Solo is Beautiful #20 : Maracaibo: The Uprising, Port Royal Big Box, Le Trésor de Davy Jones
Ah les pirates et le commerce dans les Caraïbes des 17e et 18e siècles, en voilà un thème indémodable ! Parmi les jeux qui ont abordé les boutiques ces derniers mois, on en compte plusieurs sortis autour de ce thème et étant annoncés comme jouables en solo.
« Jouable » certes, mais s’agit-il d’un vrai mode solo potable, ou bien d’un petit écusson pour faire joli sur la boite ? Allons découvrir ce qu’ils ont dans leurs entrailles, moussaillon !
Maracaibo: The Uprising
- Auteur : Alexander Pfister
- Joueurs : 1 à 4
- Sortie : 2022 (VF)
- Thème : commerce maritime et colonisation dans les Caraïbes du 17esiècle
- Type : coopératif (1 à 4 joueurs)
- Mécanique : Gestion de main, Collection, Contrats, Course à points
- Mécanique de solo : battre un automa
- Objectif de solo : points de victoire (comme en multi)
- Durée : 45 minutes + 25 minutes d’installation
- Place sur la table : 90×90 environ
- Prix : 35 € en boutique (+65 € pour le jeu de base)
- Nos rubriques : Just Played
Enfin une extension pour Maracaibo, et qui tape juste (avec quelques bémols) ! Dans ce Just Played, je vous présentais le contenu et vous ai laissé sur l’idée que les joueurs solitaires n’étaient pas pris au dépourvu. Pour avoir un aperçu de la bête et de ses mécaniques, n’hésitez pas à jeter un œil à notre article.
Petit guide de tri de la boîte
Les nouveaux éléments de jeu, modules, scénarios proposés par l’extension sont foison, et l’on s’y perd facilement au début. Une chose est à noter : les cinq nouveaux modes de jeux proposés, soit la totalité du contenu, sont tous jouables en solo. Oui j’insiste sur ce point, car nulle part dans les règles il ne sera précisé qu’ils le sont, et je vous donne cette information pour vous éviter des aller-retours fatigants dans le livret. D’ailleurs, je vous invite à revenir sur le Just Played pour un petit hiatus sur ces règles, complètes mais fastidieuses et parfois confusantes !
Pour en revenir à nos scénarios, ils n’auront pas la même saveur en solo qu’en multijoueur, vu que l’on retire pour certains d’entre eux une composante compétitive qui avait son importance et qui les différenciait. En termes de gameplay en solitaire, certains scénarios vont donc se ressembler fortement, ou présenter moins d’intérêt, même s’ils ne sont pas à jeter. Je les passe brièvement en revue pour vous aider à y voir plus clair, tout en précisant qu’il ne s’agit là que de mon point de vue (argumenté).
L’Alliance des Caraïbes, ou mieux encore, Le Sauvetage (deux scénarios coopératifs), sont ceux qui m’ont paru les plus intéressants en solo et qui justifient à eux seuls l’achat de l’extension. La raison principale est qu’ils exploitent la gamme complète des nouveautés de l’extension : combat contre les trois nations, nouveau plateau Navire, nouvel automa, ports d’attache… Les autres scénarios sont moins garnis de ce côté-là.
Le Sauvetage reprend l’Alliance des Caraïbes et propose un défi plus grand, tout en multipliant les fronts à mener : à la collecte de points de victoire face à l’automa, à l’exploration contre l’automa, et à la lutte contre les nations, que l’on gère tous les trois dans L’Alliance des Caraïbes, s’ajoutera la recherche d’indice puis enfin la récupération d’un otage une fois la cachette des ravisseurs découverte. C’est donc le point culminant de Maracaibo. Réussir Le Sauvetage en difficulté maximale, c’est mettre l’extension en « PLS » pour de bon !
La version solo des autres scénarios est un peu moins novatrice, mais proposera toujours du renouveau à travers les nouvelles tuiles Héritage. Sans rentrer dans les détails, la version solitaire de Troubles est là-aussi à peu de choses près la même chose que l’Alliance des Caraïbes. Tout Compris, le scénario opportuniste, présente peu d’intérêt en solo, car il prend tout son sens en multijoueur. En effet, il est basé sur le choix opportuniste de poser ou de retirer des cubes Possession des nations en fonction de la situation de jeu et ce choix dépend du même choix qu’ont fait les joueurs précédents. Comme l’automa ne pose pas de cube Possession, on sera le seul joueur à en poser ou en retirer, ce qui par conséquent me semble réduire presque à néant l’intérêt de la chose.
En bref, j’en suis rapidement venu à délaisser Troubles et Tout Compris pour me focaliser soit sur L’Alliance des Caraïbes, soit sur Le Sauvetage, soit sur le mode Histoire ; ces trois scénarios rallongeant de manière sympathique la durée de vie du jeu. Il est possible que vous ayez un avis contraire et préfériez les autres, mais dans tous les cas, l’offre de l’extension est riche et chacun y trouvera son compte, pour peu que vous accrochiez déjà au jeu de base.
Des automas 2.0
Une amélioration bienvenue : l’automa Jeanne reçoit deux cartes supplémentaires réduisant son déplacement à une seule case. Je vous le disais dans un précédent Solo is Beautiful, cette dernière souffrait de quelques faiblesses de conception qui pouvait agacer certains joueurs. En particulier, elle se déplaçait trop vite autour des Caraïbes, forçant les joueurs à lui courir après pour ne pas être pénalisés, puis de la dépasser sur tous les fronts (exploration, quêtes, combats…), les privant d’une certaine liberté d’action et de choix tactiques. Ces deux cartes viennent sensiblement corriger ce défaut. Faut-il encore les piocher lors de la mise en place, à moins qu’on ne l’aide un peu 😉
L’avantage est que vous pourrez choisir contre quel automa jouer parmi les deux. Jacques, le nouvel automa, a un fonctionnement très différent de celui de Jeanne, du jeu de base. Chaque carte automa de Jacques que vous piocherez déclinera son effet en fonction du numéro du tour en cours. Plus vous avancerez dans la manche, plus l’effet de la carte sera fort. Par conséquent, plus vous jouerez lentement, plus il faudra par scorer fort. Ainsi, le choix de prendre son temps ou de rusher vous sera donné, il n’y aura pas qu’une seule option possible et c’est plaisant. C’est précisément sur ce point que Jacques est selon moi plus intéressant à affronter que Jeanne, et vient compenser la course à tout prix frustrante contre Jeanne. Cela dit, malgré sa lenteur permissive, Jacques m’a paru sensiblement plus ardu que Jeanne.
De plus, la mise en place de Jacques est très rapide et sa maintenance est quasi inexistante. Il est quasi invisible sur le plateau de jeu. Au contraire de Jeanne, il n’pas de plateau individuel avec une multitude de jetons, pas de meeple dédié ni de bateau, juste un petit deck de 10 cartes et deux petits jetons : un pour marquer ses PV et l’autre pour simuler son explorateur (un meeple de bois aurait été bienvenu !). Le contraste avec Jeanne et son armada de matériel est saisissant. Pour moi c’est plutôt un avantage d’avoir moins de choses à gérer dans ce jeu déjà bien chargé.
En résumé
Maracaibo: Uprising est une extension qui montre un plein intérêt en solo. Tout le contenu n’est pas forcément intéressant à l’instar de la Big Box de Port Royal du même auteur (dont je vous parle juste au point suivant), mais en faisant le tri, la proposition est suffisante pour améliorer l’expérience de jeu et allonger de manière intéressante la durée de vie de Maracaibo. Attention cependant : comme je l’ai précisé dans le Just Played, la mise en place est un véritable tue l’amour et peut rebuter de nombreuses personnes. Mis à part cela, son achat est selon moi tout à fait justifié pour du jeu en solitaire, même si j’avoue ne pas le sortir depuis par flemme de passer plus de 20 minutes à l’installer.
Port Royal – Edition Big Box
- Auteur : Alexander Pfister
- Joueurs : 1 à 5
- Sortie : Juillet 2022 (VF)
- Thème : commerce maritime et colonisation dans les Caraïbes du 17esiècle
- Type : coopératif, compétitif
- Mécanique : stop ou encore, draft ouvert, collection, contrats
- Mécanique de solo : aucune
- Objectif de solo : contrats
- Durée : 30 minutes + 1 minute d’installation
- Place sur la table : 60×60 cm environ
- Prix : 27 € en boutique
- Nos rubriques : Ludochrono, test
Alexander Pfister a encore frappé ! Cet auteur habitué aux eurogames de gros gabarit nous surprend avec ce jeu qui tient en un simple paquet de cartes. Et pour le coup, la surprise et d’autant plus agréable que cette nouvelle version rafraîchie est toujours aussi plaisante et addictive. Le stop ou encore dans toute sa magie.
La big box est un bric-à-brac nous proposant beaucoup d’options en combinant les différentes extensions. C’est en quelque sorte une marque de fabrique d’Alexander Pfister, qui peut même parfois porter à confusion. Deux extensions sur les trois permettent de jouer en solo :
- L’aventure commence (le mode campagne)
- Pour un contrat de plus
Pas la petite extension standalone Met les voiles, dont je ne vous parlerai donc pas.
Pour faire simple, le mode solo est totalement issu du mode coopératif. L’objectif sera dans tous les cas de remplir des contrats : effectuer les actions ou réunir les cartes demandées dans un temps limité.
Si on passe un bon moment avec les modes coopératifs en multijoueur, il semble clair que Port Royal (avec ses extensions) présente un maximum d’intérêt en mode compétitif, car il a été conçu dans cette optique. « Dois-je encore piocher des cartes pour tenter de trouver mieux mais au risque de laisser plus de choix aux adversaires ou bien vais-je m’arrêter là ? ». Tout le sel et une grande part de la stratégie du jeu reposent sur cette question, et elle est hélas absente en coopération. En solo, c’est la même chose, mais avec la coopération en moins ! C’est donc sans nul doute que sur le papier, le mode solo ne part pas avec des points d’avance.
Dans Pour un contrat de plus, votre objectif sera d’accomplir trois contrats piochés aléatoirement, dans un nombre de tours limités (aux alentours de 13). Ces contrats vont vous demander pour la plupart de collectionner des cartes, certains vous demanderont un montant d’or, de points de victoire, ou une prise de risque sur la pioche.
Je suis parti avec un certain enthousiasme, mais après quelques parties en solo, je reste mitigé. En temps normal, on cherche à construire un moteur pour assurer ses fins de parties. Diverses options s’offrent à nous : recruter un ou plusieurs négociants, ou bien un amiral, un parieur, etc. Si on parvient à remporter les contrats en premier, on sera mieux récompensé, un peu moins si on arrive en second, et ainsi de suite. On cherchera donc à se positionner habilement sur un ou plusieurs contrats proposés pour optimiser ses chances de victoire. En solo (ou même en coopératif), pas de points de victoire : il faudra obligatoirement remplir tous les contrats piochés et cela réduit drastiquement les choix. Pour ainsi dire, il n’y en a même plus vraiment !
On aura donc tendance à se résigner à piocher des cartes pour collecter de l’or en attendant de tomber sur les cartes exigées par les contrats, puis les acheter à la première occasion. Plus préoccupant encore, la construction de moteur semble secondaire, voire inutile, d’autant plus que les parties sont courtes et ne laissent pas vraiment le temps de récolter ses fruits. J’ai tenté l’expérience de jouer plusieurs fois sans aucun moteur, simplement en collectant de l’or et en achetant les cartes voulues au moment de les piocher. Résultat : eh bien c’est passé… Et même avec brio ! C’est quand même un souci majeur pour moi, et cela me chagrine un peu.
Dans L’aventure commence (le mode campagne), il y a un peu plus d’options. Vous ne serez pas strictement obligés de remplir tous les contrats demandés, d’autant plus qu’ils arriveront au compte-goutte et que vous n’aurez pas forcément les cartes voulues sur le moment. Si vous ratez un contrat, les prochains seront sensiblement plus difficiles, mais vous aurez un peu plus de temps. On peut donc se permettre de passer sur quelques contrats, le temps de se construire un moteur de jeu et de s’y retrouver à la fin. L’histoire est mignonette, et il sera agréable d’échouer et de recommencer en empruntant les différentes voies possibles (menant à une seule et même conclusion), pour un peu plus de cinq parties.
En résumé, même si Alexander Pfister n’a souhaité laisser personne de côté en proposant plusieurs modes solo et coopératifs dans cette big box, Port Royal reste un jeu par essence compétitif, où indéniablement l’essentiel de la stimulation et du fun se feront ressentir en vous confrontant à vos adversaires. Le mode coopératif sera un agrément secondaire, et le mode solo qui en découle une occasion de combler une soirée pour sa découverte, mais guerre plus.
Le Trésor de Davy Jones
- Auteur : Kane Klenko
- Joueurs : 1 à 5
- Sortie : août 2022 (VF)
- Thème : pirates, fantastique
- Type : coopératif
- Mécanique : dés, points d’actions, pick-up & deliver
- Mécanique de solo : aucune (simulation de plusieurs joueurs)
- Objectif de solo : identique au multijoueur
- Durée : 40 minutes + 5 minutes d’installation
- Place sur la table : 90×90 cm environ
- Prix : 50 € en boutique
- Nos rubriques : Ludochrono, Just Played (2022), Just Played, (2016), Solo is Beautiful (2019)
Depuis sa récente localisation en français, nous avons largement couvert Le Trésor de Davy Jones dans notre actualité et dans nos archives. Pour un aperçu du thème, des mécaniques, des qualités du jeu, je ne saurai trop vous conseiller de consulter le Ludochrono, mon dernier Just Played ou bien les articles des années passés.
Il y a quelques temps, Keltys vous a donné son feedback pour le mode solo de la précédente édition et après relecture, je dois dire que mon avis n’est pas très éloigné du sien. On est dans le cas d’un « two handed solo », où il faudra simuler plusieurs joueurs pour jouer seul. Pour la petite blague voici les règles du mode solo dans leur intégralité 🙂 :
Le two handed solo n’est pas mon dada et n’a pas autant d’attrait qu’un vrai jeu solo selon moi, mais je me suis rendu compte avec le temps que pour une majorité des joueurs en solitaire, ce n’était pas un problème, au contraire. Si c’est votre cas, alors vous pouvez ajouter sans scrupule 1 étoile à ma notation ! 🙂
En effet, le jeu en solo étant identique au multijoueur et comme nous sommes dans le cas d’un puzzle game du type « Pandemic-like », les sensations et les choix tactiques qui s’offrent à vous seront inchangés. Le jeu dans son ensemble est très bon, fluide (également en solo), rapide et tendu, malgré quelques petites règles pénibles à retenir ici et là.
Si vous aimez le two handed solo, je vous le recommande chaudement. Pour les autres comme moi, on attendra d’autres jeux spécialement conçus pour le solo 😉
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :
Doc.Fusion 07/11/2022
Merci beaucoup, je m’interrogeais sur Port Royal. A défaut de lever les voiles, le doute lui est levé.
Groule 11/11/2022
Content d’avoir pu t’aiguiller 😉
Tropala 16/01/2023
Petites propositions pour quand des fois on se fait un peu influencer par l’anglais (ce qui n’est pas un mal, Proust c’est confit d’anglicismes qu’on ne voit plus parce qu’ils sont passés dans le langage courant):
– utiliser embrouillé, trompeur pour « confusant », le participe présent c’est confondant, qu’on pourrait d’ailleurs très bien doter d’un usage supplémentaire: la confusion nous laisse confondu·es, le fusible fond, tout cela est bien confondant. Voire semant la confusion (si la limite de caractères le permet).
– utiliser linéraire pour « streamlined/r » si stream évoque la notion de flux, les « flux » (tendus) sont en usine eux aussi dirigés par la « ligne » de production. On pourrait tenter « avec/dirigé par le courant » mais c’est à la fois un peu lâche et un peu lourd.
-« two handed solo » pourrait être traduit par solo multipersonnages, solo à avatars, solo pluriel (j’aime bien)… Après faut encore envie de populariser un nouveau terme mais vous êtes plus en position de le faire que moi.
-on peut souvent utiliser avis, opinion, ou le moche retour pour « feedback » (je préfère presque feedback, parce quand on a du feedback dans les retours, le larsen n’est jamais loin).
Bon je pinaille, j’ai toujours pas digéré meeple pour pion, et c’est très difficile d’éviter de reproduire le langage international quand même les « leaders » allemands ont abandonné de longue date l’utilistion d’une autre langue, la leur se prêtant pourtant à la construction de tout néologisme nécessaire (d’ailleurs à quand d’autres emprunts à l’allemand que krach et reître?). Sans jouer les Toubon, en admettant une part de liberté rédactionnelle (comme l’usage de big box, tout le monde sait ce qu’est une boîte), une bonne part des anglicismes actuels me font penser à l’usage de relatiniser/réhellèniser des mots français pour les rendre plus « scientifiques » – en remplaçant « scientifique » par « professionnel », « technique » ou « specifique à un contexte » alors qu’ils sont dans la langue d’origine très peu précis et que l’usage de « noun a verb » et inversement correspond à des difficultés réelles chez certain·es dyslexiques (dyslexie grammaticale) qui ne peuvent plus utiliser la fin du mot pour déterminer sa catégorie.
En tous cas félicitations pour utiliser « focaliser » plutôt que « mettre le focus sur » comme on le lit souvent!