Discover : un monde de possibilités
De temps en temps, le monde du jeu subit de petites révolutions, des innovations qui marqueront durablement le milieu, des choses avec un avant et un après. Pour ma part, j’ai l’impression d’avoir vécu ça avec l’arrivée de Dominion, puis des jeux Legacy. À l’inverse, il y a des choses qui sont présentées comme révolutionnaires et qui finalement ne tiennent pas si bien que ça. Ici, je pense plutôt aux jeux hybrides mêlant jeux de société et jeux vidéo, mode qui ne me semble pas avoir bouleversé les choses tant que ça.
Le sujet d’aujourd’hui est un des jeux qui a l’ambition d’être une de ces révolutions. Celle-ci porte un nom, les « Uniques Games », c’est à dire des jeux dont chaque copie est strictement unique dans le monde, pour une langue donnée. L’offensive a été lancée par KeyForge, dont nous vous parlions entre autres ici. Le suivant sur la liste est donc le sujet d’aujourd’hui, Discover. J’étais un peu dubitatif sur le lancement de KeyForge quant à l’intérêt du jeu avec cette génération algorithmique des decks, mais je l’étais encore plus quand on m’a parlé de Discover : ici, c’est bien un jeu de survie, d’aventure et donc un poil narratif que l’on nous propose. Comment donc réussir à rendre cela intéressant quand le contenu de votre boîte (les lieux, les objets, les monstres etc.) n’est pas créé par un humain de chair et de sang, qui maîtrise l’histoire qu’il raconte ? Reste que ma curiosité était piquée.
La zone, pas une mobylette, pas un troquet, RIEN
Nous voici donc dans un jeu d’aventure, qui commence avec notre réveil au milieu de … ben, ça dépend de votre boîte. Vous pourrez être sur une plage, dans des montagnes, dans un désert etc. Chaque boîte contient deux environnements différents parmi les 6 possibles. Donc, votre lieu de départ, vous ne le découvrez qu’en ouvrant la boîte et c’est un peu chouette, mais ça, on en reparle plus loin. Revenons à nos moutons, enfin à leur absence, justement. Comme je vous le disais, vous êtes un peu les seuls dans ce coin paumé, et vous ne savez ni comment vous en êtes arrivés là, ni comment vous en enfuir avant de mourir de faim, de soif ou d’autres causes disons moins naturelles. Et c’est bien cela que vous allez chercher à faire : vous enfuir, tout en survivant, autant que possible.
Les mécaniques du jeu sont, malgré un livret de règle assez conséquent, en réalité extrêmement simples : chaque joueur a des points d’action, qu’il regagne au début de chaque journée, et il va les utiliser comme bon lui semble pour faire, devinez quoi, des actions. On retrouve toute la panoplie habituelle du jeu d’exploration/survie :
- Se déplacer (qui nous coûtera plus ou moins de points d’action en fonction du terrain)
- Ramasser des ressources
- Fabriquer des objets
- Faire du feu
- Faire cuire sa viande
- Chasser des animaux
- Affronter des ennemis/monstres
- Découvrir de nouvelles tuiles
- Visiter certains lieux…
… et j’en passe, bien sûr. On trouvera sur le plateau plein de lieux où interagir, parfois en fonction des éléments que l’on aura trouvés : « tiens j’ai des graines, je pourrais aller les faire pousser là bas ».
La narration est principalement portée par des cartes que l’on piochera en interagissant avec l’environnement, avec ce bon vieux système de « lorsque vous êtes sur le lieu numéro 45, piochez la carte numéro 45 ». Elle est néanmoins aussi portée un peu par les ressources que l’on collecte, car on ne sait jamais avec certitude ce que l’on va trouver lorsqu’on retourne un pion ressource. Par exemple, ce tas de pierres qui vous semblait bien utile pour fabriquer un couteau s’avère en fait le nid d’un serpent qu’il va falloir affronter…
Les combats contre les ennemis (et les animaux que l’on chasse) sont aussi très simples : on jette un dé gris et un dé rouge. La valeur du dé gris est comparée à la défense de l’ennemi pour voir si on lui fait un dégât, celle du dé rouge est comparée à sa valeur d’attaque pour voir si lui nous fait un dégât. Simplissime, je vous dis !
Comme dans tout bon jeu de survie, c’est le soir que les choses se gâtent en général : quand tous le monde a fait ses actions, on pioche une carte événement qui nous indique quelle ressource consommer (eau et/ou nourriture), combien de points d’action on récupère, ainsi que les éventuelles autres bricoles qui nous tombent dessus. Mieux vaut être à côté d’un feu en général à ce moment… ça éloigne souvent les curieux.
L’idée qui m’a semblé la plus originale dans le jeu, c’est la façon dont sont gérées les blessures. Lorsque vous récupérez une blessure, vous notez de quel type de blessure il s’agit: soif, faim, empoisonnement, blessure physique. Et évidemment, chacune nécessitera le remède approprié pour être soignée (genre boire de l’eau si vous êtes assoiffé, je le précise pour les deux du fond qui écoutent pas). Plutôt malin et immersif.
La seule chose qu’il me reste à vous dire sur les règles, c’est comment on gagne. Eh bien, chaque boîte vient avec 5 scénarios. Chacun d’eux vous demandera (en tant que groupe) d’accomplir des objectifs intermédiaires, jusqu’à ce que soit dévoilé l’objectif final. La partie prend alors fin quand chacun des joueurs a accompli cet objectif final ou est passé de vie à trépas. Et j’ai bien dit « chacun ». C’est à dire que la victoire n’est ni vraiment collective, ni vraiment individuelle : tous ceux qui ont accompli l’objectif ont gagné, les autres ont perdu. Là aussi, c’est simple, mais ça entraîne des conséquences assez intéressantes : plus la partie va avancer, moins la coopération entre les joueurs va être présente. Lors de ma première partie, la tablée n’avait pas vraiment saisi ce détail, et ça nous a fait tout drôle quand le joueur ayant vaincu le monstre final a disparu dans un portail magique avec tout notre équipement, nous laissant seul face au monstre réincarné, avec pour tâche de le vaincre à nouveau. Là aussi, j’aime beaucoup. Bon, petit bémol : gagner le premier veut dire gagner le droit de regarder les autres finir la partie sans vous.
Le 7ème continent de plastique ?
Avec son aspect 7ème continent en plus léger, Discover propose une aventure sympathique. Sympathique, mais pour l’instant guère plus. On appréciera de découvrir le monde, de devoir gérer cette semi-coopération et de réagir à ces événements inattendus qui nous tombent dessus. Adepte de Robinson, j’ai apprécié le côté très aléatoire de ce qui peut nous arriver. Reste qu’avec une narration générée « aléatoirement », l’immersion n’est pas forcément au rendez-vous, d’autant que nos actions sont souvent sans conséquence durable : une fois notre choix fait, la carte qui l’a déclenché est rangée et on n’en entendra plus parler. De même, les cartes événements sont censées apporter un côté immersif, mais là aussi, quand une carte me dit que je suis angoissé car cerné par des monstres, mais que la seule bestiole vivante que j’ai vue de la partie jusque-là est un lapin, disons que ça ne marche pas trop. Niveau difficulté, je n’ai joué que le premier scénario (sur deux boites différentes), et il m’a semblé dans les deux cas facile, trop facile. Ce n’est peut être à chaque fois qu’un scénario d’introduction, mais du coup, sur 5, ça fait léger.
Le principe d’un Just Played, c’est de jouer une ou deux parties, pas plus, pour avoir une réaction à chaud. Ici, plutôt que de faire ces deux parties sur la même boîte, j’ai essayé de les faire sur deux boîtes différentes, pour approcher un peu cette idée du « unique game » et toucher du doigt les différences d’une boîte à l’autre. Disons-le tout de suite, ça ne m’a pas sauté aux yeux. Certes, le terrain de jeu n’était pas le même dans les deux boîtes, mais au final, l’aventure s’est quand même beaucoup, beaucoup répétée. Du genre, dans l’une, j’ai trouvé un cerf, dans l’autre, un daim. Il y a plus excitant comme surprise, mais passons. Il faut dire aussi que j’ai le sentiment d’avoir pas mal joué de malchance : au début de la partie, on choisit parmi trois personnages celui qu’on veut incarner, et normalement on ne trouve pas les mêmes d’une boîte à l’autre : dans mon cas, j’ai eu le même en main les deux fois. Idem pour les objets à fabriquer, pourtant différents normalement eux aussi. Là où ce n’était vraiment pas de bol, c’est que dans les deux cas, le scénario, et donc les objectifs finaux et intermédiaires, étaient exactement identiques. Autant dire que c’était vraiment la même partie. Alors c’est sûr, c’est pas de bol, mais sachant que cela peut arriver, je sais déjà que je n’aurai pas envie d’avoir éventuellement une seconde boîte pour faire une seconde aventure. Je ne sais pas si c’était l’objectif de FFG, mais j’aurais du mal à recommander de le faire. Reste à voir si la variété se retrouve dans les scénarios suivants, mais ça, il vous faudra attendre le test pour le savoir.
Arrivé là, est-ce que je vais vous dire que le « unique game », dans ce cas-là, est de trop ? Pas forcément, du moins, pas encore. Certes, cela me semble rendre la narration un peu faiblarde, c’est à dire très convenue et sans réelle surprise, et sans forcément assurer le renouvellement. Néanmoins, il y a quand même un petit frisson, léger, lorsqu’on ouvre la boîte pour se dire « eh, où je vais aller ? Que vais-je rencontrer ? » Et quelque part, le fait que personne ne le sache, et que personne n’aura la même aventure que moi, ça fonctionne un peu. Pas beaucoup mais un peu. Alors bien sûr, l’aléatoire des cartes dans d’autres jeux permet cela aussi quelque part, mais allez savoir pourquoi, pour moi la sensation est un peu différente. C’est un peu inexplicable, mais c’est comme ça.
Pourtant, il y a bien un élément qui va me faire dire que le côté « unique game » de Discover est de trop. Cet élément, c’est le coût supplémentaire que cela implique. Je ne parle pas ici du coût financier, mais du coût écologique. En effet, le petit frisson que l’on ressent à l’ouverture de la boîte, et bien il est immédiatement étouffé dans du plastique. Et oui du plastique, alors qu’il n’y en a pas ou presque dans les éléments qui composent le jeu. Mais CHAQUE punchboard est emballé dans son plastique individuel. Eh oui c’est bien ce qu’il faut pour pouvoir réaliser ce jeu unique, car chaque punchboard a besoin de son QR code pour assembler les boites. Alors bien sûr, ce n’est pas grand-chose par rapport à d’autres jeux ou d’autres activités. Mais si Discover s’était contenté d’être un jeu « classique », avec à la limite 3 ou 4 boîtes différentes, qui changent radicalement de l’une à l’autre, on aurait pu avoir une narration plus construite, plus immersive. On n’aurait pas économisé sur le reste (carton et transport), mais on aurait quand même économisé ce plastique inutile. Bref, arrivé ici, pour moi dans le cas de Discover, le concept du « unique game » non seulement n’apporte pas de plus-value, mais c’est même pour moi un défaut du jeu.
Si Keyforge m’avait semblé une idée géniale, qui montre selon moi qu’il peut y avoir de très bon unique games, Discover montre plutôt que tous les types de jeux ne s’y prêtent pas forcément. Je dois dire que ça me rassure un peu : à l’heure où on parle de mettre de l’intelligence artificielle partout, je suis content que les jeux narratifs restent plus attrayants quand ils sont pensés de bout en bout par des êtres humains.
Reste que j’ai envie d’aller au bout de ma boîte pour découvrir les scénarios, pour voir si le jeu est vraiment aussi facile où s’il gagne un peu en difficulté. Rendez vous pour le test quand j’aurai terminé !
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morlockbob 03/04/2019
Un beau produit marketing, qui ne donne pas l’impression d’aventure. Le jeu aurait dû susciter l’envie de continuer l’exploration, il m’ a surtout donner envie d’aller voir ailleurs. D’ailleurs, sans cet article, je ne me souvenais plus de lui.
Jahz 03/04/2019
Merci pour l’article qui confirme que, pour ma part, je n’investirai pas dans ce jeu, et préfère passer du temps sur 7C / Gloomhaven, et dans le futur Tainted Grail 🙂
fouilloux 03/04/2019
J’attends aussi ce dernier de pied ferme
Angepastel 06/04/2019
Bonjour! J’ai acheté le jeu et je l’ai revendu très vite. J’ai trouvé l’aventure assez ennuyeuse et les combats aux dès sont nuls! Très déçu par ce jeu,pourtant la boite était si belle…
Meeeuuhhh 09/04/2019
Mince, j’avais laissé plein de commentaires très pertinents et pour une raison obscure, ils ont disparu. Je recommence, mais ça va être moins bien, c’est sûr !
Je vais défendre un peu ce jeu car je ne me retrouve pas dans une partie des commentaires ci-dessus. Et aussi parce que je suis un peu groopy de Corey Konieczka (dont j’ai écrit le nom sans faute d’orthographe, ce qui en dit long !).
>une fois notre choix fait, la carte qui l’a déclenché est rangée et on n’en entendra plus parler
Dans la boîte que j’ai eu en tout cas, ce n’est souvent pas le cas. On a eu des cartes qui incitent à aller voir ailleurs (parfois à ses dépens, la curiosité n’est pas toujours bonne conseillère), d’autres qui ont effet qui perdurent (un vieil homme qui nous échange des choses), d’autres qui transforment de futurs événements (« si vous avez tel type d’objet, faites ceci ; sinon, cela ») et d’autres sont des armes qui trouvent souvent un usage relativement important.
>Niveau difficulté, je n’ai joué que le premier scénario (sur deux boites différentes), et il m’a semblé dans les deux cas facile, trop facile.
Je ne peux pas complètement exclure que je suis complètement mauvais (ou trop brave, mais alors plus au sens de « gentil et naïf qui accepte de se dévouer » que de courageux), mais je suis mort à mes deux parties. On a rapidement été confronté à des monstres (êtres), pas forcément sympathiques. Certains n’ont pas eu le temps de faire ouf et ont moins duré qu’une chèvre, mais d’autres ont vraiment fait des dégâts. Et on peut vite se retrouver avec deux ou trois blessures qui font dire que la méthode est à revoir drastiquement.
Après, pour le côté immersif, il faut bien voir que le jeu est conçu pour être rapide. On ne peut pas demander à un jeu de civilisation d’une heure de procurer les mêmes sensations qu’un jeu de civilisation de 10h. Il en va de même des jeux de découvertes et d’exploration : on vit ici les aventures qu’on peut connaître en 1h30 environ. Tout est fait pour ramasser l’action. Les combats ne sont en effet pas passionnants, mais ils sont conçus pour être rapides. On lance deux dés, on voit si on tape, si on est tapé, et où par la bête. Point. Efficace et malin à défaut d’être trépident. A ce titre, il ne peut pas être comparé à 7th Continent (que je ne connais pas) qui se joue sur de nombreuses parties et qui a donc le temps de déployer la narration.
J’ai fait deux fois le même scenario (enfin, je les ai commencé) et ceux qui sont allés au bout ont une fois affronté une junte militaire à coup de fronde et l’autre fois à coup de lance-roquette. Ça montre bien qu’on est, pour différencier les scénarios, au delà de la simple rencontre d’une chèvre ou d’un lapin et qu’en allant fureter ici ou là, on vit des aventures différentes. On avait évidemment retrouvé des effets identiques, mais d’autres tout à fait différents.
Le côté « unique » ne m’intéresse pas du tout. Je ne sais pas du tout si cette « mode » (si c’en est une) fera ou non florès, mais je ne suis pas sûr d’en voir l’intérêt ; si ce n’est de se dire que j’ai peut-être plus apprécié mes parties que vous parce que j’ai eu la seule boîte bien. Ah !
Le seul truc intéressant que j’ai vu à ce propos est que cela favorise les échanges de boîtes entre joueurs. Peut-être, une fois les 5 scénarios faits, on peut échanger la boîte avec quelqu’un d’autre. Faut un peu s’organiser. Je ne sais pas si cela va se faire, mais pourquoi pas.
Le gros point noir du jeu est quand même qu’il reprend le syndrome du « tu as perdu, mais ne t’inquiète pas, j’ai pensé à tout, j’ai une semaine de vaisselle à faire, tu as de quoi t’occuper ». Comment peut-on encore, au 21ème siècle, faire des jeux dont un joueur peut être exclu, y compris relativement tôt ? Alors certes, ça incite à ne pas faire n’importe quoi (du genre sauter dans la gueule du lion en s’écriant « allez-y, les gars, je le retiens, écrivez à mes parents que je les aime » (ce qui fait très bien sur le papier mais qui est un peu bête (ou lion))), mais on peut admettre que, parfois, lors d’une première partie, on puisse faire n’importe quoi… Là, Corey (oui, je l’appelle Corey, et alors ?) me déçoit un peu.
Mais pour le reste, cela permet de faire un jeu d’aventure en peu de temps. Rapide, efficace.
fouilloux 10/04/2019
Salut merci pour ce contre avis détaillé.
Mon principal point de désaccord avec ce que tu dis, c’est le côté » le jeu est conçu pour être rapide ». Je ne trouve pas le jeu rapide du tout, bien au contraire: on passe je trouve notre vie à nous déplacer et à compter comment utiliser nos points d’actions au mieux. Ce qui justement, dilue complètement l’action et empêche de faire ce que tu dis: revenir à un endroit où on est déjà passé. En théorie, on peut le faire. Mais quand le truc que l’on cherche est à l’autre bout de la carte, on ne le fait juste pas. Parce que passer son tour à juste se déplacer, ce n’est pas franchement passionnant et c’est pourtant ce qui arrive régulièrement. Et qui donne l’impression que rien ne se passe.
Tiens d’ailleurs autre point rigolo: les caractéristiques des ennemis: le soldat de base est plus fort que le soldat mutant, plus fort que le crocodile, lui même plus fort que… l’ours. Là aussi ça casse un peu le truc.
Rigolo aussi: le décès d’un joueur nous a pourtant l’instant pas fait ressentir le côté vaisselle. Par contre, le côté « ça y est j’ai gagné », si.
Bon, mais de toute façon je ne vais pas chercher à te convaincre hein: l’important c’est que tu passes un bon moment à y jouer, et c’est vraiment chouette d’avoir pris le temps de montrer un autre point de vue.
Filelinked 03/07/2020
Un beau produit marketing, qui ne donne pas du tout l’impression d’aventure. Le jeu devrait avoir conçu plus pour avoir des sensations d’aventure