Samurai Spirit – Je n’ai pas l’air d’un grand épéiste, mais je suis un maître…

Antoine Bauza nous offre son dernier jeu, Samurai Spirit, qui devrait paraître dans nos contrées pour le festival du jeu d’Essen, mi-octobre donc. Vous ne connaissez pas Antoine Bauza ? C’est l’auteur responsable (entre autres) de 7 Wonders, Takenoko, Tokaido, Hanabi, et Ghost Stories. Si vous n’avez entendu parler d’aucun de ces jeux, je vous recommande chaudement de les tester : l’univers de Mister B se construit avec des narrations fines, des mécanismes souvent élégants, et des jeux avec le moins de texte possible.

Ne vous y méprenez pas : Ghost Stories et Samurai Spirit sont des jeux ultra-difficiles. Passez votre tour et préférez commencer par les autres titres de Bauza si vous êtes un peu novices en matière de jeux. Regardez plutôt, même l’auteur vous le dit :

Rônins et bandits

Samurai Spirit est un jeu de coopération qui se joue de 1 à 7 (Bauza-style : on retrouve la possibilité 7 joueurs déjà offerte par 7 Wonders), ce qui est plutôt chouette. Sur des soirées jeux un peu trop bondées, on parviendra à sortir cette boîte plutôt compacte, pour un jeu annoncé court.

Parlons matos d’ailleurs : la boîte fait figure de naine et pour le même format, on imagine plus des jeux apéro alors qu’on est clairement dans un jeu ultra-dur, de la même trempe qu’un Innovation (pas dans le même genre) au niveau de son format. Environ une petite heure par partie, environ vingt euros. Et environ beaucoup beaucoup de difficulté.

À l’intérieur du joli caisson made in Funforge, on trouvera sept plaques de samouraï recto-verso, avec une forme humaine et une animale, un plateau, des pions en bataille, les cartes de bandits et un meeple samouraï par joueur. Oui. C’est grand. Le matériel est de qualité correcte : les cartes sont un peu fines, mais comme on ne les manipule pas trop (façon jeu de cartes à collectionner), on n’a pas tellement besoin de plus. Les illustrations de Victor Pérez Corbella, hautes en couleur et bien habillées par une maquette soignée, donnent un aspect à la fois coloré et respectueux de l’histoire à ce titre. Funforge ne se fout pas du monde, et ça fait plaisir.

Pour moi, ce format, cette boîte pleine, c’est une victoire. Les jeux avec lesquels on peut faire de la musculation (Agricola, Caverna, entre autres), ça va cinq minutes mais ça ne donne pas envie d’en trimballer des caisses. Des jeux de la trempe de Samurai Spirit, j’en amènerais bien un à n’importe quelle soirée jeu.

Who’s Who

Samurai Spirit reprend l’histoire des Sept Samouraïs d’Akira Kurosawa : un village est attaqué par des bandits, et chaque joueur (un samouraï) défend logis et familles de son corps contre les hordes de voyous. Il faut qu’à la fin de la partie (des trois manches de jeu), au moins une famille ET une maison soient encore debout. Cela semble tellement simple.

Chaque samouraï est défini par trois caractéristiques : sa jauge de combat, qui se remplit en fonction des bandits qu’il occupe ; son talent, un bonus permanent qu’il peut prêter moyennant quelques contreparties, et enfin, son Kiai. Lorsque la valeur de combat d’un guerrier arrive à la limite (mais pile à la limite, hein, façon blackjack), le personnage s’énerve, sabre un bandit et déclenche son pouvoir de Kiai. Ces capacités vont de la simple élimination supplémentaire à des transferts étranges de bandits (pour déclencher d’autres Kiais), en passant par l’élimination de bandits infiltrés ou la réparation de palissades. Bien évidemment, c’est la combinaison de ces différents pouvoirs qui permettra de triompher du jeu. Chaque personnage a donc une identité forte.

Les samouraïs précédents en face « animale ». Près de la mort, on est plus fort… (En fait, Samurai Spirit, c’est un peu comme Bloody Roar sans la femme-lapin.)

Le samouraï qui vient de nulle part

Une manche se subdivise en plusieurs tours de joueurs (environ 7 tours pour chaque joueur au début). À son tour, un joueur vérifie le bandit du dessus de sa pile de combat : ce bandit peut produire un effet (sauf immunité). Par exemple, blesser le samouraï, faire flamber des palissades, empêcher de défendre ou de soutenir. Certains personnages sont immunisés ! Ensuite, le joueur est confronté à trois choix :

  • Il peut passer (ou y être contraint, s’il est débordé et que sa piste de Kiai est trop pleine)
  • Il peut prêter son pouvoir à un autre joueur en plaçant la première carte de la pioche dans le tas des infiltrés.
  • Il peut également essayer de combattre un bandit en le piochant.

 

Combattre un bandit est, encore une fois, un choix :

Si le bandit a un symbole dans son coin supérieur droit, le joueur peut choisir de défendre le village contre ce bandit (et ainsi empêcher la perte de ressources). La partie gauche d’un plateau ne peut contenir au maximum que trois bandits, un par symbole (poupée, maison, chapeau de paysan).

Le bandit peut être combattu. Il va dans la pile de combat du joueur, à sa droite. Le samouraï meeple s’ajuste pour montrer la somme des valeurs de combat, ce qui peut déclencher un Kiai ou déborder le combattant.

Gorobei doit placer ce 4 sur son plateau. Deux choix s’offrent à lui : protéger les chaumières et le combattre (il arriverait alors à sa valeur exacte de Kiai. Notez le meeple mal placé, d’ailleurs. Ce n’est pas trop grave puisqu’il n’est là que pour donner une indication). Le Kiai tue automatiquement le premier bandit de la file de combat (le 3) et déclenche le pouvoir de Gorobei, qui est de défausser complètement deux bandits depuis la pioche. Ils ne toucheront donc pas les joueurs. Résultat après Kiai :

 

La manche s’arrête immédiatement si :

  • tous les joueurs ont passé. Dans ce cas, on met toute la pioche restante dans le tas d’infiltrés. Autant dire que ça sent le sapin.
  • La pioche de bandits est vide.

 

Lorsqu’une manche se termine, on vérifie les défenses (la gauche du plateau de chaque joueur). Chaque joueur qui n’a pas défendu les paysans subit une blessure, chaque joueur qui n’a pas défendu de maison en détruit une (ou une palissade s’il en reste), et chaque joueur qui n’a pas défendu de poupée détruit une poupée (une famille). Rappel utile : il n’y a que six maisons et trois familles. Ça peut aller très vite. Ensuite, on retourne les jeton famille restants : chaque jeton confère un bonus, car les familles aident les samouraïs. Puis on révèle les cartes infiltrées. Chaque carte ayant des flammes dans le coin inférieur droit incendie une palissade, ou, à défaut, une maison.

Enfin, on remélange tous les bandits, en ajoutant des lieutenants un peu plus forts en manche 2 et les big boss en manche 3.

Les big boss sont des 6, et les lieutenants des 5. Les bandits normaux vont de 1 à 4. Oui, la vie est dure.

Condition de défaite alternative : si un samouraï meurt, la partie s’arrête immédiatement.

Un combattant peut mourir s’il a subi trop de blessures. À la seconde, il prend sa forme animale, qui confère plus de points d’attaque (3) et rend son Kiai à peu près deux fois plus fort – souvent plus. Par contre, un animal ne peut pas se retransformer en humain. Un animal peut subir lui aussi une blessure sans risque, mais la seconde sera fatale.

 

L’art de la guerre

Les ennemis sont un flot constant qu’il faut juguler. En calculant savamment, il semble bien difficile de perdre à la première manche, mais il ne faut pas non plus la négliger. Une ressource perdue, c’est très important pour la suite. Les vagues de bandits apparaissent comme arbitraires, comme hasardeuses, mais à la vérité, il est possible de calculer avec des probabilités – puisqu’il y a 25% de chaque catégorie de bandits – ce qu’il faudrait ne pas subir. Ainsi, il ne faut pas se fier au hasard en ce qui concerne les chances de victoire, mais il faudra tenter le diable pour atteindre le Kiai.

Enchaîner les Kiais permet de contrôler beaucoup plus la partie. Soutenir permet de créer des synergies entre personnages, et de donner un aspect combinatoire à des capacités apparemment banales. Ainsi, on pourra facilement renverser le plateau. En revanche, c’est un jeu dont la courbe de difficulté est bien ardue. Ainsi, à la soirée de lancement organisée par Funforge, les trois tables ont échoué, alors même que nous étions tous des joueurs assez expérimentés [NDLR : même celle d’Antoine a perdu]. Et, à mon avis, c’est le lot de 95% des tables : défaite en seconde manche, et peu d’élus qui parviennent à la troisième. Mais heureusement, on apprend vite de ses erreurs !

Configurations

Comme on peut jouer d’un à sept, Samurai Spirit peut se sortir à peu près n’importe où avec des joueurs avertis (mais les novices de ce jeu feront invariablement échouer les manches en faisant de mauvais choix, ce qui n’enlève pas grand-chose au sel des parties). En revanche, à moins de joueurs, on manquera de versatilité quant aux pouvoirs de nos personnages. Il est donc conseillé de mettre les talents des personnages inutilisés à disposition une fois par partie lors des configurations à peu de joueurs.

Les personnages profitent également de leur positionnement. Par exemple, Daisuke et Heihachi n’ont pas grand intérêt à se trouver côte à côte, alors qu’ils bénéficieraient à se retrouver à côté de samouraïs immunisés contre leurs pouvoirs. Mais, avec le bon mécanisme de combinaison, on arrivera forcément à trouver l’action à faire, l’optimisation à réaliser. Qu’on ne s’y trompe pas, Samurai Spirit est un jeu d’optimisation et la marge de manœuvre est faible. On n’est pas dans Pandémie, quoi.

Leadership

Puisqu’on est dans un jeu coopératif, nous ne pouvons pas omettre l’aspect désagréable que peut avoir ce genre de jeu : parfois, un joueur s’arroge les pleins pouvoirs et mène le jeu comme un conducteur son attelage. Samurai Spirit n’est pas tout à fait étranger à ce phénomène mais fait un effort en décentralisant les informations cruciales de chaque joueur devant lui, et non sur le plateau. Si cela atténue le phénomène, cela ne le résout pas tout à fait. Cependant, après en avoir discuté longuement, et avec Antoine Bauza entre autres, j’en suis venu à penser que l’effort est surtout à faire du côté des joueurs, et non des designers. L’envie de gagner doit être remisée si elle empiète sur l’expérience de jeu des autres…

Un tigre gourmand qui s’est fait déborder. Typique. Mais il a fait son taf !

Calligraphie millimétrée

Au final, on est confronté à une brutale déferlante contre laquelle on ne peut lutter qu’en calculant les points de résistance à abattre, les façons d’éviter les menaces, ou même d’en tirer parti. Là se situe le cœur du jeu, dans cette gestion du mouvement et du rythme d’attaque et de défense. Si le tour de jeu d’un joueur va très vite et qu’on ne s’ennuie pas entre ses tours, puisque le jeu change inexorablement, le rythme de pioche peut lasser sur la durée. Ce n’est jamais qu’une action mécanique, un moment où il faut trouver, en quelques choix éliminatoires, la combinaison la plus rentable – pas forcément la plus sûre en terme de probabilités, d’ailleurs. On regrettera peut-être la liberté que l’on pouvait envisager à Ghost Stories, ou les expériences zen que l’on pouvait mener à Hanabi. Samurai Spirit ne vous donne pas le droit à l’erreur.

Je retrouve ce que j’aime dans les jeux d’Antoine Bauza : à bien y réfléchir, on commence à raisonner en des termes qui ne sont plus les nôtres, d’une façon subtilement différente. C’est élégant.

Il existe quatre modes de jeu, qui corsent simplement la difficulté en punissant de plus en plus les échecs du joueur. Autant dire que question durée de vie, ça va nous occuper un paquet de soirées.

Verdict

Un très bon jeu que voilà, pour ma part. Je m’admets volontiers séduit par le format et par les mécanismes sans textes à la Bauza. Si j’émets des réserves sur la (très relative) simplicité et répétitivité d’un tour de jeu, Samurai Spirit n’en reste pas moins un titre solide, plutôt joli, avec une identité puissante.

 

En bonus, l’avis de Sha-Man

« Suite à une première partie, j’ai trouvé le jeu très agréable : la difficulté est bien au rendez-vous pour les fans de Ghost Stories, et comme l’a dit Umberling, il ne faut pas se laisser tromper par l’aspect « petite boîte » du titre ainsi que ses graphismes sympathiques et ses mécanismes, qui semblent simples.

À mon avis, le jeu offre un système de prise de décisions et de mitigation des risques très intéressante, qui commence en début de partie de façon très souple, et qui se réduit drastiquement au fur et à mesure de l’avancement et de la perte d’éléments-clef.

Les pouvoirs des personnages, le nombre de joueurs et le placement autour de la table, couplés à l’ordre de tirage aléatoire des cartes bandits, offrent des configurations très différentes permettant une certaine rejouabilité et des approches pour gagner non-répétitives.

La synergie entre les joueurs est très forte et il est intéressant de voir qu’à chaque tour de chaque joueur, toute la table réfléchit à la prise de décision optimale et il est clair qu’on est pas de trop pour essayer de prendre un maximum des paramètres du jeu en compte et prendre la meilleure (ou moins mauvaise) décision.

Une belle découverte pour moi, avec une profondeur séduisante, une difficulté qui représente un défi à relever et des mécanismes de jeu fluides et agréables à manipuler. »

 

Récapitulatif

Samurai Spirit

Auteur : Antoine Bauza

Illustrateur : Victor Pérez Corbella

Éditeur : FunForge

1 à 7 joueurs, 10 ans et plus

Durée : 20-45 minutes

Thème : samouraïs

Mécanismes : coopération, gestion du hasard

Prix de vente constaté : ~20€

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7 Commentaires

  1. toinito 23/09/2014
    Répondre

    Merci pour l’article !

    Précision : c’est « Funforge » et non pas « Fun Forge »

  2. Umberling 23/09/2014
    Répondre

    Hello par ici. C’est corrigé, merci de la précision !

    Et merci à toi pour la partie, c’était super cool.

  3. atom 08/12/2014
    Répondre

    J’aime beaucoup Ghost stories, j’aime beaucoup les jeux de Mr Bauza, je n’avais pas entendu parler de ce jeu et donc j’en attendais rien, mais rien que le format et surtout le prix, me donne envie de le prendre, rien que pour encourager ce genre d’initiative,  Merci Funforge merci Mr Bauza

  4. Dwarnold 31/05/2015
    Répondre

    Bonjour,

    Je ne   comprends pas la subtilité du Kiai de Kyuzo (il n’a d’intérêt à utiliser son Kiai que dans le cas où il serait en mesure[…]et ne pourra donc pas en profiter).Est ce que le jeton est donné définitivement?Qu’est ce que le ‘don’ d’une carte?Est-ce la pénalité avec la flèche?Est-ce seulement dans ce cas là que Kyuzo pourra prendre définitivement un jeton talent?

    Merci

    • Umberling 31/05/2015
      Répondre

      kyuzo donne le pouvoir d’un joueur à un autre sans priver le donneur. Le jeton pouvoir est rendu a la fin du tour du receveur ; ce dernier dispose donc de deux pouvoirs pour un tour.

      (c’est de mémoire, ça fait un peu de temps que je n’ai pas joué)

  5. fouilloux 25/10/2016
    Répondre

    Première partie pour moi ce midi. Euh, j’avoue que j’ai pas compris. Peut être qu’on avait les mauvais perso, mais j’ai pas vraiment senti de « dynamique » et j’ai bien eu l’impression de subir le jeu. A chaque tour, à part quelques uns où il fallait absolument soutenir un joueur, je n’ai pas eu le sentiment d’avoir beaucoup beaucoup de choix. « Tiens j’ai cette carte. gauche ou droite, bah de toute façon je prend un risque dans les deux cas, mais au moins là elle me fait pas de malus au tour prochain. » Bref je crois que j’ai raté un truc.

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