Windmill Valley – Peins ces tulipes en rouge !
J’ai une relation compliquée avec les jeux de Board&Dice. Cet éditeur polonais, entité regroupant les équipes de NSKN Games et Board&Dice, produit des jeux à l’allemande – des eurogames, dira-t-on, tous les ans. À chaque fois, un petit buzz, et puis le jeu retombe comme un soufflé pour moi ; je peine à avoir envie de rejouer à Tekhenu et ses mini-jeux, à Teotihuacan et ses ouvriers qui vieillissent, ou Tiletum et son plateau très ouvert. À chaque fois, je me dis qu’il y a de l’idée, que c’est pas mal, mais qu’il y a un peu trop, ou un peu pas assez, mais que ça ne convient pas à mes goûts. Et puis j’y reviens, à chaque fois, par curiosité, par goût pour les eurogames.
Et paf, Windmill Valley, par Dani Garcia, l’auteur de Barcelona, que j’avais bien aimé.(nous en parlions dans cet article). On va planter des tulipes et gagner des florins… pourquoi pas ?
Un gros plateau personnel
Chaque joueur dispose de deux roues d’action. Chaque tour, on tournera l’une des roues (la gauche !) dans le sens horaires et l’on effectuera l’une des deux actions pointées par des flèches. Les roues étant crantées, l’une entraîne l’autre, sachant bien évidemment que les deux roues n’ont pas le même nombre d’emplacements et que vous finirez invariablement par dérégler vos plans (six étapes pour la grande, cinq pour la petite). Et ces roues sont faites pour accueillir des améliorations. Miam miam miam, le planificateur et l’opportuniste en moi se frottent les mains ! Mais ce n’est pas tout, un autre plateau viendra accueillir votre entrepôt et vos plantations de tulipes et vos moulins et vos florins et vos saisonniers et vos contrats. Tout ça !
On se dit que beaucoup du jeu aura lieu sur notre plateau personnel et on aura en partie raison… mais pas tout à fait : il y a également un immense plateau principal avec des rivières d’améliorations et de cartes, et les endroits de la vallée sur lesquels l’on placera nos moulins pour des bonus. Et on le verra, difficile de l’ignorer.
La partie est rythmée par le tour de votre roue d’action. Après une révolution complète, vous progressez et au bout d’un moment, vous mettez fin à la partie, avec un bonus à chaque tour de roue (et un avantage au premier). Cela vous empêchera de faire trop d’actions, mais surtout vous posera des questions… vous avez sept moulins, et seulement quatre actions pour les construire : comment parvenir à tous les faire ? C’est là où des actions bonus viendront s’insérer pour vous permettre de faire plus.
Votre tour commence par une décision : garder l’accélération imprimée par le joueur précédent, la réduire ou l’augmenter. L’augmenter coûte des florins, mais vous pouvez gagner des points par ce biais… et ensuite vous tournez votre roue d’un à trois emplacements. Ceci vous donnera accès à plusieurs actions principales et d’autres, en fonction des améliorations choisies.
Les actions principales sont poser un moulin vous permettant de collecter divers bonus de placement mais valorisant des couleurs de tulipes plantées chez soi, de prendre une carte à placer comme un bonus (Saisonnier) ou un contrat à valider pour des points (Contrat), de prendre une amélioration pour sa roue, d’aller au marché pour récupérer des tulipes ou des actions de plantation bonus, de planter des tulipes de son entrepôt dans ses parcelles, de dépenser des tulipes au commerce extérieur pour avoir des bonus, ou enfin de faire baisser le niveau de l’eau pour des florins ou des points.
Pas pour les ramollos du bulbe
Se projeter sur les roues n’est pas si simple, surtout que celles-ci évoluent de tour en tour, et demande parfois de cruncher un peu, de réfléchir, d’autant que des bonus arrivent en cascade avec certains saisonniers. Certaines actions (le marché, le commerce extérieur) peuvent aussi causer quelques nœuds au cerveau, car pleines de tiroirs : comment déclencher l’action, quels bonus récupérer et dans quel ordre s’avéreront cruciaux pour une bonne optimisation. Et dès que vous commencez à améliorer vos roues, le puzzle change, les actions prennent encore en complexité : vous pouvez faire cette action sous-optimale pour vous, mais elle vaut quelques florins… ou alors vous payez pour faire cette action meilleure mais cela vous privera d’une autre, précipitant la fin de la partie.
Qu’on ne se trompe pas : Windmill Valley relève du jeu de tempo et d’optimisation : il n’y a pas de place pour de la thésaurisation forcenée. Vous devez aller vite et fort pour récolter et planter des bulbes de tulipe, et bien surveiller vos adversaires. Car précipiter la fin de partie peut être une opportunité vraiment intéressante pour peu que l’on se pense en avance. Dès lors, séquencer son jeu devient important, car l’on voudrait tout faire. Bien construire ses moulins pour valoriser des fleurs dans ses champs, aligner ses tulipes pour gagner plus de points, accélérer son moteur… Windmill Valley joue une partition délicate avec de la création de moteur mais aussi beaucoup de tempo à réfléchir, et un peu de conquête de territoire. De conquête de territoire, oui, car les emplacements des moulins à vent sont chers, et que si vous partez du village en vous étendant comme de coutume et que d’aventure vous traversez des moulins adverses, hop, ça fait bouger les PV. Ces bonus peuvent sembler négligeables mais non content de vous offrir des actions bonus, les moulins placés valorisent aussi certains types de fleurs. Windmill Valley combine ainsi sa vision long terme (le scoring de fin) avec la vision court-termiste d’acquérir des petits bonus, des carottes qui viennent fluidifier l’aspect moteur qui inévitablement tapera dans les limites du jeu. Combiner les deux demande une certaine finesse qu’il est difficile d’avoir sur la première partie, mais qui saura récompenser.
En effet, les scorings de fin ne sont pas à négliger avec des points pour la diversité de nos colonnes de plantation et l’uniformité de nos lignes. Facile à dire, plus dur de se dire qu’on va y renoncer : la tentation de beaucoup planter, quitte à ce que l’ordre soit rompu, est là ; si vous ne cédez pas, ce ne sera peut-être pas le drame, mais en tout cas, sur les parties suivantes, je crois que j’aurais envie d’essayer de planter le plus vite possible au mépris des schémas. À voir ce que cela pourrait donner !
Tulipe pas fanée
En termes de sensations, on retrouve une certaine ouverture qui pourrait rappeler Tiletum : on a beaucoup à faire et peu à peu le jeu se referme pour valoriser les choix des joueurs et joueuses. Certaines actions deviennent obsolètes au cours de la partie lorsque vous les avez trop faites ; la possibilité de les recouvrir, ou de choisir l’action adjacente, est intéressante. Mais dans cette ouverture, il y a aussi une confusion qui émerge lors de la première partie. Impossible de savoir où donner de la tête, tant tout semble important.
On aurait envie de ne jamais progresser avec sa roue, mais il faut le faire. Et les ressources sont trop rares pour qu’on se permette de dépenser ses florins ou son temps à mauvais escient (j’ai plusieurs fois pensé en jouant à Darwin’s Journey et son économie, bien que ce jeu-ci soit bien plus doux et positif quand Darwin’s Journey vous renvoie à votre impuissance). Mais si l’on s’accroche, Windmill Valley propose une expérience d’optimisation plutôt ouverte, plutôt généreuse, où tout semble à portée de roue. Et le tout dans un temps plutôt court, qui laisse juste ce qu’il faut de temps au développement et juste ce qu’il faut à l’opportunité : en bref, un design qui tire parti du meilleur des deux mondes, et avec cette emphase sur le tempo qui ravira tout eurogamer ou même eurotrasher.
Est-ce que ça m’aura réconcilié avec les jeux Board & Dice ? Pas plus que ça, malheureusement : je crois que c’est presque un désaccord fondamental sur le game design qu’ils choisissent de publier qui nous sépare. J’aurais sans doute aimé un petit peu plus de gras, quelques moments où l’on sent qu’on brille fort (comme l’accomplissement de l’équipage de Darwin’s Journey) et quelques actions moins alambiquées et artificielles (le marché). J’aurais aimé que le jeu soit moins pâlichon dans son approche du thème, moins plaqué, plus audacieux dans le propos. J’ai toujours cette impression de jeu expert pas mal mais pas incroyable. Mais est-ce que je condamne Windmill Valley pour autant ? Ben non. J’ai bien aimé sans avoir eu le coup de foudre, avec l’envie de remettre le couvert, ce qui est déjà une réussite en soi.
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :