Entretien avec Stefania Niccolini [Zhanguo, Railroad Revolution, The Long Road…]
Stefania Niccolini est une autrice italienne dont vous connaissez peut-être le travail si vous avez déjà joué à Zhanguo, Railroad Revolution, The Doge Ship, Rhein River Trade ou encore The Long Road. Elle élabore ses jeux avec son mari Marco Canetta et travaille désormais chez l’éditeur uplay.it où elle s’occupe de tout l’aspect communication et promotion des jeux.
Entretien.
Nous t’avons rencontrée pour la première fois à Essen 2014 sur le stand de What’s Your Game (itw) pour la sortie du jeu ZhanGuo. Depuis, tu travailles en interne pour la maison uplay.it. Peux-tu nous parler de ton parcours ludique depuis cet Essen-là ?
Stefania Niccolini : « ZhanGuo nous a (moi et Marco Canetta, mon mari et co-auteur) fait connaître du grand public et nous a ouvert de nouvelles voies ; nous avons rencontré de nombreux éditeurs, auteurs et joueurs passionnés. Tester nos jeux est devenu plus facile parce que nous pouvons compter sur beaucoup d’amis que nous n’avions pas avant.
Dans le même temps, cependant, notre façon de travailler a changé ; en effet, nous sommes devenus plus critiques par rapport à nos jeux et nous ne nous contentons plus aussi facilement. Chaque fois, nous essayons de créer de jeux meilleurs pour ne pas décevoir les attentes des joueurs qui nous ont appréciés en tant qu’auteurs de ZhanGuo. Le temps consacré aux jeux a augmenté et le travail chez uplay.it a été une conséquence naturelle. »
Qu’est-ce qui te plait le plus dans ce que tu fais actuellement ?
S. N. : « Chez uplay.it, je joue le rôle de « Digital Marketing Specialist » (en anglais, ça sonne beaucoup mieux !) et je m’occupe de la communication et de la promotion des jeux. Un travail qui semble fait sur mesure pour moi et me permet de séparer l’activité d’autrice de jeux. Cela me donne l’occasion d’être encore plus active dans le monde des j2s. J’aime cet environnement stimulant et j’aime pouvoir partager ma passion avec de plus en plus de gens. En tant qu’autrice, avec mes jeux, j’espère pouvoir donner des sourires et du plaisir à beaucoup de gens et c’est la chose la plus belle. »
Tu as écrit aussi des romans ?
S. N. : « Oui, j’ai deux romans publiés* ! L’écriture est ma grande passion que je poursuis malgré le peu de temps dont je dispose. J’écris des romans légers et ironiques spécialement pour un public féminin. Comme dit Marco, il est dommage que je n’écrive pas de livres fantastiques ou historiques qui pourraient être transposés dans des jeux… cela aurait été le crime parfait ! »
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Sur Ludovox, tu es connue pour être derrière ZhanGuo, Railroad Revolution, ou encore The Long Road, jeux que tu as conçus à chaque fois avec ton mari Marco Canetta. Vous êtes un peu les Inka et Markus Brand italiens ! Vous travaillez toujours ensemble tous les deux ?
S. N. : « On peut dire que nous sommes un peu les Inka et Markus Brand italiens, juste parce que nous sommes mariés et nous avons deux enfants… Ensuite, il nous manque une centaine de jeux et une demi-tonne de prix. Mais on y travaille.
Cependant, nous avons la chance de partager la même passion pour les jeux de société et c’est bien. Créer des jeux nous permet de passer du temps ensemble, de voyager et de nous faire de nouveaux amis. Quoi de mieux ? »
N’as-tu jamais envisagé de signer un jeu toute seule ?
S. N. : « Pas pour le moment. Je pense que la comparaison avec un autre auteur donne souvent lieu à de meilleures idées. Il y a beaucoup d’auteurs qui signent des jeux ensemble parce que la solution que l’un ne trouve pas est évidente pour l’autre. Et Marco et moi nous nous complétons. Donc, si je devais signer un jeu sans Marco, je le signerais probablement avec un autre auteur. Au final, Marco, qui habite avec moi, est la solution la plus pratique ! »
À l’époque, tu nous disais que vos jeux se construisaient en deux temps : ils naissaient dans l’esprit de Marco (via la thématique) et se terminaient grâce à ton travail. Les enfants étaient aussi de la partie pour jouer et tester ! La conception du dernier né, The Long Road, a-t-il suivi ce schéma lui aussi ? Peux-tu nous raconter comment ça s’est passé ?
S. N. : « Les troupeaux ont commencé à faire leurs premiers pas il y a des années et ça fait si longtemps que ni Marco ni moi ne nous souvenons comment est né The Long Road. La première version était principalement centrée sur les lieux et les directions pour les atteindre. Ensuite, comme beaucoup de nos prototypes, après une première phase peu convaincante de test, il restait longtemps à fermenter dans le tiroir. Lorsque nous l’avons récupéré après un certain temps, les personnages sont arrivés (au début, seuls 7, identiques pour tous les joueurs) et le jeu a pris la forme qui l’a conduit à la version finale. Il a tellement changé que beaucoup de ceux qui ont joué aux différentes versions du jeu ne le reconnaîtront pas. Ce serait un peu comme avoir vu un petit enfant toujours avec une sucette et puis le rencontrer adulte avec de la barbe et les poils sur le torse. »
Savez-vous si le jeu pourrait se retrouver localisé en France ?
S. N. : « Nous aimerions beaucoup, aussi parce que nous croyons que le jeu pourrait être très apprécié du public. Mais cela ne dépend pas de nous. »
Est-ce que vous vivez toujours vers Florence ? Comment est la vie ludique là-bas ? Et globalement, en Italie, comment se développe l’industrie ludique actuellement ?
S. N. : « Oui, nous vivons exactement entre Pise et Florence, et pour jouer nous devons aller dans ces villes où nous avons de nombreux amis fans de jeux de société.
La culture du jeu de société en Italie n’est pas aussi répandue qu’en France ou en Allemagne, mais est en train de prendre de plus en plus d’importance grâce aux nombreuses associations ludiques très actives qui organisent des événements pour faire connaître les jeux au public.
Ces dernières années, beaucoup d’éditeurs ont vu le jour et de nombreux auteurs italiens se sont imposés au niveau international. Le jeu vidéo est encore plus répandu, mais les jeux de société jouent de plus en plus des coudes pour avoir leur place. »
Elizabeth Hargrave (Wingspan) milite contre l’invisibilité des autrices dans le jeu de société en créant une sorte de carnet d’adresses international regroupant toutes les femmes autrices (cf news). Les femmes autrices demeurent dans les chiffres largement minoritaires. Quel est ton regard sur cette question ?
S. N. : « Il y a peu d’autrices parce que peu de femmes jouent aux jeu de société par rapport aux hommes. Le jeu a toujours été un passe-temps plus masculin que féminin, en particulier les jeux de guerre (si Marco veut jouer à Axis & Allies, il doit jouer avec notre fils, pas avec moi, sauf s’il veut divorcer).
La raison pour laquelle les femmes jouent moins que les hommes peut dépendre de la mentalité, de la culture ou simplement d’un héritage du passé : historiquement, c’étaient les hommes qui jouaient aux cartes au bar ou à la pétanque, pas les femmes, occupées à garder leurs enfants et leur maison.
Les femmes n’avaient pas de temps à perdre pour jouer. Les hommes, oui. Mais ensuite, la vie des femmes a changé (elles ont enfin eu le temps pour leurs passe-temps !) et les jeux aussi (pas seulement des cartes ou le Monopoly). Les femmes ont découvert le plaisir du jeu de société, et aux festivals on voit de plus en plus de joueuses. Je crois que leur nombre augmentera de plus en plus. C’est juste une question de temps. Parlons-en dans dix ans et je suis sûre que le pourcentage de joueuses aura changé, et avec lui celui des autrices. »
Quels sont tes projets pour 2019/2020?
S. N. : « Avec What’s Your Game ? vont sortir les extensions de ZhanGuo et de Railroad Revolution. Ensuite, il y aura un jeu avec Thundergryph Games, différent de tous ceux réalisés jusqu’à présent. En outre, il peut même y avoir une agréable surprise pour le marché français (si c’est le cas, vous serez les premiers informés). Et bien entendu, nous travaillons sur de nombreux autres projets qui, nous l’espérons, verront bientôt la lumière. »
Terminons par une petite recommandation ! Quel est le jeu que tu as découvert dernièrement que tu souhaiterais nous conseiller ?
S. N. : « Depuis le dernier festival de Essen, Marco et moi avons acheté tant de jeux et nous en avons encore beaucoup à jouer. Il y a tellement de bons jeux et il serait difficile de donner des conseils. Je peux dire que nous avons terminé 2018 en jouant à Coimbra, qui est toujours un bon jeu, en plus créé par un couple italien comme nous. »
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morlockbob 02/05/2019
Zanghuo…respect madame !