Alchimistes de Matúš Kotry (2014) est un jeu qui m’a séduit au moment de sa sortie et même longtemps après, c’est d’ailleurs un jeu que j’apprécie encore beaucoup aujourd’hui. Pour tout dire, ce jeu m’a donné envie d’écrire, c’est d’ailleurs mon deuxième article sur Ludovox, publié en 2015. Deux ans après, à l’occasion de la sortie de l’extension avec le Golem, je suis revenu à l’université de Kotry avec plaisir, j’en parle dans cet article.

Tout cela, c’était bien avant la grosse mode des jeux de déduction. Celui-ci amenait un certain vent de fraîcheur. Et voilà que 10 ans plus tard arrive dans nos boutiques Les petits Alchimistes, une version enfant / famille, et évolutive en plus. Bigre, la promesse est intéressante, mais est-elle tenue ? N’est-ce pas trop tard pour surfer sur cette vague-là ? 

La drôle de cave de papi… 

Comme tous les petits enfants, quand on se retrouve entre cousins, on va fureter dans tous les coins. Oh joie, dans la cave poussiéreuse de Papi, on retrouve des alambics, des bougies… mais c’est vrai que papi dans sa prime jeunesse était Alchimiste ! 

Quand on ouvre la boite, on est rapidement stoppé par le dos du livret de règle qui retient notre curiosité. Ce dernier est scellé, et l’intérieur recèle de petites boîtes fermées. Il faudra attendre de trouver les clés pour les ouvrir… On ne pourra pas aller plus loin que le premier niveau avant d’y être invité.

Qu’à cela ne tienne, on installe l’application et c’est parti. Comme je le disais plus haut, je suis un grand fan d‘Alchimistes et sur le papier cette nouvelle version me laissait un peu dubitatif, comment rendre ce jeu expert intéressant sans sur-compléxifier le gameplay ?

Dans le chaudron il y a … 

Désormais le jeu se concentre sur la réalisation de potions. Derrière notre chevalet-chaudron nous avons des tuiles ingrédients que nous allons scanner afin de découvrir la potion réalisée. Ces informations sont intégrées dans notre petit triangle de résultats : 

Chacun de nous débute avec 3 tuiles ingrédients et deux pièces d’argent.

À notre tour, on va scanner deux tuiles ingrédients, ce qui va donner une potion, rouge, verte ou bleue. Dans mon exemple, je scanne une plume de Phénix et une herbe magique et j’obtiens une potion bleue. On peut donc en déduire logiquement que mes deux ingrédients combinés ensemble permettent de faire une potion bleue.

J’insère alors un jeton bleu sur mon triangle de résultats pour mentionner que le mélange de ces deux ingrédients donne une potion bleue. Enfin je pioche deux nouvelles tuiles sur le paquet de tuiles. Pas de panique, par le truchement de la voix du grand-père l’application nous prend en main pour que l’on n’oublie rien.

Au bout de quelques tuiles, un client apparaît nous demandant un type de potion. Si on la réalise, il nous gratifie de quelques pièces. On peut soit utiliser (si on les a) les mêmes ingrédients qui nous ont permis de faire la potion demandée, soit tenter de faire cette potion avec d’autres ingrédients. Je sais que j’obtiens une potion bleue avec une plume de Phénix et une herbe magique mais que se passe-t-il si je mélange ma plume avec cet autre ingrédient…? Peut-être une potion bleue ? Dans ce cas c’est réussi, sinon, j’aurais de nouvelles informations, utiles pour de futurs clients.

Les pièces sont des points de victoire, mais aussi un moyen d’acheter sur le marché des ingrédients au lieu de les prendre au hasard. À ce stade, on ne le fait que très rarement (ça reste des points de victoire) mais on le fera plus en avançant dans les niveaux du jeu.
Il n’y a pas de concurrence sur les clients, mais attention à bien produire la potion demandée avant qu’ils ne soient remplacés par d’autres… Une fois que trois clients sont passés, la partie se termine et on passe au décompte final.

Si ce premier niveau convient bien pour un public de 7 ans, la proposition reste assez basique pour des joueurs plus confirmés. Mais en réalité, ne vous y trompez pas, ce premier niveau n’est qu’une sorte de tutoriel très bien intégré, il permet de donner les bases facilement avant de passer aux choses sérieuses !

Chaudron évolutif

Le grand-père de l’application nous explique tout le jeu pas à pas (on n’a pas besoin des règles). À la fin du premier niveau, il va nous prendre à parti : 

• C’est bien mes petits enfants, vous connaissez les bases de l’Alchimie, mais dites, avez-vous remarqué quelque chose sur votre triangle de résultats ?

En effet, on constate que nos 6 ingrédients peuvent, mélangés autrement, donner deux types de potions. Par déduction et élimination quand je connais une information précise sur un ou des ingrédients, je peux réduire mon champ de recherche sur les autres. Mais pas si vite, grand papa nous propose d’abord un petit exercice collaboratif en mettant en commun toutes nos informations pour trouver les types de potions que permet chaque ingrédient. J’ai apprécié ce moment coopératif dans un jeu compétitif, finement intégré.

Ce bref examen réussi, grand-père nous dévoile les arcanes de la magie et nous permet d’accoler une clé sur la boite de niveau 2. C’est ainsi que l’on sera invité à ouvrir de nouvelles boîtes, quand on aura suffisamment de clés. Ça aussi, c’est bien vu, car on gagne plus ou moins de clés en fonction de la partie.

Désormais, on entre dans la cour des grands ! Au lieu de préparer une potion, on peut publier une théorie. La classe ! C’est là qu’était tout le fun du jeu dans le vénérable Alchimistes. Pour cela, il faudra avoir plus d’informations et déterminer les deux types de potions que l’on peut réaliser avec un même ingrédient (comme dans l’examen que l’on vient de passer, haaa c’est bien amené !).

photos des boîtes et des clés

C’est à ce moment-là que le jeu devient réellement intéressant. On ne prépare plus des potions pour juste anticiper uniquement les demandes des clients, mais aussi pour avoir toutes les infos pour publier des théories. D’autant qu’une publication réussie représente entre 3 et 4 points de victoire (par contre, une erreur c’est -1 point) avec un caractère dégressif. Une fois que telle publication (réussie) a été faite sur une ingrédient, plus personne ne peut la faire, il y a donc une vraie course sur cet aspect.

Et comme dans Alchimistes, quand on publie une théorie, cela donne une information aux adversaires. Par exemple, je dis que la racine de mandragore permet de réaliser une potion bleu et rouge, ils ne savent pas forcément comment j’ai obtenu ces informations, mais ils peuvent avec leurs propres résultats, tenter d’en déduire d’autres connaissances. 

Dépenser des pièces d’argent prend un nouveau sens aussi, utile par exemple pour aller chercher l’info qu’il nous manquait, au lieu de s’en remettre au hasard. C’est à ce moment-là que mes ados (12 et 15 ans) ont eu le déclic. « Je peux faire cette potion pour le client, mais avec les données que j’ai je dois pouvoir le réaliser autrement et avoir plus d’infos… »

C’est exactement le genre de réflexions que l’on se faisait dans Alchimistes. Bon, évidemment ici on a beaucoup moins d’éléments à processer. Au niveau 3, on va découvrir de nouvelles potions, et de nouveaux clients et … je m’arrête là pour vous laisser toute la surprise !

À quel public s’adresse-t-on ?

Difficile de dire à qui s’adresse ce petit Alchimiste, avec ses illustrations et son design très coloré on pourrait croire que l’on se trouve devant un jeu enfant. Je dirais plutôt un jeu familial. Il serait dommage de se laisser avoir par son allure assez enfantine qui à mon avis ne va pas forcément aider le jeu à trouver son public.

Je n’ai pas joué avec des jeunes enfants, les miens sont des ados de 12 et 15 ans, rodés aux jeux de société qui plus est. Par conséquent, je ne peux donc pas dire si le jeu est adapté pour de jeunes enfants au-delà du tout premier niveau, même si la progression est douce, et je pense qu’il peut y avoir un effet d’entraînement où l’enfant réussit une première tâche, ce qui lui donne l’envie et surtout la confiance pour affronter un défi logique plus important, tout cela allant crescendo.

Avec des enfants de 7 ans ou à peine plus, un parent gardera un avantage certain sur sa progéniture ; peut-être qu’il faudrait donner plus de pièces au départ pour équilibrer cela ? La règle indique juste que c’est le plus jeune qui commence et c’est un vrai avantage dans la course aux données.

Avec mes ados, ça a bien pris, ils se sont vite laissés emporter par le jeu et ont rapidement compris les mécaniques de déduction avec les informations croisées. Je n’ai pas eu besoin de leur donner d’avantages, leur logique mathématique suffisant à les placer au même niveau que nous. C’est assez réjouissant de voir qu’ils savent quand dépenser un sou pour prendre un ingrédient qui peut ensuite faire la différence dans la course aux publications.

Est-ce que la potion est bonne ?

Si j’adore Alchimistes qui est probablement un de mes jeux favoris, je dois avouer que c’est un jeu pas facile à sortir, les parties durent facilement deux heures, certains éléments comme la vente des potions amènent quelques lourdeurs mécaniques, mais c’est un vrai jeu expert (3.94 sur l’échelle de poids BGG). 

Les Petits Alchimistes quant à lui se place comme un jeu enfant puis familial ensuite. Comparativement à Alchimistes, on n’a plus de phase de programmation et de pose d’ouvriers : tout le jeu se concentre dans la déduction pure. Avec en plus un goût de Legacy sans destruction matérielle et une difficulté qui monte joliment crescendo.

Les Petits Alchimistes est un pour moi une bonne surprise, dans le sens inattendue, je n’espérais pas vraiment trouver un jeu qui garde l’essence du jeu originel tout en restant intéressant pour jouer avec mes ados et cela dans un temps plutôt contenu (chaque partie est comprise entre 20 et 40 minutes et ce temps est respecté). Si vous êtes joueurs confirmés, vous allez retrouver quelques éléments forts d’Alchimistes pour augmenter singulièrement le niveau à partir du niveau 4, et je n’en dis pas plus pour vous en laisser la surprise. Vous avez 7 niveaux progressifs à découvrir, tout est rejouable à volonté. 

Je ne savais pas dans quel chaudron je trempais mes lèvres et au final, la potion a un vrai goût de reviens-y. On peut boire une limonade un peu sucrée avec ses enfants (jusqu’au niveau 4), ou concocter des breuvages un peu plus relevés et piquants si le cœur nous en dit. 

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