La course vers El Dorado – Une réédition en or !

 

– Moi : Comment ça, « encore un jeu de Reiner Knizia » ? Oui, et alors ?

– Moi : Certes, je suis fan de cet auteur, ayant publié près de 700 jeux, remporté plusieurs prix dont deux au Spiel des Jahres. Des jeux pour les enfants, pour les familles et les experts, de petit ou de grand format… Certes, certains figurent dans mes favoris.

– Moi : Comment ça, « mon avis est biaisé » ? Mais pas du tout ! Allez du vent !

 

La Course vers El Dorado, initialement sorti en 2017 et nommé au Spiel des Jahres (pas remporté cette fois, au profit de Kingdomino), revient en 2023 avec un nouveau look signé Vincent Dutrait (on ne le présente plus).

Dans ce jeu de deckbuilding compétitif, vous mènerez une équipe d’explorateurs et votre objectif sera d’être le premier joueur à atteindre la cité légendaire d’El Dorado. Il faudra traverser tout un parcours d’hexagones faits de jungle, de rivières, de villages, en jouant des cartes représentant votre équipage et votre matériel. Tout le long de la partie, il faudra également acheter des cartes judicieusement choisies parmi un marché, et se débarrasser de celles qui vont vous ralentir.

Lors de sa première sortie en 2017, Umberling partageait son ressenti dans un Just Played. À l’occasion de cette réédition, j’essayerai de vous donner un second point de vue sur le jeu et de vous donner un maximum d’information sur ce qui a évolué d’une version à l’autre. Alors, a-t-il pris un léger coup de vieux (comme ce cher Indy, oups) ? C’est ce que nous allons tenter de voir !

 

La route est encore longue !

 

Guide de survie en territoire hostile

Pour une explication des règles en vidéo en quelques minutes, allez voir notre Ludochrono.

La Course vers El Dorado est une adaptation classique du deckbuilding. Chaque joueur démarre la partie avec un même paquet de cartes individuel et place son meeple en début de parcours. Chaque tour de jeu, les joueurs devront composer avec les quatre cartes qu’ils piocheront de leur paquet. Ces dernières représentent un allié conférant des point de déplacement permettant de faire avancer votre meeple sur un type de terrain. Par exemple, l’explorateur avec ses 3 symboles machettes permettra de franchir une ou plusieurs cases de jungle selon leur difficulté. On joue autant de cartes que l’on veut durant son tour, pour avancer le plus loin possible.

Certaines cartes fournissent de l’or et permettront soit d’avancer sur des cases village, soit d’acheter de nouvelles cartes parmi une offre. On va ainsi être en permanence tiraillé entre faire avancer le plus possible notre meeple avec ce que l’on a pioché, ou bien rester sur place mais acheter des cartes plus intéressantes qui seront utilisables quelques tours plus tard (une fois la pioche épuisée puis mélangée). Il va bien falloir tôt ou tard faire évoluer son paquet, car certaines cases sont difficiles à atteindre sans un spécialiste ou du matériel à usage unique mais à effet puissant. 

Il faudra également analyser le plateau, prévoir de qui ou de quoi on aura besoin dans les prochains tours, et bien choisir les cartes que l’on souhaite acheter. Il n’y aura jamais qu’une solution face à la diversité des trajets qui se profilent, et c’est plaisant. Par exemple, dois-je préférer des cartes me permettant de piocher plus, d’en éliminer certaines de mon paquet, des cartes polyvalentes (comme le baroudeur, efficace en début de partie), ou bien des spécialistes… Toutes ces questions sont classiques au deckbuilding, mais après plusieurs parties, l’équilibrage m’a semblé si réussi que je ne conclue jamais sur une carte meilleure qu’une autre en toute circonstance. Chaque situation offre plusieurs choix pertinents.

 

User de la machette, c’est satisfaisant !

En parlant d’équilibrage, on sent que tout a été réfléchi et mûri pour créer une expérience satisfaisante tout le long d’une partie et aussi sur le long terme, pour un public large

Premier point : un système de catch-up va éviter de creuser un fossé entre les retardataires et le joueur en tête, en imposant une difficulté à ce dernier. Celui-ci devra casser des barrières entre les plateaux au prix de quelques mouvements. Cela permet aux retardataires de rattraper un peu de retard sur lui. Mais la pénalité est aussi un avantage : en cas d’égalité à la fin, celle ou celui ayant cassé le plus de barrières l’emporte. C’est arrivé dans la plupart de nos parties, et cela marche très bien en donnant le sentiment d’une course serrée et sans injustice sur l’issue finale. Satisfaction, CQFD.

Deuxième point : l’interaction est présente et motivante. L’offre de cartes limite le nombre d’exemplaires (trois pour chacune) et seule une partie sont accessibles. La bataille n’a donc pas lieu uniquement sur le parcours, mais aussi sur le marché. On peut prendre du retard dans la jungle mais en profiter pendant ce temps pour améliorer son paquet et priver les adversaires des cartes intéressantes. Il n’est pas rare de voir des « Remontada » de l’extrême à travers la jungle en milieu ou en fin de partie. Par ailleurs, si l’on observe les parcours de plus près, il y a de nombreux obstacles et couloirs. Faire l’effort de s’y engouffrer le premier vous offre le privilège de bloquer vos adversaires derrière vous. Frustration ? Non, car ceux-ci prendront leur mal en patience en achetant de nouvelles cartes. Satisfaction, CQFD. Je pourrais aussi vous parler du jeu à deux joueurs, qui permet à chacun que jouer deux meeples, ce qui augmente l’interaction et l’intérêt du jeu, mais je pense que vous avez saisi l’idée.

Troisième point : Le jeu dans l’ensemble est plutôt destiné à un public familial. Cependant, lorsque je cherche à pousser la stratégie en abordant les parcours difficiles, je découvre une profondeur qui me surprend et qui correspond aux attentes d’un public expert. À plus haut niveau, l’optimisation du paquet de cartes devient précise, et la moindre erreur se paye en cases de retard sur les adversaires. Les possibilités stratégiques sont nombreuses, et plusieurs seront gratifiantes devant chaque parcours. Il y a certes un effet de chance, on peut perdre sur une mauvaise pioche, mais si vous avez pensé à correctement nettoyer votre paquet, vous devriez en fin de parcours maîtriser totalement la pioche, avec moins de dix cartes. La place au hasard n’en est plus qu’insignifiante. Avis aux experts : Satisfaction, CQFD.

Enfin, pour couronner le tout, chaque parcours est construit par un assemblage de cinq ou six plateaux indépendants, double face. Six parcours sont proposés dans le livret de règles (faciles, moyens, difficiles). Sur la dizaine de parties jouées pour l’instant, je n’en ai essayé que trois, et n’ai pas de sentiment de redondance, vu que les itinéraires pris par les joueurs changent à chaque fois au gré des événements et des pioches. Il est toutefois possible de  fabriquer autant de parcours que votre imagination vous le permet. En fin d’article, je vous donne un lien pour exemple.

 

La variante avec les grottes permet de gagner des bonus intéressants si l’on se donne la peine de s’y arrêter.

 

L’ultime réédition ?

Une fois de plus, Reiner Knizia, alias Dr. Knizia, voit une de ses créations rééditées. Il est coutumier pour cet auteur d’amortir ses créations au fil des ans. Pour citer quelques exemples de rééditions (source : BoardGameGeek) :

  • Lost Cities (1999, 2015, 2021)
  • Tigre et Euphrate (1997, 2018)
  • Ra (1999, 2016, 2023)
  • Modern Art (1992, 2009, 2017, 2020)
  • Equinox (1996, 1997, 2000, 2003, 2013, 2021)
  • Et plein d’autres encore !

 

Petit aparté : Ne voyez aucune critique de ma part dans cette simple observation. Lorsqu’un jeu est apprécié du public et fait un succès commercial, il est triste de ne plus pouvoir se le procurer l’année suivante. Il me semble légitime de vouloir rentabiliser une œuvre aimée et qui se vend en relançant sa production au lieu de toujours chercher à inventer autre chose. Et il me semble aussi naturel d’en profiter pour la faire évoluer au passage. Elle se rapproche ainsi de son climax, de son état sublimé. Le public ne s’en plaint pas. Iki en est un bon exemple, ce qui lui a valu une nomination aux As d’Or 2022 mais aussi au Spiel des Jahre 2023.

Parfois, les rééditions sont associées à des révisions mécaniques, comme c’est le cas avec Equinox, nous en avons parlé dans un précédent Just Played. Parfois, il s’agit juste d’un ravalement de façade. En ce qui concerne La Course vers El Dorado, nous sommes plutôt dans ce cas de figure. Je sens que cette version sera cependant la bonne. Je vous explique pourquoi dans la suite de l’article. 

 

 

Quoi de neuf docteur ?

Pour les vieux de la Vieille, inutile de tourner d’avantage autour du pot. Voici ce qui vous attend dans la nouvelle boîte :

  • Aucun changement au niveau des règles ! (Ça, c’est dit !)
  • Le Pack Promo « Jumelles » de 9 cartes est inclus dans le jeu de base (voir photo).
  • Le jeu est en deux versions dans la boîte : Française et Anglaise. Ce qui signifie que le livret de règles ainsi que toutes les cartes sont en double ! On en discute plus loin.

 

L’essentiel des changements concerne l’ergonomie et l’esthétique, qui font désormais de l’ensemble, un bel objet ludique. Voyons-les en détail : 

  • Le design des cartes a été profondément révisé. Plus grandes que les anciennes, leur format standard permet une meilleure manipulation.
  • Les illustrations de Vincent Dutrait sont tout simplement magnifiques, plus lisibles et plus colorées. Elles donnent une touche « BD » authentique et apportent la principale plus-value de cette édition.
  • D’autres composants sont améliorés : les meeples de bois ont un découpage plus fin, le livret de règles est plus avenant et mieux présenté.
  • Quelques composants sont plus esthétiques sans pour autant être améliorés sur le plan fonctionnel (jeton premier joueur, tableaux d’expédition, plateau marché).
  • Enfin, d’autres ont très peu changé (plateaux terrain et barrières).

 

 

Le choix de doubler une partie du matériel, dont 108 cartes au lieu de 54, me laisse un peu dubitatif. Je comprends qu’il y ait une volonté d’économie dans la chaîne de production, mais ce matériel n’est sans doute pas gratuit et l’on en a pas vraiment l’utilité. Je n’ai hélas pas en tête le prix de l’ancienne version. Cela dit, celle-ci avoisine les 35 euros en boutique, ce qui me parait toujours raisonnable, étant donnée la quantité de plateaux et la beauté de l’ensemble. Impact mineur donc, si ce n’est peut-être écologique.

 

La boîte contient le jeu en deux langues

 

La proposition est-elle suffisante pour acheter un exemplaire de la nouvelle édition si l’on possède déjà l’ancien ? Sans doute pas, si vous espériez de la nouveauté côté mécaniques de jeu. Hormis l’inclusion de neuf cartes promo, rien à signaler. Si par contre vous êtes sensibles à l’esthétique et à l’ergonomie, la retouche de la main de maître de Vincent Dutrait et la taille des cartes vous feront probablement chavirer. Avec d’autres jeux familiaux, j’ai rarement été autant saisi par les couleurs et le caractère des personnages figurant sur les illustrations. Cette touche authentique manquait un peu à la version précédente, je  suis maintenant conquis.

 

Les cartes promo incluses dans la boite sont dispensables mais toujours bienvenues !

 

L’épreuve du temps : le deckbuilding a-t-il mal vieilli ?

Jusqu’à aujourd’hui, je ne possédais pas le jeu de base, mais le connaissais assez bien. Je sais déjà que ce classique restera dans ma collection comme la référence en matière de deckbuilding compétitif accessible à tout public.

 

Nouvelle présentation du livret de règles. Du sans faute.

 

Plus que jamais, l’offre de jeux évolue vite. Et un nouveau style ou une nouvelle mécanique peut se retrouver dépassée en quelques années. Il est donc légitime de se questionner au sujet de La Course vers El Dorado. Cependant, si vous ne possédez pas le jeu, mais doutez que le deckbuilding ne devienne un tantinet ringard, détrompez-vous. Comme je le disais plus haut, le design de Reiner Knizia est si épuré, limpide, ouvert aux stratégies, rejouable, qu’il frôle la perfection, et ne m’a pas semblé avoir vieilli d’une ride. Pour tout vous dire, je suis même rassuré qu’il n’ait subi aucune retouche !

 

L’offre de cartes est suffisamment diversifiée pour permettre de multiples stratégies efficaces.

 

En bref

La réédition de La Course vers El Dorado m’a permis de redécouvrir ce petit chef d’œuvre et d’explorer un peu plus en détail sa profondeur. L’auteur talentueux a réussi l’exercice complexe de rendre la mécanique de deckbuilding épurée, extrêmement fluide et accessible à un public familial, sans pour autant priver les joueurs experts d’élaborer des stratégies de constructions de paquets intéressantes.

La modularité des plateaux permet d’échafauder une bonne variété de parcours (voir le lien en fin d’article). Le gameplay flexible vous permettra d’adapter comme bon vous semble votre paquet de cartes à ces parcours et c’est satisfaisant.

L’interaction est bien présente. D’une part, seuls trois exemplaires de chaque carte sont disponibles à l’achat et on se les arrache, et d’autre part, les parcours présentent des passages en entonnoir permettant au joueur en tête de bloquer les autres par moments. Enfin, les configurations à 2, 3 ou 4 joueurs m’ont paru aussi bonnes les unes que les autres.

Je craignais que la retouche essentiellement graphique de cette réédition n’apporte pas grand-chose. Elle apporte finalement une réelle plus-value à ce classique à qui il ne manquait plus qu’un peu de fraîcheur pour redonner l’envie de l’acquérir et d’y jouer encore et encore.

 

Liens

 

 

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10 Commentaires

  1. morlockbob 07/08/2023
    Répondre

    Damned ! Il va être dur de résister à ce cri du coeur

    • Groule 08/08/2023
      Répondre

      Oui, on est mal barrés s’ils continuent de nous amadouer avec de belles rééditions

  2. Roulio Lombric 08/08/2023
    Répondre

    Eh bien, quelle ode à ce beau jeu de Maître Knizia !  Croc l’avait cité dans une vidéo sur Tric Trac, listant des jeux qui n’avaient pas trouvé leur public (ainsi qu’un autre très bon jeu de course, Snow Tails)

    Je conseille vraiment ce jeu, au gameplay simple mais ciselé, qui procure beaucoup d’ambiance (type grincements de dents) autour de la table, et ne dure pas trop longtemps.

    • Groule 08/08/2023
      Répondre

      Merci pour la découverte. Je ne connaissais pas cette antiquité mais les images évoquent bien un jeu de course.

      Fiche de Snow Tails (2008) sur Ludovox et sur BGG

  3. elniamor 09/08/2023
    Répondre

    Un excellent article qui donne envie de découvrir ce jeu, merci !

  4. expliquemoica 13/08/2023
    Répondre

    Salut la commu,

     

    J’ai eu la chance de le découvrir à sa sortie et j’ai pu faire de nombreuses parties pour faire la vidéo règle et j’ai bien aimé.

    Effectivement nous sommes sur un jeu familial mais néanmoins malin, il faudra choisir les bonnes cartes et se positionner au bon endroit pour peut être bloquer son adversaire

     

    • Groule 16/08/2023
      Répondre

      Salut, merci pour ton retour. N’hésite pas à laisser une évaluation au jeu  en cliquant sur sa vignette et en allant sur « Tests et Avis ». Cela enrichit la base de données du site 😉  A bientôt

  5. ihmotep 21/08/2023
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    Testez à l’association de jeux, achetez dans la foulée ^^. Pas de regrets depuis : il sort très régulièrement aussi bien pour y jouer avec des joueurs occasionnels que pour finir une soirée tranquillou entre gros joueurs.
    La variante 2 joueurs est excellentes. Chaque joueur joue 2 jetons de sa couleur et il faut amener ses 2 meeples au bout pour gagner. A chaque carte joué nous choisissons sur quel meeple l’appliquer.
    Je craignais niveau rejouabilité vu que toutes les cartes sont toujours dispo sur toutes les parties mais il n’en ait rien car c’est la variété des tracés qui va rendre chaque partie unique. De plus les cartes ont été excellement bien pensées. A l’usage elles s’avèrent toutes utiles selon notre façon de jouer et le tracé proposé.
    Nous avons juste ajouté une petite règle maison : interdiction d’aller 2 fois dans le même tour sur une case « destruction de carte » (ca s’avérait trop fort, surtout à 2)

    • Groule 24/08/2023
      Répondre

      Merci de ton retour qui renforce un peu les idées de l’article.

      Je n’ai pas abordé le jeu à 2 joueurs pour ne pas faire un article trop long, mais comme tu le dis, la configuration m’a parue aussi intéressante à 2 qu’à 3 ou 4, hormis le fait que plus on est de fous, plus on rit.

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