After us – la république des singes

Sorti ce printemps, After us avait déjà bien fait parlé de lui quelques semaines auparavant, au FIJ 2023. Les tables étant tout le temps occupées, j’ai dû attendre quelques temps avant de plonger dans ce monde post-apo peuplé de primates. La couverture assume sa référence à La planètes des singes (d’ailleurs on me souffle dans l’oreillette que d’autres couvertures existeront pour d’autres pays du monde avec un monument emblème dudit pays). Nous sommes à la tête d’une tribu de singes et cherchons à la guider sur la voie de l’intelligence collective, une jolie formule pour dire “atteindre 80 points de victoire”, points symbolisés par une petite ampoule. L’idée, l’intelligence ? Voyons ça de plus près.

 

Un régime de bananes démocratique

À partir d’un deck initialement peuplé uniquement de huit tamarins, nous allons agrandir notre tribu avec des singes de quatre espèces différentes, chacun ayant ses spécificités que nous verrons plus tard. N’ayant pas été corrompus par le capitalisme, nos amis primates sont recrutés non pas avec de l’argent, mais avec des graines, des fleurs ou des fruits, et rendent notre tribu plus efficace dans cette course aux points de victoire.

Ce qui pourrait être un énième deck building cache un twist dans sa résolution des actions, qui fait tout le piquant du jeu. La première phase de chaque manche est appelée l’Assemblée : nous allons tirer quatre cartes de notre pioche, les organiser pour former une frise horizontale, et essayer de créer des cartouches fermés, car seuls ceux-ci seront activés.

Sur la première ligne nous gagnerons des ressources (graines, fruit, fleurs, batterie, car oui, l’humanité a disparu, mais elle a laissé quelques piles AA derrière elle, et les singes aiment la technologie). Sur les deuxième et troisième ligne nous pourrons les convertir en points, en rage, ou en batteries. Quatre cartes à organiser, ça veut dire 24 possibilités théoriquement, mais dans la pratique, on voit assez rapidement les deux ou trois alignements qui pourraient être intéressants. La réflexion ne s’éternise donc pas trop longtemps.

 

plateau personnel et assemblée

 

Lors d’une deuxième phase, nous pourrons recruter un nouveau singe et bénéficier du bonus de son espèce (le niveau II est plus cher que le niveau I, mais le singe est potentiellement plus puissant, avec plus de cartouches ou des effets plus forts). Enfin, lors de la phase de maintenance, on défausse son assemblée, et on repart pour un tour. Si vous voulez plus de détails, voici le ludochrono.

 

Une course à distance

Disons le clairement, After us ne présente quasiment pas d’interaction. Les différentes phases de jeu sont simultanées, ce qui permet d’avoir des parties d’une heure environ même à six joueurs, mais nos actions n’ont aucune influence sur les autres joueurs. Le recrutement se fait dans des pioches face cachée. Il n’y a donc pas de pression pour obtenir une carte bien précise : on sait juste quel type de singe on va récupérer, chacun ayant ses propres caractéristiques :

  •  les gorilles font gagner des points de rage qui permettent d’épurer son deck (on pourra se débarrasser des Tamarins bien plus pauvres en cartouches que les quatre autres espèces, ou bien en fin de partie, écarter un singe de niveau I ou II pour gagner 3 points et faire le sprint final vers la victoire).
  • Les mandrills permettent de faire plus de points de victoire (avec une meilleure conversion ressource → points).
  • Les orang-outans permettent de récupérer des batteries que l’on pourra dépenser pour activer les objets spéciaux (3 parmi 7 pour chaque partie, offrant ainsi des profils de parties assez variées). Ces objets sont source de points de victoire ou plus souvent offrent un petit boost à nos tours : assemblée à cinq cartes, double recrutement, récupération d’une carte jouée pour la manche suivante. 
  • Enfin, les chimpanzés permettent de rejouer un cartouche (en payant le coût éventuel). Ce pouvoir est assez polyvalent (gain de ressources ou de points), mais sera très dépendant des cartes formant l’assemblée lorsque la carte Chimpanzé sort.

La seule interaction intervient lors du choix du jeton bonus dans la phase de recrutement. Il est possible, contre deux ressources, de copier le bonus d’un de nos deux voisins. Ce n’est clairement pas un élément qui déterminera notre choix de jeton ou notre stratégie à venir, mais c’est une manière de progresser sur un axe de développement qu’on a laissé de côté.

Par exemple, si je n’ai jamais recruté de gorille et donc que je ne ferai jamais de rage, je peux progresser sur la piste de rage si l’un de mes voisins joue son jeton gorille. Il faudra naturellement avoir anticipé et conservé deux ressources.

Certes il n’y a peu d’interaction, mais il faut quand même surveiller la piste de score, car il s’agit d’une course, et si on voit qu’un adversaire est proche de la victoire, il faudra adapter ses choix pour tenter de le rattraper. Dépenser ses ressources pour recruter un singe puissant ou garder ses ressources pour les convertir en points ? 

Enfin, ce que je regrette dans cette absence d’interactions est que chacun est concentré sur son plateau et ne voit pas les stratégies développées par les autres joueurs, ce qui est plus ou moins efficace. La courbe d’apprentissage est donc plus lente que dans un jeu où on suit les agissements de ses adversaires. (On peut toujours débriefer la partie après coup, mais ça n’est pas la même chose).

 

Exemples de cartes et objets

 

En mode solo

Paradoxalement, le mode solo présente plus d’interactions que le mode multijoueur. En effet, vous affrontez le roi singe, un automa qui gagne une quantité fixe de ressources à chaque manche. Lors de votre tour, vous lui volez les ressources au lieu de les prendre dans la réserve. Vous allez devoir maintenir son stock sous contrôle car sinon il pourra très rapidement acheter des singes de niveau II qui lui rapporteront 6 PV à chaque fois qu’ils apparaissent (les singes de niveau I lui en rapportant 3). Lors de la constitution de notre assemblée, il faudra donc non seulement chercher à faire des points, mais aussi tenter de freiner son adversaire.

Ce mode solo n’alourdit pas le jeu : la résolution du tour de l’automa est simple et rapide, les règles pour notre tour ne sont pas modifiées, et il propose des dilemmes supplémentaires en ajoutant cette interaction. Aujourd’hui, il devient presque éliminatoire pour un jeu de ne pas avoir un mode solo, malheureusement, on se retrouve souvent devant des usines à gaz avec arbre logique de choix pour résoudre les actions de l’automa, ou alors il s’agit d’un simple tableau de score pour se situer sur une échelle de réussite. Je ne joue pas très souvent seul, mais nous avons ici un exemple de mode solo élégant, proposant des sensations de jeu différentes, et qui n’essaye pas juste de reproduire le mode multijoueur normal.  

La bonne et la mauvaise frustration

La notion centrale de frustration dans les jeux a été traitée par divers média ludiques et auteurs. On ne peut pas effectuer toutes les actions que l’on souhaite, il faut faire des choix et donner une orientation à sa stratégie. Savoir qu’il existe des voies inexplorées est une des raisons qui nous donne envie de revenir sur un jeu.

Lors de la constitution de l’assemblée (organisation de nos quatre cartes), il sera impossible de fermer tous les cartouches, parfois à cause de l’absence de demi cartouches sur le bord des cartes, parfois car il faudra choisir quel cartouche fermer (par exemple quand on a deux bords gauches et un seul bord droit). 

J’apprécie quand un jeu me force à choisir et donc à renoncer à quelque chose. Quelles ressources est-il plus important que je récolte ce tour-ci ? Dois-je les dépenser pour faire des points maintenant, ou dois-je les conserver pour recruter un singe de niveau II ? Dois-je en garder pour pouvoir copier un bonus ? Est ce que je dépense tout de suite mes batteries pour cet objet, ou est ce que je thésaurise pour l’ordinateur qui rapporte 5 PV ? Tant de choix stimulants. 

Par contre, ce qui me frustre de manière désagréable, c’est quand le tirage des cartes de l’assemblée ne me permet pas ou très peu de valoriser les capacités des singes de niveau II (ou I) que j’ai révélés. Vous allez me dire que c’est le propre des jeux de deck-building de ne pas pouvoir comboter à chaque manche. Certes, mais le ressenti est très différent dans Dominion ou Shards of Infinity par exemple, et dans After Us ; car une partie de After Us se joue en 8-10 tours et donc une carte donnée sera jouée entre une et trois fois. Ainsi, si on ne peut pas en profiter correctement, ça sera plus dérangeant que dans un deck-building où le deck tourne 10-12 fois.

Devine qui j’ai croisé au marché ?

Selon moi, avoir un marché visible pour choisir quelle carte acheter ne serait pas une solution (et c’est sans doute pourquoi l’auteur et l’éditeur ont fait le choix assez peu répandu d’achat de carte face cachée). Premièrement, ça ralentirait énormément le tour de jeu (puisque chaque joueur devrait recruter successivement), ensuite du fait de la mécanique de cartouche en deux parties qu’il faut compléter, ça semble très compliqué d’arriver à déterminer la carte la plus adaptée à notre deck. En effet, ce principe de cartouches rend l’activation d’une capacité très dépendante des autres cartes composant l’assemblée, ce qui n’est pas le cas des deck buildings plus conventionnels avec effet sous forme de texte.

 

Marché caché et ressources

 

Dans un monde ludique surpeuplé, il est agréable de trouver des jeux qui par l’ajout d’un petit twist dans la mécanique savent éveiller notre intérêt et stimuler notre envie de refaire une partie. Ce principe de cartouches offre une assez grande liberté de choix aux joueurs, mais a aussi été parfois source d’agacement, quand je ne pouvais pas suffisamment profiter des cartes achetées. L’absence d’interaction constituera un défaut pour certains, mais personnellement cela ne m’a pas gêné. After us recèle de nombreuses qualités : possibilité de jouer jusqu’à six sans rallonger la durée de la partie, un mode solo fluide et original, et une mécanique simple à prendre en main que je n’ai toujours pas fini d’explorer après une dizaine de parties fort agréables.

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4 Commentaires

  1. ihmotep 28/08/2023
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    Je plussoie le contenu de l’article ^^. Pour ma part la frustration a pris le pas sur le plaisir de la mécanique de jeu même si elle est agréable et dynamique. Je suis d’accord que des achats visibles ralentiraient trop le jeu, mais en l’état j’ai la sensation de ne rien contrôler et j’aime planifier et gérer :).

  2. Minute_of_decade 28/08/2023
    Répondre

    J’y ai fait quelque partie  (toujours à 4) et c’est un jeu que j’apprécie beaucoup. Pour moi le principal défaut est le mode course exponentiel. C’est à dire que l’augmentation des points de victoires augmentent à tous les tours. 1 ou 2 mauvais tour vous donneront un retard impossible à combler. Vous venez de scorer 10 points ? Votre adversaire qui en avait 10 d’avance en a scorer 15. La richesse appelle vraiment la richesse et faire son retard dans la course au point est très difficile passé 3 ou 4 tours.

  3. Manu 29/08/2023
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    @Minute_of_decade : Je n’ai pas eu la même expérience de jeu que toi. Dans mes parties il est arrivé qu’un joueur momentanément en tête passe une manche à vide (car ses 4 cartes ne se combinaient pas bien), ce qui permettaient aux autres de revenir au score.

  4. morlockbob 29/08/2023
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    Le côté seul dans son coin a eu raison du jeu. Bien aimé le principe de cartouche mais on a quelque chose de similaire avec Living forest qui est moins pesant.

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