Discussion avec Josselin Moreau de Palladis Games

Josselin Moreau est le directeur éditorial de Palladis Games, une société qui s’est lancée en 2022. J’avais rencontré Josselin et Natalie (responsable marketing) sur le festival de Cannes au moment du lancement de Biotopes. Un projet un peu osé, car pour ce premier jeu, ils voulaient une production locale et écologique, en mettant un point d’honneur à réduire leur empreinte carbone. Tout un programme ! Juste des arguments marketing ou de vraies valeurs, de vrais idéaux ? On vous en laisse juge 🙂

 

 

Bonjour Josselin, peux-tu te présenter, nous parler de ton parcours ?

Alors mon parcours… il est assez varié ^^. On va peut-être juste se focaliser sur le milieu du jeu. Avant d’être joueur de jeux de société, je suis plutôt rôliste et joueur de jeux de figurines. Et c’est d’ailleurs avec l’un de ces jeux, Confrontation, que j’ai commencé à goûter au milieu ludique professionnel. 

J’ai enchaîné ensuite avec plein d’expériences différentes : du jeu organisé chez Privateer Press, de la gestion de jeu organisé chez Upper Deck avec Yu-Gi-Oh et World of Warcraft TCG. Du game design et de l’écriture avec un jeu de figurines, Alkemy. Et une première expérience comme directeur éditorial avec la société que nous avions fondée pour développer ce jeu de figurines : Kraken Editions. Puis du suivi de projet chez feu Sans Détour. Du jeu organisé/marketing à nouveau chez CMON, puis finalement, Palladis est arrivé rapidement après tout cela 🙂

D’où vient le nom Palladis Games ?

Nous avions envie de trouver un nom emblématique pour notre maison d’édition, en rapport avec notre culture. Nous avons longtemps tourné autour des noms de divinités grecques, celtes et d’Europe de l’ouest (ce que César appelait faussement les « Gaulois ») sans être convaincus.

Un jour, j’étais en train de rejoindre des amis quand j’ai vu, par terre devant moi, une carte de Trivial Pursuit. Cela faisait des années que je n’avais pas vu de cartes de ce jeu, cela m’a donc surpris. Je l’ai prise en main, essuyant du bout des doigts les traces de pluie, et tout de suite un nom a attiré mon attention : « Pallas » (le nom de la dame de pique de la belote, d’après le Trivial Pursuit).

Dans les légendes grecques, Pallas est aussi le nom d’un géant tué par la déesse Athena. Elle fait de sa peau une cuirasse, et lui vole son nom.

« Pallas Athena » est la déesse aussi bien des artistes et des artisans que de la stratégie militaire. Il se trouve qu’une des déclinaisons de ce nom était « Palladis ». C’est ce terme que nous avons retenu, qui nous permet de faire un clin d’œil à nos racines européennes.

 

C’est quoi l’ADN de Palladis Games ?

Palladis c’est au départ l’envie avec mes deux camarades, Natalie et Jess, de mener une aventure commune qui porterait des valeurs humaines et durables.
Il existe beaucoup de maisons d’éditions de qualité aujourd’hui, qui font très bien leur travail éditorial. Elles sont évidemment une belle source d’inspiration, et en plus de cela nous avions à cœur de nous investir dans la recherche de moyens de production éco-responsables. Une partie importante de mon temps chez Palladis est occupé à rechercher de nouveaux moyens de produire avec un coût moindre pour notre écosystème.

 

 

Peux-tu présenter ton équipe, combien êtes-vous et qui fait quoi ?

L’équipe originelle c’est Natalie, qui est notre responsable marketing, international et aussi expert ès chats ; Jess, notre Directeur artistique et accessoirement expert ès culture nippone et bonnes adresses culinaires ; et moi, donc. Nous sommes épaulés par notre entourage, constitué de personnes du milieu du jeu, comme Tatiana, qui nous aident à avancer et nous conseillent.

 

Quelle est la ligne éditoriale de Palladis ?

Notre ligne éditoriale, c’est éditer des jeux qui nous plaisent, dans des thématiques qui ne dévient pas de notre ligne éco-responsable – on ne se verrait pas éditer des jeux ayant pour thème l’exploitation animale ou humaine, ou la destruction des écosystèmes, par exemple. Nous excluons certains types de jeux comme les “roll & write” ou les Legacy, par exemple, pour des questions d’économies de ressources.

Mais ça ne fait pas de nous un éditeur “nature” pour autant. Notre dernier jeu, BLOT, est un jeu de plis dans un univers nordique antique, par exemple.

J’aime particulièrement la création de nouveaux jeux, car cela nous permet de travailler avec des personnes bourrées de talent, et c’est un moteur principal pour moi. On ne s’interdit pas non plus les localisations (nous avons deux jeux/projets qui sont des localisations – Kintsugi et All-Star Draft). La seule chose importante pour nous dans ce cas-là c’est qu’il faut qu’on puisse avoir la possibilité de faire des modifications, notamment graphiques, si nous en ressentons le besoin. Jess aime qu’on apporte une touche “Palladis” à tous nos jeux.

 

Combien de jeux souhaitez-vous éditer par an ?

Nous avons préparé notre calendrier éditorial pour les deux années et demi à venir, et cela donnera entre 3 et 4 jeux par an. Nous prévoyons généralement un “gros” jeu par an, accompagné par d’autres jeux qui peuvent par exemple rentrer dans notre gamme Nomade. Mais cela peut changer.

 

Vous avez fait le choix de produire les jeux en France et de manière écologique. Quel est le processus ?

Ce serait assez long de tout détailler, mais disons que nous pourrions résumer notre travail par “essayer de mieux faire.” 

On a par exemple fait le choix de produire au plus proche du marché final. Cela est né du constat que les coûts énergétiques dus au transport étaient catastrophiques ; faire venir des jeux de l’autre bout du monde, c’est multiplier par dix les émissions de carbone dans l’atmosphère (par rapport à une production en France).

C’est pour cela que nous avons décidé de faire produire en France nos trois premiers jeux, à destination des marchés français et belges. Et nous sommes aussi en lien avec des partenaires européens, notamment pour répondre à de futurs besoins d’exports à l’international.

Cette contrainte nous a posé un gros challenge dès lors qu’on a commencé à envisager d’exporter nos jeux en Amérique du Nord – car nous n’avons pas trouvé de solution de fabrication sur place. Mais nous avons trouvé une super solution : faire fabriquer nos jeux en Europe et les faire expédier aux États-Unis… par voilier ! Je vous invite vivement à aller voir ce que fait la société Grain de Sail, vous allez être surpris.

 

 

Quels sont les avantages et les inconvénients ?

Les avantages, c’est déjà que l’on peut calibrer la production au plus juste. Comme nous n’avons pas besoin de faire venir nos jeux depuis l’autre bout du monde, nous pouvons les faire éditer en petites quantités, et il faut quelques semaines à peine pour lancer une nouvelle production. Notre réactivité, nous la devons aussi à notre partenaire français, Ludotopia.

Notre impact carbone est aussi plus limité, et ça compte forcément pour nous.

Inconvénient principal : le coût. Faire produire en France, cela coûte pour l’instant environ deux fois plus cher que de produire en Chine, par exemple. Nous faisons de notre mieux pour ne pas faire peser ce poids financier entièrement sur les consommateurs, mais cela nous force à être intelligents pour compenser ce surcoût.

 

Sur un jeu comme Biotopes ça a été un choix risqué non ?

C’est certain, oui. Mais cela nous a permis de nous mettre directement “dans le bain”, et de travailler sur notre processus de production d’entrée de jeu.

 

Et est-ce que c’est rentable ? 

Seul l’avenir nous le dira ! Pour Biotopes, nous avons choisi de prendre un risque calculé. Sa thématique nous permettait d’expliquer plus facilement notre démarche ; c’était logique. Ça nous a permis aussi de façonner plus facilement les contours de l’image de Palladis. Une image qui, nous l’espérons, restera dans l’esprit des gens lorsqu’ils s’intéresseront à nos autres jeux (qu’ils soient sur une thématique nature ou pas).

 

Vous êtes passé par le financement participatif, est-ce que c’est quelque chose que vous allez refaire ?

Je préfère dire que jusqu’à présent nous n’avons pas lancé de financement participatif, mais une campagne de précommande : les gens ont participé au financement de la production d’un jeu, pas au développement d’un projet. La nuance est importante à nos yeux. Pour nous, c’est essentiel de dire aux gens : “si vous nous aidez financièrement, vous êtes assurés d’avoir un jeu ou d’être remboursés.” On se fixe un objectif de résultat, pas uniquement de moyens. 

Notre prochaine campagne, nous l’envisageons pour Laysan, notre prochain jeu, qui est un projet ambitieux. Cela nous permettra de déterminer au plus juste les quantités à produire et de pouvoir lancer plus facilement la production.

Laysan au festival de Cannes

 

Pour Laysan il me semble que vous allez utiliser un système un peu particulier de plastique, un peu comme le Rewood de CGE. Peux-tu nous en parler ?

C’est exactement ça : nous allons utiliser la technologie ReWood développée par la société allemande Wissner.

Nous avons travaillé pendant près d’un an et demi sur la production de Laysan et comment fabriquer les cubes du jeu pour que ça colle à notre démarche “mieux faire” en évitant le tout-plastique. Parmi les solutions envisagées, il y avait le recyclage de filets de pêche, mais le coût financier était trop important. La technologie ReWood, à base de bois recyclé, est vraiment novatrice et colle parfaitement à nos valeurs. L’entreprise Wissner a même obtenu il y a quelques mois une certification PEFC pour ses matériaux, ce qui ne fait que confirmer que nous faisons le bon choix.

 

Pour nos lecteurs, peux-tu préciser ce qu’est la technique du Rewood ?

Alors, je ne suis pas ingénieur chez Wissner, la société allemande qui a breveté cette technologie. Mais grosso modo, c’est un procédé qui permet de récupérer des chutes de bois et du plastique recyclé, de passer tout ça à haute pression et haute température afin d’en faire un liquide injectable dans des moules, comme du plastique “traditionnel”. Ça permet de concevoir des pièces vraiment typées (comme dans Kutna Hora chez CGE justement)

 

 

Quels sont vos projets à venir ?

Notre prochaine campagne de précommandes sera pour Laysan, les Cités englouties. Un jeu un peu casse-tête de représentation dans l’espace dans un univers sous-marin. Laysan a été imaginé par Clément Miralles, et a été primé au Concours de Boulogne-Billancourt sous le nom d’Agrabah ; il sera illustré par Maud Chalmel. Il devrait arriver en boutiques tout début 2025.

Puis cet automne, on aura la sortie d’All-Star Draft, une localisation et une nouvelle édition de ce jeu fun de draft, édité par Suncore Games, sur une thématique de hockey sur glace avec des animaux anthropomorphes.

Puis, en 2025 on aura plein d’autres projets : Promenons-nous, Kallax pour ne citer qu’eux.

 

Quels jeux t’ont marqué en tant qu’éditeur ou joueur ?

En tant que joueur, difficile de ne pas parler des deux jeux “fondateurs” de mon intérêt pour le jeu sous toutes ses formes : Heroquest quand j’avais 8 ans, qui m’a plongé dans les univers de jeu de rôle et les jeux de figurines (oups !), et 7 Wonders auquel j’ai joué un nombre incalculable de fois dès sa sortie et qui m’a vraiment fait plonger dans les jeux de société (que je ne faisais que survoler jusque là).

En tant qu’éditeur, je dirais que je suis assez épaté par les directions artistiques prises par Bombyx. J’aime beaucoup les choix graphiques réalisés sur Codex Naturalis, Lueur, Sea, Salt & Pepper, Humanity et Pixies pour ne citer qu’eux 🙂

Niveau mécaniques de jeu, Paléo m’a marqué à sa sortie. J’avais trouvé malin la gestion des cartes avec les dos différents et ce que ça générait comme discussion sans que ça n’entraîne forcément l’émergence d’un joueur “alpha”. Le genre de petits twists que j’aime bien, dans un jeu avec un univers riche et graphiquement vraiment chouette. C’est tout ce que j’aime 🙂

 


Merci Josselin !

 

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1 Commentaire

  1. Max Riock 23/05/2024
    Répondre

    Merci pour cette chouette interview !

    Biotopes était dans mon top10 2023 et j’attends Laysan, que j’ai pu découvrir à Cannes, avec impatience !

     

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