheur et de la bonne humeur.
Branca Branca Branca, Leon Leon Leon !