► E.D.I.T.O : Escape game, quand le lieu devient jeu
Depuis quelques années (disons 2010), on les voit fleurir. Comme une sorte de chiendent, mais un chiendent qu’on est content de voir pousser. Eh oui, en 2016, une enseigne d’escape game ouvrait tous les trois jours. Au début, on disait “oh, tu as essayé ?” et maintenant c’est plutôt “Tu as fait celle-là ?”. Aujourd’hui, on en recense plus de 300 dans l’Hexagone. Preuve en est de leur succès, ces attractions ont même leur propre site de critique.
Bien entendu, les escape games ne sont pas nées hier. Je me souviens que, gamin, une émission télé mettait des ados dans une espèce de bateau pirate dans lequel les joueurs devaient résoudre une certaine quantité d’énigmes (impossible d’en retrouver le titre. Aidez-moi). Ce n’était pas une escape game au sens où on l’entend aujourd’hui, mais c’est déjà proche dans le concept. Fort Boyard n’est-il pas l’exemple d’une escape room dans un monument historique ?
Le jeu d’évasion et d’énigmes a depuis longtemps eu le vent en poupe sur ordinateur : du mythique Myst au déjanté Grim Fandango, le Point n’ Click a eu son heure de gloire. Même côté cinéma, Cube a été moteur de nombres d’histoires, et, dans le genre intimiste, on a rarement vu plus serré que Buried qui se déroule entièrement dans un cercueil de fortune.
L’escape room telle que nous en parlons ici a vu le jour en grandeur nature dès 2006, grâce à des hong-kongais, et le concept s’est exporté l’année suivante au Japon, mais on compte des variations du concept depuis des années, sous nos latitudes.
Est-ce-cape-quoi ?
Par escape room ou escape game, j’entends un lieu où l’on pratique un jeu pas-de-plateau mais une aventure coopérative dans laquelle le but est de trouver la sortie. Rajoutez à ça une pincée de narration, des énigmes plus tordues les unes que les autres et vous aurez votre truc ! Une à deux heures de fun en perspective, sous des formes variables.
Guidé par un maître de jeu, aiguillé par des indices physiques plus ou moins capillotractés, il faudra comprendre la logique de la salle. Comment découvrir le code de ce coffre, ou extraire la clef de cette porte, sachant qu’on n’a pas le droit de tout casser ! Certaines vous obligeront à communiquer différemment, d’autres vous pousseront à manipuler des éléments avec une dextérité certaine quand d’autres requerront une capacité d’observation et d’exploration à toute épreuve, vous demandant de retourner chaque morceau de moquette (ou presque), de découvrir des portes secrètes ou des messages cachés à l’encre sympathique…
Le jeu désarme l’humain moderne : on rend son téléphone portable comme un cow-boy qui remise ses colts à l’entrée du saloon. On se laisse mettre en cage pour notre propre bien, on se fait parfois bander les yeux ! Tout est bon pour être isolés du monde extérieur. Pour se dévêtir de toute contrainte. Puis le jeu, cet autre monde, démarre, instantanément, sous la pression d’un temps qui n’a rien à voir avec le monde réel : un chrono est déclenché dès votre arrivée dans la salle et s’écoulera inexorablement. Si vous le dépassez, c’est la fin de la partie et vous perdrez ; le maître de jeu viendra vous expliquer les énigmes que vous n’avez pas saisies, assembler les pièces du puzzle pour vous. Du coup, pendant une partie en salle, chaque seconde compte. La tension se fait palpable et on ne veut rien gâcher. Pas le moindre mouvement. Il n’y a pas d’alternative, pas de pause cacahuètes : il n’y a plus que l’urgence de l’évasion.
Évolution
Depuis quelques années, donc, on observe une évolution des escape room. Elles se renouvellent chacune assez souvent, avec des bricoleurs dédiés, qui vont fabriquer tiroirs à double fond, panneaux coulissants, électronique fine, avec, tant qu’on y est, quelques montages vidéo et son. Un tas de gadgets viennent renforcer l’immersion et installer l’histoire racontée par la partie.
La narration est de plus en plus mise en avant : on va souvent avoir le droit à un briefing narratif qui nous met dans le bain, avec parfois de l’accessoirisation. Qui aura une petite blouse de scientifique, qui aura un chapeau melon ou des treillis militaires. Vous êtes plongés dans un univers à la Sherlock Holmes ? Le deerstalker et les manteaux de tartan sont un petit plus, mais qui a tendance à faire la différence. De la même manière, on vous passera de la musique d’ambiance, toujours en thème, afin de vous mettre dans le bain. De façon subtile, par les beats, le décor, l’iconographie employée, vous allez plonger doucement dans un univers et c’est là que le double sens d’escape room s’accomplit : on est clairement là pour un moment d’évasion, et ça passe aussi par les détails.
Du ludique dans la ville
L’évasion, ce n’est pas ça, que proposerait le jeu de société, avec sa logique de règles ? Dans nos J2S, on veut vivre un moment bien particulier : tantôt se sentir gladiateur triomphant, tantôt aux commandes d’une ferme prospère, ou alors pris dans de sombres manigances, et pourquoi pas devant un casse-tête économique à démêler… C’est là que l’escape game brise le quatrième mur. Plutôt que de créer un espace autour duquel les joueurs s’amassent comme une bonne partie de Scythe, l’escape room est un lieu secret, un lieu-jeu, un lieu d’abandon, où l’on est littéralement immergé dans le jeu. Et force est de constater que bien des joueurs occasionnels ou plus réticents au jeu de société apprécient cette distraction, ce moment de décrochage total où l’on essaie de désarmer la bombe concoctée par un dictateur mégalomane.
C’est, au final, un lieu-jeu plus qu’un jeu dans un lieu. On pourrait s’amuser dans un lieu dédié au jeu (comme un bar à jeux, le salon d’un pote, une soirée en boutique spécialisée, un festival), mais ici, le lieu est lui-même l’attraction. Un peu comme un parc à thème, au fond, ou une maison hantée, ou encore un labyrinthe de maïs. Un lieu où l’espace prend une autre signification. Où tout le sérieux du monde s’efface, pour laisser place à l’enchantement, au dépaysement, au fun.
Peut-être que c’est uniquement ça, en fait, le vrai succès de ces jeux : transformer un espace apparemment anodin en terrain de jeu. Comme lorsque vous étiez gamin, mais avec des éléments pour que le vous adulte (si vous êtes adulte quand vous lisez cet article) s’amuse, s’émerveille, et transforme son environnement à nouveau. Comme pour réenchanter le réel.
Grandeur nature
Le côté “grandeur nature” n’est pas l’apanage des escape rooms, notez. Le jeu de rôle a depuis longtemps intégré cette donnée dans ses pratiques, et si d’aucuns préfèrent l’aspect cérébral du jeu papier, d’autres préfèrent largement le plein air, les costumes, le sport et les armes en mousse. Et puis bon, si on fait un JDR à thème viking, pourquoi se passer d’hydromel ?
Mentionnons aussi le paintball, l’airsoft et les laser games, qui utilisent un lieu et des protocoles de jeux bien connu (de tir, du coup, de la course, de la furtivité…) et qui utilisent l’espace de manière inhabituelle.
Notons aussi le Quart d’Heure, escape room au concept électronisé qui vous surveille, dont le maître de jeu n’existe pas : un format différent pour un même but, et trouvable bientôt à Rennes. Nous avions déjà abordé le sujet dans ces colonnes. Les sensations y seront largement exploitées, le rythme cardiaque des participants surveillé, bref, la technologie sera maîtresse de jeu à elle seule et au service de l’immersion. Xavier Berret, développeur du projet, nous indique, au conditionnel : “On devrait ouvrir entre fin avril et fin mai 2018.”
Au même titre, les salles d’escape en réalité virtuelle connaîtront peut-être une augmentation. Si des expériences sont menées pour rassembler des joueurs éloignés, comme avec Ascension VR, on peut imaginer beaucoup de choses ludiques… Ne reste plus qu’à attendre une plus grande démocratisation du matériel de réalité virtuelle.
Unlock! et EXIT
Les escape rooms ont fait des émules en jeu de société, et pas des moindres. Room 25 surfait déjà sur l’idée du film Cube, de coopération vacillante ou de franche compétition, avant de s’être assorti d’une extension à thématique Escape, très justement. Et déjà un an avant, Escape la malédiction du temple jouait sur le fait de nous enfermés dans un lieu clôt duquel nous devions nous échapper sous la pression du temps. Si, très tôt dans l’histoire du jeu de société contemporain Sherlock Holmes Détective Conseil posait la dimension « énigmes » au sein du cercle ludique, la notion d’échappatoire et de décryptage n’a jamais autant battu son plein qu’avec Unlock! et EXIT (dont vous pouvez lire les critiques dans nos pages, ici pour la fiche d’Unlock! et là pour le décryptage d’EXIT), certainement les titres les plus emblématiques en francophonie.
Ces jeux-là vous ordonnent de sortir d’un lieu, de déverrouiller du contenu, plutôt que de vous proposer une aventure plus ouverte. Mais dans un escape game, on retrouve la dimension physique, sensorielle, que l’on pouvait retrouver dans des jeux comme Intrigues à Venise ou les Mystères de Pékin : manipuler des objets spécifiquement conçus offre ce plaisir presque régressif, où l’on bascule quasiment du côté du jouet, qui peut s’avérer des plus agréables.
Si Unlock vous guide avec une application qui décompte le temps, celle-ci sert aussi de technique d’obfuscation : elle contient les clefs, les indices, et il vous faudra l’énigme qui prend forme carte après carte pour savoir comment la manipuler (quel code rentrer dans la machine, comment fonctionne un mini-jeu, etc).
EXIT, lui, est encore plus ouvert : sans nécessiter d’application, il ne vous donne qu’une façon de résoudre les énigmes, avec une roue à codes et un système de double validation des objectifs. Tout le reste est à défricher, à reconstituer, et on vous invite à jouer avec le matériel de façon assez folle : plier, découper, déchirer, noircir au stylo, trouer… Ce qui pose, dans notre milieu de passionnés de l’objet, une question assez essentielle : peut-on, doit-on ne jouer qu’une seule fois à un jeu ? Ceci est un autre débat, que nous aborderons pour le jeu à l’occasion d’un autre édito. #teasing
The next big thing
Et si les escape games étaient un des reflets de notre société ? Et si nous avions besoin de nous réapproprier le réel, et de lui conférer plus de fun ? C’est là ce que pointent, à mon avis, le succès des escape games et la démocratisation de la narration ludique. Chers Voxiens, à vos commentaires !
Pour aller plus loin, des articles (en anglais) d’où viennent certaines photos de cet Edito :
- Une analyse du marché de l’escape room.
- Comparaison entre les différents jeux de société type escape.
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Gilles 07/02/2018
Bonjour.
Je pense que le terme que vous voulez utiliser au début de cet article est « chiendent », et non « chienlit » qui n’a aucun rapport.
Umberling 07/02/2018
Saperlotte ! Tu as raison et mon cerveau fatigué, malgré les quinze relectures, n’a rien vu. J’édite ça de suite.
Shanouillette 07/02/2018
Haha et moi donc !! Et même Atom qui l’a relu un coup n’a pas tiqué.
0-o
Gilles 08/02/2018
Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une Escape Room à thème Général De Gaulle… 🙂
Umberling 08/02/2018
Le pire c’est qu’en relisant, c’est apparu à @atom …
morlockbob 07/02/2018
si on veut se réapproprier le réel alors il faut se réapproprier l’espace public (cf « reclaim the street »)
Indigo 07/02/2018
Pour info, les éditions 404 préparent aussi de nouvelles boites dans ce genre. Après l’ ‘escape box zombi’ devrait sortir « escape box Espions, Enquetes, Pirates et Minecraft. » fin Mars 2018.
FX 08/02/2018
c’est la gamme organise une escape chez toi ?
-Nem- 08/02/2018
Pour aller encore plus loin il y a eu deux émissions de playtime consacré à ce sujet. Une avec des joueurs et une avec des professionnels. (http://ludovox.fr/podcast-playtime-escape-games-utilisateurs/)
Perso j’en ai fait qu’une assez décevante, mais faut que je retente l’expérience !
Guiz 08/02/2018
Les Mondes Fantastiques ! https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Mondes_fantastiques