Les charlatans de Belcastel : des idées plein la besace

Le monde du jeu a de cela de magique qu’il sait nous réserver des ascensions fulgurantes. Après Alexander Pfister en 2015/2016, c’est au tour d’un autre autrichien de crever l’écran : Wolfgang Warsch est manifestement la nouvelle coqueluche du milieu.
Celui qui était parfaitement inconnu il y a 18 mois est désormais auréolé d’un doublé Spiel des Jahres + Kennerpsiel, avec respectivement The Mind et Die Quacksalber von Quedlinburg, objet du présent article. Mais ce n’est pas tout, le monsieur enchaîne idées et jeux avec une facilité assez bluffante. Très Futé et Brikks l’ont ainsi vu alimenter avec brio le très en vogue genre du Roll & Write, Fuji s’est rapidement taillé une réputation de coopératif particulièrement original. Quant à Illusion et Subtext, ils prouvent que le party game est également au nombre des cordes à son arc.

Mais revenons-en à nos chaudrons, et intéressons-nous de plus près à ces Charlatans de Belcastel, distribués sous nos latitudes francophones par le truchement des violettes fées de Pixie Games.

 

Une mixture engageante

Les joueurs incarnent des rebouteux exposant au bazar de Belcastel. Pendant les 9 jours que dure cet événement, charge à eux de créer quotidiennement une potion. Le breuvage du jour est ensuite monnayé au prorata de sa qualité contre des PV et/ou des nouveaux ingrédients de plus en plus puissants pour la suite de la partie.

Pour réaliser leur concoction, les joueurs emplissent progressivement leur marmite avec des jetons ingrédients puisés un par un, à l’aveugle, depuis leur sac personnel. Mais un bon charlatan est un charlatan prudent : ledit sac contient une certaine quantité de dangereux « claque-doigts ». Si la valeur cumulée dans le mélange de ces substances fulminantes vient à dépasser le fatidique seuil de 7, la préparation « explose » immédiatement. Une partie des bénéfices éligibles part alors irrémédiablement en fumée.

Les mécanismes se schématisent ainsi en un mariage entre deux principes bien connus : le stop-ou-encore d’une part, le bagbuilding d’autre part. L’association parait naturelle. L’explication du jeu est si évidente. Et pourtant, ce jeu qui coule tellement de source n’existait pas encore. C’est toute la force de l’ami Wolfgang.

Pour qui voudrait chercher la petite bête thématique, évidemment, l’adéquation n’est pas si parfaite. Cette histoire d’élixir totalement improvisée a du mal à convaincre. Comment diable un guérisseur expérimenté, même sénile et à moitié amnésique, pourrait-il être assez négligent pour mélanger tous types de produits dans un unique contenant opaque ? Assez inconscient pour déverser dans le pot sans trier le bon grain de l’ivraie ?
Malgré cela, il y a des efforts pour faire coller l’ensemble, et on se laisse faire avec complaisance. La piste en spirale est relativement évocatrice, et l’enrobage global, sans éviter vraiment les sentiers battus, inspire la sympathie.

 

CommentairesQUEDLINBURG

Nichée au pied d’un imposant piton rocheux sur lequel se dresse son château et son église abbatiale, cette petite ville de la région Saxe-Anhalt en Allemagne compte aujourd’hui un peu plus de 20 000 habitants. Ses ruelles sinueuses bordées de maisons à colombages donnent une assez fidèle image de bourgade du Moyen-Âge.

Si château et vieille ville appartiennent depuis 1994 au patrimoine mondial de l’UNESCO, on n’y recense en revanche aucun festival de jeu ni prix international majeur.

 

Le très didactique compteur de manches

Sûr d’être téméraire ?

On reconnait bien le vrai château

 

De l’aléa ras la casserole

Il convient à ce stade d’alerter les allergiques : le facteur chance y est ouvertement pour beaucoup dans le résultat final. Assez logique s’agissant d’un stop-ou-encore, mais en l’espèce, ce ne sont pas moins de 3 mécaniques aléatoires qui se combinent :

  • Les tirages du sac constituent le gros du morceau. Outre la réussite liée au fait d’extraire rapidement ou non les fameux jetons « claque-doigt », certains effets d’ingrédients dépendent directement l’ordre de sortie. On a beau avoir tout misé sur un joli combo orange-rouge, si les citrouilles arrivent à retardement, l’effet ne s’applique pas. Par ailleurs et contrairement à d’autres jeux de bag-building, le sac n’est pas vidé avant d’être rempli à chaque début de manche : un jeton puissant acquis à grands frais peut donc passer la partie à ne pas voir le jour.
  • Le jeu comporte également un dé bonus. Comme son nom l’indique, sa fonction consiste à choisir pour le joueur, le cas échéant, la nature du bonus qui lui revient. Or, toutes les faces sont loin de se valoir (2PV c’est deux fois mieux qu’1PV, selon le dicton) et encore moins en fonction du moment de la partie. La face « goutte » est autant appréciée en début de partie que nulle et non avenue en dernière manche.
  • Dans une moindre mesure, certains des effets des cartes divinatoires sont hasardeux. Il s’agit d’un événement révélé au début de chaque tour, et dont l’effet s’applique à tous. Mais selon la situation, il peut clairement arranger certains et/ou léser d’autres. Le tout sans aucune anticipation possible d’aucune sorte.

 

Cette forte présence du hasard est légèrement contrebalancée un système de « bouteille » joker. La bouteille permet de retourner dans le sac le dernier jeton pioché. Elle est à usage unique et ne peut évidemment pas être jouée pour prévenir une explosion. Mais elle apporte un soupçon de contrôle et de choix bienvenu, d’autant qu’elle peut être rechargée moyennant ressources.

Une potion goûtue

Le macaron du Kennerspiel est relativement trompeur : Les Charlatans de Belcastel n’est pas un jeu particulièrement destiné aux « connaisseurs » et encore moins aux « experts ». Au dela de ce que sa sémantique peut évoquer, cette catégorie du prix effectue manifestement le grand écart. Et il se trouve qu’on est simplement ici face à un des titres les plus légers jamais récompensés. Isle of Skye parait jouer un cran au-dessus, et seul Broom Service fait office d’équivalent approximatif en terme de calibre. On navigue donc à la lisière entre le familial et le familial « plus ».

Toujours est-il que pris comme tel, l’ensemble fait très bien le boulot. Malgré le manque de maîtrise certain et les gros moments de frustration qu’il inflige régulièrement, l’excitation du péril est là, l’espoir de se refaire avec un gros coup s’entête à persister. C’est plus fort que vous.

Il y a plusieurs façons de mal jouer. Au premier rang de celles-ci, braver les probabilités (« vas-y j’ai 3 chances sur 5 d’exploser mais je le sens bien ») paye rarement. A l’inverse, il n’y a pas de martingale et assez peu de prime à l’expérience. Les ingrédients peuvent présenter des synergies entre eux qu’on anticipera mieux après une ou deux parties, mais sans trop de garanties qu’elles prendront effet.

 

CommentairesMANDRAGORE

Plante vivace de laquelle émergent de petites fleurs (1 à 3cm de diamètre) campanulées violet pâle, sa racine de forme anthropomorphe est à l’origine de bien des fantasmes et croyances. Ses propriétés narcotiques, toxiques et dangereuses ont supplanté, aujourd’hui, son aura magique.

Donc soyons clairs : non, la fumer ne fait pas gagner des PV. Seul l’usage externe peut en réalité s’envisager. Appliquée en cataplasmes, elle soulagerait les rhumatismes et l’arthrite pour jouer dans de meilleures conditions.

 

Le suspense est quant à lui préservé par un énorme système de catch-up, dont l’ergonomie est astucieuse : ces queues de rats qui émaillent la piste de score ne sont pas tout à fait innocentes. La balance induite est subtile : certes, partir en tête est temporairement contre-productif. D’un autre côté, un retard supérieur à quelques points à l’aune de la dernière manche oblige à prendre des risques. Risques qui conduisent selon toute vraisemblance à l’explosion.
En cours de partie, les effets malus de celle-ci sont pourtant plutôt bien dosés. Ils s’avèrent suffisamment punitifs pour faire une différence. Pour autant, une à deux explosions dans la partie ne sont pas nécessairement éliminatoires.

On pourra lui reprocher une interaction réduite à la portion congrue : on joue surtout le nez plongé dans son propre caquelon. Au-delà d’un ingrédient particulier dépendant des voisins, seul le système de bonus accordé à la plus grosse potion du jour encourage la surveillance adverse.
Le renouvellement s’annonce quant à lui honorable, avec des effets d’ingrédients interchangeables d’une partie sur l’autre, et une intéressante variante pour l’effet « goutte » au dos du plateau.

Somme toute, le titre semble destiné à une session détente sans grosse prise de tête, ou à une tablée avec différents niveaux. Il marche notamment bien avec des enfants qui conservent toutes leurs chances face à n’importe quel adulte. Familial, qu’on vous dit. Les informations éditeur officielles indiquent 10 ans, mais concrètement, ça peut passer à 8-9 ans, voire même 7-8 ans pour les spécimens biberonnés au Splendor.

 

 

Un jeu risqué du flamboyant Wolfgang Warsch Illustré par Dennis Lohausen
Edité par Schmidt Spiele (VO) et distribué en VF par Pixie Games Pays d’origine : Allemagne
Date de sortie : 2018
De 2 à 4 joueurs
Durée constatée : 60 min
Officiellement à partir de : 10 ans
Prix constaté : 35€

 

 

 

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3 Commentaires

  1. TheGoodTheBadAndTheMeeple 30/04/2019
    Répondre

    C’est franchement le seul bon stop ou encore edulcore que j’aime. Et je perds tout le temps, mais ca se joue bien.

  2. RoulioLombric 05/05/2019
    Répondre

    ça a été le jeu le plus joué lors de ma semaine « gite ludique » avec des amis (de tous profils), et achat immédiat pour 1 des « gros » joueurs présent et 1 joueur plus occasionnel. Facteur chance en effet, il est indispensable de prévenir les joueurs en début d’explication de règle. Mais c’est très frais, tout le monde se prend au jeu, il y a mine de rien de l’ambiance. Une belle réussite selon moi.

  3. Actarus83 28/10/2019
    Répondre

    Bonjour,

    J’ai eu de la chance d’essayer ce jeu qui était excellent.

    Surtout les cartes divinatoires qui peut nous pénaliser ou nous booster en fonction de notre stratégie de jeu.

    Par contre, j’aurai une question d’un de ces cartes dont l’effet est » piochez 4 jetons de votre sac et changer là au supérieur directement sinon piochez un jeton vert » quelque chose comme celà.

    Mais quand on pioche une citrouille de 1, est-ce qu’on peut l’échanger avec la citrouille de 6?

    Merci et bon jeu

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