moorland : un jeu à la dérive ?

« Steffen Bogen conçoit des jeux depuis toujours. Cependant, c’est en répondant à une demande de sa famille qui s’agrandissait qu’il a rendu cette activité rentable » nous dit le texte de présentation sur la boîte. Une entrée en matière plutôt étrange mais dont la suite attise la curiosité puisque ce monsieur Bogen est titulaire de deux Spiel des Jahres avec Schnappt Hubi ! (2012) et Camel Cup (2014). Du coup, on se penche avec encore plus d’attention sur ce titre.

 

 

Un jeu nature avec des papillons, des puces d’eau, grenouilles des champs (de couleur bleue à la saison des amours), des marécages, bref tout ce qui fait le quotidien des tourbières couvrant 3% de la surface mondiale.  Une page leur est consacrée afin de sensibiliser le public à leur préservation.

 

 

Le matériel se compose de tuiles tourbières qui vont servir à créer le terrain de base, plateau/décor de la partie, de cartes marécage abritant flore, faune et tronçon de cours d’eau, ainsi qu’une centaine de pions plantes et gouttes d’eau. Chaque joueur aura un plateau personnel servant surtout d’aide de jeu et, accessoirement, à poser ses pions eau, jonc, herbe à coton, mousse et bruyère en trop. Il sert également de rappel sur la façon de marquer des points : en collectionnant les types d’animaux/insectes, en enracinant des plantes, et en créant un long canal.

 

On enfile ses bottes !

La mise en place commence par un puzzle de quatre pièces. À vous de former la structure de la tourbière dictée par les quatre cartes eau de départ. Pour la première partie, on donne dans le simple : un rectangle. Rien ne vous empêche par la suite de créer une tourbière en escalier ou en L, ce sera juste plus complexe d’y amener l’eau.

 

 

 

On installe ensuite un marché de cartes marécages. Et une carte plante (ressources du moment). La partie va durer douze tours exactement. Douze tours où il faut récupérer des pions Plante et construire, peu à peu, sa tourbière. Un tour est composé de trois phases, la dernière, nettoyage du marché défaussant juste la carte non prise par les joueurs.

Tout d’abord, on retourne une carte plante. Deux types sont proposés au minimum, ce sont les pions que vous pouvez prendre. Selon l’endroit où vous allez placer votre plante, vous pourrez  poser un pion ou deux ou trois (indiqué par un logo). Deux emplacements jokers permettent de placer ce que l’on veut sans tenir compte du type imposé.

 

Dans les cercles blancs, le nombre de pions (1,2 ou 3) que vous devez poser + joker en L.

 

Il faut à présent prendre une carte marécage. Les plantes demandées pour valider la carte sont maintenant sur votre tourbière, vous posez la carte sur cette case. Une case avec une lettre, ce qui permet de prendre, si elle est encore disponible (si vous êtes le premier à occuper cette case), une goutte d’eau. C’est un point de victoire mais aussi un pouvoir supplémentaire de déplacement. Vous n’avez pas toutes les ressources ? Réservez cette carte marécage pour plus tard en la glissant sous votre plateau personnel. Maximum trois cartes.

 

Les emplacements H,I,L,J,A,C sont déjà occupés et ne donnent plus d’eau

 

 

Au milieu coule une rivière

Pour le moment, rien de passionnant, nous sommes dans un classique principe de ressources/achat. Et les premiers tours peuvent être, selon les cartes marécages proposées au marché, assez évidents. Je prends deux herbes vertes, je valide un marécage demandant deux herbes vertes. Très vite, on va accumuler les ressources, en prévision de, et pour avoir à disposition tous types de plantes. Chaque case tourbière peut contenir six éléments, vive le choix et la diversité. C’est là que le jeu devient intéressant et que le casse-tête commence. Le cœur du jeu est ce cours d’eau, canal, évoqué en introduction. S’il permet de gagner des points en fin de partie en comptant les tronçons qui le composent, il permet surtout, tout au long des 12 tours, de faire dériver, d’amener les plantes excédentaires dans les autres parties de notre tourbière et d’avoir des ressources à disposition pour la suite. Par exemple, la case tourbière contient cinq pions, la carte marécage en demande deux, voilà trois ressources qui vont dériver. Un autre moyen de déplacer des plantes d’une case à une autre n’importe où et de dépenser une goutte d’eau, vous perdez un PV, mais validez une carte. À vous de peser le pour ou le contre.

 

Cette carte marécage a besoin de 3 bruyères rouges pour être posée. Parfait. Elle me donne en prime une grenouille

Une bruyère (croix) va faner, les autres plantes en suivant le chemin se retrouvent sur les tuiles E et L. Seul bémol, un coude qu’il faudra absolument relier.

 

 

Les tronçons sont de formes variées : ligne droite, virage, croix, certaines interrompent le chemin. Pour ne pas être bloqué ou saborder votre parcours, vous pouvez retourner une carte marécage, vous perdez un point, mais vous héritez d’un carrefour qui ouvre à nouveau le jeu.

Peu à peu, le décor va se créer, les pions vont dériver, validant de nouvelles cartes marécages (on peut d’ailleurs en poser plusieurs à son tour) ou…sortant du parcours. Voilà des pions excédentaires qui vous donnent des malus.

 

Ce petit tourbillon en bas à droite accueillera vos plantes excédentaires au taux de – 1 point par plante

 

Si je me suis appesanti sur le cours d’eau, indispensable si l’on veut mener à bien sa partie, les cartes marécages ne sont pas à dédaigner. Bien souvent, c’est leur intégration dans le parcours qui va guider notre choix. Le mieux est de composer un canal parfait, mais bloquer une case dans le coin gauche par exemple, afin d’enraciner trois plantes et gratter trois points n’est pas une mauvaise idée non plus. Les logos des plantes ont une importance, ce sont eux qui vont indiquer si le pion dérive (logo vide), s’enracine (logo avec un dessin) ou se fane et retourne dans la réserve générale (croix). C’est là aussi qu’on découvre les animaux. Des choix, évidents par moment, selon sa stratégie ou si l’on joue dernier, beaucoup moins en général puisqu’on ne peut pas toujours avoir le beurre et l’argent du beurre, le bon tronçon et l’animal qui va avec.

 

Toutes les cartes ont un dos en croix pour aider mais avec un malus tourbillon

 

Moorland est à la fois un jeu de construction mais aussi de collection. Les points de fin de partie sont calculés de plusieurs façons : par paire d’animaux, par animal différent dans la tourbière (la biodiversité), les gouttes d’eau, la majorité des puces d’eau, les plantes enracinés et le plus long canal, moins le nombre de plantes excédentaires.

 

On dirait que ça te plaît de marcher dans la boue…

Pour un auteur auréolé de deux Spiel, le jeu sort plutôt discrètement. J’avoue que ce gros morceau de terrain et sa cascade de couverture ne m’avaient pas attiré plus que cela. Mais on ne se refait pas et quand un jeu vous passe dans les mains, on s’assoit et on essaie. Et quand on termine la partie content, on a gagné sa journée (oui, j’ai des plaisirs simples).

On pourrait reprocher à Moorland d’être un jeu solo à plusieurs, il est vrai que l’interaction est indirecte et à part prendre une carte convoitée par une adversaire, on a peu de relation avec les autres. D’ordinaire, cela m’ennuie, je n’ai pas eu ce sentiment avec ce jeu. Peut être parce qu’on regarde les animaux déjà récupérés par les voisins, qui a la majorité des puces d’eau, qu’on entend régulièrement quelqu’un pester car il manque un pion, qu’il doit bloquer une partie de son canal… en tous cas, je n’ai pas eu l’impression de jouer en solitaire. Le jeu est efficace également à deux. Il est un peu plus méchant sur la fin de partie avec un blocage plus facile à mettre en place, quand on prend une carte qui servirait tellement bien l’adversaire. La prise de gouttes d’eau est également plus importante. À deux ou plus et suivant les parties, le jeu peut être fluide ou long. Le calcul du meilleur coup existe tout autant que la bonne carte tombant au bon moment. C’est un jeu qui demande réflexion tout autant qu’accepter  la part de hasard lors du tirage des ressources ou des marécages. Vous savez, quand cette ressource dont vous avez besoin ne sort pas. D’où l’intérêt des deux cases joker qu’il est bon de garder pour les coups durs. Car plusieurs facteurs sont à prendre en compte lors du choix de la carte marécage : permet-elle une continuité avec le reste du canal, a-t-elle des logos/animaux intéressants et surtout, est-ce que je peux la poser directement ?

 

Décompte du canal

 

Poser une carte aide à avancer dans le jeu, mais surtout, de faire dériver les ressources. Cela permet de gagner du temps et de minimiser les plantes excédentaires. Gagner du temps car, s’il est possible de stocker des cartes, attention de ne pas en avoir trop pour ne pas être obligé de poser, de prendre un malus. La dérive évite de regarder vos collègues qui, eux, continuent à bâtir et permet de ne pas courir après la bonne ressource. Bien sûr, on aura beau préparer le terrain, rien ne garantit que tout ce dont vous avez besoin pour valider un marécage sera réuni sur la bonne tuile. D’où la nécessité des gouttes d’eau. La nécessité également d’être multiple et de ne pas se retrouver avec seulement un ou deux types de plantes. Car, il est clair qu’on prend peu ou pas de pions vers la fin du jeu, par peur de ne pouvoir les utiliser. Une gestion des ressources, pas contrôlable à 100%, il faut l’avouer, est donc nécessaire.

 

Des plantes, encore des plantes

 

Moorland sous ses dehors écolo sympa va plus loin que la simple collection de faune et flore dans un cadre naturel. Comme dit, on peut vraiment bloquer à certains moments et passer en paralysie mentale, ne voyant pas comment on peut s’en sortir. Parfois, il faut savoir sacrifier une tuile, accepter de garder une plante excédentaire pour rebondir. Dans l’ensemble, le jeu est plutôt décontracté, même s’il demande cogitation, avec un zeste d’optimisation, une cuillère à soupe de réflexion, d’assemblage pour construire son canal en ajoutant animaux et plantes enracinées. À moins de grosses erreurs, les scores sont serrés. Moorland est un jeu qui n’a pas de stratégie définie, on suit la partie comme on suit son chemin d’eau, en s’adaptant au tirage des cartes marécages, en choisissant entre forme de cours d’eau et bonus de cartes. Pour le moment, même si certaines personnes mettent un peu plus de temps à appréhender le jeu dans ses premiers tours, à cause d’une vision globale de la tourbière et de cette notion de dérive, il a été apprécié par tout le monde. À juste titre.

 

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3 Commentaires

  1. Flemeth il y a 19 jours
    Répondre

    Merci pour la découverte, j’ai énormément apprécié ce jeu. A la fois calculatoire et zen dans son thème et son déroulé, une belle surprise (ça devient rare) 🙂

    • morlockbob il y a 18 jours
      Répondre

      tout a fait d ‘accord. Après quelques parties je pensais m’en lasser et il devient plus tordu. en tous cas, il est apprécié quand je le propose

      • atom il y a 18 jours
        Répondre

        Je suis passé à coté, mais les conditions n’étaient pas les meilleures donc je ne sais pas quoi en penser en réalité.

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