Plantagenet – Une histoire de famille(s)

Si vous suivez mes explorations wargamistiques, vous savez peut-être que l’une de mes découvertes majeures de l’année 2022-2023 a été la série Levy & Campaign de GMT Games. Jusqu’au troisième jeu, Inferno dont je vous parlais ici, les différentes itérations avaient gardé une ossature mécanique commune, avec des ressemblances fortes dans les combats, les sièges ou encore les pillages. De ce point de vue, le quatrième opus de la série, Plantagenet signé par le primo-auteur Francisco Gradaille, introduit des nouveautés intéressantes et constitue une simplification du système qui le rend plus accessible aux novices.

Le conflit transposé sur le plateau se déroule principalement en Angleterre, entre 1459 et 1485. Il s’agit de la Guerre des Deux-Roses, un affrontement que se livrèrent deux branches de la lignée royale des Plantagenet – les York et les Lancaster – pour la conquête du trône d’Angleterre. Loin de concerner les seuls héritiers de la couronne anglaise, ce conflit finit par devenir une guerre civile pour le royaume tout entier. Les place-fortes anglaises soutenaient donc, tour à tour l’un et l’autre camp, en fonction de l’influence de tel héritier au trône ou encore de sa puissance militaire et des habiletés diplomatiques de ses conseillers les plus proches.

Les joueurs ne cherchent donc plus à accumuler des points de victoire, mais des points d’influence. On pourra gagner soit par mort subite, en attendant un certain seuil de points déterminé par le scénario choisi, soit en ayant le plus d’influence à la fin du scénario. Subtilité à ne pas négliger : les points d’influence sont aussi la ressource que nous dépensons pour réaliser certaines parmi les actions les plus importantes du jeu – entre autres parlementer avec les gens d’un lieu ou encore enrôler un vassal. En somme, Plantagenet s’articule mécaniquement autour d’une économie de points d’influence qui le rend très différent des opus précédents.

…et si vous hésitez encore à découvrir Plantagenet après cette petite introduction, sachez que la Guerre des Deux-Roses est la source d’inspiration principale de Richard III et Henri VI de W. Shakespeare et de Games of Thrones de G. R. R. Martin.

 

Le plateau et le matériel de Plantagenet pendant une partie.

 

Une guerre civile par intermittence

Le conflit que raconte Plantagenet est bien plus long que ceux de Nevsky ou Inferno : il ne s’agit plus de quelques années, mais de vingt-six ans pendant lesquelles les familles Lancaster et York, toutes deux appartenant à la lignée des Plantagenet, se sont disputé la succession au trône d’Angleterre. Une autre caractéristique de cette guerre est qu’elle est interne à un seul et même territoire. Il n’est donc pas question de piller ou d’assiéger les habitants d’Angleterre puisque votre faction aspire à les gouverner.

Enfin, cette guerre s’est déroulée de façon discontinue. Des batailles parfois majeures comme celles de Towton, de Tewkesbury ou encore Bosworth ont eu lieu à des intervalles de plusieurs années ou dizaines d’années. Pendant les périodes de paix le conflit se transposait alors au niveau diplomatique : il s’agissait de gagner du soutien dans les différentes places-fortes d’Angleterre ou dans le Royaume de France ou de Bourgogne.

Au lieu de me concentrer sur les nombreux événements qui ont marqué cette période, je préfère mentionner quelques protagonistes majeurs de cette guerre intestine. Commençons par Marguerite d’Anjou, mariée au roi Henri VI sous l’impulsion de Suffolk dont l’influence sur la Guerre des Deux-Roses sera constante et déterminante. C’est la reine Marguerite qui fit face aux Yorkistes lorsque Henri VI parvint à reprendre le pouvoir en 1459, en les déshéritant massivement et en les déchéant de leurs titres. 

En 1470, alors qu’il avait précédemment pris parti pour les Yorkistes et qu’il avait participé à l’ascension d’Édouard IV à la couronne, Warwick, influent conseiller de la couronne, retourna sa veste en faveur des Lancaster et s’allia avec Marguerite, son ennemie jurée d’autrefois. Acteur majeur de la guerre, Warwick libéra Henri VI de la Tour de Londres et le réinstalla au trône d’Angleterre. Affaibli mentalement par des épisodes de folie et de catatonie, le roi était très influençable. Henri VI était donc le régnant parfait pour un conseiller comme Warwick qui cherchait à tirer les ficelles du royaume.

Enfin il semblerait – mais les sources sont controversées – qu’à la mort d’Édouard IV, héritier du parti Yorkiste qui était devenu roi en 1471, son frère Richard III de Gloucester fit disparaître mystérieusement son fils Édouard V. Couronné roi en 1483, Richard III fut tué pendant la bataille de 1485 à Bosworth par William Stanley qui avait rallié le parti des Lancaster après un changement de camp. La mort de Richard III permit à Henri Tudor d’être couronné roi et d’installer la dynastie des Tudor au trône d’Angleterre, en marquant ainsi la fin de la Guerre des Deux-Roses.

 

Jeux d’influence

Avec la disparition des sièges et des assauts, la nouveauté thématique et mécanique majeure de Plantagenet consiste dans l’introduction de l’influence. Elle sert à la fois comme ressource qu’on dépense pour exécuter certaines actions, comme moyen de calcul des points de victoire et comme valeur attribuée aux Lords. En somme, plus un Lord est influent, plus il aura des chances de réussir son lancer de dé pour réaliser certaines actions, et moins il aura besoin de dépenser de l’influence pour améliorer ses chances de réussite.

Les actions dans lesquelles nous utilisons de l’influence sont les pourparlers pour rallier une place-forte à notre camp, la taxation des sièges des vassaux que nous avons recrutés, ainsi que la levée de vassaux et de nouveaux Lords. Pour chacune de ces actions nous devons lancer un dé. Si le résultat est supérieur à la valeur d’influence du Lord actif, alors l’action échoue. S’il est égal ou inférieur, c’est une réussite.

Les pions carrés avec les roses blanche (York) et rouge (Lancaster) représentent la faveur d’un lieu. Les blasons indiquent le siège d’un Lord en jeu.

 

D’autre part, on gagne des points d’influence à la fin de chaque tour par une mécanique de majorité. On regarde quel est le camp qui a gagné la faveur du plus grand nombre de villes, de cités et de forteresses et on lui attribue entre un ou deux points. Si vous remportez une bataille contre des Lords influents, celle-ci peut être décisive et vous permettre de distancier votre adversaire : vous gagnerez alors un nombre de points égal à la valeur d’influence des Lords que vous avez vaincus.

On ne peut pas dire que Plantagenet nous soumette à des choix directement contraints par une pénurie de ressources à dépenser. En revanche, on remarque vite que les points d’influence sont rapidement dépensés et on a tout intérêt à ne pas donner un avantage trop important à notre adversaire. On finit donc par se limiter soi-même dans l’utilisation de ces points, en réfléchissant aux dépenses qui pourraient être les plus utiles ou les plus bénéfiques pour notre faction.

 

Payer ou piller

Les connaisseuses et connaisseurs de la série Levy & Campaign se souviennent du pillage comme d’une action permettant à la fois d’extorquer de la nourriture et du butin et de grappiller quelques demi-points çà et là sur le plateau. Dans les précédents volumes, piller une place-forte ne posait pas problème dans la mesure où les deux camps s’affrontaient sur des territoires clairement délimités – c’était déjà moins le cas pour Inferno – et avaient pour objectif de prendre le contrôle des forteresses ennemies.

Dans Plantagenet, la situation change car ce n’est plus la conquête des places-fortes qui compte, mais leur allégeance aux Lancaster ou aux York. Dans la mesure où les deux familles cherchent à obtenir la faveur des populations locales, elles n’ont aucun intérêt à ni les assiéger – l’action a disparu de cet opus – ni à les piller. Au lieu d’être une action, le pillage est devenu la conséquence de votre incapacité à nourrir ou à payer vos unités et il vous coûte bien plus qu’il ne vous rapporte.

Chaque fois qu’on se ravitaille, qu’on taxe ou qu’on lève des unités dans une place-forte, on pose un pion Depleted, pour la première fois, et Exhausted, pour la seconde. Il faut attendre les tours de Grow pour que ces pions soient retournés ou retirés.

 

La logistique est donc moins directement contrainte par la nécessité de payer vos Lords et de nourrir leurs troupes, qu’elle ne l’est indirectement : chaque pillage est une catastrophe, à la fois en termes de perte de points d’influence et de faveur autour de la place-forte pillée. On fuit le pillage comme la peste, et on veillera donc à s’assurer que nos troupes pourront être nourries et payées correctement – il faut les payer désormais au début de chaque tour. Sans compromettre irrémédiablement la partie, on paye très cher les inattentions sur le plan logistique.

 

Préparer la bataille décisive

Dans Plantagenet, la confrontation se fait plus rare que dans les autres titres de la série – en particulier Nevsky. Il est vrai que les sièges et les assauts ont disparu, ce qui veut dire que les deux factions ne peuvent se livrer bataille qu’en s’attaquant directement. Mais les conséquences des batailles peuvent aussi être de plus grande envergure et on a donc tout intérêt à réfléchir avant de lancer les hostilités.

D’une part, les batailles peuvent engendrer un gain ou une perte conséquente de points d’influence. D’autre part, à la fin de chaque bataille, chaque Lord dont les troupes sont entièrement en déroute doit lancer un dé et il a deux chances sur trois de mourir, c’est-à-dire d’être retiré définitivement de la partie. La décision d’engager une bataille n’est donc jamais prise à la légère, d’autant plus que certains Evénements peuvent changer significativement la donne par la trahison d’un vassal, la déroute d’un Lord adverse ou encore la réduction des dégâts infligés par les archers.

 

Blocked Ford empêche un Lord de partir en exil pour éviter une bataille. Il le force donc à combattre, ce qui pourrait le conduire à sa mort s’il est défait et qu’il rate son Death Check.

 

Au nombre des nouveautés majeures dans les batailles, on notera le remplacement des unités de cavalerie par les vassaux, l’absence de modificateurs liés aux tirs des archers et l’ajout de la suite armée (Retinue) du Lord. La retinue et les vasssaux infligent beaucoup de dégâts pendant la mêlée et ont un niveau élevé de protection. Autre changement important : désormais on inflige les dégâts en même temps, le défenseur n’a donc aucun avantage dans l’ordre de résolution du combat.

Si d’un côté, les étapes du combat sont moins nombreuses, on lance maintenant des brouettes de dés, dans la mesure où on inflige facilement plus d’une dizaine de dégâts à chaque phase. La procédure est simplifiée, mais dans la pratique, les batailles restent assez laborieuses. J’ai parfois eu le sentiment que l’aspect narratif du jeu finissait par se perdre dans les nombreux jets de dés.

 

Politique de la guerre & guerre politique

La nature du conflit représenté par Plantagenet en fait un volume intéressant dans la série Levy & Campaign, dans la mesure où des mécaniques renouvellent le système de façon plus ou moins profonde. D’autre part, l’expérience de conception de jeu partagée sur le serveur Discord de la série et la supervision du développeur Christophe Correia portent leurs fruits. Avec Plantagenet, certaines mécaniques un peu lourdes ou laborieuses des précédents volumes sont épurées ou remplacées par des nouvelles qui permettent une expérience de jeu plus fluide.

Dans cette mesure, il me semble que Plantagenet est particulièrement indiqué pour les joueuses et les joueurs qui cherchent à se familiariser avec la série. Ne vous méprenez pas : il reste un jeu complexe avec une profondeur stratégique certaine et des subtilités à côté desquelles il peut être facile de passer, surtout lors des premières parties. Mais l’introduction des points d’influence et l’absence de mécanismes de siège et d’assaut rendent sa découverte moins laborieuse.

Le travail d’approfondissement historique est, comme souvent chez GMT, remarquable pour un jeu de plateau. La lecture du livret de jeu permet en effet d’avoir une vue d’ensemble sur la Guerre des Deux-Roses, en dépit de sa complexité. Les événements et les capacités cherchent à épouser de près le thème. Je suis loin d’être un expert ou un spécialiste de la période, mais il m’a semblé que ce premier opus de Francisco Gradaille modélise le conflit diplomatique et militaire entre les Lancaster et les York de façon cohérente.

 

Au vu du nombre conséquent de protagonistes ayant pris part à la Guerre des Deux-Roses, les tapis des Lords sont désormais identiques. On place une carte Lord sur chaque tapis. Elle indique la configuration d’un Lord au début d’une partie.

 

Le livret de Plantagenet propose deux scénarios de campagne, un scénario moyen, plusieurs scénarios courts, ainsi que la possibilité d’enchaîner trente-six tours pour jouer la Guerre des Deux-Roses en entier – il faut probablement compter douze heures. Je n’ai pas joué toute la Guerre, j’ai essayé la première campagne (1459-1461) et les scénarios courts et moyens. Autant j’ai apprécié Plantagenet en jouant trois à huit tours de jeu, autant j’ai trouvé que les quinze tours de la campagne finissaient par devenir répétitifs.

Pour être plus précis, par le jeu des événements et les aléas des dés, les batailles offrent souvent des changements de situation intéressants, et se préparer à livrer la prochaine bataille constitue un niveau stratégique à part entière. En revanche, faute de contraintes directes et pressantes d’un point de vue logistique ou militaire, j’ai eu l’impression que les périodes d’accalmie manquaient de tension : on se dispute la faveur des places-fortes sur le plateau, et on peut, jusqu’à un certain point, étendre son influence dans un coin d’Angleterre ou jouer à s’embêter réciproquement tour après tour… et cela peut durer longtemps. De ce point de vue, j’avais trouvé Nevsky et encore plus Inferno (qui reste mon jeu préféré de la série) beaucoup plus palpitants.

Je terminerai par parler de la direction artistique et de la présence sur table de Plantagenet. Le travail de Robert Altbauer et Matthew Wallhead rendent le matériel de jeu du plus bel effet – en particulier le plateau central et la belle carte d’Angleterre, mais aussi les blasons des Lords et des vassaux, et les cartes de Commandement. L’ergonomie du jeu pâtit un peu de la densité en places-fortes du Sud de l’Angleterre : les pions peuvent s’accumuler et le doute peut surgir sur le placement de l’un d’entre eux. Dans l’ensemble, le matériel est lisible, agréable à l’œil comme à la manipulation et les aides de jeu restent denses mais claires.

 

Sur la Guerre des Deux-Roses, j’ai eu l’occasion d’essayer Richard III de Columbia Games, un jeu de blocs plus facile d’accès. J’ai eu l’impression que Plantagenet représente le thème de façon plus cohérente, en introduisant un niveau de stratégie diplomatique que je ne retrouve pas dans Richard III. Mécaniquement, Plantagenet est également plus intéressant du fait de l’économie ouverte – selon les mots de l’auteur – par laquelle on gère ses points d’influence. Autrement dit, on sait combien et dans quel but on dépense ces points, mais, par l’aléa des dés, l’interaction sur le plateau et les majorités, on ne peut pas anticiper de façon précise quelles conséquences vont produire ces actions.

Pour le moment, il n’existe pas de traduction française des règles ou du matériel de jeu. En revanche, d’après des indiscrétions (pas très indiscrètes), Plantagenet sera bientôt disponible sur Rally-the-troops.com – une plateforme automatisée gérée par Tor Andersson, développeur passionné de jeux d’histoire.

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