Batman: Everybody Lies – Les badges et les journaleux enquêtent

Detective n’avait pas vocation à s’arrêter : après son succès fulgurant, il a accumulé les prix, dont l’As d’Or 2018, puis accumulé les déclinaisons. Après une saison un, des enquêtes individuelles ou en mini campagne (l’excellent Dig Deeper, que nous ne saurions trop recommander ou encore Vienna Connection), House Secrets, l’inévitable version Dune, voici venir une version de Detective que nous n’attendions pas : celle basée sur Batman. Ouep, l’homme chauve-souris en personne, mais… figurez-vous que justement, on n’incarne absolument pas Bats. Sortez le calepin, on part en eaux troubles à Gotham City !

 

Note : bien entendu, je ne me permettrai pas de divulguer “trop” du scénario, mais il faudra faire des concessions : après tout, si vous lisez ces lignes, c’est bien que vous voulez un avis, non ? En tout cas, je m’arrangerai pour que vous puissiez avoir le plaisir de la découverte. Ensuite, j’ai joué sur la version anglaise du jeu, et non celle prévue par Iello. Enfin… Batman ne me fait pas trop vibrer (les super héros, en général). En revanche, un énorme fan m’a indiqué que la timeline choisie ne correspondait à aucun comics, info corroborée par l’autrice, Veronika Spyra.

 

Les nouveaux détectives sont  les journalistes Vicki Vale et Harvey Bullock, un flic brutal, Warren Spacey, et… Catwoman. OK. Mon intérêt est piqué. Je regrette souvent, dans les jeux narratifs, et donc dans les jeux d’enquête, que les joueurs soient des présences désincarnées au-dessus du monde. Je le regrettais même dans les Chronicle of Crime Millenium Series, alors même que l’on nous présentait un personnage fort : en effet, un personnage, s’il est introduit, doit vivre et vibrer avec l’aventure. Équilibre délicat que celui-ci, car on veut présenter un visage accueillant au joueur, et si on lui propose des personnages dans lesquels il ne peut pas se projeter ou dans lesquels il ne veut pas se projeter, on lui ferme une grande portion du jeu. Les quatre personnages sont de toute façon écrits dans l’histoire même si on ne les incarne pas, mais les incarner permet de découvrir des actions contextuelles précises.

 

Catwoman. L’unique.

 

 

Gotham, nid d’espions

Detective a toujours eu une relation compliquée au passage du temps. Trop de simulation nuit à la fluidité de jeu mais renforce l’immersion, pas assez et l’on se sent désincarné, déconnecté de l’univers de jeu. Everybody Lies ne fait pas exception : chaque piste coûte une unité de temps et demande l’utilisation d’un lieu. Certains lieux demandent également des badges, que vous pouvez acquérir en dépensant… d’autres unités de temps. Raccourcir le timer de l’enquête pour me permettre d’avoir accès à tel ou tel lieu, alors que ce n’est clairement pas cela qui m’intéresse dans ce genre de jeu : je me sens pénalisé de devoir réaliser des actions générant des ressources au détriment d’actions qui coûtent simplement plus cher. J’aurais préféré que les lieux coûtent directement un ou deux points de temps, par exemple… En l’état, le système de temps est frustrant et ne participe que peu à l’immersion, donnant l’impression de limiter les joueurs plus qu’autre chose. Cela revient à peu près au même, mais n’a pas le même impact sur le ressenti.

 

Aparté : bonifier vs restreindre

Les bonus et les malus ne sont pas perçus de la même façon pour les joueurs, comme cette dépense de temps pour des badges dans Everybody Lies. Un exemple assez parlant et célèbre existe dans World of Warcraft : lorsque les personnages sont reposés, ils gagnent plus d’expérience, et, à force, ne le sont plus (afin de donner des points de sortie aux joueurs et de lisser la progression de tous nonobstant le temps de jeu). Cet état était au début un malus de fatigue qui faisait décroître l’expérience acquise sans repos au fur et à mesure que les joueurs jouaient ; ce système s’est révélé impopulaire auprès des joueurs. En donnant aux joueurs la base “réduite” d’expérience, et en donnant un bonus de repos, les développeurs n’ont pas accru l’expérience acquise, mais changé radicalement le ressenti de frustration.

 

Le temps sert au scoring : à partir de la moitié de la partie, vous pouvez mettre fin à la partie, résoudre l’affaire et plus vous le faites tôt, plus vous bonifiez votre score. Il faut être assez inconscient (ou ne pas avoir le temps de boucler) pour fermer l’enquête à la première occasion. Ou alors suivi le meilleur chemin possible, mais à ce stade, vous avez eu des intuitions de frappadingues.

De toute façon, on est sur de l’enquête de deux heures bien tapées (sauf le tuto, d’une heure) : autant y dédier le temps nécessaire.

 

Les quatre enquêtes

 

 

Moi, moi, moi

Une des particularités d’Everybody Lies est que chaque joueur a son enquête personnelle à résoudre, en plus de la trame principale. Cela signifie qu’il y a une foison d’informations car les enquêtes personnelles sont liées de près ou de loin à la trame principale : au final, cinq enquêtes en une à chaque fois ! Les joueurs peuvent donc tirer l’enquête dans une certaine direction ; on indique au joueurs que la suspicion est de mise, mais au final, le groupe se met d’accord pour faire avancer ce qui doit avancer de la façon la plus plausible. Le jeu reste en effet coopératif, et non compétitif. Cela étant, l’alliance improbable constituée par nos avatars est cimentée par ce mortier friable : certes, nous avons ce but commun, mais chaque personnage a sa motivation ultérieure. Notons aussi que cette boîte rend le solo techniquement impossible, puisque chaque joueur a son avatar et qu’il en faut au minimum deux. En revanche, le patch pour réparer cela est facile : si vous désirez jouer en solo, incarnez deux personnages et le tour est joué. Pourquoi ne pas avoir recommandé cette expérience en solo ? Autre effet de bord, comme il y a “cinq” intrigues, les informations sont pléthore et les joueurs doivent filtrer dans la richesse du contenu : au final, les fausses pistes ne sont que les intrigues des autres. Pas inintéressant, en fait !

 

Les enquêtes sont pour autant de bonne facture, ajoutant au principe de Detective des scènes visuelles qui sont surtout là pour renforcer le fluff et l’immersion : j’apprécie, mais j’aurais aimé encore plus de détails d’enquête sur ces supports visuels, tant qu’à faire. En revanche, côté manipulation sur ordinateur, on a des fac-similés et, journaux et autres microfilms : la totale, l’efficace. 

 

La trame des enquêtes successives déploie une trame de fond intéressante, où l’on a l’impression que Batman fait mal son job (y’a quand même BEAUCOUP de criminels qui rôdent à Gotham… vraiment beaucoup). Si le prologue travaille bien pour introduire des personnages récurrents, le scénario vole de ses propres ailes à partir du premier “vrai” chapitre, Guilt (Culpabilité), sur lequel on trouve de très nombreux personnages. Nostalgia et Remorse (Nostalgie et Remords) prennent la suite, mais en changeant un tant soit peu le focus. Si je trouve, personnellement, la transition du prologue au premier chapitre assez adroite, le deuxième scénario, lui, m’aura laissé de marbre quant à ses thématiques, que j’ai trouvées vraiment très déconnectées de l’univers de Batman, qui suffit amplement à donner une toile de fond aux multiples intrigues policières (sans vous en dire trop, ça parle de cultistes non-lovecraftiens). Pour autant, chaque scénario propose ses petits twists, ses façons de procéder, et on en sait gré à Everybody Lies. En revanche, au revoir la campagne immersive qui fait changer les épisodes précédents : ici, pas de simili legacy qui débloque des choses… Dommage, car cela ampute à la promesse, mais je gage que la combinaison d’une campagne plus courte et du quintuple objectif posait des soucis.

 

Le paquet de Scènes, un très bon ajout.

 

 

Au rang des critiques très mineures, je note que les personnages, bien que visiblement très accoutumés au crime et aux pratiques immorales, se refusent au moindre gros mot dans l’écriture. Dommage, car cela ôte un peu à l’immersion, l’écriture étant tout à fait compétente (et même plutôt rigolote lorsque Catwoman asticote Batman).

 

Everybody Lies tente d’apporter sa pierre à l’édifice complexe des jeux d’enquête, mais trimbale son héritage de Detective, et notamment son écoulement du temps un peu rêche aux entournures. Si l’aspect coopétitif ne m’a pas convaincu dans son fonctionnement, il donne du corps aux personnages et renforce très certainement l’immersion dans l’univers du jeu : fans de l’homme chauve-souris ou fans de jeux d’enquête, tout le monde devrait y trouver son compte, pour une raison ou une autre ! J’ai vécu avec Everybody Lies de belles enquêtes, de belles histoires, assurément !

Détective – Batman : Tout n’est que Mensonge sera localisé et disponible en France d’ici décembre.

On me souffle d’ailleurs dans l’oreillette qu’une autre boîte Batman est en préparation, avec des enquêtes individuelles, cette fois-ci…

 

Source photos : éditeur

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1 Commentaire

  1. Ihmotep 17/11/2022
    Répondre

    détective est le meilleur jeu d’enquête auquel j’ai joué : certes il demande un sacré investissement mais quelle sensation enivrante avec le site internet qui ajoute une incroyable immersion.
    J’avais été très déçu par détective saison 1 qui certes simplifiait le gameplay de façon assez intelligente mais les enquêtes étaient soit trop faciles soit peu crédibles.
    Heureux de voir qu’ils ont retrouvé leur talent de créateurs d’enquête palpitante dans un univers qui s’y prête bien ^^

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