Weather Machine : les rouages du temps
Weather Machine est un jeu de pose d’ouvrier expert, sur une thématique Steampunk originale puisque, comme son nom l’indique, nous allons jouer avec la météo. Mais Weather Machine, c’est aussi un jeu de Vital Lacerda, un de ces auteurs qui ont une identité forte. Énoncer son nom provoque autant l’euphorie chez certains joueurs, qu’une crise de panique chez d’autres. S’il était chef cuisinier, ses jeux seraient des plats 3 étoiles qui raviraient les papilles de certains, mais dont l’association complexe des saveurs déplairaient fortement à d’autres. Je fais clairement partie des premiers, je dirai même que c’est mon restaurant préféré ; alors quand le chef nous présente son nouveau plat, je m’empresse de réserver une table.
Dérèglement climatique
Le professeur Lativ a créé une machine pour modifier la météo. Ses intentions étaient louables, son objectif étant d’améliorer la vie de tout un chacun. Pluviométrie maîtrisée pour les fermes, soleil pour les vacances à la mer, pluie en Écosse (ah non ça c’est naturel ☺ ), tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce que le professeur remarque que par « effet papillon » une modification dans un pays pouvait créer une catastrophe naturelle dans un autre. Face à la menace que cela représente pour le monde, le gouvernement finance une nouvelle machine destinée à réparer les pots cassés (enfin le temps cassé en l’occurrence).
Les joueurs incarnent différents scientifiques dont le rôle est d’aider le professeur dans la création de ce nouveau prototype. À la fin de la partie, le joueur ayant le plus de Points de Climats l’emporte, même si évidemment le plus important est d’avoir sauvé le monde.
De l’appétence pour mettre en appétit
De même qu’une belle assiette ouvre l’appétit, un beau jeu donne envie d’y jouer. Si Eagle Gryphon Games a déjà montré par le passé sa maîtrise des éditions de qualité, avec Weather Machine, ils mettent la barre encore plus haut. Les matériaux utilisés sont de première qualité, et une fois mis en place, la magie du jeu opère déjà : le plateau magnifiquement illustré par Ian O’toole invite à visiter les différents lieux de la partie.
Toutefois pour s’asseoir à cette table étoilée, il faudra y mettre le prix, la hausse des matières premières et des coûts du transport impactant très fortement les coûts de production (le jeu est en précommande à 160 €).
Les plateaux personnels représentent notre laboratoire, avec un tableau de commande central bordé par une armée de bots à sa gauche, et des espaces de stockage à droite. Des rouages placés sur le côté du plateau préfigurent la construction de notre future machine météo.
Les produits chimiques sont représentés par des petits cylindres colorés, certes plus conventionnels mais également plus pragmatiques en termes de placement et de manipulations dans le jeu. Ce qui m’amène (malin que je suis) vers un des aspects les plus plaisants des jeux de Lacerda : la lisibilité sur le plateau. Si les On Mars, Lisboa, ou Kanban EV (pour ne citer qu’eux) semblent chargés visuellement, c’est que toutes les informations pratiques s’y trouvent avec des pictogrammes plus ou moins réussis selon les jeux. Weather Machine n’échappe pas à la règle, mais avec un degré de réussite rarement vu. Tout y est, mais surtout avec une symbolique facilement assimilée, rendant l’expérience de jeu des plus agréables. Nul besoin de retourner aux règles !
Comme pour Lisboa, le joueur dispose également d’un « Livret » aide de jeu, ce qui peut faire paniquer les sceptiques, mais s’avère très pratique puisque nous allons y trouver la description de tous les objectifs, tuiles bonus… Mine de rien cela dynamise la partie, car nul besoin de se passer le livret de règles pour tel ou tel descriptif de tuiles.
Cerise sur le gâteau, il y a (enfin) une notice jointe pour expliquer comment ranger le matériel dans les multiples et très pratiques inserts fournis.
Beau c’est bien, bon c’est mieux
L’esthétique y est, mais un jeu c’est avant tout des mécaniques. Nous retrouvons dans Weather Machine un principe de base commun à tous les jeux de cet auteur : la pose d’ouvrier avec un seul ouvrier.
Le plateau est scindé en quatre zones : le dépôt, le gouvernement, le laboratoire du professeur Lativ, et le département Recherche et Développement. Chaque zone va permettre d’effectuer deux actions différentes. En fonction de l’emplacement sur lequel nous allons poser notre ouvrier, nous allons pouvoir soit effectuer les deux actions, soit effectuer une des deux actions tout en gagnant des coupons bonus en fonction des positionnements des autres joueurs. Un système simple et malin, que j’ai beaucoup aimé, car le choix du lieu visité ne va pas seulement se faire en fonction des actions qu’ils proposent, mais aussi en fonction des joueurs présents.
Les ressources du jeu sont les coupons scindés en quatre familles, qui correspondent aux quatre zones du plateau, et une cinquième, le coupon scientifique, qui est un joker. Les coupons sont représentés par des jetons que l’on monte et descend sur un tableau de commande dans notre plateau individuel. C’est à la fois pratique et très fun, c’est comme bouger les leviers de notre machine.
Nous avons également besoin de produits chimiques et de rouages de différentes couleurs. À tout moment, nous pouvons échanger coupons, rouages et produits chimiques contre d’autres si nécessaire, moyennant un léger coût en coupons. C’est un point que j’ai trouvé très plaisant, car il évite de se retrouver coincé.
Toutes les actions sont importantes. En fonction du joueur que vous êtes, cela peut être grisant ou perturbant. Grisant si comme moi vous aimez avoir le choix, ne pas être contraint par les mécaniques à jouer une action en particulier, car c’est forcément THE action qu’il faut faire. Une liberté de choix et de placement qui peut perdre ceux qui aiment bien avoir un fil conducteur à suivre. Dans Weather machine, tout est une question de tempo : je ferai tout, mais dans quel ordre, à quel moment ?
Au fil des tours, nous allons améliorer nos zones de stockage, récupérer rouages, produits chimiques et coupons, placer nos robots sur le plateau. Le jeu prend vie, les rouages se mettent en place, les robots se mettent au boulon…au boulot.
Une fois que chaque joueur a joué son action, le professeur Lativ pourra éventuellement activer la machine dans son laboratoire pour l’expérimenter. Pour ce faire il faut :
- Vérifier où se trouve l’assistant du professeur, c’est lui qui détermine quel type de météo sera testé ce tour-ci (par exemple venteux).
- Vérifier qu’une des tuiles météo présente à ce moment-là corresponde à cette météo (une tuile vent).
- Que tous les emplacements de la machine du type de météo demandé soient occupés par des robots.
Si toutes ces conditions sont réunies, tous les possesseurs des robots ayant contribué à l’expérimentation gagnent points et bonus. C’est presque une composante coopérative / négociation, pour être sûr que la machine météorologique pourra s’activer ce tour, car seul, il est très difficile de remplir tous les emplacements avec nos robots. Une excellente idée qui colle parfaitement au thème du jeu (car rappelons-le, c’est tous ensemble que nous pourrons sauver la planète).
C’est un résumé loin d’être exhaustif des mécaniques du jeu. Nous pourrons aussi écrire des thèses scientifiques en vue de remporter le prix Nobel (la classe ☺ ), réaliser des objectifs personnels, optimiser nos revenus… Un jeu très riche dans le bon sens du terme. Je ne suis pas fan de ces jeux où les règles nécessiteront des allers-retours dans le manuel, ou amèneront des « oublis » fréquents. Ici ce n’est pas le cas. Même si le jeu propose beaucoup d’éléments différents, la clarté des informations sur le plateau, et la cohérence des mécaniques vous feront chauffer les neurones sans vous perdre dans les méandres des règles ☺.
En fin de partie, nous effectuons alors un décompte final très rapide. J’ai trouvé ce point très agréable, loin des salades de points qui nécessitent un fichier Excel pour déterminer le gagnant.
Approche mécanique contre approche thématique
Ce jeu est-il fait pour vous ? À la fin d’une partie de Kanban EV, j’ai eu un échange très éclairant avec les trois autres joueurs. Nous étions deux à avoir adoré et les deux autres non. En approfondissant le pourquoi du comment, il s’est avéré que les deux joueurs qui n’avaient pas adhéré, ont une approche des jeux par la mécanique des règles. Pour eux, le thème et le matériel n’ont pas d’importance, ce qui compte c’est le fonctionnement du jeu. Par cette entrée, il est vrai que les jeux de Vital Lacerda sont d’une grande complexité, des actions principales, des actions exhaustives, je pose un machin pour prendre un bidule qui bouge le truc. Pas facile de s’y retrouver.
L’autre joueur et moi-même avons une approche plus thématique. Nous aimons le beau matériel qui va nous aider à rentrer dans le jeu. Quand je joue à Kanban EV, je parle au meeple de Sandra (mais le meeple ne me répond jamais ☹ ), dans On Mars je suis sur Mars, et par ce biais, le jeu devient beaucoup plus logique (il me faut de l’oxygène pour accueillir des colons sur Mars). Car Lacerda c’est cela, un thème exploité par des mécaniques qui doivent lui rendre hommage, une recherche pour que les aspects réels du sujet soient transposés in game.
Alors, autant dire que pour Weather Machine, j’étais curieux, car pour la première fois cet auteur me confrontait à une mécanique fantastique, du pur imaginaire, un univers steampunk. Et autant dire que le pari est réussi.
Certes au départ j’étais déstabilisé. Par quoi commencer ? C’est là que je me suis rappelé qu’il peaufine ses jeux à la perfection, que ses équilibrages sont un modèle de précision, et quel que soit mon démarrage, ce sera bon. J’étais face au menu de ce grand restaurant, et plutôt que de me casser les méninges à déterminer quel sera mon plat préféré, je passe commande, car quoi que je prenne, je sais que se sera bon. Et je me laisse alors emporter par cet océan de saveurs. Les tours s’enchaînent, les objectifs deviennent plus clairs, la machine se forme, et la magie opère. Je suis un scientifique, je veux sauver le monde, je veux aussi le prix Nobel parce que c’est classe ^^. Et finalement les mécaniques sont plus épurées que dans la plupart de ses jeux précédents, les actions sont plus courtes, plus rapides. Un joueur cherchant une logique purement mécanique entre les différentes zones du jeu, aura surement un peu plus de mal à rentrer dans sa partie, mais au final il est plus accessible que ses créations habituelles tout en restant aussi riche, bourré de choix. J’y ai retrouvé aussi cette élégante interaction que j’aime chez lui. Il ne s’agit pas de bloquer les autres joueurs, mais d’être dans le bon tempo pour gagner des petits avantages par-ci par-là, avec un saupoudrage de coopération puisque certaines réalisations rentables en termes de points, ne se feront pas seules.
Tornade ludique ?
J’ai pu jouer à ce jeu sur une version pré prod, à 4 joueurs.
Weather Machine est une grande réussite. J’y ai retrouvé ce qui me plaît chez Lacerda, un jeu riche avec la sensation de jouer à une partie d’Échecs. Même si nous en privilégions certaines, toutes les pièces de l’échiquier sont importantes, et il faut à la fois anticiper quelques coups à venir, tout en s’adaptant à l’évolution de la partie. Le tout est magnifiquement enrobé par une édition magnifique, ce qui n’est pas anodin, car non seulement cela aide à rentrer dans le jeu, mais en plus toutes les actions sont clairement et distinctement indiquées sur le plateau (je me répète beaucoup sur ce point, mais j’ai vraiment été très impressionné).
Entre Weather Machine et le futur Bot Factory qui reprend les principes de Kanban EV dans une version épurée, nous assistons peut-être à un renouveau de Vital Lacerda, avec des créations ludiques toujours aussi savoureuses, mais moins complexes, pour ravir plus de palais.
D’ailleurs à la fin de notre partie de Weather Machine, un ami très réfractaire à Lacerda m’a dit « celui-ci, je m’en referai bien une partie ».
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Dipaulit 08/11/2022
Merci pour ce Just Played appétissant ! 🙂
Le métaphore culinaire est intéressante. L’addition complexe de multiples saveurs ne donne pas toujours un tout cohérent et savoureux.
Cela peut même parfois mener à des plats indigestes si consommés en trop grande quantité.
La saveur culinaire peut aussi résulter de l’association beaucoup plus simple d’éléments mais qui se démarque par un mise en oeuvre parfaitement maîtrisée et parfois même inédite.
Je ne connais pas assez les oeuvres de Lacerda pour juger de manière relativement objective. Mais les quelques tentatives que j’ai pu faire ne m’ont pas convaincu. J’aime les jeux complexes, non pas à cause de leur complexité de règles mais plutôt de par la complexité du puzzle qu’ils proposent, de la finesse de planification, d’optimisation qu’il proposent. Un jeu peut être complexe à maîtriser tout en étant basé sur des règles/mécaniques plutôt simples et épurées.
Cet article me donne envie de donner une chance aux prochains jeux de Lacerda. Merci 🙂
Ihmotep 08/11/2022
Merci pour ton retour ^^. Effectivement Lacerda laisse rarement de marbre, soit on adore soit on déteste ^^. J’espère avoir été assez transparent dans l’article je fais partie de ceux qui sont fan :). Weather Machine je l’ai toutefois trouvé plus accessible que ces autres jeux mais ca reste du bon gros expert. Je sais que personnellement je n’arrive pas à jouer à Barrage, je ne capte pas ses mécaniques et je n’arrive pas à « lire » la carte avec les déplacements aqueux, alors que sur On Mars (qui est réputé être un voire le Lacerda le plus complexe) je ne le trouve « logique » donc ca coule de source pour moi (subtil jeu de mots qui fait écho à Barrage 🙂 )
Si tu as l’occaz d’essayer Weather Machine je serai heureux de savoir ce que tu en as pensé du coup :).
Dipaulit 09/11/2022
Oui oui on avait bien compris que tu étais plutôt du côté des fans ! 🙂
C’est marrant que tu compares Barrage et On Mars (tous 2 sur le podium du Diamant d’Or 2020 derrière… Crystal Palace !! :-0 ). J’ai joué 4 fois à On Mars et même si je reconnais les qualités du jeu, j’ai n’ai pas eu envie d’y revenir. Malgré son niveau élevé d’intégration thématique et de cohérence des mécaniques, ses enchaînements d’actions tendus, je l’ai trouvé trop lourdingue au niveau des multiples mécaniques et règles associées, manquant de fluidité et redondant sur les priorités d’actions colonie en fin de partie. Après, avec seulement 4 parties au compteur, nous n’avons certainement pas perçu toutes les possibilités qu’offre la gestion du timing pour déclencher la fin de partie. Je pense qu’on peut remporter la partie en accélérant sans laisser le temps aux adversaires de valoriser leurs prod/ressources avec des cartes contrat (je ne me souviens plus du nom des cartes).
Par contre, Barrage est à mes yeux le meilleur jeu de pose d’ouvriers de ces dernières années (après la sortie de Projet Gaia qui reste un cran au dessus pour moi, notamment car il est plus équilibré et excellent dans toutes les configurations de joueurs, au contraire de Barrage). Certes Barrage n’est pas facile d’accès. Je reconnais que la lecture des possibilités d’implémentation des structures sur le plateau n’est pas aisée sur les 2 premières parties. Il est exigeant, non pas par ses règles mais par son côté particulièrement punitif, mais il est brilliant, épuré, innovant, tendu, interactif. On peut lui reprocher un certain manque d’équilibre de par les capacités inégales des tuiles spéciales et des directeurs, poussant presque à instaurer un système d’enchères à points de victoire pour choisir la combinaison plateau nation directeur en début de partie entre joueurs compétitifs. Il est également moins bon dans la configuration 3 et surtout 2 joueurs en attendant la sortie du plateau de taille réduite. On peut aussi lui reprocher de ne pas être adapté à l’intégration de nouveaux joueurs à une table de joueurs plus expérimentés mais ce défaut se retrouve sur bcp d’autres jeux.
Barrage n’est pas le sujet de ce Just Played et j’ai hâte de pouvoir tester Weather Machine pour me raviser sur les Lacerda.
frédéric ochsenbein 10/11/2022
On Mars est mon préféré parce qu’il est à mes yeux le plus riche, et effectivement quand tu connais le jeu il y a plein de façon de terminer, de scorer, comme une partie d’échec il faut s’adapter au fil du jeu. Cependant c’est aussi celui où je conçoit le mieux la critique sur la « lourdeur » du jeu. Je suis formateur de maths, j’aime quand c’est carré, et quand je joue à un jeu je suis toujours avec mon aide de jeu à suivre les étapes. Dans On Mars certaines actions nécessitent dans un premier temps de bien suivre l’aide de jeu tant elles sont complexes. Je trouve que c’est plus injuste pour Kanban EV ou Vinhos où les actions ne sont pas plus alambiqués ou compliqués que dans Barrage ou Brass de mon point de vue ^^. Weather machine je le situe (après une seule partie) au niveau de Kanban EV, mais avec un accès plus simple du fait de la lisibilité des actions sur le pateau que j’ai vraiment trouvé top (pour le coût pas besoin d’aide de jeu, elle sert plus pour avoir le descriptif des tuiles si nécessaires) 🙂
Si je suis autant d’accord avec ihmotep c’est que c’est moi, je n’ai pas fait attention je n’étais pas connecté sur le site ^^.
adesco 11/11/2022
hello
mais pour être propriétaire d’une boite, or KS, il faudra débourser 160 € !
pour ma part la limite boursière a été franchie
CDT