Age of Civilization : casse-tête historique

Je ne sais pas si c’est aussi votre cas, mais je réfléchis souvent à l’impact environnemental de mes choix ludiques, et un écueil auquel je me heurte régulièrement, c’est celui de l’alliance entre taille de la boîte et profondeur du jeu : j’aime les jeux qui permettent de réfléchir en élaborant une stratégie complexe, et qui demandent aussi de l’adaptation aux choix des autres joueurs voire au hasard qui fait intervenir tel ou tel événement dans le déroulement d’une partie. Mais bien souvent, il est difficile de trouver un jeu qui soit à la fois profond par sa stratégie et ses mécaniques, petit par la taille de la boîte et raisonnable par la quantité du matériel.

Age of Civilization de Jeffrey CCH, localisé par Pixie Games, tente de relever ce défi. L’ambition de cet auteur, connu également pour Age of Galaxy et Eila and Something Shiny (dont Manu vous avait parlé ici), c’est de faire tenir un jeu de civilisation et sa profondeur, non seulement dans un format de poche, mais aussi dans des règles simples et dans des parties de quinze à trente minutes. Excusez-moi du peu !

Dans Age of Civ’, l’objectif de chaque joueur est simple : accumuler le plus de points possible et, tout particulièrement, en avoir plus que ses adversaires au bout des six manches dont se compose une partie.


Des règles simples, mais pas toujours clairement expliquées

J’ai découvert Age of Civ’ pour la première fois au Festival de Montpellier. L’animateur qui nous avait expliqué les règles n’avait pas eu le temps de beaucoup les approfondir, ce qui m’avait donné une première impression de confusion générale. Mais, à la recherche de quelques éclairages supplémentaires, j’avais vite réalisé que le livret de règles n’était pas très ergonomique.

Entre un découpage bizarre de l’explication du déroulement du jeu qui ne se justifie pas vraiment (la première manche ressemble tout de même très fortement aux cinq autres…), des détails importants cachés au beau milieu de phrases lambda, quelques petites erreurs de traduction et d’autres détails qui ne sont tout simplement pas mentionnés, la découverte du jeu n’est pas très aisée. D’ailleurs, pour vous y aider, vous pouvez jeter un œil à notre Ludochrono.

À partir du moment où l’on installe le jeu et qu’on essaye d’appliquer les règles en acceptant de faire quelques erreurs de débutant, elles sont vite assimilées et l’expérience de jeu qui en résulte est fluide. Pour prendre le temps de bien comprendre le fonctionnement du jeu et, éventuellement, de rectifier votre compréhension du livret, je vous conseille d‘ajouter les extensions seulement dans un deuxième temps, lorsque vous serez devenus familiers des mécaniques de base d’Age of Civ’.

 

L’art du développement raisonnable

Dans Age of Civilization, on ne retrouvera pas tout à fait la mécanique 4X des jeux de civilisation classiques, mais quelque chose de proche : nous plaçons des ouvriers (qui sont en nombre très limité) sur des cases permettant de réaliser des actions pour gagner de l’argent (eXploit). Si nous sommes en capacité d’en payer le coût, nous allons pouvoir étendre (eXpand) notre civilisation en développant ses technologies, en augmentant sa force militaire et en construisant des monuments. Mais il n’y aura pas de combat, ni d’élimination de civilisations rivales à proprement parler (eXterminate). Et, même si l’on conquiert de nouvelles civilisations (jusqu’à trois), on n’explore pas de territoire.

Même si les choix sont contraints et demandent un peu de réflexion pour les optimiser, Age of Civilization se joue rapidement : une fois que nous avons choisi notre première civilisation, avec ses pouvoirs spécifiques et les ouvriers qui viennent avec, il ne nous reste plus qu’à les placer et à réaliser nos actions joueur après joueur. Un point de règle qui m’avait échappé durant la première partie, même si c’est finalement assez logique quand on regarde le fonctionnement du jeu : chaque joueur ne commence son tour qu’une fois que le joueur précédent a terminé d’exécuter ses actions et a libéré les espaces prévus à cet effet.

Pour résumer, la majorité des actions permet soit de gagner de l’argent, soit de l’utiliser pour développer sa civilisation. Au cours de la partie, vous pourrez également choisir des actions qui vous feront avancer sur la piste de points ou, plus rarement, qui vous donnent la possibilité de confronter votre force militaire à celle de vos adversaires pour en tirer un bénéfice. Le long de votre partie, il faudra veiller à ne pas perdre de vue l’objectif du jeu qui reste d’accumuler le plus de points possible.

 

Le mécanisme de choix d’actions est assez malin : la carte du haut (actions permanentes) sert aussi de curseur pour déterminer le nombre de manches qui restent et les trois actions à disposition durant la manche en cours.

 

Rome ne s’est pas faite en un jour…

En essayant de remporter la partie, vous allez vite vous rendre compte que la difficulté principale d’Age of Civ’ réside dans la tension permanente entre des actions permettant de gagner des points, et l’argent nécessaire à les réaliser. Dans la pratique, vous vous retrouverez souvent à alterner entre les points et l’argent, ou à vous construire une petite réserve, pour tout dépenser (ou presque) en construisant des merveilles, ou en acquérant de nouvelles technologies.

À mon sens, Age of Civilisation est surtout un jeu dans lequel on essaye d’optimiser autant que possible ses choix voire, quand leurs pouvoirs le permettent, de trouver quelques combos intéressantes entre les civilisations et les technologies et/ou les merveilles. Si vous cherchez en revanche de la profondeur stratégique à proprement parler, vous risquez d’être déçus.

Il faut tout de même reconnaître à ce jeu et à son auteur le mérite de la diversité et d’une certaine rejouabilité : Age of Civ’ comporte en effet quarante-huit cartes Civilisation ayant chacune des pouvoirs spécifiques, ainsi que la possibilité de rajouter des technologies supplémentaires ou des événements en cours de partie. Ces éléments permettront, durant certaines parties, de casser ou de réduire l’impression de répétitivité du jeu.

Il en va de même pour le mode solo : si la variante Escarmouche vous propose simplement d’atteindre certains paliers pour mesurer votre habileté dans le jeu, il existe aussi cinq scénarios qui ajoutent une IA et changent de façon plus ou moins significative les mécaniques du jeu.

 

Dans le scénario Âge des Merveilles, l’Empire (IA) construit des merveilles et augmente sa force de combat à mesure que le jeu avance. Pour gagner, vous devrez avoir construit plus de merveilles et avoir plus d’argent que l’IA.

 

Le choix de la sobriété graphique

Pour ma part, j’ai trouvé que les illustrations et, plus globalement, les couleurs utilisées étaient peu engageantes. La boîte, la couleur des meeples et des pièces, les illustrations, les symboles des civilisations, les pictogrammes… tout me semble un peu terne et austère, en dépit de la qualité objective des cartes qui ont un effet texturé. Si vous êtes habitués à des couleurs vives ou à des illustrations travaillées, vous pourriez être tentés de laisser ce jeu de côté.

L’avantage de cette sobriété, c’est une haute lisibilité et une très bonne ergonomie du matériel. Celui-ci permet de contre-balancer certaines incohérences dans la structure de la règle du jeu, en facilitant grandement la prise en main d’Age of Civilization. Quoi qu’on dise de leur apparence, ce sont notamment les pictogrammes qui permettent de se repérer rapidement dans les actions et dans les pouvoirs de chaque civilisation. Ainsi, le matériel de jeu se suffit à lui-même et on ne ressent pas le besoin d’une aide de jeu.

Voici à quoi ressemble le plateau de chaque joueur. Il se compose de l’arbre des technologies, des civilisations choisies et des éventuelles merveilles construites.

 

Second avantage, et pas des moindres : le prix du jeu reste raisonnable (en dessous de 30 euros), de même que les proportions de la boîte. On est clairement sur un format de poche qui pourra être emporté facilement, en vacances comme chez des amis. Hormis les sachets et le thermoformage interne, le matériel ne comporte pas non plus de plastique. Age of Civilization est donc un jeu sobre et mesuré tant du point de vue de son impact environnemental que de sa praticité, sans être dénué de réflexion pour autant.

 

Alors : pari réussi ou raté ?

Séduisant par son petit format, la simplicité relative de ses règles et la durée courte de chaque partie, Age of Civ’ propose bien un thème et quelques mécaniques propres aux jeux de civilisation. En ce sens, Jeffrey CCH réussit bien le pari consistant à faire tenir un jeu de civilisation en trente minutes. Toutefois, il ne faudra pas trop lui en demander, notamment en termes de profondeur stratégique et de cohérence thématique. Au vu de la tension entre argent et gain de points autour de laquelle il est construit, on pourrait aussi le classer parmi les casse-têtes avec pose d’ouvriers.

En effet, les successions plus ou moins anachroniques de civilisations avec des pouvoirs dont la cohérence historique n’est pas toujours évidente à saisir, les actions relativement déliées du thème (si ce n’est par leur nom), et les contraintes mécaniques qui s’appliqueront à vos choix, vous donneront moins l’impression de développer votre civilisation que de vous débattre avec une pénurie d’argent quasi-permanente.

Le couple accumulation et dépense d’argent est alors ce qui va guider vos actions lors d’une partie d’Age of Civilization. Il vous restera simplement à trouver la meilleure solution pour les optimiser. Si les variantes et les cartes Civilisation permettent d’introduire des éléments de diversité dans le jeu, elles ne suffisent pas, à mon avis, à lui assurer une très grande rejouabilité car le caractère répétitif des mécaniques et le manque chronique d’interaction se font sentir assez rapidement.

Si, dans cette petite boîte, on peut trouver les éléments principaux d’un jeu de civilisation arrangés dans un casse-tête stimulant, il faudra se montrer raisonnable et ne pas rechercher les interactions ou la profondeur stratégique d’un jeu de civilisation classique.

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5 Commentaires

  1. Meeple_Cam 30/12/2021
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    Un jeu qui se classe dans mes tops de ces 2 dernières années (reçu en 2020 via KS). Un jeu simple dans les règles mais avec des parties toujours différentes. Effectivement un casse-tête donc il faut être un peu averti. Une courbe d’apprentissage intéressante, qui fait qu’on peut se lancer dans des combos de peuples pour pallier à l’argent ou les meeples. Il y a effectivement peu d’interaction. Cela est un peu gommé par son petit frère « Age of Galaxy » qui reprend l’idée des peuples et de l’arbre technologique, mais en apportant une approche différente. 2 excellentes petites boîtes ! Et un jeu pensé pour le solo !

  2. Ihmotep 30/12/2022
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    Un jeu que j’ai beaucoup aimé. Derrière des règles simples il propose une belle proposition ludique, avec une boîte compact très bien pensée. J’avoue avoir moins de problème de gestion d’argent que de gestion de meeples. J’ai trouvé le système d’amélioration ou remplacement de sa civilisation très intelligente (car elle impact le nombre de meeples) et bien exploité elle m’a souvent ouvert le chemin de la victoire. Niveau interaction nous nous battons souvent soit sur le pick d’une civilisation soit au niveau militaire, ce qui évite de jouer le nez dans sa civilisation sans se soucier des autres. Un excellent rapport qualité prix qui tient facilement dans sa valise ^^

  3. El Duderiño 01/01/2023
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    Si j’ai l’occasion, il faudra que j’essaye Age of Galaxy. En revanche, mon impression – mais c’est peut-être parce que je suis pas un aussi bon comboteur – c’est que les parties finissent par se ressembler dans la mesure où on est souvent confronté aux mêmes obstacles (argent et meeples). Content en tout cas de lire vos avis car ils me permettent de compléter l’idée que je m’en étais fait.

    • atom 02/01/2023
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      J’ai préféré de loin Age of Galaxy, beaucoup plus riche, beaucoup plus interactif.

      • Ihmotep 03/01/2023
        Répondre

        Pas pu y jouer mais effectivement il fait très Age Of Civilisation + ^^. J’avais peur qu’on y perde une des qualité de Age of Galaxy (ca simplicité) mais on m’a assuré que non, Age of galaxy reste également très accessible.

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