Avec notre époque difficile faite de conflit, de guerre, on a besoin d’amour, de douceur, d’onctuosité, de délicatesse, de tendresse. Harmonies de Johan Benvenuto nous avait fait forte impression quand on avait pu l’essayer au Festival de Cannes, il s’était même glissé dans nos 10 coups de cœur cannois et on l’attendait de pied ferme (j’adore cette expression^^). Il est maintenant arrivé en boutique. Est-on encore sous le charme d’Harmonies ?

Construis ton score paysage.

Dans Harmonies nous allons construire des paysages avec des jetons que nous allons placer sur notre plateau où bon nous semble, nous avons une totale liberté si l’on excepte la taille du plateau et quelques règles de placement qui sont finalement assez logiques et thématiques

Un jeton vert est un buisson, un jeton vert sur un jeton marron est un arbre, un jeton bleu une rivière, etc. Si Harmonies est abstrait, on intègre vite ce langage et ces terminologies. Nous pouvons gagner des points en construisant des montagnes, des arbres, des rivières, des champs ou des habitations, mais aussi en accueillant de la faune, en réalisant le pattern de nos cartes Animaux, c’est vous qui construisez votre score.

La mécanique est simple et peut être expliquée en jouant son tour, tout en présentant l’aide de jeu qui rappelle tout le scoring. Vous choisissez un lot sur le plateau de sélection et prenez les 3 jetons qui s’y trouvent, que vous placez où vous voulez. Vous pouvez en plus choisir une des cartes animaux présentes dans la rivière.

Le plateau de sélection, avec la flèche (bonne idée) qui indique le premier joueur.

Ces cartes vont vous donner des points plus vous réaliser le pattern représenté, c’est ici que réside la profondeur du jeu. Les premières fois on place nos jetons sans avoir pleinement conscience des enjeux, et très vite on réalise qu’il faut optimiser son placement de manière plus subtil afin de marquer plus de points et de ne pas se coincer, le terrain est exigu. Une carte Animal peut être réalisée plusieurs fois et cela donne d’autant plus de points, il faut donc optimiser son placement afin de reproduire le même pattern vu sous d’autres angles. Cela demande une visualisation dans l’espace assez importante, c’est peut-être ce qui peut gêner un public familial. De plus, le pattern peut être recouvert une fois réalisé s’il n’y a pas d’animal présent dessus, encore un moyen d’optimiser son paysage.

De même, il faut penser aux patterns, mais mixer avec le scoring général, par exemple, un arbre rapporte entre 3 et 7 points, parfois c’est mieux. La rivière est intéressante, seulement si on réussit à la prolonger, les montagnes nécessitent le même type de jetons, mais une montagne seule ne donne pas de points. Tout cela semble plutôt bien équilibré. Dans l’exemple ci dessus, je serais avisé de placer deux montagnes de 3 étages l’une à coté de l’autre, d’abord pour réaliser ma carte, mais aussi pour les points des montagnes. À coté, la coccinelle me pousse à placer des champs tour autour d’un buisson, sauf qu’un champ score à partir de 2 jetons adjacents, peut-être serais-je avisé de placer des coccinelles dans deux endroits du plateau.

La courbe de progression est importante, mais finalement assez rapide. Une des erreurs que l’on fait au début est de prendre des cartes qui ne vont pas marcher ensemble, voire s’annihiler. Par exemple des cartes qui impliquent de poser des jetons sur des maisons, Hum mauvaise idée, une fois un animal placé, l’espace ne peut plus être habité.

Aides de jeu parfaites qui rappellent tous les décomptes.

Attention, le jeu comporte sa dose de hasard et il arrive que votre paysage ne s’harmonise pas avec vos jetons, soit à cause des cartes dans la rivière, soit avec les jetons que vous récupérez. Imaginez que vous ayez besoin de jetons Arbre et que ceux-ci restent désespérément dans le sac. Mais c’est l’ jeu ma pauvre Lucette.

Niveau interaction, on reste dans un draft de tuiles et si l’on regarde les paysages des autres joueurs, on va tout de même se concentrer sur le notre, il y aura peut-être une concurrence sur un type de tuiles, mais on ne va pas prendre des tuiles juste pour embêter un joueur, car cela va aussi gêner notre placement. Mais après tout le jeu s’appelle Harmonies (il ne nous ment pas sur la marchandise). Si j’apprécie l’interaction, dans un jeu comme ça j’ai envie de construire mon paysage sans que l’on vienne me le détruire ou interférer.

Cascadia Vs Harmonies ?

Quand j’ai vu Harmonies, j’ai fait un rapprochement avec Cascadia, (primé au Spiel) de par son thème nature, mais aussi sur le fait de prendre des lots et construire des patterns. En réalité ils ne font pas doublon, Cascadia reste plus familial dans le sens où il a un degré d’ouverture beaucoup plus important, tandis qu’Harmonies avec son territoire déterminé nous comprime et réduit notre liberté plus la partie avance.

Dans Cascadia, le meilleur reste celui qui optimise le mieux son territoire, mais il ne peut pas non plus écraser les autres joueurs, le différentiel sera raisonnable, Cascadia reste “feel good”. Harmonies convient plus a des joueurs optimisateurs avec une marge de progression plus forte, et il peut y avoir des scores beaucoup plus distendus.

On peut aussi le comparer à Looot de Charles Chevalier et Laurent Escoffier, (on en parlait dans cet article) dans le sens où l’on a un plateau aux contours limités, que l’on va pouvoir agencer pour construire son score, un même degré d’ouverture et une belle courbe de progression.

Harmonies ce n’est pas qu’un physique

Certes, mais il a tout de même une jolie plastique. L’édition magnifie le jeu, commençons par rendre hommage au travail d’illustrations de Maëva Da Silva qui a d’ailleurs remporté au festival Sortons Jouer de Montpellier le prix de la meilleure illustratrice, pour ce jeu qui est son actualité mais aussi pour l’ensemble de son œuvre. Libellud sort peu de jeux, mais ils sont travaillés dans les moindres détails, avec ces jetons en bois sérigraphiés le tout dans une boîte de taille moyenne avec des inserts cartonnés bien pensés pour accueillir les cartes et les jetons, mais aussi les aides de jeu parfaites.

On pourrait se sentir à l’étroit dans ce petit monde, mais on peut retourner son plateau et bénéficier d’une nouvelle disposition avec une nouvelle règle pour les jetons rivières, et même démarrer avec une carte Esprit de la nature qui va nous donner un objectif. Ainsi avec la chouette, mes arbres me rapportent plus de points, tandis avec le chat ce sont les habitations qui vont être plus valorisées, le lion quand à lui me donne des points selon la taille de mes champs.

Les esprits de la nature.

Il faut le savoir, on n’a pas les mêmes sensations selon le nombre de joueurs : à deux on peut plus facilement planifier, on sait qu’il va nous rester des jetons sur le plateau de sélection, tandis qu’à 4, cela ne sert à rien de trop anticiper car les lots auront changé quand arrivera notre tour. Pour la condition de fin de partie également, en duel ça se termine tout le temps en remplissant le plateau, tandis qu’à 4 on clôt parfois la partie en ayant vidé le sac.

Harmonies bénéficie d’une belle édition, sans fausse note, Il est plutôt addictif si vous aimez ce genre de jeux d’optimisation où vous construisez votre score. Il faudra avoir un peu le compas dans l’œil et des notions de repérage dans l’espace afin de se projeter dans l’optimisation du paysage. Il est à la fois abstrait car ça reste du placement, et très tangible, on voit nos paysages en 3 dimensions se former, on installe nos libellules, nos coccinelles, nos écureuils, c’est très visuel. Un jeu qui nous a séduits autant en famille qu’avec des joueurs plus confirmés où on peut se brûler plus fortement les neurones.

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