Les extensions retrouvées de Narak

Sortez les jumelles et aiguisez les machettes, la jungle des Ruines perdues de Narak (2020) continue de se densifier. Dans le sillage quasi immédiat du jeu de base, venait à nous une première extension fort appréciée, Chefs d’expédition (2021).

Une courte respiration, et en fin d’année 2023 arrivait la seconde extension : La mission disparue. Une annonce qui avait de quoi interpeller dans les casemates, puisqu’elle intègre une « Campagne » jouable en solo ou en duo coopératif.

Le temps de faire le plein de l’hydravion, et on part en exploration.

 

Relique sans faute de goût

Rappelons rapidement que Les ruines perdues de Narak est un jeu initié /expert qui allie des touches de deckbuilding à un soupçon de pose d’ouvriers. Le tout est au service de très classiques conversions de ressources et d’un game design précis où rien ne dépasse.

En apparence, peu ou pas de nouveauté sous les lianes. Sauf que l’ensemble se révèle diablement efficace dans son genre. S’il n’atteint pas des sommets incroyables de stratégie ni d’interaction, il propose suffisamment d’enjeux d’optimisation tactique pour maintenir agréablement en haleine.
La montée en puissance tout au long des 5 manches de la partie est parfaitement maîtrisée. Ni trop automatique ni hors de contrôle, elle laisse de la place au beau jeu tout en le mitigeant par un aléatoire auquel il faut s’adapter chemin faisant. Les fréquentes possibilités de rebondir par un enchaînement insoupçonné – lors même qu’on se voyait entravé – sont jubilatoires. L’enrobage thématique « à la Indiana Jones » des plus convenables ne gâche par ailleurs rien à l’affaire.

Le Just Played de l’ami Atom est toujours à disposition des archéologues ludiques à la recherche d’un éclairage plus détaillé.

 


Image d’archives : une de nos premières parties.

Un leader sait ce qu’il faut faire

Loin de s’arrêter en si bon chemin donc, l’éditeur tchèque CGE a su exploiter promptement le succès initial. À peine un an plus tard, sortait l’exemplaire première extension Chefs d’expédition.

La morphologie du jeu se prête manifestement aux contenus additionnels : les piles d’Objets et d’Artéfacts se voient épaissies de nouvelles recrues estimables. Deux Temples (pistes de recherche) supplémentaires viennent astucieusement se superposer en alternative à ceux du plateau de base.

Mais les plus surprenants, les plats de résistance, ceux qui renversent le plus les habitudes, ce sont les fameux Chefs d’expédition. Admirablement calibrée, leur asymétrie permet de redécouvrir Narak via différents prismes. Et d’une manière suffisamment souple pour éviter le piège des pouvoirs spéciaux scriptés.
Certes, la Baronne étant rompue aux achats d’objets, elle fera grand minimum une acquisition par manche. Le Professeur ne saurait jouer contre-nature et se tourne donc fatalement vers les artefacts. À partir de cette base, pousser le curseur plus loin est un choix du joueur, et plusieurs possibles restent ouverts.

Six Chefs différents, au bas mot une à deux parties avec chacun, voire un peu plus pour les moins faciles à cerner (le Mystique on parle de toi), des synergies inédites entre nouvelles cartes, cartes du jeu de base et spécificités des chefs : voilà l’intérêt du jeu formidablement relancé.

En proposant des outils alternatifs au joueur sans boursoufler l’ADN épuré du jeu avec de nouveaux pans ou axes de scoring, Chefs d’expédition illustre parfaitement ce que peut être une bonne extension.

Elle se paye également le luxe de fournir le matériel de remplacement pour corriger un artefact un peu trop bon marché et un assistant un peu bancal. Cette discrète marque d’attention peut passer inaperçue ; elle veut pourtant tout dire des petits soins apportés par l’éditeur à bonifier son produit.

 


Deux boussoles en poche mais rien dans la sacoche, il faudra attendre un peu pour le prochain artefact du Professeur.


Une assistante qui exile des cartes Peur, voilà qui sied bien au Mystique.

Ce n’est pas cette campagne que vous cherchez

Enchaînons avec la plus récente seconde extension : La mission disparue. Indépendante ou combinable avec la première, elle fournit du contenu additionnel de toute sorte, dans des proportions globalement comparables (voir le tableau récapitulatif en fin d’article). Une exception notable : seulement deux nouveaux chefs d’expédition, pour un total de huit, sont ajoutés.

La proposition est de distiller au compte-goutte ces nouvelles cartes, nouveaux assistants et consorts, au fur et à mesure d’une « Campagne » en 6 chapitres. Il est tout à fait possible d’ignorer cette option et d’attaquer directement des parties libres avec l’ensemble du matériel.

 

Notons qu’il s’agit en réalité une version augmentée de la Campagne Solo déjà disponible depuis 2021, via une application web. Augmentée, car on passe à 6 scénarios (au lieu de 4), que tout le matériel physique spécifique est fourni (plus besoin d’une application web), et qu’elle peut être pratiquée à deux joueurs en coopératif.

Notre configuration nominale de 3+ joueuses·eurs ne permettait pas de faire participer tout le monde à 100%. Qu’à cela ne tienne, nous restions motivés par les augures d’une pratique différente du jeu. Outre la mise en contexte scénaristique, un épisode vient en effet avec force dérogations de mise en place et particularités de règles. De manière plutôt ingénieuse et originale, l’accent est mis successivement sur l’un des aspects du jeu : l’exploration, les gardiens… Un petit vent de surprise et de fraîcheur qui fait son effet.

Indépendamment de l’agréable twist individuel de chaque scénario donc, le liant global de la campagne aura pour sa part eu bien du mal à nous convaincre. Entre écriture assez quelconque, péripéties de série B, cartes « rencontres » génériques donnant l’impression que cette jungle – supposément inexplorée – est un vrai moulin, on peine à se prendre au récit. Au point qu’on finit par zapper les textes d’ambiance peu captivants.

Les implications mécaniques de la campagne en elle-même ne sont pas beaucoup plus satisfaisantes. Une feuille de campagne propose de cocher au long cours des collections de symboles. Sans grand choix ni enjeu, est alors débloqué un contenu de temps à autre. En réalité, c’est simplement une carte Objet ou Artefact, accompagnée d’une narration qui tombe plus ou moins comme un cheveu sur la soupe.

S’agissant de deckbuilding, on aurait pu espérer un intérêt en termes de progression du paquet de départ sur la durée. Avec entre zéro et au mieux deux cartes additionnelles obtenues pour le chapitre suivant (et jamais rien de conservé à deux chapitres d’écart), cette possibilité reste trop éphémère et marginale.

 

 

Côté coop, on reste sur la portion congrue. Le niveau de difficulté fait qu’on a quand même la nécessité de communiquer pour se répartir les tâches un minimum. L’autorisation de s’échanger quelques items par pigeon voyageur est bien vue. Mais elle ne suffit pas à masquer cette impression que dans le fond, c’est une campagne conçue avant tout pour le Solo. La ficelle de l’adaptation jeux joueurs, en doublant grosso modo le nombre de réalisations exigées, est un peu grosse. Quand bien même cela fonctionne, techniquement parlant.

Tout cela, et en particulier l’occasion manquée de transcender le deckbuilding, fait que l’expérience ne sera pas réitérée par ici. C’est triste pour la souche des 14 feuilles de campagne restantes, mais c’est ainsi. On est face à une introduction du nouveau contenu un peu divertissante, qui ne saurait constituer une nouvelle façon durable de consommer le jeu. Ce d’autant plus compte tenu de la configuration très restrictive.

Et dans les ténèbres les lier

Pour sa part, le mérite des nouveaux éléments n’est pas en question. Il confirme l’expertise et le sérieux mis par CGE dans ses playtests. La Mécanicienne et le Journaliste sont ainsi des Chefs d’expédition hautement réussis. Leurs avantages spéciaux combinent intérêt et souplesse, ce qui permettra de résoudre de nombreuses situations. Le tout finement équilibré par rapport aux chefs pré-existants.

Côté Temples, les deux nouvelles pistes de recherches sont dans la droite lignée des précédentes : leurs petites singularités changent tout sans tout changer.

 


Le journaliste doit visiter des lieux différents pour trouver l’inspiration nécessaire à ses articles.
La mécanicienne monte en puissance au fil des manches en crantant son engrenage de dents en or.

 

Sans l’ombre d’un doute, Chefs d’expédition reste l’extension indispensable, celle à recommander en priorité à tout amateur de Narak.

En faisant abstraction des quelques regrets autour de sa campagne oubliable, La mission disparue n’a pourtant pas véritablement à rougir. Elle étend l’ensemble sans énorme surprise mais aussi sans fausse note, en évitant l’erreur de gâcher la simplicité originelle. Elle fera donc le job pour prolonger le plaisir des adeptes déjà convaincus du jeu.

Avec des pioches de plus en plus fournies (même pour 4 joueurs où l’on brasse pas mal les paquets) et un panel de combinaisons Chef/Temple plus que conséquent (désormais 48), la routine aura bien du mal à s’installer dans leurs futures expéditions.

 


Quelques concessions ou astuces de rangement deviennent nécessaires pour tout faire tenir dans la boite de base.

 

 

Un jeu de Michaela « Mín » Štachová et Michal « Elwen » Štach
Illustré par F. Sedláček, J. Politzer, J. Klus, M. Vavroň, O. Hrdina
Edité par Czech Games (VO), Iello (VF)
Pays d’origine : République Tchèque
Date de sortie : 2020 à 2023
De 1 à 4 joueurs
A partir de 12 ans
Prix boutique constaté : 55€ le jeu de base, 30€ chaque extension

 

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3 Commentaires

  1. Doc.Fusion 12/03/2024
    Répondre

    Merci pour cet article très détaillé.

  2. -Nem- 14/03/2024
    Répondre

    Hâte de continuer notre campagne. Clairement je l’ai pas pris pour le background narratif, même si on espère toujours une bonne surprise (du coup j’arrête d’espérer tout de suite). Mais si mécaniquement c’est chouette, ça m’ira très bien !

  3. elniamor 14/03/2024
    Répondre

    Toujours un plaisir de retrouver la plume de Grovast, sur un jeu qui me plaît. Ça donne envie de ressortir les chefs d’expédition, joués hélas une seule fois… Quand à la campagne, je me contenterai de la gratuite qui était sympa en solo avec un excellent rapport qualité prix !

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