Wild: Serengeti – Virée dans une nature foisonnante

Depuis quelques années déjà, le thème « Nature & Zoo » inonde l’offre des jeux de société. Wild: Serengeti est un élément de plus à cette série qui ne semble pas prête de se tarir. Bad Comet Games, maison d’édition récemment fondée par Gunho Kim (Shaolia: Warring States) a édité ce jeu au cours de l’année 2022 suite à une campagne Kickstarter lancée en 2021. La même année, Don’t Panic Games le localise en France. Un an plus tard, il arrive dans notre assiette. Ça tombe bien, j’ai faim et je mangerai bien un hippopotame.

 

Le crépuscule tombe sur la savane africaine (photo prise depuis un drone).

 

D’un naturel abondant

Wild: Serengeti est un jeu compétitif de pattern building et de collection, en grand format. Jusqu’à quatre joueurs incarneront des reporters animaliers lors d’un safari, chargés de capturer les plus belles scènes de nature. Sur un grand plateau représentant le parc national de Serengeti, vous devrez parvenir à disposer des figurines de bois de manière à reproduire les scènes indiquées sur des cartes, afin de les remporter et de les collectionner. Le reporter totalisant le plus de points gagnera la partie. Même si j’ai subi plus qu’une overdose du thème nature dans les jeux de société, j’avoue que le pitch a capté mon attention, à l’idée de manipuler ce beau monde de bois.

Car oui, la grande force du jeu réside dans son matériel et son visuel. C’est simplement aussi magnifique qu’imposant. On est peu habitués à voir de tels gabarits pour des jeux du genre. Il s’installe sur une grande table, avec un plateau principal représentant la savane et deux autres plateaux : une structure en 3D pour la gestion des manches, et un plateau de réserve, contenant les animaux. Dans la boite sont stockées plus d’une soixantaine de figurines de bois de 3 à 6 cm. C’est impressionnant. Toute l’édition est de qualité, rien à redire.

 

Le rocher permet de gérer vos manches, ça change des petites cases en bord de plateau. Les cartes Migration vont perturber le jeu en retirant quelques figurines aléatoirement.

 

Alors si l’on se pose la question d’un jeu sur-édité, la réponse est toute faite : Kickstarter. N’oublions pas que le titre est issu du financement participatif et comme le veut la tradition, nous sommes clairement dans un parti pris de débauche matérielle qualitative. On a voulu en mettre plein les yeux et les étagères. Les amateurs de bois et de belles choses seront ravis.

Installer tout cela prend du temps. La place requise sur la table est démesurée. Le jeu entièrement déployé est d’une esthétique remarquable mais seule une table grand format (disons 1 mètre sur 2) pleine à craquer pourra accueillir une partie à 4 joueurs. Même pour deux joueurs, une table de cuisine ne suffira pas.

Pour ce qui est du game design, la question est totalement décorrélée de cet aspect esthétique et nous allons bien sûr l’aborder !

 

Encore des photos dans la savane ?

Comme je le disais plus haut, les joueurs ont en commun un grand plateau de jeu sur lequel seront disposées des figurines d’animaux de différentes espèces et une pile gigantesque de cartes représentant des scènes à reproduire.

À chaque début de manche on piochera 8 cartes Scène pour en choisir 4. Celles-ci formeront une offre personnelle de contrats et indiqueront un pattern à reproduire sur le plateau : placer les bons animaux sur les bons habitats, alignés de telle façon. Chaque joueur ne joue donc qu’en fonction de sa propre offre. Ce n’est pas pour autant que l’interaction en sera réduite (on verra cela plus loin), notamment car une offre commune sert de réserve pour compléter les offres personnelles.

 

De la clarté, des illustrations et des exemples à chaque chapitre : tout ce que l’on demande à un livret de règles.

 

Nous voilà donc avec ces 4 (pour l’instant) scènes à recréer et l’on disposera de quelques jetons de monnaie pour ce faire. Chaque tour de jeu, on utilisera donc ses jetons pour acheter une seule action, sous forme de pose d’ouvrier, en posant un meeple Caméra à l’endroit souhaité. Si je place mon meeple en premier sur une action donnée, celle-ci me coûtera moins cher que pour les autres joueurs. Voici en quelques mots votre liberté d’action :

  • Renouveler l’offre de cartes Scène et en prendre une.
  • Prendre une carte Scène de l’offre.
  • Bouger un animal orthogonalement de 3 cases maxi.
  • Interchanger la position de deux animaux.
  • Découvrir un animal (le prendre de la réserve et le placer sur le plateau).

 

 

Le hic c’est que tout le monde partage ce plateau et que chacun voudra tirer la couette de son côté. L’argent étant une ressource très (pour ne pas dire extrêmement) limitée, il ne faudra pas trop jouer la guéguerre au risque de ne parvenir à reproduire aucun pattern. En remportant des scènes, il arrive que l’on gagne quelques jetons pouvant permettre des actions supplémentaires, mais cela ne changera pas du tout au tout votre capacité d’agir sur le plateau.

Enfin, dernière information à savoir, l’aspect collection est bien présent. Plus vous cumulerez des cartes Scène portant un certain symbole (des bananes par exemple), plus vous pourrez marquer de points à condition de collectionner aussi des cartes Scène donnant des points avec ces symboles.

 

Tout dans l’excès

Sur le papier, nous sommes dans un classique du jeu de pattern building et de collection. Plus précisément, celui-ci s’éloigne de Cascadia pour se rapprocher un peu plus de Calico, dans le sens où vous vous retrouverez bien souvent avec des couches de contraintes superposées demandant un effort de concentration conséquent. Dans Cascadia, j’ai le ressenti d’un degré de liberté plus grand. Si je n’ai pas exactement ce qu’il faut pour reproduire mon pattern, j’ai de quoi meubler mon tour de jeu. Ici, tout doit coller, avec de multiples contraintes, ou bien c’est l’échec :

« Je dois aligner un lion, puis un éléphant, puis un zèbre, mais le premier doit être dans l’eau, le dernier dans la forêt. Mais je dois également mixer ce pattern avec celui d’une autre de mes cartes, autrement je perds trop d’actions et je ruine ma partie. »

Cet exemple illustre le fait que même si le principe de Wild : Serengeti est simple, il a un degré d’exigence élevé, bien plus que les deux titres cités plus haut. Il ne convient donc pas du tout à un public familial. Un public initié pourrait même être découragé. Pour moi il est plutôt destiné aux experts prêts à faire un grand écart neuronal à chaque tour de jeu.

 

 

Chaque joueur peut disposer de 8 cartes Scène maximum pour créer son offre, chacune imposant un pattern précis sur le plateau de jeu. En plus de cela, la collection est complexe. Certaines cartes arborant une étoile rapportent des points si vous collectionnez des cartes Scène portant un certain symbole. Et ces points pèsent énormément en fin de partie. La salade de points dictée par une formule sur ces cartes a été quelque part la contrainte de trop pour moi.

 

Aaaargh !

 

On arrive inévitablement à des moments d’Analysis Paralysis que j’ai trouvé trop intenses. Les moyens d’agir étant maigres, on cherche à la fois à optimiser le placement des animaux sur les cases pour couvrir plusieurs scènes, tout en cherchant à éviter de donner des points gratuitement à nos adversaires et tout en essayant aussi de collectionner les scènes avec les bons symboles. Ceci impose d’analyser beaucoup de choses sur l’environnement de jeu.

Cela dit ces contraintes sont propres au genre et les sensations ne sont pas désagréables, pas plus que pour un autre jeu. C’est simplement que d’après moi, Wild : Serengeti pèche sur un aspect du game design : « Trop ». Je trouve de que de manière générale, les quantités sont démesurées :

  • Il y a trop de types d’animaux impliqués (12). C’est joli, mais on a rarement ce qu’il faut sous la main pour reproduire nos patterns.
  • Il y a trop de symboles différents à combiner entre les cartes Scène pour créer une stratégie de combos. Au lieu de cela, on les subit comme elles viennent à la pioche.
  • Il y a trop peu de moyens pour agir : quelques jetons de monnaie, c’est la disette permanente face au choix qui s’offrent à nous.
  • Et surtout : il y a trop de cartes Scène. Leur diversité est trop importante pour qu’elles se combinent efficacement entre elles.

 

En résultante, le hasard de la pioche aura un impact important. Dans de nombreux cas, vous n’aurez pas assez de moyens de créer des actions satisfaisantes pour assurer plusieurs scènes. Ça ne colle pas, d’où la nécessité de réfléchir toujours plus, pour racler tous les fonds de tiroir. J’ai beau regarder tout ce que je peux, je ne vois pas comment joindre les deux bouts. Je vais faire une action pour limiter la casse et assurer une seule scène, voire deux, sur mes 8 possibles…

 

 

La frustration est un élément important pour créer un bon jeu de société, j’en suis convaincu. Mais ici, elle me semble mal dosée, trop présente. Il y a trop de choses. Un travail de tri, d’affinage et de sélection manque à faire. J’y vois possiblement un symptôme propre à certains eurogames issus du financement participatif : pas assez de temps et d’effort mis dans le développement et le playtesting.

Une main réduite à 4 ou 5 cartes Scène, avec des patterns moins exigeants, un peu plus de « jokers » pour donner de la flexibilité, moins d’espèces, auraient peut-être permis plus de fluidité au jeu, plus de combos, et aurait certainement ouvert les portes à un public plus large, vers ce jeu qui présente tout de même des aspects sympathiques.

Cela dit, je tiens à modérer mes propos, car il y a certainement un public pour apprécier ce qui parait pour moi déplaisant. On est un peu dans le même cas d’école que pour Books of Time (voir le Just Played). Ce qui m’importe, c’est que vous puissiez vous forger votre propre opinion sur le jeu et comprendre s’il est fait pour vous !

Un point important : l’interaction dépendra du tempérament des joueurs. Si les joueurs aiment jouer dans leur coin, ils pourront d’un commun accord s’entendre pour ne pas trop regarder ce que cherche à faire le voisin. Mais cet équilibre est fragile. On est typiquement dans un jeu où l’on peut faire vivre l’enfer à ses adversaires, en ne cessant de casser leur plan durement construit, en repérant leur petit jeu puis en déplaçant les animaux à l’opposé de ce qui les arrangerait. Il faut être au courant de cela avant de s’aventurer dans la savane impitoyable de Wild : Serengeti. Si vous n’avez pas envie de pleurer, restez plutôt chez vous au coin de la cheminée !

Enfin, la durée de jeu annoncé de 45 minutes est largement sous-estimée. La mise en place à elle seule vous prendra déjà 10 bonnes minutes. On est plutôt dans un 45 minutes par joueur. Une partie à quatre va largement dépasser les 2 heures. Je ne sais pas vous, mais je trouve que les jeux annonçant 45 minutes alors que l’on va plutôt tabler dans deux ou trois fois plus sont monnaie courante en ce moment. Justement, je constatais encore une fois la même chose pour Books of Time dernièrement. Serait-ce un argument commercial abusif ? Si vous avez d’autres exemples, n’hésitez pas à les partager dans les commentaires.

 

C’est quand même beau la nature.

 

Un mode coopératif

Pas moins de 6 scénarios sont proposés dans un mode coopératif. Ces derniers sont également jouables en solo. Chacun consiste à un objectif de points en fin de partie, couplé à un objectif obligatoire à la fin de chacune des manches : obtenir X points, collecter X jetons.

Je suis ravi de cette initiative, car il y a quelque part l’envie d’apporter une proposition plus large que le jeu de base. Mais encore une fois, ce qui est beau sur le papier, ne va pas forcément coller dans la pratique. Premièrement, les objectifs de points à chaque manche prennent littéralement à la gorge. Vous devrez tout mettre en œuvre pour les assurer et voir à court terme, sinon perdre. Ceci empêche par conséquent l’établissement de stratégies sur le long terme (reculer pour mieux sauter par exemple).

D’autre part, et c’est plus gênant, certains objectifs semblent tout simplement irréalisables. Par exemple, dès le premier scénario, les objectifs des manches 4 et 5 semblent stratosphériques. Seul un coup de chance miraculeux à la pioche pourrait permettre de les atteindre. J’ai partagé cette expérience sur le forum de BGG et il semblerait que je ne sois pas le seul. C’est à creuser, mais une fois de plus, je doute que l’équilibrage de chaque objectif pour chaque manche ait été travaillé dans le détail, sur l’ensemble des 6 scénarios, et pourtant c’est nécessaire pour qu’ils soient correctement jouables.

 

On est pas passé loin d’une belle œuvre

Sans rentrer dans l’a priori systématique, j’ai une certaine crainte en voyant arriver des eurogames issus du financement participatif sur ma table. Je crains qu’ils n’héritent du même vice : trop de matériel, trop de cartes, trop de propositions et possiblement pas assez de développement pour équilibrer le tout. Ma crainte s’est confirmée avec Wild: Serengeti. Les sensations que j’ai sont celles d’un jeu magnifique, très plaisant sur le papier, plein de bonnes intentions et d’idées. Malheureusement, un jeu de ce genre demande bien plus pour proposer un gameplay satisfaisant : un dosage fin des quantités et des paramètres, qui nécessite de gros efforts de développement, et parfois de faire des sacrifices au nom de la fluidité et du plaisir de jouer. Pour moi il ne manque pas grand-chose pour faire de Wild: Serengeti un excellent jeu de pattern building, mais il pèche fortement sur ce point, si bien que l’expérience m’a parue frustrante. Je ne sais que faire de la majorité des éléments dans ma main et c’est un mauvais indicateur. Dommage, si une leçon est tirée de cette première expérience, de futurs titres pourront être bien plus convaincants.

 

 

 

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