Times of Empires : O tempora o mores

À tort ou à raison, je regarde avec un grand intérêt et une forte curiosité la sortie d’un jeu Pearl Games. Un éditeur qui selon moi proposent des titres qui sortent du lot, un éditeur qui ose des univers et des illustrations originaux et clivants comme l’Auberge Sanglante, ou même mécaniquement comme Solenia avec son cycle du soleil et de la nuit. Avec Time of Empires de David Simiand et Pierre Voyé, la prise de risque est totale. Dans ce jeu de civilisation compétitif, nous allons jouer pendant trois âges de 9 minutes, rythmés par une application.

 

Tempus Fugit

S’il existe une mécanique clivante, c’est bien celle du temps réel, elle induit un stress important, utile au jeu. Avec Kitchen Rush, on touchait du doigt les coups de feu en cuisine, accueillir les clients et prendre leurs commandes, chercher les ingrédients dans la chambre froide, cuire et livrer le repas avant qu’il ne déchauffe (oui ça existe ^^) dans un défi coopératif. Qui dit coopératif dit coopératriche, le stress du temps peut induire des erreurs plus ou moins volontaires, que l’on acceptera avec bienveillance. 

En compétitif plusieurs auteurs et éditeurs s’y sont essayés, je pense à Galaxy Trucker où la phase en temps réel est limitée à la construction de son vaisseau. Avec Pendulum, l’auteur et Stonemaier Games ont essayé de jouer avec le temps réel et des sabliers avec un résultat très mitigé, dû principalement à une édition déficiente, une iconographie abondante, mais mal identifiée. Si cet écueil est désagréable dans un jeu sans temps réel, il est réellement insupportable dans un jeu timé. C’était donc la foire d’empoigne, et à la fin gouttant et suant, on était dans l’incapacité de savoir si l’on avait joué correctement ou bien si on s’était un peu arrangé avec les règles.

Times of Empires, édition aux petits oignons

De ce coté là, Time of Empires bénéficie d’une édition parfaite en tout point, toute l’iconographie est claire et bien identifiée. Nous n’avons que deux ressources en tout et pour tout, que l’on fait transiter de notre stock à notre réserve : les idées pour jouer des cartes, et les briques pour construire des bâtiments. Simple et efficace. Nos pions populations sont soit sur le terrain pour explorer de nouveaux territoires et guerroyer, ou sur notre plateau en tant qu’Érudit pour se placer sur le plateau des merveilles ou pour influencer un leader dans un jeu de majorité.

Au contraire d’un jeu comme Pendulum (désolé pour la balle perdue), le game design a su se limiter au strict nécessaire. Deux sabliers de 30 secondes, des jetons qui s’emboîtent afin que d’un coup d’œil on sache où l’on en est. Les cartes civilisations elles aussi sont claires et simples pour ne pas avoir à se poser de questions en jeu, même si les connaître sera un plus.

Pendant la partie vous construisez vos bâtiments, déplacez vos troupes, détruisez les troupes adverses, tentez de gagner les majorité sur les plateaux merveilles et leaders. Pas de panique, il n’y aura aucun décompte pendant la phase de jeu en temps réel, c’est quand sonne le gong au bout des 9 minutes que dure un âge, que nous allons pouvoir calmement reprendre notre souffle et passer au décompte des points, au gain des leaders etc.

 

Le calme après la tempête

Si je m’appesantis, sur tous ces éléments techniques, c’est parce qu’ils sont au service du jeu, l’application sait se faire oublier, finalement on joue sans s’en préoccuper, elle ne sert que d’intermède musical, avec des thèmes envolés collant très bien à la construction d‘une civilisation. Son d’ambiance que l’on peut tout à fait enlever si on le souhaite. Toutes les 3 minutes un cri de bébé retentit, signalant que nous avons de nouveaux érudits. Bref, elle joue son rôle à merveille, et permet de décompter les phases.

Si vous n’avez pas de téléphone portable ou que vous êtes hermétique à l’idée de jouer avec une application, l’éditeur a pensé à vous. Il est possible de télécharger les bande sons, ainsi qu’une fiche de score à imprimer.

 

 


Du temps utile

Le temps réel n’est pas qu’un gimmick, il est au service du jeu, on a un jeu de civilisation sans temps mort, donc sans constipation neuronale. Au lieu de penser à son prochain coup pendant le tour des autres, il faut réfléchir à la séquence de ses actions. je pose un sablier sur le plateau des technologies pour piocher une technologie, j’en pose un autre pour fabriquer des briques, quand le premier est vide, je le récupère afin de construire mon bâtiment/ bâtiment que je place sur un territoire que je contrôle, afin de marquer des points en fin de manche. Ce faisant je constate que mon adversaire se rapproche dangereusement de mon territoire, je pose mon sablier vide qui me permets de déplacer mes armées etc.

Qui dit temps limité dit stress, c’est vrai, mais en règle générale, on aura le temps avant de lancer le timer, d’analyser la situation et de planifier sa stratégie. À ce sujet, la règle conseille de jouer une manche sans le temps réel pour bien comprendre les tenants et aboutissants, à titre personnel, je trouve dommage de jouer à un jeu pensé avec le temps réel sans temps réel. On a préféré faire une manche à blanc pour cerner les potentialités du jeu et, une fois que tout le monde a compris le fonctionnement du jeu, démarré une partie.

N’ayant que deux sabliers vous serez au début concentrés sur votre plateau, tout en gardant un œil sur les actions autour du plateau central, majorités sur les merveilles, les leaders. Vous ne savez pas quoi faire ? Pas de panique, produisez des ressources, ça ne sera pas perdu, et pendant le temps ou le sablier se vide vous pouvez lever les yeux et réfléchir au prochain coup. Un instant d’inattention et vous découvrirez que vous avez perdu une majorité ou bien que vos troupes ont été décimées. On ne peut pas être partout, et vous allez le vivre à vos dépends.

 

 

 

Se presser lentement

En début de partie des merveilles sont placées et chaque fin de manche on gagnera des points en fonction d’une condition, par conséquent on ne s’établit pas sur le plateau au petit bonheur la chance, mais en fonction de ces éléments que l’on aura bien analysés avant de se lancer.

 

Tout est fait pour que l’on puisse se concentrer sur la stratégie, car ne pensez pas qu’il suffit de faire n’importe quoi, non, il faut réfléchir à notre planification. De même, on ne construit pas n’importe quel bâtiment, on le fait en fonction de notre stratégie, les observatoires permettent de produire plus d’idées, donc jouer plus de cartes, les briques de construire des bâtiments, les moulins de produire plus de troupes, les universités plus d’érudits etc.. 

L’interaction est bien présente, on peut perdre des troupes et même des bâtiments, mais c’est là aussi c’est pensé intelligemment. Les combats sont résolus en temps réel, mais c’est du un pour un. Quant à la destruction d’un bâtiment, elle n’intervient qu’en fin de manche, et ne donne pas de malus au joueur qui a subi le pillage, il ne perd pas sa production, par contre cela donne des points au joueur victorieux. Cela atténue la violence de l’attaque tout en offrant une vraie interaction de jeu de civilisation.

 

 

Le joueur qui a placé le plus d’érudits sous la carte merveille, gagne des points selon une condition, étant majoritaire, il gagnera deux points par condition remplie, tandis que les autres ne gagneront qu’un point, mais c’est équilibré/ compensé par le fait qu’on ne peut gagner plus de 10 PV par merveille. Les leaders donnent des capacités en jeu pour les deux premiers âges, tandis que le dernier donne des points de victoire.

 

 

Une civilisation de progrès

Si vous n’aimez pas les jeux qui vous mettent sous pression, celui-ci n’est pas pour vous, il vaut mieux le savoir, car c’est épuisant nerveusement. Certes vous pouvez jouer sans le temps, mais vous risquez de passer à côté de sa proposition ludique, alors autant jouer à un autre jeu.. Sachez aussi qu’il peut y avoir des erreurs durant le jeu, et qu’il faut donc faire confiance aux joueurs avec qui vous jouez. C’est un jeu qui demande une extrême bienveillance autour de la table. 

Dernier point et non des moindres pour bien en profiter, isolez vous, mettez vous à l’aise avec le son suffisamment fort pour l’immersion. Nous avons fait la première en association avec le son pas trop fort pour ne pas déranger les autres joueurs, mais ça n’a pas facilité l’expérience, un joueur (moi ^^) devait surveiller le timer, prévenir des “cris de bébé”. Les curieux et leurs commentaires n’ont pas non plus aidé à la concentration.

 

Vous aurez la sensation de créer votre civilisation, de découvrir de nouvelles technologies aux noms évocateurs : L’encyclopédie, Aqueduc, Médecine, Énergie nucléaire, Suffrage Universel, Impression 3D. En revanche, contrairement à un Through The Ages, vous prêterez moins attention aux civilisations de vos adversaires, ce qui a un peu manqué à certains joueurs autour de la table, même si on peut discuter et comparer nos civilisations entre les âges, le temps de reprendre son souffle. Après tout, nous sommes dans du temps réel, n’est-ce pas entendable que nous se sachions pas ce que les autres sont en train de planifier ?

Je me permets de le conseiller à deux ou trois joueurs plutôt qu’à quatre au moins la première partie, car on n’a que deux yeux pour tout surveiller et ça peut être frustrant de voir que pendant que l’on réfléchit, on s’est fait dévaster sur notre côté gauche et notre côté droit. 

On parle régulièrement d’un manque d’originalité, de mécanique déjà vues et plus ou moins bien implémentées d’une autre façon, parfois avec brio d’autres fois plus dispensable. Time of Empires c’est surtout un sacré tour de force et une grosse prise de risque. Le jeu de David Simiand et Pierre Voyé a un parti pris osé et l’assume sans faire dans la demi-mesure. Il fait souffler un vent de fraîcheur qui mérite a minima l’essai, et si vous aimez le genre, de rentrer dans votre ludothèque pour peu que vous ne soyez pas allergique au temps réel.

 

LUDOVOX est un site indépendant !

Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :

Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :

acheter time of empires sur espritjeu

2 Commentaires

  1. Gaume 11/01/2023
    Répondre

    Bonsoir Atom,

     

    Merci pour cet article.

    Pour avoir joué 6 parties (toutes à 2 joueurs), je suis conquis.

    Je ne suis pas un joueur de gros jeux. Je suis venu à time of empires pour le concept.

    Nous nous sommes aussi lancés directement en temps réel, la bienveillance était qui rendez-vous pour pardonner  les erreurs.

    Rien n’est compliqué mais on peut oublier des détails (construire deux bâtiments identiques sur le même territoire, déplacer plus de 2 clans…).

    Le jeu donne une sensation assez délectable de satisfaction à l’issue de la 3ème manche après accord  mis les joueurs en tension auparavant.

    L’édition aide à maîtriser le jeu, l’iconographie est claire, laissant le temps pour la réflexion (rapide) et non au doute sur la manière de procéder.

     

    Je crois qu’il y a une coquille dans l’article. Le passage suivant apparaît à deux reprises:

    Si je m’appesantis, sur tous ces éléments techniques, c’est parce qu’ils sont au service du jeu, l’application sait se faire oublier, finalement on joue sans s’en préoccuper, elle ne sert que d’intermède musical, avec des thèmes envolés collant très bien à la construction d‘une civilisation. Son d’ambiance que l’on peut tout à fait enlever si on le souhaite. Toutes les 3 minutes, un cri de bébé retentit, signalant que nous avons de nouveaux érudits. Au bout des 9 minutes, un gong retentit  : il est temps de finir vos actions et passer au décompte. Bref, elle joue son rôle à merveille et permet de décompter les phases.

    Jouez bien !

    • atom 12/01/2023
      Répondre

      Merci pour la coquille, on a beau se relire, on rate toujours des trucs. Je suis d’accord on peut oublier facilement des choses en sa faveur ou sa défaveur. En général dans un jeu sans temps réel, quand j’oublie quelque chose je le signale et on se fait confiance, ça peut être, j’ai oublié de payer les deux ressources, ou au contraire, j’ai oublié de prendre ma ressource bonus. Ici c’est pas possible alors on arbitre tout seul, ah oups j’ai oublié de prendre ça, bon ok je le fais, ou zut j’ai pas dépensé mes ressources ampoules, bon c’est un peu bizarre, mais je le fais aussi. A moins d’avoir un arbitre, je pense que le maitre mot c’est la confiance. C’est intéressant que tu dises que tu ne sois pas joueur de « gros jeu » car j’ai du mal à définir à qui ça s’adresse, j’ai plus la sensation qu’il vaut mieux avoir l’habitude de certains concepts, mais en même temps rien n’est vraiment compliqué non plus. Je sais plus à qui je ne dois pas le proposer (les allergiques au temps et les gens qui n’ont pas confiance). J’aimerais le faire jouer à une amie qui est réfractaire au temps, mais qui pourrait se laisser subjuguer par le concept et bien expliqué avec les bonnes conditions, je suis sur que ça peut fonctionner.

Laisser un commentaire