Retour du concours de Boulogne-Billancourt : 40e !

Ce week-end avait lieu l’anniversaire d’un des plus prestigieux concours de proto du milieu ludique, aka celui de Boulogne-Billancourt au Centre Ludique (CluBB, ex CNJ). Imaginé en 1977 par Pierre Berloquin, ce concours est rapidement devenu une institution dans le milieu tant de nombreux hits furent d’abord repérés et mis en lumière sur cette scène.

Vous ne connaissez peut-être pas le proto nommé Sumito, mais vous connaissez probablement Abalone. Idem avec Apogée, devenu Small World. De nombreux titres célèbres sont passés par Boulogne, recevant des récompenses aux noms divers et variés au fil des années. Citons par exemple Fief (Pion d’or) de Philippe Mouchebeuf, édité en 1981 ; Gygès (Gobelet d’or) de Claude Leroy, édité en 1987 ; La Vallée des mammouths (Mention) de Bruno Faidutti, édité en 1991 ; Formule Dé (Mention) de Laurent Lavaur et Eric Randall ; Serenissime (Sim d’or) de Dominique Ehrhard, édité en 1996 par Jeux Descartes sous le nom Méditerranée et en 2012 par Ystari sous le nom Serenissima ; Gyro (Dé d’or), de Roberto Fraga, édité en 2002 par Ravensburger sous le nom Tops, puis par Sentosphère avec le nom Mexican Hat et qui est devenu chez Bioviva, Tip Tops ; Diam (Pion d’argent) signé Alain Couchot et Bernard Klein, édité en 2003 par Ferti ; Les Dragons du Mekong (Gobelet d’or) de Roberto Fraga ; Mare Nostrum (Sim d’or) par Serge Laget ; Petits meurtres et faits divers (Primé), Hervé Marly, édité en 2007 par Asmodée ; mais encore Tokaido ; Bruxelles, 1893 ; Quadropolis ; Not Alone ; Murder Express plus connu sous le nom de Mission Calaveras, ou dernièrement Perfect Shot de Romain Caterdjian, prochainement dans vos boutiques… 

Et tant d’autres.

Mais cette longue liste, aussi impressionnante soit-elle sur le papier, ne peut sûrement pas rendre compte du nombre de rencontres marquantes, de portes qui se sont ouvertes, de déclics ludiques, de débats passionnants et passionnés, de sessions de jeux investies et tous ces moments brillants qui ont pu illuminer les personnes qui ont participé, gravité, assisté d’une façon ou d’une autre à la vie de cette institution depuis 40 ans.  

Beaucoup de jeux ont fait carrière, c’est vrai, on pourrait se dire que Boulogne est le concours idéal pour venir chercher de futures perles quand on est une maison d’édition à la recherche de petite pépites ; c’est d’ailleurs pour cela que certains éditeurs soutiennent le concours en tant mécène, ce qu’ils leur permet d’avoir un accès privilégié aux gagnants. 

Pourtant, il est à noter que “l’éditoriabilité” ne fait pas partie des critères de sélection, ce que recherche Boulogne c’est la créativité avant tout. Tout d’abord, lors d’une première phase, 30 jeux parmi la centaine de participants sont sélectionnés d’après la lecture des règles de jeux. Puis, les testeurs bénévoles du Centre Ludique jouent aux 30 prototypes sélectionnés et choisissent 10 finalistes. C’est là qu’interviennent les membres du jury, tous les ans renouvelés : ils viennent désigner 4 primés ex-aequo après sessions de jeu en aveugle (le jury ignore qui sont les auteurs des jeux) et délibérations. 


Cette année, les 124 jeux envoyés ont donné lieu à un panorama plus cosmopolite que jamais avec des participants italiens, brésiliens, suisse, finlandais, américains, … Le plus jeune auteur en lice avait 9 ans et le plus âgé, 73 ans. Auteurs, oui, dans une très grande majorité, le Concours regrettant la minuscule représentation féminine (seulement 10 femmes !). Il est temps que ça change ! 

Au final, les quatre gagnants sont : 

  • Iaijutsu de Federico Latini (Italie)
  • Les Grenouilles et le Héron de Didier Dhorbait (France)
  • Streets of Tokyo de Julien Griffon (France)
  • Two Rivers de Carlo A. Rossi (Italie)

 

Deux auteurs italiens réussissent donc le doublé pour une belle parité franco-italienne. Il est à noter que Didier Dhorbait et Julien Griffon remportent chacun leur troisième titre à Boulogne-Billancourt. Félicitations ! 

Les winners de gauche à droite : Didier Dhorbait, Carlo A. Rossi, Erwan porte le trophée de Federico Latini, Julien Griffon 


Zoom sur les 10 jeux finalistes car ils le méritent bien 

Dans le désordre : 

Bangkok Market de l’auteur brésilien Francisco Arena. Il s’agit d’un jeu compétitif dans lequel nous nous retrouvons à diriger des échoppes sur le marché de Bangkok. Les points de victoire seront marqués si des clients viennent dans nos boutiques et les vident complètement, là, nous pouvons les fermer, et scorer. On commence par construire les échoppes, qui sont des tuiles que nous positionnons sur un grand plateau partagé. Et l’emplacement sera capital : il ne faut pas s’isoler, mais au contraire tenter de profiter de l’attrait des autres boutiques, et surtout il faudra penser aux futurs déplacements des clients, leur faciliter la tâche pour rester attractif. On pourra ensuite déplacer notre bateau pour acheter nos propres biens, mais aussi déplacer ceux des autres joueurs si l’on se débrouille bien. Les joueurs devront gérer une question de timing et de placement qui seront les points névralgiques pour l’emporter. 

Dust Road, un coopératif signé Etienne Ritaly. Un jeu steampunk au thème fort qui nous propose de vivre l’attaque d’un convoi dans les terres désertiques d’une civilisation effondrée. Les joueurs doivent programmer les déplacements de leurs voitures sous la pression d’un temps limité en tentant d’exploiter au mieux les pouvoirs et attaques propres à leur véhicule sans se mettre des bâtons dans les roues.
Après avoir résolu nos mouvements et divers effets, nous faisons agir le boss (et ses sbires) grâce à un deck de cartes, ils vont pouvoir répliquer et nous abimer la carrosserie, voire pire. Ensuite, le décor “avance” par un changement de tuiles constitutives du plateau. Le but sera d’infliger assez de dégâts au boss avant de perdre deux véhicules. Pas facile !

Hmm…Hmmm…” de Louis Blaise et Justine Vanhuffel, un jeu d’ambiance coopératif qui vous propose une expérience de création de rebus partagé. Un mot est choisi par un joueur, il le montre à ses camarades sauf à celui qui devra le deviner. Chacun dessine ensuite un morceau du mot, façon rébus, sans se concerter (on ne sait pas qui va prendre quelle partie du mot, un peu comme dans Just One). Il est aussi possible d’aller chercher une image sur son smartphone si l’on ne veut (peut) pas dessiner. Le devineur aura une minute pour comprendre le rébus de ses camarades. Plus le résultat est approximatif plus c’est drôle !

Iaijutsu, un jeu de cartes italien de Federico Latini, propose un duel de samouraïs avec des cartes à triple fonction correspondant aux trois phrases du jeu. On commence par une phase constitutive de notre main en mode bluff : on va jouer des cartes face cachée en annonçant un rôle (noble, marchand, Daimyo, etc) selon le résultat du bluff, vos cartes seront perdues, activées, ou retourneront dans votre main pour la deuxième manche. Dans la deuxième phase, on tourne les cartes dans l’autre sens et on se prépare pour le combat : on doit décider de placer nos cartes chez nous (pour jouir d’un pouvoir) ou chez l’adversaire (on lui cède le pouvoir de la carte pour récupérer des jetons, soit de défense, de taille de main, ou d’honneur). Dans la dernière phase (si vous n’êtes pas mort avant !), vous choisissez des cartes simultanément (façon chifoumi) jouées cette fois sur la tranche. Bien sûr, tout ne se joue pas uniquement sur le chifoumi ; d’ailleurs normalement à ce stade vous avez bien choisi les cartes que vous avez en main et vous savez plus ou moins ce qu’il y a dans la main de l’autre de sorte à ce que rien ne soit laissé au hasard.
Nos pouvoirs en place, nos cartes encore en main, et nos divers jetons sont autant d’éléments déterminants qui joueront dans cet ultime affrontement. Le jeton de défense permet d’encaisser des dégâts, tandis que l’honneur permet de récupérer une carte au lieu de la défausser une fois jouée ; sachant qu’à tout moment on peut aussi gagner via les jetons d’honneur (si on en a plus de 5 que l’adversaire).
Chaque phase est presque un jeu dans le jeu tout en étant intimement liée entre elles. Chaque décision est aussi un renoncement, et un dilemme tant elle aura un impact fort qui potentiellement pourra inverser la vapeur. Bien sûr, il faudra de l’expérience pour monter une stratégie dès la première phase, qui puisse aller au bout. L’art du sabre ne se maîtrise pas si facilement !

Les grenouilles et le héron, un jeu pour les plus jeunes, mais tout à fait amusant entre adultes et donc aussi intergénérationnel. Nous jouons avec des grenouilles en plastique que l’on va faire sauter (comme dans la Soupe à la Grenouille) dans des petites boîtes qui représentent des cachettes dans les marais. C’est qu’il faut se planquer du héron qui nous attaque ! Ici le jeu est compétitif et cette compétition apporte une tension à chaque saut exécuté. Les boîtes sont plus ou moins hautes, plus ou moins grandes, plus ou moins difficiles d’accès et ce n’est pas anodin sur le jeu puisque elles déterminent l’ordre du tour suivant. Or, plus vous jouez tard, moins vous avez de choix sur les planques, car une boîte déjà prise ne peut pas être partagée ! Vous avez perdu une grenouille ? C’est triste ! Mais vous tirez un pouvoir en compensation et celui-ci aura la capacité de retourner la partie s’il est bien joué. Plus la partie progresse, plus l’étau se resserre car le plateau se réduit peu à peu, ainsi que notre nombre de grenouilles… Un vrai arc narratif se dégage avec une chouette tension qui va crescendo et rend chaque saut de plus en plus trépidant.    

Streets of Tokyo est un jeu de dessin coopératif imaginé par Julien Griffon. Saurez-vous dessiner sur des cartes géographiques ? Plusieurs originalités se dégagent ici : tout d’abord, pour dessiner un mot que les autres devront deviner, vous devrez suivre les tracés des routes de plans de la ville de Tokyo mis à disposition. Autrement dit, vous essayez d’abord de choisir un plan qui montre des géométries urbaines proches de ce que vous voulez dessiner et vous tentez ensuite d’en tirer le meilleur et ce le plus vite possible ! Pas simple ! Autre point que l’on voit rarement : c’est un jeu de dessin où l’on dessine et l’on essaie de deviner simultanément (autrement dit, on ne s’ennuie pas !). Dès qu’un mot est trouvé chez quelqu’un, on peut s’ajouter du temps via une petite application compagnon qui nous met le stress avec son temps limité. Un jeu dessin sous tension où l’on enchaîne les parties.   

Loot at the Stars, un jeu de flip and write signé Romain Caterdjian. Nous avons des plateaux noirs sur lesquels nous allons dessiner en blanc : et oui, nous observons le ciel nocturne et repérons les objets célestes qui illuminent notre nuit jusqu’à l’aube ! Un joli thème poétique pour un flip and write compétitif qui nous propose de remplir des objectifs sur un plateau qui va se réduire progressivement, la faute au soleil qui va se lever peu à peu… Poétique, on vous dit.   

Masteroid un jeu allemand de développement avec une économie de ressources fermée signé Antoine Noblet, un jeu où il nous faudra bien choisir notre action sur un petit plateau (qui détermine aussi de l’ordre du tour) dans le but de construire le plus possible de vaisseaux, afin d’atteindre un objectif de points qui clôture directement la partie. Selon le jeton d’action que vous utilisez à votre tour, vous pourrez récupérer ou jouer des cartes, des ressources, ou un vaisseau à construire, et selon là où vous le placez sur le plateau d’actions, vous déterminerez la couleur ou le type de l’élément en question (carte, ressource, vaisseau) : un petit système combinatoire qui va nous permettre peu à peu de mettre en place des effets de plus en plus puissants.

Two Rivers est un jeu signé Carlo A. Rossi proposant une expérience de flip and write vraiment interactive. Nous avons deux villages à gérer simultanément, un sera partagé avec notre voisin de droite, l’autre avec celui de gauche. À chaque tour, nous retournons une carte qui nous indique sur quel plateau nous allons devoir jouer, et quelles options de construction sont possibles pour ce tour (ressources, forteresses, pont…). Plusieurs objectifs connus à l’avance scoreront à divers moments de la partie, il faudra donc essayer de prioriser nos axes de développement au mieux. Le problème c’est que la guerre et la famine guettent… Sans doute faudrait-il prévoir plus de champs de céréales ? Mais aussi préparer une armée et des forteresses pour être prêt quand les relations avec les voisins tourneront court, ce qui ne manquera pas d’arriver plusieurs fois dans la partie ! On place chaque élément sur nos villages de façon stratégique, en imaginant d’où l’ennemi pourra attaquer, en tentant de défendre les points clefs de nos villages… Mais il sera difficile d’être sur tous les fronts ! 

 

Versi Verso un jeu de Wiliam Liévin se base une idée de dextérité et d’observation original : vous allez jouer sur un plateau troué, passant votre lacet de part en part, pour aller atteindre des objectifs dessinés d’un côté et de l’autre du plateau (recto verso) : thématiquement, votre ver de terre va chercher des ressources à la surface pour nourrir ses bébé sous terre ! Trop mimi… Attention, si vous êtes plus rapide que les autres on vous donnera des objectifs en plus à remplir lors du prochain tour. Gniark. 

 

Photo de classe 2021

 

La cérémonie de la remise des prix et les pitchs des jeux finalistes est visible ici :

 

Quant à l’ouverture des inscription du 41e concours, c’est le mardi 4 janvier 2022 que ça se passe, avis aux créateurs et aux créatrices ! 😉

 

 

 

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1 Commentaire

  1. captncavern 25/11/2021
    Répondre

    Merci pour cet article !

    C’était un excellent moment de retrouvailles et de rencontres… notamment avec toi 🙂

    Les finalistes que j’ai pu essayer méritaient tous d’être là. Ca n’a rien de surprenant, vu la qualité de ce concours, mais je suis d’autant plus honoré que Streets of Tokyo ait été primé.

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