Les Fiefs De Norbois – Un jeu solo pas si enfantin !
Bad Bom Games, récente maison d’édition issue de l’association de deux éditeurs, a fait un départ plutôt réussi jusque-là, avec notamment Fliptown et Le Bal des Chaudrons (le Just Played). Les Fiefs de Norbois, édité par Side Room Games lors d’un projet de financement participatif, puis localisé par Bad Boom Games en français en 2023, est issu à la base du concours BGG (encore un !) intitulé « 54-Cards Game Design », dont il a gagné le prix du meilleur jeu Solo en 2021.
Au menu, un jeu exclusivement Solo de petit format, tenez-vous bien : à base de plis. Un jeu de plis en Solo ? C’est bien la première fois que je vois cela. Alors est-ce une bonne pioche ?
L’anti Root
Ce qui marque de prime abord, c’est bien sur le thème enfantin. Dans une forêt imaginaire, vous êtes un émissaire chargé de réconcilier les chefs de 8 fiefs afin de préserver la paix. Si le thème de la rivalité entre clans forestiers peut évoquer celui de Root, à l’inverse de ce dernier, il n’est pas question de mener une guerre dans un jeu long, complexe et asymétrique pour joueurs experts. Nous sommes dans un jeu minimaliste, dans un thème tout mignon, digne d’une comptine et dans un objectif de pacification. Mais ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas d’un jeu simpliste, ni d’un jeu pour enfants. Je le situerais pour un public Initié, avec quelques options pour corser la difficulté (on voit cela un plus loin).
Si certains ont d’emblée critiqué la DA en lui attribuant un caractère non approprié au public ciblé, je les renverrai vers le succès de Sylvion (le Test) et de la gamme des jeux ImPatience, malgré un style graphique très « graffiti, 8 ans d’âge ». Pour ma part, je vous avoue que je n’y attache pas d’importance, et malgré tout le style ne m’a pas déplu. Je suis surtout sensible à la lisibilité et à l’ergonomie du jeu, qui sont impeccables. Côté édition, c’est un sans-faute également. Les cartes sont de très bonne facture et le tout se range parfaitement dans un étui du type boite d’allumettes, le même que pour Hortis dont je vous ai parlé récemment. C’est un vrai plaisir de manipulation.
Un jeu de plis en Solo ? si si !
Sa grande originalité est bien sûr sa mécanique principale. Comment rendre un jeu de plis intéressant en Solo ? Dans les grandes lignes, je vous décris le principe.
Le paquet de cartes est proche de celui des jeux classiques, avec 4 couleurs, des chiffres de 1 à 8, puis des figures : valet, prince, dame, baron, roi, reine. Vous aurez dans votre main 8 cartes piochées aléatoirement parmi les chiffres. Vous aurez face à vous 8 chefs piochés aléatoirement parmi les figures, avec un score associé à chacun, de 0 à 7. Ce score sera le nombre précis de plis à remporter face à eux, pour les convaincre.
Vous devrez successivement rencontrer chaque chef (8 manches donc) et engager les discussions, sous forme de dialogue : le chef révèle la première carte de la pioche, puis ce sera à vous de jouer une carte, avec les règles de pose classiques telles que l’on peut voir dans The Crew : suivre obligatoirement avec la même couleur que celle appelée, ou bien si impossible, vous aurez le choix entre couper à l’atout ou vous défausser d’une carte.
À vous de gérer votre main pour arriver en fin de manche à gagner exactement le nombre de plis demandés, de 0 à 7. Sans autre moyen, le jeu manquerait de saveur, et la réussite serait pour ainsi dire improbable. En effet, pour gagner 0 pli ou 7 plis sur une main de 8 cartes non choisies, bon courage !
Le twist, c’est que vous aurez avec vous 4 alliés piochés aléatoirement parmi les figures, auxquels vous pourrez faire appel une fois par dialogue, avant d’engager un pli. Chacun possède une capacité : regarder les cartes suivantes de la pioche, défausser des cartes, piocher pour compléter sa main, etc. Toute la subtilité du jeu sera donc de ménager vos forces, ou bien de les solliciter au maximum, afin d’équilibrer vos chances de remporter ou de perdre les futurs plis de la manche. Par exemple, si vous avez de trop fortes cartes en main, vous utiliserez si possible un allié qui vous en fera défausser, et inversement. C’est un exemple bateau ; les capacités des alliés sont un peu plus subtiles que cela. Voilà en somme toute l’essence du jeu.
Gagner ne sera pas évident, car la victoire « minimale » (considérée comme médaille de bronze) correspond à 16 points, c’est-à-dire quasiment tous les dialogues remportés, les plus coriaces (0 et 7 plis remportés) rapportant forcément le plus de points. La véritable victoire, la médaille d’or, ne vous sera attribuée que si vous faites le Grand Chelem.
En supplément, si vous parvenez à convaincre un chef, il pourra potentiellement devenir un allié lors de vos futurs dialogues, en remplaçant temporairement un de vos alliés piochés au départ. Cela donne un peu de mou et de variété dans les options afin de maximiser vos chances en fin de partie, car le choix du chef à convaincre après examen de votre main de cartes s’amenuisera au fur et à mesure que les manches se succéderont.
La découverte et le feeling
La première partie va se faire avec des erreurs. Premièrement, le micro livret de règles, non pas qu’il soit peu clair, aborde les sujets plusieurs fois dans le texte, en plusieurs couches. Cela a l’avantage de ne pas nous violenter, mais a l’inconvénient de rendre compliquée l’opération de retrouver une information, ce qui oblige bien souvent à relire tout. C’est ce que j’ai fait : une lecture, une partie « foirée », puis une deuxième lecture complète des règles qui a définitivement tout mis au clair. Heureusement, la douzaine de petites pages s’ingurgite assez vite. La logique du jeu s’apprend ensuite en douceur, avec une partie d’initiation impliquant un petit échantillon de cartes, ce qui m’a semblé bienvenu.
La fluidité est une des qualités des Fiefs de Norbois. Il n’y a pas un accroc dans la maintenance, aucune ambiguïté sur les règles une fois celles-ci assimilées, aucune charge mentale. Tous les éléments sont disposés pour ne pas entrer en conflit.
Non content de cela, côté sensations, cela été du pur bonheur pour moi. J’ai retrouvé les mêmes schémas de pensées, le même plaisir et la même addiction que lors des parties de The Crew, mais en solitaire ! Sur ce plan, Wil Su, auteur encore peu connu, a tapé dans le mile (avec certainement la complicité de son éditeur). Chapeau pour cela.
Les dilemmes sont donc du même ordre que dans The Crew. Apres avoir pioché votre main de 8 cartes, il faudra jauger votre capacité à gagner des plis ou à les perdre, afin de faire le bon choix de chef à convaincre. Ensuite, pendant la partie, il faudra là-aussi doser vos cartes, comprendre desquelles il sera opportun de se défausser, ou lesquelles il faudra conserver jusqu’à la fin. Il m’a tout de même semblé que le niveau d’exigence était moins élevé que pour The Crew, qui atteint des sommets dans les missions supérieures (sans vouloir relancer le débat, rappelons aussi que ce dernier a remporté le précieux Kennerspiel des Jahres, et l’As d’Or Expert !).
L’année Bruyante
Un mini livret de 16 scénarios est fourni dans la boite. Dans chacun, vous y trouverez une proposition de partie avec une variante des règles de base. Le premier par exemple, vous impose une main de 10 cartes, et pour chaque carte que vous défaussez ou avec laquelle vous remportez un pli, vous devez y grouper toutes vos autres cartes de même valeur. Cela réduit votre marge de manœuvre pour tomber sur le bon nombre de plis victorieux, mais en contrepartie, vous aurez d’office les meilleurs alliés du jeu avec vous. L’un dans l’autre, l’équilibre se fait bien. L’expérience à travers les 16 scénarios offre un renouvellement important du gameplay et est suffisamment intéressante pour vous tenir en haleine.
Hélas, format miniature oblige, on ne jouera pas des siècles durant. Si vous y jouez régulièrement, il vous fera une petite saison, si vous le poncez violemment, il vous résistera tout de même quelques semaines. Pour ma part, j’ai trouvé de quoi me satisfaire et ne me suis pas ennuyé jusqu’à la fin.
En définitive, Les Fiefs de Norbois fait pour moi un carton plein : l’édition, la profondeur malgré un format miniature, les sensations proches d’un The Crew et la rejouabilité, avec ses 16 scénarios proposés. Si vous aimez les schémas de pensés associés aux jeux de plis, je ne peux que vous le recommander chaudement.
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morlockbob 21/01/2025
Un jeu solo pour les gens qui n ‘aiment pas le jeu solo…c ‘est dire
atom 21/01/2025
Je suis plutôt d’accord, j’ai bien aimé alors que le solo et moi ça fait deux. (cette phrase est drôle ^^)
Groule 21/01/2025
C’est pas faux