Sapiens – stratégie pas primitive

Sapiens est un jeu que l’on suit depuis quelques temps (reportage à Octogone, article sur Sapiens : le proto final), et les jeunes éditeurs de chez Catch Up Games nous ont confié une boîte pour que nous tâtions de la bête. Une bête atypique, croyez-moi bien. Déjà, le thème des hommes préhistoriques n’est que rarement abordé : on se contentera de quelques titres épars, dont La Vallée des Mammouths, ou l’Âge de Pierre. Mais rien d’autre qui attire mon œil. Enfin, pas que je sache : je ne connais pas tous les jeux du monde !

 

Pourquoi atypique ? Eh bien, Sapiens est simplement dur à catégoriser : ce n’est pas un jeu de pose d’ouvriers, puisqu’on ne pose que des tuiles. Ni vraiment d’expansion, puisqu’on est limité à son espace de jeu propre. Le mieux qu’on puisse dire, c’est que Sapiens est un jeu de… dominos.

 

Alors, je sais. Je vous vois déjà lever un sourcil et vous demander « des dominos ? Il se fout de qui ? » mais continuez d’écouter, braves gens, car la partie fun arrive bientôt.

 

Sagaies à mammouths et dominos, les armes de tout bon guerrier

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Le thermoformage. Remarquez les tuiles supérieures que j’ai arrangées un peu différemment. Cela dit, même avec mon ajustement, ça ne bouge pas trop.

Donc, maintenant que la prémisse est connue, je peux vous parler du matériel. Catch-Up Games a opté pour de la qualité dans une belle boîte. Chaque joueur dispose d’un plateau formé de deux parties assemblables façon puzzle et, comble du luxe, elles sont toute randomisées pour un feeling différent à chaque partie.

Comme les parties sont recto-verso, on dispose de pas mal de possibilités, toutes différentes mais toutes équilibrées, puisque chaque plateau comporte le même nombre de points. La rejouabilité s’en trouvera améliorée, ainsi que les débuts de partie, qui ainsi pourront se différencier les uns des autres.

Chaque joueur dispose d’un ensemble de tuiles « montagne », autant de bonus et de points de départ, ainsi que de trois jetons « baston » et deux pions de scoring : un pour la nourriture et un pour l’abri.

Le matériel est assez joli et est servi par un thermoformage au poil, mais qui manque légèrement de souplesse : les jetons sont un peu trop gros pour rentrer dans les cases prévues à cet effet. Ce n’est pas grand-chose, ça doit être de l’ordre de 0,1 mm, mais ça les rend un peu difficiles à déloger. Au moins, c’est sûr, ça ne bouge pas même quand vous trimballez la boîte par monts et par vaux !

Quant aux illustrations, elles sont parlantes, jolies et stylisées, et représentent des scènes de votre tribu. En fin de partie, on arrive à des résultats colorés et expressifs.

Les règles sont super claires, sur leur livret de 8 pages, avec beaucoup d’exemples visuels. Là, on est à la perfection, et c’est sacrément cool pour un premier jeu : on est bien sur une qualité aboutie, que l’on aimerait voir plus souvent. Le bilan matériel est donc très, très positif pour Sapiens : la seule ombre au tableau est la taille du thermoformage.

 

Dans la vallée…

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Un départ.

 

Lorsque j’ai présenté Sapiens à des core-gamers (comprenez là des joueurs assez endurcis), ils m’ont regardé comme si j’avais dit qu’on allait jouer au Kamoulox. L’alliance de dominos, d’effets particuliers et de calculs les a désarçonnés, et je serais bien mal en peine de les contredire : Sapiens a une forme atypique. C’est aussi ce qui le rend attirant, du moins de mon point de vue. Dès le pitch, dès l’installation, on se rend compte que l’on n’aura pas affaire à un énième jeu de deckbuilding ou d’expansion ou de placement d’ouvriers. Non, Sapiens aura la finesse de se dire et de se montrer sous un jour original.

 

Gagner, simple comme Neandertal ?

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La partie se déroule sans accroc.

Le but de chaque joueur est d’avoir la meilleure tribu, et pour ce faire, on comparera les scores de chacun, mais seulement en prenant le score le plus bas entre le score d’abri et le score de nourriture. Il faudra donc avoir un équilibre entre les deux, mais l’élimination n’est pas sèche, comme celle d’un Lords of Xidit/Himalaya.

Pour commencer la partie, rien de plus simple. Il suffit de se rendre dans une caverne avec une tuile. On commence donc avec un jeton chacun, ce qui permet à tous les joueurs de se sentir puissant et vraiment différent des autres, sans pour autant être injuste.

Et pour jouer, encore une fois, rien n’est plus simple. Il suffit de jouer une tuile, qui doit se connecter à une tuile déjà posée, mais aussi respecter le reste de ses voisines. Une fois ceci fait, on peut appliquer l’effet de la connexion, c’est-à-dire l’effet du symbole présent sur les deux tuiles que l’on vient de connecter. Ensuite, vous remplissez votre réserve personnelle (de 4 tuiles) jusqu’à son maximum. Le joueur suivant fait de même, et ce jusqu’à épuisement de la réserve de tuiles. Les différents symboles vous apporteront des bonus que je vais détailler de façon exhaustive :

  • Les villages font gagner des points d’abri. Tout simplement.
  • Les ossements permettent de rejouer, sans pour autant vous permettre de marquer vos points une deuxième fois, ni obtenir votre bonus de connexion une seconde fois. Mais cela peut vous permettre d’avancer plus vite que vos adversaires, et ainsi de ne pas vous prendre le chou s’ils vont connecter de l’eau, des ours ou encore des bastons.
  • Les rituels de pierre, eux, vous donnent le droit de prendre un pion montagne au choix dans votre plateau, et de vous le mettre à disposition. Ces pions vous octroient le bénéfice d’une connexion, mais avec quelques limitations. J’y reviendrai.
  • Les mammouths vous font… tuer un mammouth. Vous récupérez un steak de mammouth et avez ensuite le choix de transformer tous vos steaks de mammouth en nourriture. Plus vous vendez de steaks, plus vous obtiendrez de nourriture. Attention cependant : les steaks inutilisés en fin de partie ne vous serviront à rien !
  • La collecte de baies est un peu particulière : elle ne peut être placée que sur des forêts (environ la moitié de votre plateau), mais c’est assez pénible, somme toute, d’arriver à connecter deux tuiles de forêt. La connexion vous rapportera un point de nourriture de plus.
  • L’eau permet d’échanger une des tuiles de sa réserve contre une tuile d’une réserve adverse ou de la réserve centrale ! Un outil d’interaction puissant, qui aura un effet nul s’il est employé par deux mêmes joueurs, allant donc au profit du troisième (et/ou quatrième) larron. On peut également se constituer des combinaisons bien vilaines.
  • Connecter deux scènes de baston vous donne le droit de placer un pion baston sur une tuile dans une réserve adverse. Lorsque cette tuile sera jouée, vous ferez perdre au propriétaire de ladite tuile 1 nourriture, que vous prendrez pour vous.
  • Enfin, le feu vous permet de faire fuir les ours. Mais soit vous les guiderez sur un territoire adverse, pouvant ainsi bloquer leur progression, soit vous les défausserez de votre propre plateau.

 

Paléo-tactique

Lorsque vous jouez un jeton pierre, vous récupérez un pouvoir présent sur une de vos six cavernes, ou sur une de vos cascades (pouvoir inutilisable autrement). Ce qui est très fort, c’est que ces pouvoirs permettent de donner un coup de nerf au jeu, sans pour autant être trop faciles à utiliser, quoi que certains soient très directs. On notera une petite variation sur certains (le jeton mammouth ne permet pas de convertir, et le jeton baies permet de jouer des cartes baies sur des plaines pendant un tour).

Vous aurez compris que Sapiens vous met face à des choix assez cornéliens dans tous les cas. Faut-il se construire dans son coin, interagir avec les autre joueurs quitte à s’attirer leur ire, quitte à donner au troisième la liberté d’action dont il a besoin ? Voilà le genre de réflexions que l’on se fait au cours de la partie. Notez que la dose d’interaction dépend beaucoup des façons de faire et des choix de chaque joueur !

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Très grosse combo ici. Les doubles sont peut-être un peu forts, mais c’est contrable, hein.

 

Au cours de la partie, il sera possible de coloniser d’autres cavernes, rapportant des points d’abri supplémentaires. Si jamais vous êtes dans l’impossibilité de placer aucune tuile, il vous faudra abandonner votre première tribu, un peu comme si vous la mettiez en déclin dans Smallworld, retournant ainsi toutes vos tuiles déjà placées. Vous commencerez alors d’une autre caverne, avec l’impossibilité de vous connecter avec votre tribu précédente. Ne plus pouvoir placer de tuiles est bien souvent synonyme d’échec, ou d’acharnement contre vous. Ou les deux. Pour autant, ce n’est pas un déclin par partie qui va vous empêcher de gagner. C’est juste beaucoup, beaucoup plus dur…

Il existe pas mal de stratégies à ce Sapiens, mais elles sont à la fois contrebalancées par les choix adverses, et limitées par les tirages. On sera bien en mal de totalement contrôler la partie, et l’opportunisme ne sera pas des plus anodins. Le mélange entre stratégie et réaction est suffisamment savant pour marcher presque à tous les coups. En revanche, difficile de dire que les parties se différencient tant que ça : même si l’installation initiale et le tirage changent pas mal de choses dans la façon dont on aborde le jeu, Sapiens reste un titre très symétrique, très calculatoire.

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Fin de partie typique (enlevé les autres joueurs). J’aurai donc 27 points au final.

 

Verdict

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Il est beau mon pion premier joueur, il est beaaaaau !

Au final, Sapiens est une jolie découverte. Le jeu se veut fin et accessible – c’est le cas. Il promeut des stratégies très calculées – et ça marche. Le fun est au rendez-vous, lui aussi, même si l’aspect très stratégique de Sapiens ne      le rend peut-être pas aussi foufou qu’on pourrait l’imaginer en voyant la boîte. La toute première boîte de Catch Up Games remplit ses promesses avec brio, et, pour moi, ça présage du très bon (voire du très, très lourd) pour la suite. S’il y a un ou deux hoquets (le thermoformage qui cafouille, la rejouabilité qui n’est pas la meilleure au monde), ils sont mineurs et on les oublie vite devant l’originalité et la fraîcheur de ce jeu.

Faut-il se ruer sur une boîte de Sapiens ? Pour moi, la réponse est oui. Ce jeu ne conviendra peut-être pas à tous les joueurs, mais, pour son originalité, je recommande tout de même qu’on l’essaie. Dans le paysage actuel saturé par les zombies (coop ou non), par les deckbuilders et les systèmes usés jusqu’à la corde, Sapiens est un alien, une folie douce qu’on se plaira à sortir des étagères.

 
 
Un jeu de Cyrille Leroy
Illustré par Marc-Antoine Allard
Edité par Catch Up Games
Langue et traductions : Français
Date de sortie : 04/2015 (mais il est possible de l’avoir en accès anticipé à Cannes)
De 2 à 4 joueurs
A partir de 10 ans
Durée moyenne d’une partie : 60 minutes
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1 Commentaire

  1. Lordsavoy 26/02/2015
    Répondre

    Bien d’accord, ne passons pas à coté, il faut soutenir les nouveaux éditeurs qui font de bonnes choses.

     

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