L’Oracle de Delphes : les douze travaux de Feld
Quand Stefan Feld sort d’une année blanche en termes de sorties éditoriales, il y a des chances pour que ça ne dure pas. 2013 avait été ainsi particulièrement prolifique, et 2016 ne déroge pas avec jusque-là trois titres. Les Châteaux de Bourgogne – le jeu de cartes (voir le Just Played) a constitué la mise en bouche au printemps. Mais le plat de résistance est prévu pour Essen. Jórvík sera une réimplémentation d’une de ses oeuvres restée plutôt méconnue par chez nous : Die Speicherstadt.
Assez de versions remixées et autres reboots, l’objet de cette Preview est une création originale : The Oracle of Delphi, dont nous vous parlions déjà dans cette news. Une diffusion des règles et quelques visuels plus tard, il est temps d’en dresser un aperçu plus consistant.
Consultations cycliques
Préambule culturel : Du VIe au IVe siècle avant J.-C., Delphes fut un centre et un symbole de l’unité du monde grec. Concrètement, il s’agissait d’un sanctuaire panhellénique (c’est à dire un complexe architectural extérieur à une cité) où parlait l’oracle d’Apollon via sa prophétesse : la Pythie.
L’ancienne Grèce sert ainsi de toile de fond à ce nouveau casse-tête d’un des demi-dieux du jeu à l’allemande.
Zeus a lancé un challenge aux simples mortels : accomplir douze travaux pour se voir inviter en son royaume de l’Olympe. Ni une ni deux, tels des héritiers d’Héraclès ou d’Ulysse, les joueurs de sillonner une pseudo mer Egée constituée à grands coups de tuiles modulaires.
Il s’agit donc d’un jeu d’optimisation et de course, sans PV. Le premier joueur à valider l’ensemble de ses douze tâches et à revenir au point de départ (la figurine Zeus en carton 3D) l’emporte.
Mais dans l’antiquité, on ne faisait pas ce que l’on voulait ; il était de bon ton de respecter la volonté divine. Celle-ci s’avérait souvent capricieuse voire imprévisible : belle analogie thématique que voilà pour justifier le système de dés d’action individuels. Car c’est là que l’Oracle intervient : lui seul est en mesure d’indiquer quels chemins emprunter.
Consulter l’Oracle revient à lancer ses trois dés, lesquels comportent six faces pour autant de couleurs. A l’instar des faces numérotées des Châteaux de Bourgogne, un dé donne le droit à une action de n’importe quel type, du moment que l’élément de jeu concerné est de la couleur indiquée. Classiquement, une possibilité existe pour « transformer » un dé selon le cycle figuré sur le plateau personnel : il vous en coûtera un jeton « faveur » pour chaque étape de la modification souhaitée.
Mécaniquement, on est donc sur une base de 3 actions lors de son tour de jeu, auxquelles peut s’ajouter une éventuelle action supplémentaire en dépensant une carte « oracle ». De quoi bien ruminer le champ des possibles. Heureusement, la consultation (le lancer) s’effectue à la fin de son tour. Même si les plans peuvent être remis en cause par les mouvements à venir, un défrichage des options est donc possible pendant que les adversaires jouent.
Bons et mauvais présages
C’est un Feld, sachez donc que le voyage ne sera pas de tout repos : en plus de se creuser la tête pour résoudre efficacement les 12 travaux et supplanter vos concurrents, il faudra aussi se prémunir du jeu lui-même.
Ainsi, une attaque d’un Titan pas très gentil ponctue chaque tour de table. Il s’agit de jeter un D6 :
- tous les joueurs dont le niveau de « bouclier » est inférieur à la valeur de l’attaque piochent une carte « blessure », qui sera aléatoirement d’une des 6 couleurs.
- sur un 6, c’est même une attaque critique : tous les joueurs prennent 2 blessures, quelle que soit leur défense.
Evidemment, ces blessures, il faut éviter d’en collectionner trop : 3 identiques ou 6 au total au début de son tour de jeu impliquent de devoir passer pour « se soigner », c’est à dire défausser 3 blessures de son choix. Franchement à éviter, sachant qu’il est possible de consacrer une ou plusieurs actions pour défausser préventivement des blessures (voir plus bas).
Si au contraire, si vous êtes en super forme avec zéro blessure au début du tour, alors vous avez le droit à 2 jetons faveurs ou à Avancer un dieu (voir ci-après), ce qui est plutôt cool.
Il y a quand même une bonne nouvelle : certains dieux veulent bien se laisser flatter, et il est possible d’obtenir leur puissante aide spéciale dès lors que vous les avez assez honorés. Il s’agit d’avancer le jeton à leur effigie jusqu’à la case supérieure de sa colonne (partie droite du plateau individuel, ci-contre).
Ces jetons avancent entre autres via un astucieux twist : à chaque fois qu’un joueur consulte l’Oracle, les autres joueurs peuvent avancer d’une case un de leurs jetons dieu parmi les couleurs de dés roulées. Restriction importante : les jetons encore situés sur la ligne inférieure (qui est la ligne de départ) n’ont pas le droit d’effectuer leur premier mouvement de cette manière.
S’instaure donc un choix à ce niveau : « débloquer » un jeton dieu coûte une action Avancer un dieu (voir ci-après), mais permet, si les dés le veulent, de profiter d’avancées gratuites par la suite.
Sans les détailler ici, sachez que ces bonus « one-shot » des dieux sont extrèmement puissants ; à titre d’exemple, Poséïdon permet de « téléporter » son navire n’importe où. Pratique. Le jeton redescend ensuite sur sa ligne de départ, et tout est à refaire.
Par ailleurs, une légère asymétrie initiale est introduite via la tuile navire attribuée à chaque joueur : boosts divers, action améliorée, capacité en soute augmentée, rule-breaker permanent : il y a un peu de tout.
Trêve de prophéties, il faut agir
La navigation est à la base de tout, car on ne peut logiquement intervenir que sur des hexagones adjacents à celui de son pion navire. Comme cela « coûte » une action à chaque fois, limiter tant que possible les allées et venues constitue, de toute évidence, un des principaux leviers d’optimisation.
Ensuite, il faut savoir que quatre familles de tâches existent, et que vous devrez en réaliser spécifiquement trois de chaque.
Eriger 3 sanctuaires consiste avant tout à découvrir les emplacements qui vous sont réservés. Douze « îles » sont en effet réparties sur le plateau, mais face cachée ! Lesquelles trois sont à votre couleur ?
Les deux actions associées laissent latitude à soit y aller comme un bourrin (quitte à renseigner vos adversaires), soit se renseigner préalablement.
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Livrer 3 offrandes (de 3 couleurs différentes) s’apparente à du classique pickup & deliver. La position initiale des offrandes (cubes de couleurs) et leur destination sont connues. Etant aléatoirement mises en place, des bonnes et des moins bonnes occasions se présentent.
A chacun de résoudre au mieux le fameux problème du voyageur de commerce et d’embarquer avant les autres les offrandes les moins éloignées de leur point de livraison, sachant qu’il faut également s’accommoder de la place très limitée à bord.
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Elever 3 statues (de 3 couleurs différentes) reprend exactement le même système de chargement/livraison depuis et vers des emplacements connus, mais en inversant l’enjeu de concurrence. Il n’y a que peu de bousculade à l’embarquement, trois statues identiques étant systématiquement disponibles au point de départ commun. Par contre, les différents endroits pour les ériger ne peuvent accueillir qu’une seule statue d’une couleur donnée, et ne sont pas tous égaux en terme de distance à parcourir… Premier arrivé, premier débarrassé !
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Abattre 3 monstres (de 3 couleurs différentes) est une sorte de stop ou encore inversé. Votre niveau de « bouclier » va aider, mais sorti de cela, c’est le dé qui parle. Même si votre succès est de plus en plus probable, encore faut-il avoir les moyens de prolonger le combat ! Alors, est-il bien raisonnable de provoquer Méduse ou l’Hydre de Lerne tout de suite ?
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Pour terminer ce panel bien fourni, quatre actions complémentaires génériques (hors tâche) sont disponibles :
Avancer un dieu : Avancez d’une ligne (vers le haut du tableau) le jeton dieu de la couleur du dé d’action utilisé. | Soin : Défaussez toutes vos cartes blessures de la couleur du dé d’action utilisé. | |
Faveurs : Gagnez 2 jetons faveurs (peu importe la couleur du dé d’action). | Oracle : Piochez 1 carte oracle (peu importe la couleur du dé d’action). |
Oracle, ode aux espoirs
Voici indéniablement un Feld d’un calibre majeur, comme on en avait plus vu depuis Aquasphere. Comme souvent, plus que la complexité brute, c’est la multiplicité des imbrications entre les éléments de jeu qui en fait un titre plutôt touffu.
Les similitudes avec Les Châteaux de Bourgogne sont assez frappantes. Difficile de parler pour l’auteur, mais la base mécanique semble bel et bien issue d’une « évolution » de ce dernier. On troque les faces numérotées contre les faces colorées, on met trois dés au lieu de deux, on restreint la possibilité de transformer les valeurs à un sens unique (en lieu et place du +1/-1 des ouvriers), et le tour est joué.
Dit comme ça, cela semble facile, trop facile. Et cela peut aussi exaspérer : Feld qui recycle encore ses vieilles recettes. Pourtant, en termes de game-design, rien n’est simple, et les plus légères modifications ont parfois des répercussions importantes sur le ressenti.
Le moteur mécanique ne fait non plus tout, et l’exploitation qui en est faite ici laisse entrevoir un léger vent d’originalité malgré tout. Le tour de force d’éclipser les points de victoire, au profit d’une course à la réalisation d’objectifs, a de quoi dénoter dans la ludographie du monsieur. Il faut également noter l’impasse sur une de ses grandes marques de fabrique : l’ordre du tour variable.
On a vu bien pire au niveau de la cohérence entre mécanismes et thématique, même si le recours au divin pour justifier les pouvoirs spéciaux est quelque peu éculé. La réflexion et l’optimisation prennent très certainement vite le pas sur l’histoire, mais au moins, on effectue des actions concrètes. Les multiplicateurs et autres scorings plus ou moins artificiels sont laissés de côté pour cette fois.
Avec jusqu’à 4 actions par tour, il y a de quoi craindre un downtime important. Fort heureusement, le système d’Oracle permet 1) de profiter de l’intervalle pour planifier ses prochains dés, et 2) d’être potentiellement impliqué pendant le tour des autres (avancées de jetons dieux). Aussi, l’interaction n’est pas en reste avec la concurrence pour s’emparer avant les autres de la plupart des éléments à disposition.
Il est toujours difficile de jouer aux devins sans avoir pratiqué, et comme toujours, rien ne vaut un essai grandeur nature. Entre la présence d’un hasard substantiel (lancers de dés, y compris pour les combats, placements plus ou moins heureux des îles cachées…) et le côté finalement très calculatoire de l’optimisation, difficile de prédire à qui il plaira réellement. Mais il semblerait que l’Oracle de Delphes ait le profil pour s’écarter un peu du cercle habituel d’afficionados feldiens. Rendez-vous est pris en octobre.
[NDLR : La VF est prévue pour la fin d’année chez Matagot]
Un jeu de Stefan Feld Illustré par Dennis Lohausen Edité par Hall Games et Pegasus Spiele en Anglais/Allemand Pays d’origine : Allemagne De 2 à 4 joueurs A partir de 12 ans 70 à 120 min |
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atom 13/09/2016
Intéressant, en plus c’est une « course », j’apprécie quand la fin peut tomber n’importe quand, ça demande aucun relâchement, une surveillance de tout les instants. J’attendrais tout de même une version française. Il me semble que Pegasus spiele a un partenariat avec Matagot.
Dhjaz 14/09/2016
Ah celui là voui, pareil je vais guetter la sortie de la VF avec attention!
TheGoodTheBadAndTheMeeple 13/09/2016
belle preview et ton ressenti se rapproche du mien apres la lecture des regles. Etant perso, plus fan de Aquasphere que des CdB je le testerai mais attention ! 🙂
atom 13/09/2016
J’ai l’impression que c’est un mix de Chateaux de Bourgogne, Aquasphére et aussi Bora Bora pour les cartes dieux.
Fab 13/09/2016
Pas de version française prévue pour l’instant??
Mathias Matagot 13/09/2016
Bonjour,
VF dans le pipe chez Matagot pour fin d’année ! 🙂
Umberling 13/09/2016
Merci pour l’info ! 🙂
Yummy.
Grovast 13/09/2016
[pouce levé]
atom 13/09/2016
J’attendrais la version française.
Guiz 13/09/2016
Pas fan de Feld en général, en grande partie à cause des salades de points en cours de partie qui casse le rythme (encore que j’aime beaucoup Trajan), ce nouvel opus me parle ! A essayer donc 🙂
Nik 13/09/2016
Bonjour, le plateau est il fixe ou modulable ?
Merci pour ce très bon article.
Grovast 13/09/2016
Le plateau est constitué de 12 « grosses » tuiles modulaires (voir ici par exemple) + 6 tuiles cités disposées plus ou moins aléatoirement elles aussi. Donc entièrement modulaire.
Wraith75 13/09/2016
MIAM !!!
Merci Grovast ! Nouveau Feld = toujours achat obligatoire, mais celui-ci m’emballe beaucoup plus qu’Aquasphere.
Feld + dés = orgasme ludique, n’en déplaise à TSR, à chacun ses plaisirs 😉
Ce cher Stefan semble céder à la « mode Stonemaier » avec une course comme but et non des points (Viticulture, Euphoria, Scythe quand même), et pourquoi pas.
Et j’espère qu’il y aura à Essen des t-shirts « Feld is my homeboy » comme à la GenCon, il m’en faut un absolument ! =)
eolean 13/09/2016
Merci beaucoup pour cette preview grovast ! J’ai beaucoup aimé le « Abattre 3 montres » Je pense que je vais viser les swatch, les rollex sont trop fort :p
Sinon, Feldien dans l’âme, j’adore pour ma part les salades de points qui laisse une grande liberté stratégique. Une fois n’est pas coûtume, j’avoue être un peu désarçonné par cette bête. Je ne sais pas trop quoi en penser. Mais on retrouve toujours la patte du monsieur avec un système de jeu contraignant (le titan), du hasard gérable, et des choix d’optimisations.
Ce qui me laisse perplexe ici c’est qu’on a l’impression que l’ordre de jeu joue une place primordiale (course, premier à livrer, emplacements réservés, etc…) et apparemment, celui-ci n’est pas modifiable. ça soulève un côté un peu frustrant. Cependant, ça ajoute une dimension un peu double guessing (est-ce que mon voisin de gauche, qui joue avant moi, va aller sur cette île ou je peux y aller ? )
Paradoxalement, j’ai la sensation d’avoir plus à faire à une salade que ses autres jeux ^^ (bon, je dis ça, mais il a de fortes chances d’être mien quand même 🙂
Grovast 13/09/2016
Un « S » a zappé par deux fois en effet, malgré les 12 relectures : /
Je vois ce que tu veux dire sur l’ordre du tour : il n’y a pas vraiment d’entourloupe possible pour repasser devant sur l’ordre du tour (genre en toute fin de manche, surprise!) et griller un adversaire à la manche suivante.
Si quelqu’un a pris un coup d’avance et peut livrer avant toi au prochain tour, tu ne peux rien faire d’autre qu’espérer qu’il ne va pas voir la menace (toi) et musarder au titre d’une autre optim’ quelconque.
Honnêtement, même en ayant retourné la règle dans tous les sens et « pensé » le jeu pendant tout le temps de rédaction de cet article, je ne sais pas trop ce que ça va donner. Je pense jusque qu’il a potentiellement sa chance chez certains non-fans.
6gale 13/09/2016
Coté design, ce Feld a l’air moins austère que les autres et c’est tant mieux. Un jeu « kubenbois » à suivre donc.
Alin 13/09/2016
Je n’ai encore fait aucun Feld, mais celui-ci me tente grandement ! Merci pour cette preview 🙂
PSined 13/09/2016
Comme disait si bien Wraith75 : « Miam »!
Par contre, j’ai un léger doute sur l’interractivité entre les joueurs : j’ai un peu l’impression que chacun joue dans son coin et qu’il est relativement difficile d’interragir directement avec les autres joueurs.
Oui clairement, il faudra tester ce jeu pour se faire une meilleure idée.
Anchel 13/09/2016
Oracle ôde aux espoirs, sérieux… 🙂
Grovast 14/09/2016
[sifflote] 🙂
Zuton 13/09/2016
Malgré une déception de ses sorties les plus récentes, Un Feld est un Feld et ce dernier opus m’a tour l’air intéressant. Le plateau me fait un peu penser à celui de DEUS.
Le matériel a l’air sympa et c’est une bonne nouvelle d’apprendre que Matagot assurera la VF, pour dans pas longtemps en plus !
Bravo pour l’article divin (comme d’hab’) !
@Wraith75 : je sais maintenant ce que je vais te demander de me ramener d’Essen…
LAuCoBa 14/09/2016
Dommage que la VF ne sorte pas à Essen … pour le coup je vais passer par la case VO !
Merci Grovast pour la preview
Fandesg 21/10/2016
Etant un fan absolu de Feld, j’ai acheté le jeu à Essen. Et je peux vous dire que ce jeux est vraiment excellent! J’attends d’essayer Amerigo avant de confirmer qu’il s’agit, pour ma part, du meilleur jeu de l’auteur! 😉
atom 21/10/2016
Je pense que ton avis ne changera pas, Amérigo est sympa mais c’est clairement pas le meilleur. Tu aurais dit Bora Bora ou Aquasphére ou les chateaux de bourgogne a la limite. Bon ça donne envie et il va falloir attendre un petit peu avant de pouvoir y jouer.
cosmocrator 06/11/2016
Une règle en français de disponible?
Grovast 06/11/2016
Pas à ma connaissance.