Islebound, veux tu monter dans mon bateau

Le premier contact avec Islebound est d’ordre oculaire, c’est indéniable. Sa forme de plateau tout en rondeur et cette esthétique des couleurs bleu-vert sont toutes deux proprement charmantes et vous attirent magnétiquement comme un scaphandre pouvait attirer un Cousteau sauvage. Certes, ce Laukat, il est canon. Mais ne nous le cachons pas, ce n’est pas qu’un physique non plus.

Islebound est le plus gros jeu de Red Raven auquel j’ai eu l’occasion de jouer. Jusqu’ici c’était Un monde Oublié, et Islebound est certainement un cran au-dessus niveau difficulté, imbrications, possibilités. Malheureusement comme souvent chez Laukat – que j’admire beaucoup pour ses dons complémentaires qui lui permettent d’être à la réalisation d’un jeu de A à Z – il traîne quelques points de règles qui semblent pas tout à fait accomplis et qui viennent ternir l’expérience pour peu qu’on l’a réitère. Mais je vous dirais franchement, je m’en fiche, puisque j’ai encore envie d’y revenir. Je veux être sûre de ne pas avoir raté une voie maritime à explorer quelque part.

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Nous sommes dans l’univers de Above and Below et Near and Far. Vous voilà avec le pied marin, et la délicieuse envie de bâtir votre réputation à travers les océans. Pour réaliser cela, il faudra être riche de bien des façons. Et le côté Fortunes de Mer du jeu, c’est qu’il y a plusieurs stratégies possibles : façon conquérant, commerçant, ou diplomate. Ceci dit, concrètement, tout cela va se traduire plutôt par un jeu de gestion de ressources dans une veine eurogame avec assez peu d’interactions directes – à moins que vous ne jouiez avec la variante où l’on peut saborder les autres (qui me titille bien d’ailleurs !).

 

Celui qui a un port d’attache en a qu’un,

Celui qui n’en n’a pas en a mille…

Un bon ouvrier a de bons outils. On commence donc par assembler notre plateau de jeu central : aux coins, des ports d’attache pour les joueurs. Partout ailleurs, des îles, placées aléatoirement.  

Chaque joueur débute avec son plateau-bateau et quelques tuiles représentant des marins. Chaque marin a des compétences particulières, mais nous y reviendrons. À côté du plateau central, une rivière de cartes Bâtiments ainsi qu’un plateau annexe (pour la réputation, l’influence, les événements, et les membres d’équipage à l’embauche, oui tout ça).

Vous entendez l’appel du large ? Fiouuuvhouuu. Mais si, vous l’entendez. Allez, c’est parti. Votre bateau débute dans votre port d’attache, mais il ne va pas rester là longtemps. Oh oui, vous aurez la bougeotte ! En effet à chaque tour, il y a une première chose obligatoire à faire : vous déplacer. Une règle simple et bienvenue, qui oblige les joueurs à ne pas squatter une action indéfiniment.

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Au départ, vos tuiles de membre d’équipage sont sur le pont (partie supérieur de votre plateau), prêtes à être utilisées. On sent bien qu’un illustrateur a conçu ce jeu : la continuité entre le matériel et l’idée du gameplay est évidente pour le joueur car elle forme un tout dans l’esprit de l’auteur. Quand vous devrez vous servir d’un matelot pour sa capacité, vous le glisserez dans la partie « cabines » de votre bateau-plateau. Fatigué, au dodo, dans son hamac, hop hop hop. Certains marins permettent de booster la vitesse de déplacement de votre esquif tant qu’ils sont sur le pont, d’autres, les diplomates, permettent d’aller sur une région occupée par un adversaire, etc.

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Une fois arrivée sur une île, vous avez plusieurs options :

  • La visiter 

Visiter signifie réaliser l’action indiquée en payant le coût de la visite au maître des lieux (si l’île n’est à personne pour le moment, l’argent part dans un pot commun, si c’est vous le chef, vous ne payez rien).

En activant une action, vous pouvez gagner des ressources comme les tuiles poisson, les tuiles planches de bois, de la Connaissance avec les jetons livres, ou encore augmenter votre réputation, embaucher des cartes pirates, recruter des tuiles matelots, dompter une carte serpent de mer, construire une carte bâtiment… ou vous reposer pour remettre tous vos membres d’équipage sur le pont.

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  • Attaquer les lieux 

C’est possible si la ville montre une bannière rouge, sinon vous pourrez en prendre le contrôle diplomatiquement (en cas de bannière bleue). Le nombre indiqué sur cette bannière représente la force d’attaque que le joueur doit égaler ou dépasser en défaussant des cartes pirates et/ou des serpents de mer.

Ces cartes vous donnent en fait la possibilité de lancer des dés que vous allez placer ensuite dessus pour faire des dégâts, sachant qu’une carte peut recevoir qu’un seul dé, et votre résultat déterminera les nombre de dommages que vous infligerez. Si vous ne faites pas assez de dégâts, vous pouvez blesser vos matelots pour obtenir 1 point de plus (et attention, cela les fatigue).

Il est possible d’attaquer une ville détenue par un adversaire. Vous savez, les ennemis sont bêtes, ils croient que c’est vous l’ennemi alors que c’est eux ! Bref, attaquer vos adversaires est une stratégie profitable mais les villes sous contrôle adverse ont une force augmentée de 2. Dernier point utile : dépenser des tuiles « bois » permet de relancer un dé lors d’une attaque.

Jouer de son influence permet aussi de prendre le contrôle d’une ville, par la diplomatie cette fois. Il faudra avoir mis de côté assez de cubes sur la piste d’influence, et en dépenser le nombre nécessaire.

► La piste d’influence ? Oui, certaines actions permettent de placer des cubes à votre couleur sur cette piste-là, qui se remplira toujours de gauche à droite : vous occuperez ainsi les valeurs faibles en premier (les plus hautes sont vers la fin de la piste, plus difficiles à atteindre, surtout en début de partie). Quand on bloque beaucoup d’emplacements sur cette piste, on créera un embouteillage qui aura le mérite de bien gêner nos adversaires, mais viendra un moment où il faudra dépenser tous nos petits cubes mis de côté pour conquérir une ville par la diplomatie… À moins qu’il ne soit plus intéressant pour vous d’empêcher les autres d’avoir de l’influence…

Tout cela n’est pas hy-per thématique, mais c’est une mécanique heureuse qui engendre une interaction indirecte assez vilaine (hou on aime les interactions vilaines !) et nécessite un timing plutôt cool à optimiser. 

Que vous preniez le contrôle par la force ou par la diplomatie, vous gagnez ensuite le butin : c’est la valeur de la force de la cité en argent. Plus vous en aurez bavé pour la prendre, plus la récompense sera juteuse. Mesure compensatoire des plus honnêtes, d’autant que l’argent est assez fondamental pour réaliser des actions et acheter des bâtiments. On va d’ailleurs créer son moteur d’actions afin d’essayer de ne pas tomber en rade de piécettes. En plus du butin, rappelons qu’une fois qu’une cité vous appartient, vous n’aurez plus à payer pour en réaliser son action. 

  • Chasse au trésor 

Vous prenez toutes les pièces du pot commun ! S’il n’y a rien, prenez une pièce. Bouh.

C’est gratos !

Il y a aussi des actions gratuites possibles telles que s’occuper de l’éventuel Evénement qui est en cours dans la région. Deux marqueurs d’événements se promènent allègrement durant toute la partie, changeant d’emplacement et de nature à chaque fois qu’ils sont résolus. C’est notamment grâce aux événements que vous allez pouvoir placer des cubes sur la piste d’influence citée plus haut.

Ces événements vous demandent d’être sur une île spécifique et souvent de pouvoir vous défausser d’une ressource particulière. Il y a ici matière à gros combo : je vais quelque part, je résous l’événement et gagne l’influence qui en résulte, influence qui me permet ensuite de prendre le contrôle du lieu diplomatiquement, et je réalise finalement l’action supra-bourrine de l’île gratuitement. Pif paf BIM ! ! Qui a dit que j’étais un marin d’eau douce ? 

Une autre action gratuite consiste à acheter des bâtiments. Et là aussi il y a matière à combo. Pardon, à gros combo. Ces cartes s’achètent avec de l’argent et rapportent autant en points de victoire (réputation) mais surtout offrent des pouvoirs qui vont pouvoir faire mal. Pas physiquement hein mais ludiquement, j’entends.

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Ces cartes auront des effets très variés qui pourront parfois s’enclencher après certaines actions ou demeurer permanents. Par exemple : gagner un point de réputation à chaque fois que vous prenez un jeton de Connaissance. Augmenter votre vitesse de déplacement. Prendre une carte Serpent de mer quand vous retournez à votre port. Les cartes sont nombreuses, puissantes, se combinent entre elles, entre les divers moteurs du jeu, et vont réellement orienter votre stratégie. Dernier détail qui compte : Plus on a acquis de jetons de Connaissance, plus on a un accès élargi aux Bâtiments. 

Donc here’s the deal, vous réaliserez une action parmi celles-ci et autant de gratuites qu’il vous sierra. Ça peut donner des tours un peu longs où l’on calcule pas mal, mais si on réfléchit bien pendant que les autres jouent, ça tourne plutôt bien. Je conseillerais plutôt le jeu à trois joueurs, pour avoir un bon équilibre entre blocages, interactions et temps d’attente.  

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Des vents favorables ? 

En quelques mots, avec Islebound on va courir après les ressources, l’argent, l’influence, la réputation, les matelots, sans avoir le temps de s’ennuyer. La réputation, c’est de l’argent, et l’argent, c’est de la réputation. Aussi acheter une carte permet de muer son argent en réputation tout en accédant à un effet ravageur au passage, autant dire qu’on va pas se priver. On peut aussi vouloir grimper sur la piste de Réputation à proprement parler, et à chaque fois qu’on arrivera au 7e échelon sur cette piste, on obtiendra une tuile bonus surprise (tiens tu as gagné deux pirates ! c’est cadeau !). J’aime l’idée de pouvoir banquer tout en récupérant des coups de pouce pour l’avoir fait. En fait, tout cela donne un jeu très gratifiant au final, même quand on perd.  

Vous l’avez compris, l’interaction sera plutôt indirecte (sauf si vous attaquez une ville adverse, ce qui arrive quand même pas mal) mais néanmoins bien présente : on se bloque sur l’influence, dans les déplacements aussi, on se pique des bâtiments à la barbe ou des cités neutres sous le pied. C’est la course à la réputation.

D’ailleurs, en parlant course, la partie débute souvent par un rush aux matelots qui nous parait un peu problématique. Plus on a de matelots, plus on va pouvoir enchaîner d’actions sans avoir besoin de se reposer. Une fois qu’on a compris ça, tout le monde court pour embaucher le plus possible dès le premier tour. Si toutes les parties débutent toujours par une course au recrutement, c’est un peu dommage d’une part car cela restreint les ouvertures, et d’autre part car le premier joueur est forcément avantagé… 

De même, puisqu’on est au rayon des bémols, certaines associations de bâtiments peuvent vite dégénérer dans une escalade d’actions gratuites qui va être impossible de remonter pour les adversaires. Le fait de pouvoir acheter autant de cartes bâtiments que l’on veut à son tour nous parait quand même un peu cheaté. Voilà au moins deux points de règles qui paraissent bizarres. 

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Impressions 

Les gamers élevés au grain What’s your game en feront peut-être vite le tour. Le moteur d’actions est classique, d’ailleurs globalement, nombre des idées de ce Islebound ont déjà été croisées dans de précédents Laukat. D’aucuns pourraient vite avoir l’impression que toute la gestuelle est répétitive, dans un style pick-up and delivery un peu ronronnant (je vais aller à A puis à B pour finir à C).

L’aspect narratif est vraiment secondaire et le tout est définitivement moins enlevé et cinématographique qu’un Fortunes de mer avec lequel il n’a finalement pas grand-chose à voir si ce n’est le décor. Et puis, bon, il y a ces points de règles un peu étranges qui semblent aveugles à leur répercussions négatives sur le cours du jeu. Peut-être qu’ils peuvent être détournés, peut-être qu’ils enterreront le jeu, il est trop tôt pour le dire. 

Oui, il y a ça.

Mais j’ai trouvé l’expérience fraîche, prenante, et agréable comme un petit tour en mer – sans parler de ce petit goût de reviens-y qui reste en bouche. On a toujours des décisions intéressantes à prendre, sans que cela ne vienne non plus freezer votre cerveau. C’est un calibre de jeu dans lequel je me retrouve car j’ai pas tant de neurones que ça, alors j’y tiens, vous comprenez.

L’interaction est présente, mais on ne se sent jamais empêché de jouer (il y a un cran ténu entre subtilisation et privation). Tous les modules sont bien imbriqués et la lecture de toutes nos possibilités s’avère très facile après deux ou trois tours. Et puis, oui, il est canon ce Laukat. 

J’aimerais désormais tâter la variante agressive où l’on peut saborder les vaisseaux des adversaires, ainsi que la commerçante où il est possible de tout négocier, présumant que cela peut emmener notre nef vers des eaux plus remuantes et profondes encore…

 

Islebound (règles traduites en français dans la section ressources)

Un jeu de Ryan Laukat
Illustré par Ryan Laukat
Edité par Red Raven Games (aka Ryan Laukat ;p)
Langue et traductions : Anglais (la langue de Ryan Laukat)
Date de sortie : 08-2016 
De 2 à 4 joueurs
A partir de 13 ans
Durée d’une partie entre 60 et 120 minutes

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1 Commentaire

  1. atom 21/09/2016
    Répondre

    Je viens de recevoir le mien. Que c’est beau ! Je viendrais donner mon avis quand j’aurais trouver le temps d’y jouer.

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