Ironwood : croiser le fer et faire feu de tout bois
Ironwood de Maël Brunet et Julien Chaput est la dernière sortie de Mindclash Games, un éditeur reconnu depuis la sortie de Trickerion pour ses gros jeux experts : Anachrony, Voidfall, The Revenant, etc. On ne l’attendait pas sur un jeu à deux d’affrontement asymétrique. Le genre de jeux qui sort de ma zone de confort, c’est pourquoi je me suis rendu dans ma boutique pour me le procurer ! Ironwood est en effet localisé chez nous par Super Meeple.
Une guerre entre deux factions que tout oppose…
Dans les montagnes, les puissants Cuirassés, constitués de jetons en métal bien lourds, ont pour objectif de construire trois forges pour l’emporter. Face à eux, les Rôdeurs, à l’extérieur de la forêt, pénètrent dans les sous-bois à la recherche de grands Totems. Quand ils en ont ramené trois, ils gagnent la partie.
Ces deux factions proposent un gameplay très spécifique avec leur propre deck de cartes. Après avoir remporté quelques cristaux et enrichi sa main, chaque manche se joue en alternance, chacun posant ses cartes à tour de rôle. Chaque faction possède son deck de 38 cartes, toutes différentes ou presque. Ce qui pourrait entraîner beaucoup de hasard, d’autant que chaque faction a besoin d’effets bien particuliers suivant ses objectifs, d’un côté pour trouver les Totems grâce aux visions et de l’autre pour construire les fondations, permettant ensuite d’ériger les forges. Mais pas de panique, chaque faction possède trois cartes de base (marquées d’une étoile) qui ne sont jamais réellement défaussées, elles nous reviennent en main à la fin de la manche : c’est une astuce de game design maline, procurant toujours un minimum de contrôle sur la suite des événements.

cartes de base
Faire feu de tout bois
Ce sont les Rôdeurs qui entament la manche, ils démarrent à l’extérieur des forêts (sur le pourtour externe du plateau commun) et vont se déplacer afin d’arriver en surnombre pour combattre les Cuirassés, et surtout trouver leurs jetons (en bois) Totems. Ils peuvent aussi faire des raids en mode guérilla sur les Cuirassés pour les affaiblir et surtout leur voler leurs précieux cristaux.

Les rôdeurs
Nos Rôdeurs ont des cartes vision qui leur indiquent où se trouve un Totem, mais pour pouvoir s’en emparer ils devront déjà contrôler le lieu et détruire (ou éloigner) les Cuirassés de la zone. Une fois tout cela fait, ils devront ensuite extirper le Totem de la forêt en créant une sorte de chaîne, une mécanique de pick and delivery (transport de marchandises) en quelque sorte. Le jeton Totem s’affaiblit à la fin de la manche (on le retourne), puis disparait la suivante (on le retire), il ne faut donc pas trainer !

carte vision
Croiser le fer
Du côté des Cuirassés, le gameplay est différent, ils ne se déplacent qu’en escouade de montagne en montagne, pour construire des fondations et des forges en dépensant cinq cristaux. Leur plus gros souci reste la production de ces cristaux, et, pour cela, ils ont une grosse foreuse qui en extrait à chaque déplacement. Le problème ? Celle-ci n’a aucune défense, il faut donc la protéger. De plus, les cristaux sont placés dans sa benne et ne sont pas disponibles tant qu’elle n’est pas revenue à une forge. Elle est donc à la merci des Rôdeurs qui peuvent la détruire et piller le précieux chargement (en fait, ils ne volent qu’un seul cristal, le reste est perdu, mais ça reste violent). Des cristaux qui sont bien utiles pour produire de nouvelles troupes à la fin d’une manche.

Les cuirassés
Les escarmouches
Qui dit jeu de contrôle de territoire, dit affrontement. Ceux-ci sont déclenchés par le mot-clé « attaque ». Chaque belligérant va alors jouer face cachée une carte pour déterminer ses valeurs de force, de défense et de domination. Simple !

Résolution des combats
Une fois révélées, on applique simplement les pertes. La force inflige un dégât, un bouclier en bloque un. Simple, on vous dit ! Après la rixe, on compte les forces en présence restantes sur le plateau pour déterminer les points de domination, plus celles sur les cartes jouées. Le gagnant oblige le vaincu à faire une retraite et il choisit où il se rend. Évidemment, il abandonne la foreuse d’un côté, ou le Totem de l’autre.
C’est donc très épuré comme règle de combat, tout en laissant un choix important. On ne peut pas gagner sur tous les tableaux, les cartes sont ainsi faites que l’on peut infliger beaucoup de dégâts mais on aura peu de protection et peu de domination. De plus, la carte jouée en combat ne pourra plus l’être pour son effet. Il peut ainsi y avoir une dimension bluff intéressante, surtout pour le Rôdeur qui joue avec des cartes visions : il peut laisser croire qu’il s’attaque à un lieu pour mieux en affaiblir un autre. Dans les combats, on peut toujours utiliser une de nos trois cartes de base si on ne souhaite pas se débarrasser d’une de nos autres cartes, mais évidemment, elles sont un peu plus faibles.
À la carte
Avec 38 cartes quasi toutes uniques par faction, le jeu est difficilement prévisible, vous ne savez jamais ce que votre adversaire mijote, ce qui offre une belle tension et des choix parfois déchirants. Vous pensiez gagner en extirpant le dernier Totem ? Raté, votre adversaire joue un leurre qui vous oblige à vous déplacer et à réaliser une attaque sur sa forteresse bien défendue avec force troupes et golem. Pas cool si vous êtes en sous-nombre.
Certaines cartes ont des effets de zone et peuvent affecter vos déplacements pendant toute la manche, ou bien agir pendant un certain temps, comme Fumées Toxiques qui génère un nuage de fumée qui va bloquer les troupes présentes sur la forêt durant toute la manche. Plusieurs cartes d’attaque vont nous donner un bonus si on gagne le combat : recruter une nouvelle troupe, gagner des cristaux, etc. Un moyen intelligent de nous pousser aux combats, comme la règle des égalités qui favorise l’attaquant.
Tous ces effets vont créer de la vie dans la partie, les mauvais coups sont légion, et il faut le savoir, ça peut faire couiner ceux qui aiment le contrôle absolu ! À moins de connaître toutes les cartes par cœur et de retenir toutes celles déjà jouées, on n’est jamais à l’abri de mauvaises surprises au coin du bois !
L’équilibre en question ?
Après plusieurs parties, je dirais que les Rôdeurs sont peut-être plus faciles à prendre en main, mais je ne dirais pas pour autant qu’ils sont plus forts. Ils ne produisent qu’un cristal par tour, ont donc un peu de mal à produire des troupes mais compensent cela par leur forte mobilité et peuvent attaquer Ferrum (le centre du plateau) pour y voler des cristaux, il vaut donc mieux la protéger en tant que Cuirassés.
Les Cuirassés ont quelques avantages, à commencer par les unités Golems, plus résistantes. La partie avançant, leurs forges deviennent de véritables places fortes. De plus, ils peuvent gagner plus facilement des cristaux qui leur permettent la construction des forges mais aussi d’unités.
Que ce soit d’un côté ou de l’autre, une condition de victoire va se réaliser en deux temps, par exemple le Rôdeur doit jouer sa carte vision pour révéler le Totem et ensuite le tour prochain (ou un autre tour), il devra le déplacer. Par conséquent, ça laisse toujours du temps à l’adversaire pour réagir et tenter de le stopper. Après plusieurs parties, je n’ai jamais vu de situations où une faction écrase l’autre, ça se joue plutôt à une condition de victoire près, sur le fil.
C’est bon, même pour moi
[Petit aparté] Comme je l’évoquais plus haut, j’ai un profil plutôt eurogamer, et, si j’aime l’interaction, je n’aime pas qu’on vienne brûler la terre de mes ancêtres (écoutez le podcast des indisciplinés pour comprendre). Pour autant, quand l’univers ou le thème me séduit, je peux me laisser aller à des jeux de ce type, comme Unmatched ou Dune Guerre pour Arrakis, que j’ai découvert il y a peu de temps et que j’aime beaucoup. [/Petit aparté]
Dans Ironwood, les combats ont une raison prosaïque, on ne cherche pas juste à contrôler un lieu, mais on le fait pour avancer sur notre objectif de victoire ou pour contrer celui de l’adversaire. De plus, ils sont dynamiques, pleins de surprises et de tension, on joue parfois avec la boule au ventre, scrutant fébrilement les actions de notre adversaire. Que nous prépare-t-il, est-ce qu’il peut nous contrer ?
Le jeu est « facile » à prendre en main, la structure du tour est claire, même si les règles ne sont pas exemptes de tout reproche. Par exemple, on n’a pas compris du premier coup que la retraite était faite au choix du joueur gagnant, ce n’est pas quelque chose de commun et ça manque un peu d’exemple ou de précisions dans le livret.
L’édition est somptueuse, à commencer par les cartes illustrées par Qistina Khalidah (son deviant art), qui a déjà officié sur Dark Tower, sans oublier le travail de Villő Farkas, qui reste la directrice artistique chez Mindclash.
Cette asymétrie matérielle confère un aspect de luxe qui pourrait sembler “too much”, mais, en vérité, on en a pour son argent (60€). Je pense que cela n’aurait pas le même impact si on utilisait des jetons en carton. À mon sens, cela sert pleinement le jeu et sa “narration” (mention spéciale aux Cuirassés en métal, ça claque !).
On questionnera la lisibilité du plateau, pas forcément évidente de prime abord, ou la différence entre Fondation et Forge qui ne saute pas aux yeux lors des premières parties. Je ne suis pas un joueur soliste, mais je me dois de mentionner l’existence de deux modes solo (un par faction) signés par David Turczi et Xavi Bordes Aymerich.
Ironwood est un jeu qui sort complètement de ma zone de confort de joueur, mais qui m’a réellement séduit pour sa proposition tactique et tendue tout en restant accessible. Les buts des factions sont clairs et les nombreuses cartes offrent des situations surprenantes, quelle que soit le camp joué. Tout cela dans un temps maîtrisé (compter 45 à 60 min). Allez, je retourne dans les sous-bois croiser le fer et faire sentir la poudre à mon adversaire !
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