Gardeners : un casse-tête qui pique

Gardeners est le nouveau jeu de Kasper Lapp (Magic Maze, Gods Love Dinosaurs, That’s not a hat), parfois annoncé comme le successeur de Magic Maze. Ce dernier, nommé au Spiel des Jahres 2017, est pour moi LA référence en matière de jeu coopératif familial, tout simplement. Je ne suis pas le seul conquis de l’équipe, jugez-en par vous-même : on vous en parlait en 2017 dans de nombreux articles.

La comparaison est justifiée, car Gardeners partage de nombreux points communs avec son frère aîné sur l’aspect mécanique :

  • C’est un jeu coopératif,
  • On joue en temps réel et simultanément,
  • Les parties durent 15 minutes,
  • On joue en silence durant la partie.
  • Chaque joueur est contraint dans ses actions (aspect plus prononcé dans Gardeners)

 

Cela dit, il ne faut pas s’y méprendre. L’essence même du jeu, les sensations, et le public ciblé, m’ont paru différents de Magic Maze. Pour preuve, Thomas, Mathieu et Nat vous font leurs retours à chaud dans ce Dans le Viseur FIJ.

Alors, n’est-on pas sûr d’aimer Gardeners si on porte Magic Maze dans son cœur ? Inversement, est ce que cette nouvelle proposition convaincra un nouveau public (notamment les amateurs de jeux abstraits) ? C’est ce que nous allons tenter d’éclaircir tout de suite !

 

 

Petits jardinets entre amis

En tant que jardiniers du roi, votre objectif sera de constituer ensemble le plus beau jardin possible pour Sa Majesté. Celle-ci étant capricieuse et versatile, ses goûts changeront rapidement, et vous devrez vous adapter pour satisfaire ses exigences.

En jouant simultanément, l’équipe devra placer des tuiles en temps réel pour constituer un carré de 6 x 6 tuiles représentant le jardin. Chaque joueur jouera à sa guise sans temps mort, et n’aura que deux actions possibles :

  • Placer une tuile,
  • Retirer une tuile, puis la donner à un coéquipier (interdit de replacer ou de pivoter soi-même une tuile !).

 

Les tuiles Jardin, élément principal du jeu, sont de faction impeccable : épaisses, lisses et solides. Très agréables à manipuler.

 

Tout le principe et le challenge du jeu reposent sur des cartes Contrainte. Au fur et à mesure, les joueurs piocheront à tour de rôle une carte Contrainte. Tout le monde devra se conformer à ces contraintes, mais seul un joueur connaîtra son détail, les autres n’ayant accès qu’à une partie de l’information. Ces cartes sont toutes uniques :

  • Le verso, visible de tous, indique de quel type de contrainte il s’agit. Par exemple, deux éléments ne doivent pas être positionnés côte-à-côte.
  • Le recto détaille toute l’information et sera connu d’un seul joueur. Par exemple, ce sont les arbres verts qu’il ne faudra pas placer à côté de fleurs rouges.

 

Entourer une fleur rouge avec un chemin de galets, sachant qu’aucune tuile jaune ne doit se trouver sur les bords du jardin ? Mission accomplie ! Euh, en fait non…

 

Au début, une seule contrainte sera mise en jeu. Lorsque le jardin sera validé, une deuxième sera piochée et se cumulera avec la première. Une fois le jardin de nouveau validé, on en ajoutera une troisième. Enfin, pour chaque contrainte qui devra être ajoutée par la suite, on retirera la plus ancienne. Le nombre de combinaisons possibles de contraintes pour construire votre jardin est astronomique.

Comme je le sous-entendais en introduction, Gardeners est un jeu clivant, pour deux raisons essentielles selon moi :

  • Combiner trois contraintes entre elles demande beaucoup de concentration. On ne peut pas vraiment jouer à la légère.
  • Plus encore, il faudra de nombreuses fois oublier une contrainte et la remplacer par une nouvelle. Cela demande non seulement un effort cérébral, mais surtout de déconstruire une partie parfois importante du jeu que l’on a construit avec effort, pour le reconstruire différemment, et ce de multiples fois. C’est une chose que tous les joueurs n’apprécient pas forcément de faire !

 

J’ai personnellement plus de mal avec la seconde que la première. Je vous propose de marquer un temps de pause pour bien visualiser ces deux points. Si vous grimacez, autant vous le dire, vous pouvez arrêter ici la lecture de cet article ! Sinon, continuons cette visite…

 

Se former au jardinage, c’est pas facile !

Gardeners est bien un casse-tête. Le jeu dans sa configuration normale est plutôt exigeant. L’objectif sera de valider le plus possible de cartes contraintes en 15 minutes. Un barème est donné dans les règles. Atteindre un score acceptable sera relativement accessible, mais aller au-delà va vous mettre à l’épreuve.

Pour amener cet effort de concentration que j’évoque plus haut, l’auteur a prévu plusieurs scénarios d’apprentissage, où l’on augmentera progressivement la taille du jardin, la diversité des tuiles Jardin, ainsi que le nombre de contraintes à combiner. Ceci dit, c’est un sécateur à double tranchant. D’une part, les joueurs seront très bien accompagnés dans l’apprentissage, mais comme pour beaucoup de jeux à tutoriels, les quatre premières parties ne donneront qu’un échantillon limité du gameplay avec peu de challenge et de difficulté. Tout le monde n’est pas prêt à « sacrifier » plusieurs parties d’échauffement avant de pouvoir pleinement profiter du jeu. Le risque est qu’au bout d’une heure, on ne soit pas conquis face à cette proposition restreinte, que l’on s’ennuie, ou que l’on ne donne plus sa chance au jeu pour la suite.

 

 

Difficile également de faire découvrir Gardeners à des non-initiés. La où Magic Maze réussissait très bien ce passage, Gardeners nécessitera de passer par la formation officielle un peu scolaire, ce qui présente peu d’intérêt même en brûlant une ou deux étapes. Si on ne s’adresse pas à son groupe d’habitués, il sera donc difficile de caser ce jeu sur la table.

 

Des débuts hésitants

D’autre part, aucune indication ni limite n’est fixée dans les règles au sujet de la communication, si ce n’est de tenir le silence. C’est un peu déroutant, car on se demande comment il est possible d’indiquer à ses partenaires en quoi consiste votre contrainte, puisque l’on n’a pas le droit de repositionner nous-même les tuiles que l’on a retirées. Inutile donc de regarder les autres dans les yeux (Magic Maze), impossible de placer un indice en jeu (The Crew) ou encore d’user de la télépathie (The Mind).

Puis, au fur et à mesure, on vient à comprendre le « truc ». Malgré l’absence de communication orale, il sera possible de communiquer avec ses partenaires dans sa façon de retirer des tuiles du jardin :

  • Retirer une tuile au moment-même où quelqu’un d’autre la pose, afin de lui indiquer précisément ce qui ne correspond pas à votre pattern.
  • Retirer exactement deux tuiles pour lui indiquer d’échanger leurs positionnements.
  • D’autres exemples que je n’ai plus en tête.

 

On se rend vite compte que ce mode de communication est tout simplement indispensable pour parvenir à amasser des points à la fin de la partie, mais il faudra le découvrir par soi-même. Cette liberté d’interprétation des règles peut déplaire à certains. Pour d’autres, il sera possible au contraire d’apprécier la découverte de ces voies de communication souterraines.

 

En retirant ces deux tuiles, je fais comprendre à ma voisine qu’il faut les inverser.

 

Ainsi, Gardeners va probablement perdre une partie de son public sur la route, avant même qu’il n’ait pu démontrer tout son intérêt. C’est dommage, car une fois dans le bain, l’exercice ne m’a pas paru désagréable. On prend plaisir à valider à la chaîne les cartes Contrainte et à s’améliorer entre les parties.

 

Un caillou dans le potager

L’infinité de possibilités de combinaisons de contraintes montre un revers de la médaille. Parfois il m’a paru impossible de réaliser certaines contraintes car elles semblaient de prime abord incompatibles avec d’autres. Cependant, sur ce point l’éditeur nous a certifié que toutes les combinaisons ont été étudiées et toujours réalisables (voir les commentaires) ! Mea culpa donc.

Dans les règles, il est spécifié que vous pouvez juger par vous-même de défausser une carte et de subir ainsi 1 point de pénalité. Cette option permet d’éviter des situations infernales provoquées par certains tirages aléatoires de contraintes plus ardues que d’autres. De mon côté, elle m’a fait grincer des dents plusieurs fois, avec un petit sentiment d’injustice, car il faut bien prendre 1 ou 2 minutes pour constater la situation d’échec.

 

 

Créer un chemin de 11 tuiles tout en construisant ces deux patterns ? Tout cela sans connaitre les contraintes dans le détail ? L’enfer…

 

Une variante expert

Si je vous ai fait peur avec l’impression de devoir avaler des cachets d’aspirine pour calmer le mal de crâne, n’exagérons rien. Les amateurs de casse-tête, de jeux abstraits, sont plutôt en bonne voie d’apprécier ce titre. Après autant de parties qu’il faudra pour maîtriser la bête, l’envie de variété se fera sentir.

Dans cette optique, l’auteur propose un paquet de 21 cartes destiné aux experts, pour aller plus loin. C’est en quelque sorte un mode campagne dans lequel les règles évolueront. Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de le tester (la version pre-print à laquelle j’ai eu accès n’ayant pas intégré le recto des cartes).

Si certains d’entre vous souhaitent partager leur expérience, n’hésitez pas à le faire dans les commentaires !

 

 

Un mode solo à suivre prochainement

Enfin, j’écrirai prochainement sur le mode solo de Gardeners, car il y a des choses à dire. Sans vouloir trop vous spoiler, sachez qu’à ma grande surprise, cela a senti plutôt bon ! À suivre.

 

Le vert dicte

Gardeners est par essence un jeu clivant. Il ne correspondra qu’à un certain public et pourra être tant aimé par les uns que détesté par d’autres. Ne vous fiez pas à son look zen et gentillet. C’est un vrai (fra)casse-tête coopératif dans lequel il faudra faire chauffer la matière grise, être discipliné dans le silence, mais aussi aimer persévérer dans l’effort. Malgré tous ces panneaux d’avertissements, Gardeners m’a plutôt satisfait, avec certains bémols.

J’apprécie la manipulation des tuiles super solides. J’apprécie le jeu de puzzle simultané, court, ainsi que la diversité des situations apportée par les cartes Contrainte.

J’ai moins apprécié l’accompagnement maladroit des joueurs débutants : trop de scénarios d’apprentissage (4), et comprendre par soi-même comment communiquer sans parler n’est pas évident. Aussi, certaines combinaisons de contraintes peuvent mal tomber (comme dans tout tirage aléatoire me direz-vous) et inciter fortement à prendre une pénalité tellement elles m’ont parues difficiles.

Les fans de Magic Maze auront une porte d’entrée vers Gardeners car les deux jeux se rejoignent dans le progrès en équipe, la manipulation de tuiles et le jeu en temps réel. Par contre attention ! Ils n’adhèreront pas tous à cette version, qui est cela dit bien éloignée de la proposition de son aîné. Là où Magic Maze est porté sur le fun, l’action et la coordination entre joueurs, Gardeners mise tout sur l’effort cérébral consacré à la résolution d’un puzzle (parfois difficile) en équipe. Comme pour Magic Maze, il s’adresse aux « try harders », désirant à chaque partie pousser la performance un peu plus loin que la fois précédente.

Enfin, un fait rare est à souligner : toutes les configurations de jeu m’ont parues aussi bonnes les unes que les autres, de 1 (oui oui !) à 4 joueurs.

Pour moi, il a sa place dans les jeux intéressants du moment, mais il sera rangé parmi les curiosités. Je ne le sortirai qu’avec des joueuses et joueurs avertis, et surtout si tout le monde est suffisamment reposé !

 

 

LUDOVOX est un site indépendant !

Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :

Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :

acheter gardeners sur espritjeu

8 Commentaires

  1. Sophie 17/03/2023
    Répondre

    Hello Ludovox,

    Ici Sophie de chez Sit Down!

    Merci beaucoup pour votre article sur Gardeners 🙂

    Petite (grande) précision tout de même:
    Les différentes contraintes ont été développées pour être TOUJOURS réalisables lorsqu’il n’y en a que 3.
    (A l’exception du modo solo ou le nombre de cartes Contrainte peut s’envoler, mais les règles du mode solo sont adaptées).

    L’option d’en défausser une en échange d’un malus est à utiliser quand la contrainte semble difficile à réaliser, ou que les joueurs n’y arrivent pas… pas quand elles sont impossibles.

    Il n’y a donc pas de « bug » à proprement parlé, même si certaines configurations sont plus difficiles à réaliser que d’autres, nous aussi on aime bien les mécaniques bien huilées 😉

    On a tout de même testé au préalable, voici la preuve en image:
    https://bit.ly/3TpiJoT

    Si il était possible de le préciser dans l’article afin d’éviter les malentendus ce serait super 🙂

    Merci beaucoup,

    Sophie

    • Groule 18/03/2023
      Répondre

      Bonjour Sophie,

      Merci pour votre réponse développée et argumentée. Échanger de manière constructive sur les jeux, c’est ce qu’on aime quand on partage une même passion !

      Nous avons repris le texte de l’article aux paragraphes concernés. Les quelques parties que j’ai pu faire avec mes coéquipiers m’ont mené à des observations probablement erronées. Il fallait donc nuancer.

      Votre remarque était légitime et bienvenue donc 😉

      A bientôt et j’espère que vous lirez un de nos prochains articles qui traitera du mode solo de Gardeners !

      • Sophie 21/03/2023
        Répondre

        Pas de soucis, merci pour la modification 🙂
        Et nous lirons le prochain avec plaisir!

  2. Starfan 17/03/2023
    Répondre

    Bonjour! Superbe article sur ce jeu qui m’intriguait beaucoup et que je compte acquérir après lecture de votre ressenti. Je déteste Magic Maze au point de m’enfuir en hurlant à la lune(quand il y en a une) chaque fois que je croise ce jeu! Je n’ai jamais joué à The Mind mais j’ai essayé The Crew que je n’ai pas aimé car je suis allergique aux jeux de plis. Dans le genre de jeu d’ambiance avec communication très réduite,il y a l’excellent et étonnant C’est Evident.

    • atom 17/03/2023
      Répondre

      C’est marrant, j’ai joué au jeu avec un ami et on était vraiment en PLS, je ne sais de qui c’était la faute, probablement de nous deux, mais on ne se comprenait pas du tout et le jeu était pas agréable pour nous, pas parce qu’il n’est pas bon, il est plutôt solide, mais il nous plaçait en situation d’échecs, c’était ultra frustrant. Bilan j’en ai déduit que ce n’était pas pour nous, comme un jeu de déduction peut ne pas être adapté pour certains profils par exemple.

    • Groule 18/03/2023
      Répondre

      Salut Starfan, merci. Comme quoi, tout jeu doit trouver son public. Et je le répète, si on est amateur de casse-têtes sans être particulièrement gêné par la communication restreinte, Gardeners est pour moi un plutôt bon parti.

  3. Starfan 23/03/2023
    Répondre

    Après avoir tant bien que mal réussi le mode entrainement en solo(ça a commencé à chauffer avec le mode C),j’ai attaqué le mode entrainement sur lequel je me casse encore les dents avec des scores pas ouf! Le jeu est très original et me donne très envie de l’essayer en groupe. Bravo à l’auteur!

    • Groule 23/03/2023
      Répondre

      Salut Starfan,

      Merci de ton retour !

      N’hésite pas à laisser un avis commenté sur le jeu quand tu te seras fais une idée d’ensemble (fiche du jeu -> TESTS ET AVIS -> laisser un avis), pour enrichir la base de données 🙂

      J’ai apprécié le mode solo également.

Laisser un commentaire