Medina : Foire d’empoigne au soleil

Medina relooké, nous vous en parlions sous forme de preview en fin d’année dernière. Le classique de Stefan Dorra en version 2.0 a eu droit à une VF spécifique chez Gigamic cette année. Attentes et réalité ne se confondant pas nécessairement, qu’en fut-il donc une fois rendu sur table ?

Abondance et splendeur

Organize the box.

 

Première satisfaction à l’ouverture de la belle, grande et lourde boite : les quelques 180 pièces en bois sont de qualité. On ne se lasse pas de manipuler ces gros pions « Bâtiments », qui offrent un confort de jeu total. Leurs nouveaux coloris extrêmement seyants à mes yeux méritent d’ailleurs une mention spéciale.
N’étant aux dernières nouvelles pas moi-même daltonien je ne pourrai par contre dire comment ces derniers s’en sortent, notamment entre les deux teintes les plus foncées, à savoir marron et violet.

Une installation de fortune suffit pour pratiquer le jeu dans de bonnes conditions : comme vous pourrez le constater ci-après, les pions restent stables même dans un plan de jeu d’une horizontalité précaire.

Le nouveau plateau recto-verso est lui aussi du plus bel effet, même si à l’installation on se retrouve facilement à hésiter entre les deux faces : une indication du nombre de joueurs correspondant n’aurait pas été superflue. La différence de taille de deux cases ne saute en fait pas aux yeux, et je me suis surpris à compter pour confirmation.
L’épaisseur du bloc de score garantit par ailleurs de ne pas tomber à cours lors de la prochaine décennie.

En termes de rangement, hormis de l’insert carton qui fait bien son boulot pour surélever le plateau, c’est le néant. L’ensemble s’entassera donc en ce qu’on appelle – en jargon de rangement ludique – un fatras intégral. Les plus méticuleux seront ainsi contraints de se procurer de grands zip-bags afin de constituer des lots par joueur.

Concernant la localisation, je suis personnellement témoin du louable effort de Gigamic pour nous délivrer un livret VF irréprochable et surtout clarifier les quelques points litigieux de la version anglaise White Goblin Games. Quand le timing de production lui en laisse la possibilité, voilà un éditeur qui n’hésite pas à creuser et à proposer aux joueurs eux-mêmes de commenter les règles en version beta, signe d’une grande attention portée à la chose. En l’occurrence, malgré ces précautions supplémentaires, une mini-coquille et une imprécision ont réussi à passer au travers du périlleux exercice de rédaction : cf. FAQ VF participative.

Vous débarquez total dans la Medina et voudriez bien un aperçu détaillé des mécanismes ? Afin d’en faire le moins possible d’éviter de paraphraser mon article précédent, qui n’est finalement lui-même qu’une redite simplifiée du livret de règles, je vous renvoie vers la preview.

Sachez d’ailleurs que l’explication initiale peut être écourtée en restant dans les cas généraux, sans nuire véritablement à une stratégie forcément perfectible en première partie. Les éventuelles questions autour de cas particuliers ne relèvent que de subtilités avancées, croustillantes certes, mais dispensables en première approche.

Braderie ouverte

Sur deux tables de camping premier prix : ça passe large.

 

Pour vous, nous avons pratiqué Medina dans des conditions extrêmes. A défaut de Sahara sous la main, un terrain extérieur hostile équivalent a été choisi comme cadre de ce Just Played. Les quatre joueurs aux dents longues ont hâte de s’emparer des plus beaux palais.

C’est parti. Les règles sont simples donc, mais la liberté est tellement totale pour placer ses pièces qu’il n’est pas facile de savoir où débuter. Les deux premiers tours débutent par la création prudente de palais des différentes couleurs. Trois édifices voient donc le jour dans le quartier du puits : nous voici d’emblée sur des grosses affaires ! Rapidement, plus personne n’ose du coup les agrandir de deux bâtiments à son tour : la peur que l’occasion devienne trop belle avant que l’on reprenne la main est dans tous les esprits.

Seul le premier palais gris prend son essor de manière différente, dans le coin de la tour n°2. Un quartier certes plus éloigné du centre, mais qui offre une vue imprenable sur les alentours. S’il est considéré comme très hype d’habiter aux abords du puits et de la rue commerçante, il ne faut pas non plus en oublier que s’exiler le long des murailles est également très prestigieux, et que les tours au coin de la ville donnent des bonus substantiels aux premiers et derniers à s’y installer. A chacun sa technique donc.

Projets gris et violet en cours : ça commence à être très tentant.

 

Fatalement, l’obligation de jouer fait grossir les palais, et des preneurs brandissent alors leur toit coloré après avoir pris soin d’agrandir une dernière fois le palais concerné : Rouge et Vert s’emparent respectivement de palais orange et marron à 4 pièces, tandis que Jaune fait coup double avec des palais violet et gris à 5 pièces chacun. Seul Bleu mise sur une stratégie apparemment volontairement attentiste, à moins que ça ne soit sa gourmandise qui l’ait amené à se faire coiffer coup sur coup. Difficile de savoir à ce stade s’il est mal embarqué ou s’il va obtenir de meilleures occasions par la suite.

Dès lors que les premières acquisitions sont faites, les choix s’élargissent et la partie prend une tournure différente. Rouge pose une étable pour agrandir son palais tout en lui donnant la possibilité de longer un mur ultérieurement. Vert fait fonctionner le commerce sous ses fenêtres en prolongeant la rue marchande le long de sa propriété. Mais seule la moitié de son plan fonctionne, car à l’autre extrémité, ses adversaires s’arrangent pour diriger l’artère vers d’autres quartiers…

Bleu doit encore choisir un palais violet et un gris : dur dur.

 

De son côté, Jaune joue la montre en posant des pions mur, ce qui lui permet de connecter son palais gris à la tour n°2 : il obtient ainsi jusqu’à nouvel ordre la tuile associée d’une valeur de 2 points, mais également 2 précieux marchands supplémentaires à placer au cours de la partie.

C’est déjà l’emballage final. Sans qu’on ait vu le temps passer, les tours se sont enchaînés et ceux qui n’ont pas encore pris possession de leurs quatre palais commencent à flipper : les chantiers restants sont ridiculement petits et il n’y a plus beaucoup d’emplacements valides. Vert et Rouge ont joué le rush en trustant sans traîner les palais corrects, tandis que Jaune et Bleu finissent par se rendre à l’évidence : ils se sont fait un peu piéger. La prudence n’aura pas payé sur cette partie, car les possesseurs au plus tôt auront pu « défausser » la plupart de leurs bâtiments dans des quartiers sans avenir à une ou deux cases valides maximum.

Un palais à 3 fait mal

 

Décompte

Rouge 49

Vert 43

Jaune 41

Bleu 30

C’est relativement homogène à l’exception de Bleu qui paye très cher sa tentative de jouer sur les bonnes occasions de fin de partie. Dont acte : à quatre, ça semble a priori une mauvaise idée.

Un bédouin témoigne

Medina est de ces grands jeux qui réussissent le tour de force de combiner profondeur et accessibilité. Il est abstrait dans son scoring, mais son matériel se raccroche de manière tellement élégante à la réalité que le gros des règles de placement en devient très naturel. Il offre un challenge réellement intéressant, y compris pour des connaisseurs exigeants, sur un temps de jeu comparativement assez cours. Même avec des joueurs qui prennent leur temps, votre partie sera réglée en une heure à quatre, en incluant l’installation finalement très rapide (pour peu que la boite soit rangée triée).

Les sensations de jeu sont véritablement diaboliques. Le principal déchirement de début de partie consiste à ne pas rater le coche pour acquérir les premiers palais. On hésite en permanence entre assurer tout de suite ou pousser le vice et attendre. Sachant qu’on joue deux pions, on a toujours possibilité d’agrandir un palais d’un bâtiment, pour le revendiquer immédiatement en tant que second coup du tour. Il y a donc rapidement des décisions difficiles, d’autant plus quand tous les joueurs sont intéressés par toutes les couleurs.

D’une manière générale, l’ensemble des choix de timing ont leurs avantages mais aussi leurs risques. Quand on prend un palais de manière précoce, on se retrouve mine de rien avec des bâtiments restant dans cette couleur qui ne pourront servir qu’aux adversaires. Il s’agit donc de les caser à des emplacements peu valorisables, dès que la configuration spatiale de la partie en génère. Le danger, c’est d’être contraint d’aider un adversaire d’ici à la fin de la partie, car il faut tout poser, jusqu’au dernier pion.

Tactiquement, c’est de la haute volée. Parlons des tours : elles sont à la fois intéressantes si on s’y rattache en premier, car un bonus « one shot » de 1 à 3 pions marchands est à prendre. Mais attention, pour la tuile associée, c’est l’inverse, elle revient au dernier. La rue marchande est un autre exemple coups vicieux possibles. On passe son temps à trépigner de crainte que les adversaires ne la fassent bifurquer du mauvais coté, à espérer pouvoir encore l’amener où l’on veut à son prochain tour. [voix intérieure : Vas-y, mais vas-y fait autre chose! pas touche marchand, tout mais pas ça ! noooon ! non, mauvaise idée !!… aaah … ouf ! la vache, j’ai cru qu’il allait le faire!] Attention donc, c’est un vecteur de points au potentiel important, mais qui prête le flanc aux déconvenues.

J’en viens à cette caractéristique qui crêve l’écran : le jeu laisse la part belle aux entourloupes. Mais vraiment à tous les étages. Coiffage sur les palais qu’on pensait prendre, rue marchande capricieuse, majorités et tuiles bonus pas définitivement acquises, les mauvaises surprises possibles abondent. A quatre joueurs, si la partie se goupille mal, si volontairement ou non les adversaires font tout ce qu’il ne faut pas, c’est la déculottée sévère. Tout au plus limitera-t-on la casse en jouant bien.

Et pourtant, alors que nous ne sommes pas particulièrement friands de jeux « méchants », cela ne m’a pas dérangé outre mesure. Autant un coup de Trafalgar trop violent peut me gâcher le plaisir dans un jeu de gestion stratégique de deux heures, autant ici, cela fait juste partie de l’ADN de ce type de jeu. C’est un risque à connaître et accepter dès le départ. La rapidité relative du titre laisse ceci dit la possibilité de remettre facilement le couvert pour une revanche.

Résumons les points-clés de ce Just Played :

  • Medina est splendide avec cette réédition de toute beauté.
  • Medina n’a pas usurpé son statut de classique, c’est un jeu de pur placement à la fois simple et profond.
  • Medina propose un condensé de décisions tactiques sur un temps de jeu contenu.
  • Medina n’est pas donc pas un jeu de stratégie à proprement parler.
  • Medina propose une interaction indirecte de tous les instants dans la mesure où il convient d’observer constamment la situation des adversaires.
  • Medina s’avère d’ailleurs à ce titre assez cruel dans beaucoup de situations.

 

Pour finir, les ajouts de la réédition 2015 ne manquent pas d’attrait. Le puits permet de rentrer dans le vif du sujet sans trainer, car on a naturellement tendance à venir construire dans ses parages dès le début. L’intérêt m’a tout de suite conquis donc, bien que j’ai tendance à trouver le montant de +4 points un tout petit peu abusif (environ 10% du score total tout de même).

Les tuiles thé sont une autre franche réussite à mes yeux, elles introduisent du beau jeu possible lorsqu’on en possède : savoir quand une temporisation sera la plus bénéfique est tout un art ! La tentation de s’emparer du premier palais violet, quitte à ce qu’il ne soit pas immense, devient forte. Mais attention, il y a tout de même 3 points en jeu pour le plus grand palais dans cette couleur. Encore un dilemme !

Un jeu de Stefan Dorra
Illustré par Eduardo Bera et Hans-Georg Schneider
Réédité par White Goblin Games et Gigamic
Pays d’origine : Allemagne
Langue et traductions : Néerlandais, Allemand, Anglais, Français
De 2 à 4 joueurs
A partir de 10 ans
Durée : 60 min
Prix boutique constaté : aux alentours de 45€
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4 Commentaires

  1. Alexgodlex 08/10/2015
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    Je confirme : très cruel, ce qui à été l’occasion d’un grosse prise de tete sur un point de règle qui à failli tourné au drame avec un joueur 🙂

    Je trouve que c’est un des plus beau jeu auquel il m’a été donné de jouer. Il est aussi, simple à expliquer et marche aussi bien à 2 qu’a 4…

  2. atom 08/10/2015
    Répondre

    Complètement d’accord, c’est pas si méchant que ça, disons que l’on sait que l’on va pas se faire des politesses, du coup on apprécie les coups retors des adversaires, on apprends même, on se flagelle pour ses largeurs, ses bévues. Et a la limite on recommence. Dans un jeu de gestion de 2 a 3h, ça a plus de mal a passer. un autres des gros avantages de ce jeu c’est que l’on peut faire jouer n’importe qui, on n’a pas franchement besoin d’être un gros joueur. et il s’explique en 5mn, a la limite on peut oublier pour la première partie les tuiles majorité si on sent que ça va faire trop a ingurgiter.

  3. eolean 10/10/2015
    Répondre

    Idem, je partage ton avis. Je dois dire que je trouve le jeu vraiment rafraîchissant, je beaucoup aimé sa dimension tactique et également l’imagination pour essayer d’anticiper la tactique adverse ! Un jeu où il peut parfois y avoir des kingmaker aussi, faut juste le savoir avant 🙂

  4. TheGoodTheBadAndTheMeeple 12/10/2015
    Répondre

    Ce jeu est excellent, mais vraiment méchant. C’est court intense mais il faut jouer avec des escrocs ! Bref, la nouvelle edition est un must du genre. Aux cotes de Tigre & Euphrate.

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