Ynavi : combos pour le magot

La saison estivale est propice aux rassemblements ludiques, aux concours de création qui vont avec, et donc à l’émergence de protos. Cette année, s’est particulièrement distingué Ynavi, en remportant à la fois le Prix LudiNord « Stratégie » et le Pari Ludique « Expert ».
Profitons de la suite de sa tournée au Trophée FLIP Créateurs pour en savoir plus. Attention, cet article immersif nécessite de se transposer dans la velue et non moins odorante carcasse d’un subtil scandinave.

Sous le casque

IXème siècle. L’âge du fer tardif, l’âge des hommes du Nord, l’âge des vikings ! Les joueurs en incarnent un valeureux chef, et cherchent imperceptiblement à devenir le plus puissant de tous : le grand Ynavi, dont tout le monde scande le nom !

A nous le magot

Concrètement, il s’agira du viking qui aura gagné le plus de Points de Victoire. Deux moyens existent :

  • Accumuler des richesses dans son magot (mini-plateau personnel) : chaque groupe de 5 richesses de couleurs différentes rapporte autant de PV qu’il y a de joueurs.
  • Jouer des cartes dans son village (espace devant soi) : certaines cartes rapportent 1 PV (ou 1 PV négatif), d’autres rapportent des PV si leurs conditions sont remplies.

 

La réserve encore immaculée

La réserve commune est constituée lors de la mise en place : cubes richesses et paquets de cartes en cinq couleurs sont provisionnés en quantité dépendant du nombre de joueurs.

La structure du jeu est caractéristique des vikings : très simple.

La partie se déroule en plusieurs manches. Au début d’une manche, le premier joueur lance les cinq dés relatifs aux cinq couleurs du jeu, qui possèdent six faces mais affichent uniquement des valeurs de 1 à 3 (chacune en double). Il procède alors à son tour de jeu : choisir un dé et réaliser une action correspondante. C’est tout. Au joueur suivant de choisir parmi les dés restants, et ainsi de suite jusqu’à épuisement des cinq dés.

Quand tous les dés ont été choisis, on vérifie la condition de fin de partie : le jeu s’arrête si une ou plusieurs couleurs de cartes ou de cubes richesses sont épuisés dans la réserve. Sinon, une nouvelle manche commence après avoir fait tourner le marqueur premier joueur.

Piller ou piocher, il faut choisir

Une fois son dé sélectionné, reste quand même à se décider entre :

Piller des richesses

Le joueur prélève de la réserve un nombre de cubes richesses égal à la valeur du dé choisi, dans la couleur du dé choisi. Il peut les placer :

– soit intégralement dans son magot,
– soit sur des emplacements libres d’une et une seule carte de son village (Potion ou Fléau, voir ci-dessous), l’excédent éventuel étant perdu.

OU

Piocher des cartes et en jouer une

Le joueur pioche un nombre de cartes égal à la valeur du dé choisi, dans le paquet de la couleur du dé choisi. Il les consulte, en conserve une et replace les autres sous le paquet de cartes d’origine. Il joue ensuite la carte qu’il a retenue.

Une plus grande valeur de dé sert donc à avoir plus de choix ici.

 

Aux cinq couleurs du jeu correspondent cinq types de cartes :

Une carte -aide de jeu résume tout ça

La Potion doit être par la suite remplie d’un nombre variable de cubes richesses pour que ses effets s’activent. En fin de partie, une Potion non activée fait perdre 1PV, une Potion activée rapporte 1PV.

Le Raid a un effet immédiat, parfois positif pour le joueur, parfois déplaisant pour un ou des adversaire(s). En fin de partie, chaque carte Raid jouée rapporte quoi qu’il en soit 1PV.

Le Jarl (qui se prononce « Yarl ») a un effet permanent applicable pour le restant de la partie. En revanche, il ne rapporte aucun PV.

Le Fléau est ajouté au village adverse de son choix. Le concurrent ciblé en subit les effets (contrariants) tant qu’il ne l’a pas complètement combattu en y consacrant des cubes richesses.

Le Trésor permet de gagner des PV en fin de partie, si tant est que sa condition de gain est remplie. Attention, car cette information est publique.

 

L’avis du chevelu

Premier constat : pour un proto, la mécanique est particulièrement pure. En témoignent la simplicité de l’explication générale et la fluidité impeccable du déroulé de la partie. Les enjeux globaux sont relativement évidents, et on en prend donc rapidement la mesure. Les généralités sont limpides, mais pour autant de nombreuses subtilités sont à découvrir en cours de route. Et ce n’est pas en une partie qu’on en découvrira toutes les facettes ni tous les combos.

L’articulation entre les deux voies de scoring est subtile : se contenter d’alimenter systématiquement son magot parait non seulement peu passionnant, mais surtout voué à l’échec, tant cette manne devient une cible criante pour les adversaires. Pour autant, il s’avère utopique de l’emporter avec uniquement des cartes. Il faut donc la jouer fine en répartissant ses efforts avec à-propos, en fonction des dés disponibles et de la situation.

 

L’intérêt de certains types de cartes varie : lors de l’emballage final, se lancer dans une nouvelle Potion semble à éviter, et c’est probablement un peu tard pour recruter un nouveau Jarl. C’est donc plutôt le moment de Piller avec les dés bleu et vert. Cependant, prendre tout de même une carte peut aussi être une décision tactique destinée à retarder ou au contraire précipiter la fin de partie. Vous voyez ? Sans être la grosse prise de tête, ce n’est pas si simple.

Dans la même veine, Piocher avec le dé 1 jaune pour un Trésor non choisi est assez présomptueux, sauf peut-être en début de partie et si on aime les exercices imposés. Cet objectif affiché d’emblée a d’ailleurs des chances de focaliser les réactions adverses, notamment lorsqu’il s’agit de majorité. Là encore, le timing d’acquisition de ces cartes est plutôt sioux.

Petite précision de rythme que les incollables de la division par 5 auront noté dès le départ : tous les joueurs ne réalisent pas le même nombre de tours à chaque manche. A 3 joueurs par exemple, le premier et le second joueur choisiront deux dés, mais le troisième joueur un seul. Bien que cela soit atténué par la décroissance progressive de l’ampleur des actions – les plus grosses valeurs ayant tendance à partir en premier -, on alterne donc des manches fortes et des manches plus faibles.

En termes de configuration justement, nous l’avons essayé à deux joueurs, et force est de constater que le jeu s’y montre sous son jour le plus stratégique. La surveillance adverse est à son maximum, et le contre-draft y est d’autant plus avantageux. Les parties à 3 et 4 joueurs s’annoncent sensiblement différentes, avec une dimension plus « fun » ou à tout le moins plus « diplomatique » : les Raids offensifs (les attaques) et les Fléaux nécessitent par exemple de choisir une victime.

Au final, Ynavi me semble réinterpréter à sa sauce des mécanismes qui ont fait leurs preuves, comme le draft de dés-actions. Le résultat est frais, efficace, et s’inscrit dans un registre très actuel : il est rendu relativement accessible par sa nervosité, sa durée contenue et son épure jusqu’à l’os, mais il conserve pourtant son lot de choix intéressants.
Les adeptes du contrôle absolu ne manqueront pas de relever cependant un niveau d’opportunisme et d’aléa substantiel : entre les lancers de dés (y compris sur quelques effets, voir ci-contre) et les multiples tirages plus ou moins arrangeants, les surprises peuvent être nombreuses.

 

Parole à l’auteur

Bonjour, peux-tu te présenter et en particulier nous dire quel genre de joueur tu es ?
Bonjour ! Je m’appelle François-Nicolas Parachini (mais tout le monde m’appelle « Fneup »), j’ai 33 ans et des poussières, suis marié à la femme de ma vie et travaille dans l’informatique (pour faire court). Je suis tombé dans la marmite ludique familiale quand j’étais tout petit. Le virus s’est développé durant mes années estudiantines pour ne plus jamais me quitter. Je suis aujourd’hui un « boardgame enthusiast » assumé, friand de soirées jeux, de cubes en bois, et de découvertes ludiques.
Je suis assez éclectique dans mes goûts avec une préférence cependant pour les jeux de réflexion. Mes incontournables seraient par exemple Race For The Galaxy, Troyes, Puerto Rico, plus récemment L’Auberge Sanglante ou Splendor. Ça ne m’empêche pas de m’éclater avec un Bellz, un Skull & Roses ou un Minivilles.

A quel moment as-tu franchi le pas vers la création de jeux, et quel a été ton parcours depuis lors ?
Je dois cette idée saugrenue mais heureuse à mon ami William Liévin qui avait présenté son proto Diziz à LudiNord 2014. J’avais eu la chance d’être son accompagnateur sur le Festival et la démarche m’avait bien plu. L’idée a fait son chemin dans ma tête jusqu’à l’édition 2015 au cours de laquelle j’ai rencontré Philippe Mouret. Au détour d’une conversation, il m’a dit un truc du genre « faut se lancer » (en mieux étayé bien sûr). Le lendemain, je posais sur papier mes premières idées.
La suite doit ressembler, je suppose, à beaucoup d’autres créations de jeunes auteurs : de l’huile de coude et du jus de cerveau, des tests, des dizaines de versions, des tests, des doutes, des changements de cap, des tests, de belles rencontres, encore des doutes et encore des tests. Je salue au passage, le courage, la patience et la sagesse de ma femme qui fut et demeure mon cobaye privilégié.
La première présentation publique du proto date de juillet 2015 lors d’une après-midi ludique sur Paris. Grâce aux contacts noués à LudiNord, principalement avec l’équipe de Prismatik [NDR : collectif d’auteurs et animateurs de jeux, voir leur site], j’ai pu ensuite enchaîner les soirées de test et améliorer petit à petit mon jeu.
Fin 2015, j’ai sauté dans le grand bassin en envoyant mon dossier pour le concours créateur de LudiNord, puis pour PEL et enfin pour le FLIP.

Es-tu concentré à fond sur Ynavi, ou es-tu du genre à avoir une multitude de projets en parallèle ?
J’ai un gros défaut : je suis mono-maniaquo-perfectionniste. Impossible de travailler sur plusieurs projets en parallèle tant que je ne suis pas satisfait par mon projet en cours. Je sais que ce n’est pas le meilleur moyen d’avancer mais je n’arrive pas à me concentrer sur d’autres protos tout en gambergeant sur celui-ci, et il n’est jamais vraiment fini.
Par conséquent, quand j’ai des idées, je les note sur un petit carnet pour y revenir plus tard, un jour, peut-être. Il faut ajouter à ça le fait que je suis fort occupé par ma vie professionnelle, ce qui ne me laisse pas tout le temps que je souhaiterais pour étancher ma soif de création ludique, surtout si jeux continuer à jouer à côté !

Tiens-tu le compte des parties de tests, et que notes-tu sur ce fameux carnet pendant celles-ci ?
Oui, l’une des facettes de ma monomanie-perfectionniste est que j’adore les stats. Je note donc le nombre de parties jouées mais aussi leur durée, le nombre de tours, le nom des joueurs, les scores, le positionnement du gagnant…
Je comptabilise aujourd’hui 149 parties de Ynavi :-). Je note tout élément important pour l’amélioration du jeu : soupçon de stratégie gagnante, équilibrage, orthographe, réactions des joueurs,…

Il t’arrive encore de modifier sensiblement des cartes, d’en inventer de nouvelles, ou tu considères le jeu comme quasi-terminé ?
Je modifie de moins en moins le jeu. Par exemple, il n’y a eu que trois ajustements de cartes entre la version PEL et la version FLIP. J’ai quelques idées de nouvelles cartes mais je ne les ai pas encore concrétisées. J’avoue que j’ai un peu peur de perdre le bel équilibre actuel du jeu.
Cependant, le jury du FLIP a mis le doigt sur un sujet en particulier qui va me demander de revoir en profondeur certaines mécaniques si je veux aller encore plus loin. Il va falloir en revenir au papier et aux ciseaux !

Pendant notre partie, il y a eu un retournement assez inattendu et j’ai pu l’emporter avec un gros brin de réussite, alors que j’étais plutôt mal embarqué. Est-ce une caractéristique voulue ?
Je dirais plutôt « Oui » parce que j’ai construit le jeu pour qu’on ne puisse pas être largué dès le milieu de la partie. Je ne prends pas vraiment plaisir à me rendre compte au milieu d’un jeu que c’est fini pour moi et que je n’ai plus aucune chance de revenir au score. Ynavi donne souvent des parties assez serrées jusqu’au bout. L’écart type moyen est de 4 points sur un score final généralement situé entre 10 et 20 points.
Le jeu se base aussi sur une mécanique de construction, on peut donc revenir de loin si on a pris le temps de préparer sa stratégie face à des joueurs qui tentent de « rusher ». De mémoire, c’était le cas pour toi : du retard en début de partie face à pas mal de Raids et de Fléaux mais tu as pris le temps de concocter deux belles Potions qui t’ont permis de rattraper ton adversaire. Ça, et un peu de chance au lancer aussi !

As-tu cherché à contacter des éditeurs, et as-tu senti quelques portes s’ouvrir un peu plus facilement depuis tes premières places remarquées ?
Oui, clairement, ça ouvre des portes. J’ai même eu la chance d’être contacté directement par certains d’entre d’eux. Je crois que le cumul LudiNord + PEL a grandement amélioré la visibilité de mon jeu. Les festivals sont de formidables tremplins pour rencontrer des éditeurs et se faire connaître. Les réseaux sociaux facilitent aussi beaucoup la mise en relation.

Des « touches » sérieuses actuellement pour une édition ?
Oui, j’ai plusieurs marques d’intérêt concrètes, voire même « d’intentions d’éditions ». Ça me touche énormément et j’ai encore beaucoup de mal à le réaliser ! C’est vraiment, sans emphase, un rêve qui se poursuit. Mais je me force à rester posé et je prends actuellement le temps de capitaliser sur les retours du FLIP et de me pencher sur les remarques du jury avant de concrétiser quoi que ce soit.

Cela semblait se bousculer au portillon pour essayer Ynavi sur le stand du Trophée FLIP, raconte-nous comment se sont déroulés ces trois jours de présentation.
Ce furent trois jours exceptionnels à bien des niveaux ! Pour l’ambiance déjà : c’était mon premier FLIP et je l’ai trouvé très agréable et bienveillant. Nous (les cinq auteurs en catégorie « Réflexion » qui partagions une moitié de tonnelle) nous sommes très vite bien entendus. Je n’ai pas ressenti d’esprit de compétition ou de rapport de force entre nous. On se transmettait les joueurs de table en table avec plaisir.
Pour les joueurs aussi, toujours très souriants et volontaires. J’ai fait de belles rencontres, obtenu de bons conseils et reçu beaucoup d’encouragements. Je tiens d’ailleurs à remercier ceux qui sont revenus plusieurs fois à ma table pour rediscuter du jeu ou rejouer une partie en dehors des heures de vote.
Et puis pour le jury enfin, c’est très impressionnant de faire jouer son proto à des « pros » qui doivent juger ces 18 mois de travail en une partie ! J’ai l’impression que les trois parties ne se sont pas trop mal passées, une fois que j’ai vaincu mes tremblements et mon envie de tout contrôler… J’espère que le jeu leur a plu mais la plupart sont restés d’une neutralité de fer.
J’ai quand même fini le troisième jour sur les rotules et il va me falloir un peu de temps pour digérer tout ça et rattraper mon sommeil en retard !

As-tu pu malgré ton planning de créateur faire un tour sur le festival ? Tes impressions ?
J’ai pu profiter des longues et belles soirées du FLIP après les créneaux de présentation d’Ynavi. On se balade dans les rues calmes de la vieille ville, on recroise des joueurs, on se boit un verre en terrasse et au final, on se retrouve de nouveau autour d’une table de jeu ! Un pur bonheur !
J’en garde un sentiment de douce sérénité ludique. Un festival de jeu où on a le temps de prendre son temps. C’est moins la course aux nouveautés, aux V.I.P. et aux goodies que dans d’autres lieux et ça fait du bien, aussi, de se retrouver pour discuter et pour jouer tranquillement.

Merci pour ton temps et à l’année prochaine (faut revenir !)
J’y compte bien ! Merci à toi !

 

On lui souhaite toute la réussite que son projet (ma foi bien engagé) mérite !

Ynavi Un jeu de François-Nicolas Parachini
Illustré par Oleg Beresnev
Edité par Va savoir
Pays d’origine : France
De 2 à 4 joueurs
A partir de 10-12 ans
30-60 min

 

[MàJ 19/12/17 : Le jeu sortira en février 2018 sous le noms de Huns chez la Boite de jeu]
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8 Commentaires

  1. Fneup 08/08/2016
    Répondre

    Merci Grovast pour ce superbe article !!! Hâte de te faire tester le nouveau mécanisme de scoring !

    • Grovast 08/08/2016
      Répondre

      De rien, et bon courage pour la mise au point 😉

      Je sais à quel point c’est rageant de devoir chambouler un jeu qu’on pensait bien équilibré comme ça !

      • Fneup 09/08/2016
        Répondre

        C’est pour la bonne cause ! Sur les premières parties de test, ça améliore vraiment le jeu !

  2. Marie-Eve 09/08/2016
    Répondre

    Oh mais c’est nous sur la photo de l’explication des règles. C’est drôle comme on a tous l’air hyper concentrés, c’est parce qu’on voulait tous gagner par la suite évidemment, mais nos têtes ne sont pas très révélatrices : les règles sont super claires et simples et on s’est vraiment beaucoup amusés pendant la partie. Nous avons hâte que le jeu sorte, et très envie de refaire des parties 🙂

  3. Varlsack 21/08/2016
    Répondre

    Aura-t-on le plaisir de pouvoir le tester à la zone proto d’Octogône ?

  4. Achéron Hades 01/09/2016
    Répondre

    Personnellement, je suis fan du Design, épuré un peu coloré, excellent. La mécanique a l’air sympa.

    Ca manque juste pour ma part d’un peu de meeple ou de resourcepeule mais j’imagine que ca augmenterait le prix.

    Ca donne envie

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