D’orge et de blé : ni stout noir, mie tout blanc

Voilà le beau temps qui revient. On se ferait pas un p’tit apéro dans le jardin ? Oui. Allez, un saucisson, du fromage avec une miche de pain. Et pour boire ? Une bonne bière bien fraîche. On n’est pas bien là ? Et rien que des produits faits avec amour. La bière aussi. Comment ? Ah là, il faut que je vous explique…

 

Plus direct en vo, plus discret en vf

 

J’avoue que si la belle couverture signée Michael Menzel donne envie de s’attabler avec ce couple sympathique, elle ne donne pas le ton. Si le jeu n’est pas vraiment un jeu d’affrontement, les deux artisans que nous sommes vont bien tenter d’arracher la victoire via la fabrication de pain ou de bière, mais en aucun cas cela ne finira par une histoire d’amour ou d’amitié.

À l’instar de la couverture, le plateau propose un décor champêtre où il fait bon vivre, un village entouré de champs, partagé par une rivière. Un cours d’eau bien pratique puisqu’il sert de séparation à l’espace des deux joueurs, et de matière première. Chaque artisan a donc devant lui une boulangerie et une brasserie. Pas de division des tâches, tout le monde sait tout faire. Ils possèdent également une grange, afin d’y stocker un certain nombre de ressources. Des fenêtres situées sur le bas du plateau sont prêtes à accueillir des améliorations. Les champs donnent les éléments nécessaires, blé, orge, seigle et houblon, symbolisés par plus de 80 pions en bois, et se poursuivent en espace de troc selon le calendrier des récoltes.

La partie durant six années, on risque de prendre du ventre, mais pas tant que cela, puisque les périodes fructueuses alternent avec la sécheresse et la disette. Une simple pirouette qui permet de jouer différemment.

 

Plateau du jour

 

Les années avec, les années sans…

Que ce soit un type d’année ou un autre, le déroulement de la manche suivra le même ordre. D’abord on sème (on ne s’aime pas, je l’ai dit). Il suffit de lire la piste du calendrier pour savoir ce qui est disponible durant cette année. Le logo vert donne, le logo rouge donne beaucoup moins. On passe ainsi de 7 denrées à 5, de 8 à 4 etc… Suit une phase de pioche et de jeu qui, comme évoqué, varie selon la manche.

 

Méchants mes champs, ils ne donnent rien

 

Année fructueuse donc avec son blé qui explose et ses terres riches. Cette année, comme la 3 et 5, est articulée selon un principe de draft. On pioche 5 cartes, on en joue une et on donne le paquet à son adversaire. L’année de sécheresse ne se joue pas en draft. On reprend nos cartes utilisées pour la récolte de ressources de la manche précédente, et on complète à 5. Une autre différence, c’est le troc avec trois cartes disponibles situées au bout du champ. Avant de jouer, vous pouvez effectuer un échange. Attention juste de ne pas poser une carte qui peut intéresser votre adversaire. C’est  la période la plus intéressante du jeu, celle où on a un peu plus de contrôle sur le déroulement. On connaît sa main, une partie de celle de son adversaire si on a de la mémoire, et on voit les cartes disponibles. On a plus d’informations à disposition, ce qui permet plus aisément d’échafauder un petit plan d’action.

Les deux années se terminent en regardant qui a le moins de ressources. Le pauvre hère devient premier joueur.

 

Qu’est ce que je vous sers ?

 

Les cartes à tout faire

 

Le jeu comporte 60 cartes représentant soit une miche de pain, soit une chope de bière. Il y a trois types de pain de prix croissant (ne pas confondre avec une viennoiserie hors de propos), et trois types de bières qui suivent la même hiérarchie. Une carte est divisée en trois parties. Le haut affiche les ressources qu’on récolte en jouant la carte (section récolte). Une mécanique amusante permet d’additionner les ingrédients identiques à la récolte de base. Attention tout de même à ne pas en prendre plus que le stockage vous le permet, vous seriez obligé de les offrir au voisin. Idem sur le nombre de ressources dans les champs, on ne vous remboursera pas la différence. Quand il n’y en a plus, tant pis pour vous.

 

Nous basant sur la récolte en cours (carte du bas) nous aurons 3 eaux et 2 blés

 

Une carte comporte également une recette : une ardoise annonçant les composants utiles à la fabrication du produit. Plus la recette demande des ingrédients, plus le produit rapporte de points. Et tout en bas, l’amélioration qu’elle prodigue si la carte n’est pas jouée en tant que recette ou récolte. On peut avoir plusieurs améliorations. Elles sont groupées par famille concernant la phase de pioche, la collecte des ressources, le stockage, ou la fabrication. Sans oublier les bonus de fin (avoir vendu les trois types de pain, posséder des cartes de 8 points…). Elles ont une seconde utilisation, elles valident les recettes réalisées en les enlevant de la boulangerie et/ou de la brasserie, afin de libérer l’espace pour la suite. La gestion du jeu s’opère ici, à regarder ce que prend le voisin, ce qui reste de disponible, et si on utilise nos cartes comme recette ou amélioration.

 

Les améliorations par famille

 

L’auteur pousse le joueur encore un peu plus loin dans ses obligations et sa réflexion. Sauf effet spécial, une boulangerie et une brasserie ne peuvent contenir qu’une seule recette. Il est impossible de reposer une carte si l’endroit n’est pas libre. Quant au décompte, quand on additionnera les points des recettes, c’est la plus petite somme des deux produits qui sera prise en compte. Pas la peine de s’exciter à monter une seule denrée à fond, ça ne sert à rien, il faut équilibrer.

 

L’amour du travail bien fait ?

Scott Almes est un auteur prolifique, surtout connu pour sa gamme des Tiny Epic, qui approche la quarantaine de titres si on inclut les versions Deluxe et les extensions. Son amour des brasseries l’aura amené à créer ce D’orge et de blé nous dit la petite histoire.  

 

Seulement en face sécheresse : le troc

 

Le jeu a de l’allure. Le plateau, les ressources qui s’accumulent dans la zone de champs, la rivière regorgeant de gouttes créent un décor dans lequel on a envie de se promener. Si l’affrontement n’est pas direct, on ne joue pas non plus dans son coin. Entre le draft, la possibilité du troc, et le blocage par l’épuisement des ressources (plus vrai en phase sécheresse), le jeu crée l’interaction indirecte. Nous sommes plus ici sur un jeu d’adaptation avec un timing, plus qu’un développement de stratégie, les divers éléments doivent être en place au bon moment pour que ça se déroule sans accrocs. Tout en observant le voisin et ses envies, si en passant on peut le freiner, c’est cadeau ! La règle, sa mise en place, se veulent simples. Il se dégage pourtant un sentiment de jeu touffu avec une gestion de main complexe pour jongler comme il faut entre les différentes propositions de la carte. Il faut selon les phases, gérer ses prises de ressources, ses recettes, et déclencher les améliorations, le tout en rythme pour ne pas galérer car il manque un pion de houblon ou d’orge, faisant perdre un tour à essayer de se rattraper. Il faut avoir une idée de ce que l’on cherche et de l’ordre dans lequel on va poser nos cartes. Un ordre qui peut être chamboulé si le voisin prend la dernière ressource ou, au contraire, vous en offre. Il est dommage de trop stocker, tout comme il est dommage de sacrifier une « bonne » amélioration pour en faire une recette. Il faut avoir les yeux partout et voir sur l’ensemble, pas au coup par coup. En théorie.

 

Un entrepôt plein à craquer malgré ses extensions

 

Car en réalité, tout ce que je viens d’énoncer est peu réalisable, ou du moins pas dans son ensemble. Oui, on peut regarder ce que cherche le voisin et tenter de le bloquer en s’emparant des ressources, mais va-t-on sacrifier sa propre demande pour le freiner ? Oui, on peut, d’une manche fructueuse à une époque de disette, se souvenir des cartes jouées par l’adversaire et savoir ce qu’il attend. Là, il faut avoir pris option mentaliste au Bac. La vérité est que ce jeu est une course pour faire du point, et que six manches c’est extrêmement court. Alors, on fait moins attention à ce qu’on laisse, et on essaie surtout d’optimiser de son côté. On ne se gavera pas si le stock adverse est vide, mais de là à ne pas lui donner une ou deux ressources, on ne peut pas tout contrôler. Il faut aussi faire attention aux bonus de fin, indispensables. La victoire s’arrache à peu de points.

L’auteur du jeu connaît le boulot et le détournement de mécaniques, l’ajout de détails ou micro règles pour faire du neuf avec du vieux, il maîtrise, on en a un bel exemple dans ses récents Almanac (Les sommets cristallins/dragon road). Si les mécaniques sont bien pensées, le jeu a aussi un côté paillettes. Le fait d’alterner période faste et disette est une bonne idée, le draft qui alterne avec l’échange, n’est finalement que le même principe appliqué d’une façon un peu différente. Le hasard donne des cartes que l’on s’échange, que ce soit entre joueurs ou avec l’espace troc. Idem sur le fait de réutiliser des cartes. Oui l’idée ajoute un plus en théorie mais à réaliser c’est beaucoup moins évident. Il faut penser à la carte pour le tour, en imaginant ce qu’elle fera à la manche suivante et que les ressources seront présentes. Pourquoi pas, sauf que là encore, n’ayant pas un contrôle total sur ce qui arrive, il est difficile de gérer. La présentation des cartes et leur division, au cœur du jeu, crée le questionnement, mais pas tant que ça. On s’aperçoit que lorsqu’on peut valider une carte, on le fait (en respectant l’équilibre final bien sûr). Tout cette débauche de directions à prendre sur le papier et qui rend le jeu attractif est beaucoup moins maîtrisable dans le concret.

 

Petite coquetterie, le plateau nuit

 

Le jeu au final brasse beaucoup pour un résultat mitigé, et nous laisse sur sa faim. Sa durée n’est pas assez longue, et le jeu pas assez profond pour prendre corps. Voilà un titre sur lequel on se sera attardé plus que de raison, car quelque chose nous échappait. On avait du mal à croire à ce déroulement en dents de scie. Certaines de nos parties se sont déroulées avec une fluidité relative. On ne faisait pas ce qu’on voulait, mais on parvenait à retomber sur nos pieds. Certaines ont été poussives, toujours une ressource qui manque, des cartes récolte qui ne collent pas et finissent en amélioration, par dépit. La faute au tirage ? Huit parties plus tard, c’est la possibilité d’articuler toutes les mécaniques qui coince. On a beaucoup pesté sur le fait d’être bloqué par le jeu. Et aucune partie n’a été réellement satisfaisante.

D’orge et de blé porte en lui un peu de Rosenberg avec ses cartes à trois choix, un peu de Knizia avec ce décompte particulier qui empêche de foncer sur un produit. Mais il manque une finition qui fait passer le titre d’exercice de bon élève au niveau d’œuvre créatrice. Bien pensé mais trop inégal.

 

 

LUDOVOX est un site indépendant !

Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :

Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :

acheter d-orge et de ble sur espritjeu

2 Commentaires

  1. AtomChris 03/12/2023
    Répondre

    Ah Ben ça fait plaisir de reprendre le temps de jouer et de se documenter… Pour bien commencer, je cherche les derniers articles de Morlock et ceux qui traitent de jeu qui m’avaient tapé dans l’oeil. Et Bim ! Au fil de ma lecture, les mots illustrent la pensée honnête de son auteur et donnent confiance. D’orge et de Blé dont je préfère le titre dans sa VO ne rejoindra donc pas la ludothèque a contrario de Sawhari qui pourrait y faire un tour même si je connnais déjà les premiers mots d’AtomVal « On croirait Five Tribes dans la mise en place et l’univers » ; ce qui soit dit en passant est de bon augure.

    • morlockbob 03/12/2023
      Répondre

      Merci AtomChris 🙂  Comme tu n’es pas un débutant, je reviens juste sur le fait que Sahwari sera pour toi plutôt familial. Tout dépend évidemment ce que tu cherches. Et, bienvenue puisque te voilà, back in the game !!!

Laisser un commentaire