Hong Kong, Les Chroniques de l’Étrange – L’équilibre parfait ?
Introduction
J’ai pu rencontrer l’éditrice de ce jeu lors du festival annuel Histoire de Jouer à Caen. Il a suffit de quelques mots pour avoir envie de le tester ! Je remercie donc Antre-Monde Édition pour avoir permis d’écrire cet article en m’envoyant le livre de base.
Hong Kong, Les Chroniques de l’Étrange est un JDR original, très ouvert et passionnant qui vous transporte dans cette ville gigantesque qui oscille constamment entre modernité et traditions.
L’action se déroule à notre époque, cependant les créatures surnaturelles existent bel et bien, et elles tentent de se fondre dans la société et sa course à la technologie. Elles font partie de l’Histoire de la ville, même si elles sont plus ou moins discrètement intégrées.
Pour défendre l’ordre céleste et maintenir l’équilibre entre les deux mondes, les fat si, genre d’enquêteurs de l’occulte surentraînés incarnés par les joueurs, sont prêts à user de leurs arts mystiques ancestraux, et s’organisent alors en petits groupes à la recherche de missions. Des jobs qui pourront venir d’humain, de démon particulier, d’une entreprise, ou même des triades ! Les relations avec les différentes factions de la ville apportent d’ailleurs un vrai plus, rendant le monde vivant et cohérent.
La magie est omniprésente, les problèmes aussi ! Les fat si ont du pain sur la planche, et c’est une bonne nouvelle, des deux côtés du paravent : il y a de quoi faire, et le terrain de jeu semble particulièrement intéressant.
En effet, le cadre du jeu a sa propre histoire, ses communautés, ses dirigeants, ses croyances, son organisation administrative. C’est aussi le cas de la communauté surnaturelle. La ville est presque un personnage à part entière.
On sent en tout cas à la lecture qu’il s’agit d’un écosystème cohérent, complet, équilibré. Et en partie, encore plus : les PNJ sont nuancés, avec leur histoire et leur personnalité propres, les lieux sont habités, la technologie est celle que nous connaissons, la ville connaît son train-train quotidien.
Ce que je veux dire, c’est que, en jeu, on ressent vraiment cet écosystème, on sent qu’il est vivant et on s’y meut avec beaucoup d’aisance, parce qu’il nous est familier (étant contemporain), et cela aide à la fois les joueurs à l’appréhender, mais cela simplifie aussi la partie improvisation pour le MJ.
La lecture du livre m’a vraiment impressionnée : tant de bonnes idées, et tant de précisions. La façon d’écrire les règles est pédagogique : on retrouve pour certains points les mêmes structures de phrases, ce qui facilite l’intégration des informations et de les différencier. Ces explications, de manière générale, sont plutôt claires et sont toujours illustrées par des exemples bien vus. Qui le sont pour deux choses : ils permettent d’intégrer la règle présentée, mais ils donnent aussi à chaque fois un aperçu du jeu de manière concrète. D’ailleurs je pense que ce sont ces exemples qui m’ont particulièrement marqué pendant ma lecture : on peut faire tout ça ? Cool !
Et cette liberté, ces nombreuses façons de faire sont vraiment le cœur du jeu. En effet, pour effectuer une action, le joueur ou la joueuse va certes choisir une compétence à tester, mais aussi et surtout une attitude : est-ce que j’y vais de manière agressive ? Souple ? Créative ? Cette attitude est liée aux différents Aspects, qui sont des éléments, et qui changent les conséquences, positives comme négatives, de l’action entreprise. Nous y reviendrons.
Des héros hors du commun : création et place des PJ
La création des personnages est très originale et se base sur les Aspects. « Un Aspect indique la relation que le PJ entretient avec la force élémentaire qu’il incarne et la manière dont cela modèle sa personnalité. »
Chaque Aspect (Métal, Bois, Terre, Eau et Feu) définit un type de personnalité correspondant à sa symbolique.
Par exemple, le Métal, dur et malléable, donne des personnalités combatives et passionnées, de quelqu’un qui ne renonce pas, avec une grande inventivité. En revanche, les personnes concernées peuvent avoir une tendance à la violence, et être obtuses.
La méthode
La création, en mode roleplay et suivant le livre, va être de commencer par choisir un « Gardien Céleste » qui va définir un Aspect privilégié, ainsi que d’autres informations. On choisit alors selon la personnalité que l’on souhaite donner à notre personnage.
Le seul problème avec cette méthode, c’est au moment du choix des magies car elles reposent également sur un Aspect. C’est pourquoi, avec mon groupe de joueurs et joueuses, nous avons décidé de changer un peu l’ordre du processus : choix des magies, puis choix du Gardien Céleste en fonction.
Le profil des joueurs
Les joueurs vont ensuite préciser les compétences qu’ils veulent connaître et éventuellement des spécialités. Par exemple : Enquête/Scène de crime, Mondanités/Psychologie, Technologies/Nanotechnologies, Filouterie/Contrefaçon, etc. Ils vont aussi pouvoir choisir des ressources (influence, matériel, renseignements).
D’autres informations complètent la feuille de personnage, notamment le choix des magies et des arts martiaux maîtrisés. C’est à ce moment-là que les profils des joueurs vont différer et se spécifier. Il y a du choix et des approches différentes, et cela dessine plus concrètement ce que le PJ saura faire pendant les aventures. Le choix peut très bien ne se porter que sur la magie ou les arts martiaux, ou entre les deux. Cela peut aussi dépendre du background du PJ : l’un de mes joueurs vient d’une famille noble très traditionnelle, il ne connaît aucune magie (ni aucune technologie d’ailleurs ! Ce qui a provoqué des situations cocasses).
Le sanhei
Enfin, chaque joueur / joueuse choisit son sanhei, l’objet magique qui lui donne des pouvoirs et matérialise le mandat céleste du fat si. Il est créé de toute pièce quant à sa forme et à ses pouvoirs particuliers. Cela rend le personnage encore plus puissant qu’il ne l’était déjà. Et apporte aussi au joueur une sensation de liberté encore plus poussée.
Le temps et la souplesse
La création de personnage prend du temps (compter 3 heures pour 4 PJ), cependant elle n’est pas si complexe, on est loin des 60 carrières de Warhammer, ou des 15000 classes de D&D. D’ailleurs de manière générale le système est plutôt souple et simple : il n’y a pas de gestion de l’encombrement, par exemple.
Dans ce monde, les PJ peuvent être très forts, puissants et compétents, bien au dessus du commun des mortels, et pourtant ce sont des valeurs telles que l’empathie et la compassion qui sont prônées, et la violence ne doit être qu’un dernier recours.
Une coopération poussée
Le groupe et le Loksyu
La coopération est très encouragée. Cela commence par la création du groupe, qui a lieu juste après celle des personnages. Les PJ vont définir le rapport du groupe au surnaturel, ainsi que son rituel. Celui-ci correspond à un moment privilégié du groupe, pour le cimenter et marquer un événement important, comme une percée dans une enquête. Mon groupe a choisi le karaoké comme rituel (scène qui a provoqué une belle rigolade !)
Le fait d’accomplir ce rituel permet aussi d’ajouter des dés au Loksyu. Pour comprendre cela, une explication plus profonde de ce qui se passe lors d’un test est nécessaire.
Le système en quelques mots
De manière simplifiée, lors d’un test, le joueur ou la joueuse choisit sa compétence à tester, ainsi que son attitude (c’est-à-dire l’Aspect), puis il/elle jette un certain nombre de dés.
Ensuite, l’idée est de placer les dés sur sa feuille de personnage, chaque résultat correspondant à un Aspect. Par exemple : les 7 et les 2 vont sur le feu, les 1 et 6 sur l’eau etc.
Chaque dés placé sur l’aspect choisi apporte un succès.
Les Aspect sont reliés entre eux par des forces : ils génèrent un autre Aspect et en domine également un autre (par exemple, l’Eau génère le Bois, est générée par le Métal, domine le Feu et est dominée par la Terre).
Les autres dés posés sur ces Aspects pourront apporter des dés à positionner sur le fameux Loksyu, qui est en fait une réserve commune de dés où tout le monde peut piocher des dés, ou bien apporter des bonus choisis par le PJ, des malus choisit par le MJ…ou le PJ (!) ou encore aller dans la réserve du MJ – nous en reparlerons.
Les PJ peuvent s’entraider, et y sont fortement encouragés. À chaque test, un autre PJ peut venir aider concrètement, notamment en ajoutant un dé au lancer. L’équilibre mécanique (en termes de données techniques – caractéristiques) au niveau du groupe est important : selon leurs Aspects respectifs, ils vont générer des dés sous d’autres Aspects, qui pourront servir aux autres membres du groupe.
Le roleplay encouragé par les règles
Le système entier s’appuie sur le roleplay, comme nous avons pu le voir via quelques éléments. Mais cela va plus loin. Les joueurs sont toujours invités à expliquer ce que fait concrètement leur alter ego. Par exemple : la dépense de dés bonus (appelés dés-fastes) permet d’obtenir des bonus sur l’action, mais aussi « d’agir sur la fiction », ce qui signifie que le PJ va modifier la scène en cours, en ajoutant un « élément de décor mineur, la présence d’un objet courant, l’utilisation de la configuration des lieux, etc. » Comme un escalier de secours, un objet comme arme improvisée, la gardien parti faire sa pause…
Le MJ reste garant de la faisabilité. Cela permet au PJ de participer activement à la narration de l’histoire, lui donnant le droit d’intervenir sur le monde directement, et pousse encore plus à jouer roleplay.
Les dés de malus, appelés « dés-néfastes », apportent des conséquences fâcheuses et de façon pragmatique sont traités souvent par le MJ, mais la règle invite les PJ à décrire eux-mêmes les complications. Le monde et son histoire se créent tous ensemble.
De la même manière, la règle des Flashback est intéressante : en dépensant deux dés précis du Loksyu, un PJ peut inventer une scène qui se serait passée plus tôt, comme une conversation ou la transmission d’une info ou d’un savoir faire qui pourrait aider dans la scène en cours. Je pense que c’est bien venu tant que cela ne devient une habitude, ce qui le rendrait moins intéressant.
Le MJ, gardien de l’univers
Le MJ est le gardien des règles, et de l’univers, mais pas de la narration, comme nous avons pu le voir.
Dans ce JDR, le MJ ne lance jamais les dés. À la place, il dispose d’une réserve de points (points de Tin Jin) qui s’alimente par les jets de dés des joueurs et joueuses. Ses options sont assez nombreuses, en fonction du nombre de points dépensés : ajouter des dés, augmenter ou diminuer une difficulté, retirer des dés du Loksyu, faire intervenir des renforts, rendre un bien indisponible, etc.
Il faut savoir que ces points ne s’utilisent pas uniquement pour mettre des bâtons dans les roues des PJ, mais ils peuvent aussi leur apporter une aide des bonus, symbolisant l’aide des Dieux.
Le seul inconvénient de ce système, c’est que les points de Tin Jin s’acquièrent très vite, et le MJ se retrouve avec des points dont il ne sait que faire. Je pense qu’à ma prochaine partie je m’en servirai bien plus souvent.
Un mot sur les combats et la magie
Le système de combat est bien pensé et est plutôt fluide. Les acteurs vont se placer sur une sorte de roue, en fonction de la première action qu’ils vont entreprendre. Puis, chaque action a un coût en cran, ce qui fait reculer sur la roue et peut changer l’ordre pour agir. C’est malin, et cela marche très bien. De plus c’est très visuel, ce qui permet à chacun d’anticiper les actions des autres.
La magie est assez complexe. Les sorts sont vraiment forts et très intéressants, comme le fait de pouvoir demander des infos aux divinités du lieu, se transformer en animal, manipuler des objets à distance, créer des potions et des poisons, maudire un ennemi, parler avec les morts, protéger un lieu. Et bien d’autres ! J’ai senti que mes joueurs appréciaient particulièrement d’user de la magie à leur manière (la créativité est de mise pour préciser ce que fait exactement le sort), mais ils ont été un peu frustrés par rapport à des sorts trop longs à mettre en place, comme les glyphes de protection, par exemple. Une aide de jeu sous forme de tableau aide à la compréhension du système.
Conclusion : l’équilibre parfait ?
Nous avons passé un très bon moment lors de notre première partie, qui a duré un peu plus de six heures. Nous avons joué l’un des scénarios du livre de base, qui propose de mener une enquête, et c’était parfait pour découvrir l’univers et les mécanismes.
Moi qui n’est pas l’habitude de ce genre de thème, ça a été l’une de mes parties les plus plaisantes ! J’ai vu mon groupe ravi, et moi-même j’ai pris beaucoup de plaisir à jouer. Je ne dirais pas que le jeu est parfait, parce que rien ne peut l’être et qu’il y a quelques petits détails améliorables, mais le plaisir et l’émulsion de groupe ont été au rendez-vous, et nous avons tous très hâte d’y jouer à nouveau.
Vous l’aurez compris, je vous recommande très chaudement Hong Kong – Les Chroniques de l’Etrange !
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