Interview : Kenechukwu Ogbuagu, l’électron ludique du Nigeria

Il s’appelle Kenechukwu Ogbuagu, il est auteur et éditeur de près d’une quarantaine de jeux de société, mais aussi organisateur d’une grande convention et gérant du premier café-jeux du Nigeria. Dernièrement, pour tous ses accomplissements ludiques, il remportait le prix Diana Jones (news), et c’est comme ça que nous sommes rentrés en contact.
Dans son pays, on joue, puisqu’on pratique beaucoup les échecs, le Scrabble, et les jeux Mancala notamment. Mais côté jeux de société modernes, il en est paru qu’une dizaine depuis 2017. Un chiffre que Kenechukwu aka « KC » espère bien voir croître par centaine.
Entrevu. 

 

 

Bonjour Kenechukwu, et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions !
Pour débuter, que peux-tu nous dire sur ton parcours ? 

« Avant de concevoir un jeu et de découvrir les possibilités que cela offrait, j’étais dans le secteur du développement où j’ai fait du bénévolat (puis travaillé) dans des projets éducatifs visant à améliorer l’apprentissage des enfants dans des communautés très rurales du Nigeria.

Je suis le deuxième enfant de ma mère – une veuve ; nous avons perdu notre père quand j’avais 11 ans. C’est donc elle qui nous a élevés tous les quatre. J’ai grandi à Emene, une communauté semi-urbaine d’Enugu, un État de l’Est du Nigeria.

Le Nigeria est le plus grand pays noir du monde avec plus de 200 millions d’habitants. Il est situé dans la partie occidentale de l’Afrique. C’est un pays multiculturel avec plus de 400 langues. »

NIBCARD gère le premier café ludique du Nigeria à Abuja, où tout le monde est invité à jouer et à développer des jeux.

 

Comment es-tu devenu un joueur ?

« Pour être honnête, je ne me souviens pas comment je suis devenu un joueur ou ce qui m’a fait aimer les jeux. Lorsque j’étais enfant, il était presque normal de jouer à de vieux classiques. Nous jouions à des jeux comme Ludo, Snake & Ladder, Drought, Whot (un jeu de cartes populaire au Nigeria) et Mancala (nous l’appelons Ayo ou Ncho). J’ai également regardé des amis jouer aux échecs, au Scrabble et au Monopoly. Je pense que ce sont les seuls jeux qui ont existé pendant un certain temps.

Je ne sais pas non plus exactement ce qui m’a poussé à concevoir mon premier jeu en 2013. Je l’ai souvent attribué à « l’ennui » – suite à un mouvement de grève des professeurs d’université dans toutes les universités nigérianes de l’époque. Nous n’avons pas été à l’école pendant 6 mois. Cependant, mon intérêt conscient pour les jeux est apparu lorsque j’étais volontaire dans une équipe de jeunes du Royaume-Uni, du Kenya et du pays d’accueil, le Nigeria. C’était l’occasion de partager des connaissances et d’apprendre des cultures différentes. Le projet – VSO ICS – fut l’environnement où j’ai commencé à m’intéresser davantage aux jeux ; c’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé à apprendre à les créer. »

 

Comment vis-tu ta passion au quotidien ?

« Chaque jour est passionnant ! Cela ne veut pas dire que ce n’est pas difficile ; en fait, c’est très difficile et frustrant, mais c’est excitant ; c’est presque ce « ok, voici un obstacle à franchir, alors faisons-le » que vous avez en jouant à un jeu. 

Chaque jour, je dois penser à la mécanique d’un jeu, aux récits, au café, aux clients, aux conceptions et aux concepts de nouveaux produits, aux matériaux de production, aux ressources et à l’endroit où les obtenir, aux structures et à la manière de faire parvenir les jeux aux tables, à la communauté mondiale, à la communauté nigériane en pleine expansion, au marché, au contexte nigérian, aux clients, aux réunions, à tout !

Vivre ma passion est passionnant, même au milieu des réalités de la vie et du fonctionnement d’une start-up au Nigeria avec peu ou pas de fonds. »

 

Quels sont tes derniers jeux préférés ?

« Hahahaha, hmmm… c’est difficile. Je n’ai pas de jeu préféré parmi les jeux que j’ai conçus. Ce sont tous mes bébés. De plus, comme je dirige un café, c’est difficile. J’enseigne différents types de jeux à différentes personnes. Parfois, je dois prouver aux gens que j’aime tellement un jeu particulier pour qu’ils s’y intéressent aussi. Mais si vous insistez, mes derniers préférés sont Mafia da Cuba, Instant Sync et For Sale. »

 

 

Comment est né ta société NIBCARD Games (NIBCARD est un acronyme pour Nigeria Board Card Roleplay Dice) ?

« NIBCARD Games est né d’un « besoin ». En 2015, lorsque j’ai réalisé que les jeux représentaient bien plus que les vieux classiques que j’avais appréciés en grandissant, j’ai commencé à chercher un studio pour partager mes idées et je n’en ai pas trouvé. Il n’en n’avait jamais existé. J’ai donc dû apprendre à faire les choses moi-même, à commencer par le design visuel.

En 2016, après avoir conçu le visuel, j’ai cherché où fabriquer mes jeux et toutes les informations que j’ai trouvées sur internet référençaient des entreprises hors du Nigeria et à des coûts très énormes. J’ai donc dû apprendre à plier des boîtes et à fabriquer des planches via Youtube. 

C’est à ce moment-là que NIBCARD Games s’est progressivement formé. J’ai donc encouragé mes amis à se joindre à moi pour visiter des cafés, des bars, des écoles ou tout autre événement afin de faire découvrir les nouveaux jeux de société – en fait, des jeux de société fabriqués au Nigeria et d’origine nigériane.

Nous avons donc créé NIBCARD Games et avons depuis continué à apprendre et à grandir. » 

 

17 Steps un jeu engagé imaginé par Kenechukwu

 

De quelles réalisations es-tu le plus fier ? 

« Tout ce que nous avons fait l’a été parce que quelqu’un a cru à notre vision et nous a fait suffisamment confiance pour nous soutenir. Nous avons commencé à résoudre les problèmes que j’ai rencontrés en tant que premier concepteur.
Voilà quelques-unes des réalisations dont je suis le plus fier :
Nous avons fabriqué 21 jeux pour 12 designers nigérians – nous avons résolu leur problème de conception et de fabrication. Nous avons créé un café jeux et inspiré trois nouveaux cafés jeux au Nigeria. Nous avons lancé la plus ancienne convention de jeux sur table en Afrique subsaharienne depuis 2016. Et j’ai conçu et publié 36 jeux au moment où j’écris ces lignes. »

Chiyawa, un jeu de Kenechukwu où les joueurs incarnent des fermiers devant nourrir leurs animaux

 

À quoi ressemble le processus de développement de jeux pour toi ? 

« Je suis inspiré par mon environnement et mon imagination. J’aime mélanger plein de mécaniques, et différentes narrations dans ma tête. Pour être honnête, c’est une sorte de lieu de repos. Une fois que le jeu a un minimum de sens pour moi, je crée immédiatement un prototype. Ensuite, je commence à tester le jeu seul pendant un certain temps, et je modifie tout ce que je peux.

Une fois cette étape franchie, je peux inviter des amis proches à jouer au jeu et continuer à l’améliorer jusqu’à ce que je sois satisfait afin que des personnes qui ne connaissent pas le jeu (ou quiconque ne sachant pas que j’ai conçu le jeu) puissent y jouer.

Ensuite, je l’emmène pour d’autres playtests et pour travailler sur les retours. C’est à peu près comme ça que je conçois. 

En tant que fabricant, je prends également en considération les ressources et les matériaux disponibles lors de la conception d’un jeu. Avons-nous ce composant ? Est-ce que cela rendra le jeu lourd et coûteux à expédier ? Avons-nous des imprimeurs capables de l’imprimer ? »

Après la publication d’un jeu, comment le soutenez-vous ?

« Nous y jouons beaucoup ! Nous essayons de le présenter aux personnes qui viennent au café et nous le diffusons beaucoup sur les réseaux sociaux. Pour l’instant, nous ne nous sommes pas encore lancés dans la distribution – il y a tant de possibilités à explorer dans la filière.
Nous comptons sur notre boutique en ligne et sur d’autres formes de pré-commandes comme Kickstarter et Indiegogo. Nous nous concentrons donc sur la sensibilisation et la publicité. »

 

Y a-t-il beaucoup d’auteur de jeux au Nigeria ?

« En 1993, il y avait un concepteur de jeux nigérian – Charles Igwe – qui a publié le jeu Qui veut être président la même année ; aujourd’hui, il y a 17 concepteurs que je connais, mais il peut y en avoir plus.
Par rapport à 2015, où je pensais être seul, il y a eu une augmentation, et nous savons que ce secteur est en pleine croissance. »

 

Peux-tu nous parler de la vie ludique locale ? 

« Ici, les soirées et les événements consacrés aux jeux sont devenus plus courants qu’il y a deux ans, surtout dans les villes, même si parfois cela se limite aux jeux d’ambiance. Nous avons également un café-jeux, quatre pour être exact, et d’autres cafés et salons ont commencé à équiper leur bibliothèque de quelques jeux de société aussi. 

Les écoles et d’autres organisations ont également commencé à utiliser les jeux comme matériel d’apprentissage ou comme outils de cohésion d’équipe.

La culture des jeux de société se développe également avec le nombre de “Maîtres de jeu” – un statut que nous avons défini pour toute personne capable de jouer et d’enseigner plus de 25 jeux différents.

Nous avons également lancé l’African Boardgames Convention – AB Con – en 2016, qui a vu croître les interactions entre les gens et les jeux de société. » 


Selon toi justement, quel est le rôle d’AB Con dans la scène locale ?

« AB Con a pour but d’initier les gens à la belle expérience des jeux sur table – la joie d’être dans une convention, de rencontrer des personnes partageant les mêmes idées et, bien sûr, de jouer, de parler et de présenter des jeux.

La convention a été créée pour stimuler la croissance des jeux de société en Afrique et pour rassembler une communauté d’amateurs de jeux de société, une communauté de passionnés, de concepteurs, d’éditeurs de jeux, etc.

Nous avons aussi organisé l’AB Con Kids qui a débuté en 2017 en tant qu’événement dédié à accueillir et à récompenser les enfants dans différentes catégories de jeux, et également les parents, enseignants ou tuteurs qui les soutiennent. »

Hut alive, jeu d’ambiance imaginé par Kenechukwu 


Comment voyez-vous le marché international du jeu ?

« Le marché mondial continue d’augmenter à la fois en termes de contenu et de joueurs. Cela crée de nombreuses opportunités pour les investissements, les partenariats et la création de plus de plaisir. Et l’Afrique est prête à rejoindre cette scène ! »

 

Essayez-vous d’introduire des jeux nigérians sur le marché international ? Certains de ces projets se sont-ils se sont concrétisés ?

« Nous travaillons toujours à la diffusion de nos jeux. Nous trouvons toujours de nouvelles façons de livrer les jeux de façon rentable et dans de bonnes conditions. Cela n’est pas sans difficultés, mais nous nous demandons constamment : « Pourquoi pas ? » Et puis nous nous mettons en quête d’un autre moyen ! Un meilleur moyen. Nous espérons que très bientôt, nos jeux, les jeux nigérians, les jeux d’Afrique arriveront bientôt sur la table de tous les joueurs ! »

 

Merci pour ton temps ! 

« Merci à Ludovox d’avoir partagé notre histoire. »

 

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3 Commentaires

  1. morlockbob 04/10/2021
    Répondre

    un petit vent de fraîcheur cet entretien

  2. pascal 04/10/2021
    Répondre

    c est super d avoir réussis à rentrer en contact avec eux.  Admirable le system D. on est loin de KS.

     

  3. Superboss 11/10/2021
    Répondre

    super bravo pour cet article !!! En espérant que certains éditeurs voient ces jeux de plus près pour nous en faire profiter..

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