Clash of Deck… Frère Léandre, ne vois-tu rien venir ?

        Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie… En vérité, je regardais ailleurs. Un jeu qui est diffusé sous la forme d’une page de papier cartonné à découper passe facilement hors des radars. Après une déclinaison sur 7 épisodes et une exclu pour Philibert, Clash of Deck mute vers une version Deluxe proposée dans une campagne de financement participatif sur Kickstarter depuis le 11 février dernier.

Shanouillette m’avait envoyé le 4ème épisode, je suis donc le candidat idéal pour craquer pour cette itération plus complète, mais je reste vigilant à ce que les lignes fortes du jeu d’origine soient préservées.

Trailer pour celles et ceux qui veulent : c’est par

 

La madeleine de Proust

Léandre Proust, sympathique barbu, a beau être dans la trentaine, il a déjà roulé sa bosse dans le monde du jeu de société. À côté de ses casquettes chez Lucky Duck Games ou chez Philibert, en bon boulimique de jeu, il propose de nombreuses expériences ludiques sur Tipeee ou au travers des plateformes de financement participatif. Déjà en 2014, on vous parlait des états de service de ce trublion amoureux du touche-à-tout ludique : «  Léandre œuvrait dans la vente de JCC avant de devenir ludothécaire. Aujourd’hui, il travaille au Jeux Barjo (bar à jeux sur Bordeaux) tout en suivant une formation de fabrication de jouets en bois à l’atelier MUCA. » 

Depuis, le format minimaliste est devenu son dada et le cut ’n play son credo. Tower Defense, jeu en format carte postale entendait explorer en 2015 ce genre de jeu vidéo si particulier où vous devez protéger votre demeure contre des vagues d’ennemis incessantes en plaçant troupes et constructions de guerre pour les arrêter. À mi-chemin entre la baston et la programmation, les meilleurs titres de tower defense vous laissent suer sang et sueur avant de se délecter de votre défaite, vaincu par une énième horde d’ennemis que vous ne pouviez vaincre.

Si le financement participatif du jeu sur carte postale a réussi, son auteur a du plancher un moment pour essayer de se renouveler dans la niche des jeux Tower Defense minimalistes, et est revenu avec Clash of Deck, un jeu qui dépassait la carte postale, mais qui tenait toujours une feuille, dont le centre contenait 16 cartes, et les côtés étaient réservés aux règles et à la boîte de jeu. Mieux encore, il s’améliorait au fil des mois en proposant d’autres épisodes avec d’autres cartes, et d’autres capacités spéciales.

Dès la lecture des règles, le thème de la Tower Defense m’est tout de suite venu à l’esprit, bien avant que je ne m’intéresse au parcours de son auteur. On dit toujours qu’il est plus difficile de proposer un jeu simple qu’un jeu fourni ; avec Clash of Deck, vous êtes certain de pouvoir expliquer le jeu en 1 minute (et de toujours avoir le jeu dans la poche). 

Touche pas à mon poste… de garde

Vous incarnez donc un sorcier aux capacités d’invocation impressionnantes. Malgré votre pouvoir, vous ne pouvez empêcher toutefois la montée des eaux qui est en train de submerger votre monde, et afin de survivre, vous allez jeter toutes vos forces dans la bataille pour vous ruer avant vos confrères sur les dernières îles encore au-dessus des eaux.

À votre disposition, vous avez des sorts bien sur, des créatures, mais aussi des bâtiments, qui représentent les particularités architecturales de votre Royaume : passages dérobés, puits et autres particularités de terrain que vous pouvez utiliser en élément stratégique. Si les sorts s’utilisent quand il y a besoin, les créatures et les bâtiments s’invoquent dans deux lignes de front, symboliquement séparées par des ponts. Vous pouvez déployer vos cartes sur une des deux lignes de front, et vous allez devoir bien réfléchir pour ne pas laisser des trous dans votre défense.

Chaque tour, une fois vos cartes posées, les forces en présence font des dégâts aux troupes devant eux, et une fois qu’une ligne de front se retrouve sans adversaire, c’est votre château fort qui se fait assiéger. Les cartes indiquent trois valeurs caractéristiques : le coût d’invocation, l’attaque et la défense, mais aussi des capacités spéciales qui vont faire tout le sel du jeu. Clash of Deck a beau être minimaliste, la courbe d’apprentissage s’étend sur quelques parties, le temps de voir les combinaisons entre les pouvoirs et leur placement sur le terrain.

Secret of Mana

En bon amateur de jeux de cartes à collectionner, Léandre sait bien que ce genre tourne autour du fonctionnement des points de magie, la Mana, qui vont conditionner comment le jeu se développe. Dans Magic, vous étiez obligé de poser des terrains de la bonne énergie avant de pouvoir vous amuser. Puis, avec l’arrivée des jeux vidéo utilisant des cartes à jouer à collectionner (Hearthstone and co), la Mana commence à 1 et monte de tour en tour, vous obligeant à créer des decks avec des créatures invocables immédiatement, et d’autres plus puissantes à garder en deuxième partie de jeu.

Dans Clash of Deck, c’est l’inverse. Votre Mana correspond au nombre de cartes que vous avez dans les mains, qui est également grossièrement votre jauge de vie. Si vous commencez avec 9 cartes en main, plus vous allez en poser, et moins vous aurez de Mana en début de tour. Comme vous ne préparez pas votre deck, vous le composez lors de duels de choix lors du démarrage de la partie, la connaissance des cartes et de leur pouvoir ne suffit pas : il faut aussi faire des projections sur votre utilisation de la Mana, souvent d’un niveau moyen autour de 4-5 points de magie.

Autant déflorer le secret tout de suite : les parties de Clash of Deck se gagnent en profitant de l’erreur de l’autre, logique dans un concept de Tower Defense. Vous serez tiraillé entre jouer dans un temps raisonnable, et ne pas vous retrouver avec la bonne créature à poser et pas assez de Mana pour l’invoquer. Ou encore devoir attendre dans une situation qui s’enlise, et votre Mana non dépensée perdue à jamais sans vous garantir pour autant que vous n’en aurez pas besoin plus tard. L’apprentissage des JCC se termine quand vous avez une réelle maîtrise de vos points de magie, et la création de Grammes édition ne fait pas exception à cette règle.

Tiraillé.e de tous côtés

Mais le gameplay vous propose un autre défi : devenir incollable à discerner votre droite de votre gauche. En effet, votre main va faire aussi faire office de points de vie. Votre carte maîtresse, la Tour de Guet, est placée à gauche de vos 8 cartes de jeu, mais elle va se déplacer à droite pour chaque dégât que vous allez encaisser. Si elle arrive à droite toute, on la retourne en position « Château fort » que l’on remet à gauche, en guise d’avertissement. Si votre Château fort se retrouve à droite de votre main, ma foi, vous avez perdu la main.

N’espérez pas pouvoir pour autant calculer facilement le nombre de dommages que vous pouvez supporter, car les cartes que vous allez jouer reviennent dans votre main une fois qu’elles sont tuées à droite, permettant ainsi une régénération salutaire qui va refaire tanguer à bâbord votre précieux trésor. Ces soins permanents amènent vite le status quo dans une partie, et si vous n’arrivez pas à trouver une brèche dans la défense de votre adversaire, les dégâts que vous lui aurez infligés seront vite réparés.

Maintenant que vous avez compris l’importance de la gauche et de la droite, rajoutons une couche : vous ne pouvez invoquer que les 4 cartes les plus à gauche de votre main (on ne compte pas le château fort dans cette étape). Dans la pratique, ce n’est important qu’en début de jeu, ensuite cette règle vous empêche juste de rejouer directement des unités qui viennent juste de se faire dessouder par l’adversaire. Néanmoins, un esprit distrait peut vite oublier cette petite règle.

Pour vous faire une idée du tour de jeu en vidéo, Kaelawen et les Meeples vous explique le fonctionnement par ici.

La victoire est dans les détails

La mécanique de jeu tient sur une demi-page A4. Je viens de vous dévoiler les deux principes caractéristiques de Clash of Deck, et je vous passe les subtilités du décompte des points de vie lors d’un assaut, les règles sont sur le site de Gramme édition si vous voulez en savoir plus. Nous sommes dans une guerre d’affrontements entre deux joueurs, une sale guerre où on se remet de bien des coups durs jusqu’à prendre le coup fatal, celui qu’on avait pas vu venir ou qu’on prend à cause de notre débâcle et notre fatigue.

Nos compétences tactiques vont être jugées par un nombre de capacités spéciales qui a augmenté au fil des parutions. Lors de la création de deck initiale où nous choisissons des cartes à tour de rôle, plus que la valeur d’attaque ou de défense, notre attention se porte sur ces capacités spéciales qui ouvriront des portes stratégiques vers notre victoire. Certaines sont sans doute plus intéressantes que d’autres, il est donc important de combattre un adversaire de son niveau afin de ne pas profiter de sa méconnaissance des cartes.

Le minimalisme du matériel pourrait faire croire à tort à un jeu rapide, vite expédié. Bien au contraire, les premières parties peuvent être très longues, non seulement pour l’assimilation des leviers d’action mais aussi par notre noviciat : une fois qu’on a posé quelques cartes qui paraissent indéboulonnables, on peut se retrouver perdu.e. La partie d’exemple sur la page du Tipeee de l’auteur nous montre que les règles, même si elles tiennent sur peu de place, s’intègrent lentement (ainsi le monsieur règles de la vidéo se trompe sur le sens des attaques dans un assaut, alors que la seule illustration qui explique les règles du jeu montre bien l’inverse).

Est-ce que ça vaut son Kickstarter ?

Le format à découper de Clash of Deck est agréable, écologique, innovant et économique. Pour 3 euros sur Philibert, on peut faire une dizaine de parties et s’amuser. Le matériel est bien pensé, la direction artistique est claire même si elle manque parfois d’homogénéité, et jusqu’à présent assurée par un proche de l’auteur : à Grammes édition, on aime créer en famille !

Cette version Deluxe arrivée le 11 février sur Kickstarter a l’ambition de transformer ce coup d’essai, en perdant au passage les arguments « Cut’n play » ou le prix très attractif. Pour les amateurs du jeu, les attentes sont là : d’abord avoir des règles claires, car le pari de faire tenir les règles d’un jeu de stratégie évolué sur une demi page ne fonctionne pas très bien ; la preuve, ce sont les 7 pages de F.A.Q. sur le site de l’éditeur. Alors tant mieux si on passe à un vrai livret de règles, plus complet, avec l’ensemble des capacités spéciales. Les doutes pendant la partie seront certainement moindres.

 

Le credo du jeu minimaliste m’avait bien séduit. Clash of Deck avait démontré au fil de ses volumes sa profondeur et avait su mettre des coups de pied dans les préjugés des joueurs pour qui « jeu à fabriquer » rime avec « jeu à jeter ». Néanmoins, pour ma part, cette campagne participative va mettre le titre de Grammes édition en concurrence avec des jeux dans des vraies boîtes, et perdre le capital sympathie qu’il avait gagné grâce à sa forme originale, même si je comprends la démarche. Sont annoncés six modes de jeu, plus de cartes, donc beaucoup plus de combinaisons dans les parties. L’évolution fait sens, mais va-t-elle rejoindre l’attente des joueurs, de plus en plus exigeante dans la niche des jeux de cartes ? Pour les amateurs de Tower Defense, le titre semble incontournable. Pour les autres, cela risque de se jouer au prix et au feeling… À vous de juger, vous avez jusqu’au 5 mars !

 

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2 Commentaires

  1. Paydret 23/02/2021
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    Article sympa et développé, mais à contre-temps: les « autres » (et les « amateurs de Tower Defense » peut-être aussi…), surtout non francophones, n’étaient pas au rdv; campagne KS annulée le 18/02/21 (en vue d’un reboot ultérieur).

  2. FX 01/03/2021
    Répondre

    les mystères des calendriers, de notre côté comme du sien, sur un article rédigé il y a un mois :’)
    Merci pour l’info, on va continuer à suivre ce jeu.

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