Rokoko (ou Maîtres Couturiers, je reviendrais sur la traduction assez bizarroïde d’ailleurs) est le dernier petit né d'un auteur teuton Matthias Cramer (entre autres), qui commence à se tailler une bonne petite notoriété, (Helvetia, Glen More et le très bon Lancaster).
On est clairement dans du jeu de gestion solide qui combine différents mécanismes connues avec élégance comme le suggère la jeune damoiselle figurant sur la boîte. Ce jeu nécessite un public averti (14 ans et plus) pour des parties d'une durée de l'ordre d'1h à 2 jusqu'à 2h-2h30 à 5.
Le principal fait d'arme des auteurs est d'avoir introduit (entre beaucoup de choses) une mécanique astucieuse de hand-(deck ??)building, la différence entre les deux termes étant assez ténue (rah encore un terme que l'Encyclopédie Universalis n'aura pas eu le temps de traiter, sniiifff).
Résumé du jeu :
Chaque joueur incarne un maître couturier qui va essayer de gagner de l'influence auprès du roi Louis XV. Leur mission est de l'émerveiller en costumant toute sa Cour en vue d'un bal. Tout ceci pour gagner du prestige et ainsi devenir le Paco Rabanne ou le Karl Lagarfeld de l’époque. Attention, on est cependant dans du costume très classique, avec moult tissus, franges et fanfreluches. Point de marinière, ni de costume blanc sur chemise blanche (imaginez la tronche de Louis XIV si Louvois et Colbert avaient eu ces idées saugrenues ??).
De plus, notre maître couturier pourra se muer :
- en imprésario, en recrutant des musiciens pour animer les salles de bal
- en artificier, en lançant des feux d’artifice (hanabi pour un habit !!) et émerveiller la cour
- en sculpteur de statues et de fontaines
- en conspirateur, pour gagner les faveurs de la reine permet de devenir premier joueur (ne me demandez pas comment, j’ai cependant ma petite idée malsaine !!)
- en recruteurs, pourquoi ne pas faire de la place pour de nouveaux couturiers plus expérimentés et plus tendance dans notre Team ?
Le jeu est divisé en 7 tours au cours duquel chaque joueur va sélectionner dans son deck trois cartes, représentant soit des apprentis, soit un couturier, soit un grand maître Couturiers, qui possèdent chacun une caractéristique particulière (dans la cartouche en dessous du personnage). Ensuite vient la phase principale : chaque joueur va réaliser tour à tour une action en jouant une carte (soit 3 actions par joueur). Une petite subtilité vient du fait que toute recrue, nouvellement embauché pendant son tour vient dans sa main au lieu d’aller dans sa défausse (ce qui fait que les plus malins auront 4 actions au lieu de 3 et ainsi jouer après ces adversaires, ce qui peut s'avérer fort utile).
A la fin du tour, les différents pools (cartes, costumes et tissus) sont remis à jour et on attaque le tour suivant, en reprenant 3 cartes. La seule différence (et de taille) avec le jeu de "deckbuilding classique" est que l’on peut sélectionner ces cartes lorsqu’on fait appel à la pioche, au lieu de les piocher aléatoirement. On peut donc préparer son jeu à l’avance.
Mécanisme du jeu :
Ah Rococo, on peut dire que ce nom correspond bien au thème et à la profusion des mécanismes déployées dans ce jeu puisqu’on retrouve :
- De la gestion de ressources et d’ouvriers (gestion des tissus et achat des costumes, gestion d’argent, gestion des cartes/ouvriers, certaines actions étant restreintes)
- De la majorité (il faut placer le plus de ces nobles possibles dans une salle de bal pour gagner les points de majorités correspondants à cette salle)
- De l’opportunisme (prise de cartes, prise des tissus « à la manière de Fresko », prise de points dès que l'on est présent dans les différentes salles de bal...)
- De la collection (on marque des points si l’on construit des sculptures et si l'on collectionne des robes de couleurs différentes)
- D’objectifs (les cartes « uniques » de fin de partie permettent de rapporter des points selon certains critères, parfois capillotractés, il faut bien le dire)
Si l’on considère le plan purement mécanistique de la chose, c’est une vrai réussite : le jeu est solide, les différents mécanismes s’articulent très bien et s’apprivoisent rapidement lorsqu’on a un petit bagage ludique derrière soit. L’ajout du mécanisme du deck-building au jeu de gestion classique est également une vrai bonne idée.
Cependant, en termes de sensations et de stratégies/tactiques pures, ce jeu est assez décevant et pêche comme d’autres titres (Ora et Labora, Le Havre, Bruxelles 1893…) par excès de zèle. Et oui, agencer dix mille mécanismes et dix mille façons de marquer des points, c’est comme rajouter des couches à un hamburger, cela devient indigeste et lourd à digérer.
Finalement, on se cale le cortex ludique avec des choix « non cornéliens », on a l’impression de jouer et d’élaborer des stratégies et des tactiques car on engrange du point à droite, on engrange du point à gauche. On engrange, on engrange… des volumes de points par de multiples voies qui se valent à peu près toutes et on compte les petits à la fin… Pourquoi ?
Pour s’apercevoir que l’écart entre les joueurs sont assez minces en fin de partie sans que l’on puisse réellement expliquer pourquoi… (« ah oui moi j’ai fait ça et toi t’as essayé de faire ça, ah Ok, et lui il a fait ça, ah ben bravo, il a gagné c’est qu’il a dû mieux jouer alors !! »).
De plus, la multiplication des mécanismes de jeu implique que l’on ne l’exploite jamais le potentiel de chacun de ceux-ci et que l’on nage toujours entre l’un et l’autre sans véritable tactique précise (à part jouer 10 fois au même jeu et trouver une sorte d'optimum). De ce point de vue, le deck-building n’est pas vraiment exploité à fond, ce qui est regrettable.
Les points forts/faibles :
Les points forts :
- L’univers graphique, superbement soigné, comme d’habitude Michael Menzel (dont j’adore le style classique) fait (super bien) le boulot
- L’idée de deck building dans un jeu de gestion assez peu adapté pour l’instant (enfin le mécanisme est beaucoup moins bien exploité que dans Copycat)
- Un jeu solide mécaniquement, l’auteur est chevronné, il maîtrise son art, c’est une certitude. Il m’attire de plus en plus l’œil !!!
- L’édition en générale très bien maîtrisée : le matériel est de bonne facture, l’ergonomie des règles et bonne lisibilité du plateau, des cartes et des différentes tuiles.
- Une bonne lisibilité des multiples mécanismes/prises de points de victoire qu'offre ce jeu par rapport aux autres jeux « brise-cerveaux » (Bruxelles 1893, Ora et labora et Co). Je me suis un peu moins ennuyé que dans ces derniers car j’ai pu entrevoir certaines stratégies parmi cette grosse salade de PV.
Les points faibles :
- Trop de choix tue le choix et tue la tactique : je crois que j’en ai assez dit à ce sujet…
- Relativement peu d'interaction : outre le choix des cartes (enfin on subit plus qu'on ne choisit le plus souvent) et les choix des différents tissus (qui n'est pas le coeur du jeu)
- La traduction maladroite du nom du jeu : pourquoi ne pas avoir gardé Rococo car en jouant, on se rend compte que l’on incarne finalement plus des maires du palais ou des superintendants royaux que des couturiers. Dommage…
- L’immersion du jeu bien faible avec certains mécanismes très peu cohérents avec le thème (retirer des cartes pour épurer son deck et recevoir des sous pour je ne sais quelle raison, construire la statue pour marquer des points avec la collection de cartes, construire une fontaine pour augmenter ses revenus, faudra me dire où est la logique ??).
- Les illustrations (c’était un de mes points forts également) : j’adore la patte « Menzel », mais ne pourriez –vous pas trouver un autre illustrateur, chers amis teutons ?? Le recours à ses services est quasi systématique de nos jours... regrettable
- Aucune vraie innovation : Ok choisir ces cartes au lieu de piocher est une bonne idée mais pas une révolution (j’ai préféré le système de Mac Gerdts et sa gestion de main dans Concordia que j’ai trouvé beaucoup plus astucieuse). Le jeu manque de ce supplément d'âme qui fait la différence...
Conclusion :
Maîtres Couturiers est un jeu de gestion solide qui mêle habilement différentes mécaniques et façons de marquer des points. C’est un stéréotype des jeux « à fort marquage de points » : il en a toutes les qualités et tous les défauts. Si vous avez déjà ce genre de jeu, vous pouvez, à mon avis, passer votre chemin, sinon, je le conseille vivement car il a le mérite d’être plus accessible et lisible au niveau des mécanismes que les Rosenberg et consorts.
Comme le style du même nom, Rococo est donc un jeu très agréable mais dont la profusion et l'opulence de façon de marquer des points n'en fait à mes yeux pas le chef d'oeuvre qu'il aurait pu être... à tester tout de même.. car c'est du solide. Par contre, pour ma part, l'envie d'y retourner est assez faible...