Demain tu m’as tué : abstraction Paradoxale

J’ai longtemps regardé de loin les jeux abstraits, ayant du mal à me projeter dans ce type de mécanique sans thème. Le temps passant, j’ai compris ce qu’on leur devait. Bruno Cathala, grand amateur de jeux abstraits, avait dit un jour “qu’ils représentaient la quintessence du game design, dans le sens où l’on ne peut pas tricher, on ne peut pas user d’artifices”. Cette définition a longtemps tourné dans ma tête, et j’ai fini par me représenter le jeu abstrait comme chimiquement pur, et je suis parti à la découverte de pépites plus ou moins abstraites comme Cairn, ou Yoxii, Hokito, ou encore les jeux du GIPF project.

Demain tu m’as tué de Peter C. Hayward est un paradoxe à lui tout seul ; il est composé de plateaux sous forme de damier, de pions, comme aux échecs, un jeu au look très abstrait. Il a cependant une composante narrative et évolutive ainsi qu’un thème de voyage dans le temps. Intrigant ! 

Nota Bene : Nous avons fait le choix de parler de plusieurs éléments mécaniques et thématiques contenus dans les boites, un léger divulgâchage, il ne s’agit pas de twists comme dans un vrai jeu Legacy. Il nous semblait dommage de rester à la surface du jeu, après tout, on désire savoir si la promesse est tenue. Vous voilà prévenus.

 

 

 

Tuer ou être tué 

À l’ouverture de la boite, on est accueilli par un message écrit à la hâte par notre double qui nous écrit du futur afin de nous prévenir de notre assassinat. Pour éviter ce funeste destin, il ne nous reste plus qu’à tuer notre adversaire. Mais au fait, à qui s’adresse-t-il ? Qui est le double bienfaisant ? Qui est le double malfaisant ? Pourquoi nous parle-il d’éléphant ?

Ce thème de voyage dans le temps n’est pas qu’un habillage, il sert le jeu. Nous avons trois plateaux avec un pion à la fois dans le passé, le présent et le futur. Nos actions passées auront un impact dans les époques suivantes. On va voyager dans le temps. Pour tuer notre adversaire, on peut pousser un de ses doubles contre un mur, ou mieux encore contre une autre version de lui-même créant ainsi un déchirement du continuum espace-temps, non de Zeus ! 

La mécanique est extrêmement simple (en apparence), nous jouons en déplaçant un de nos pions dans l’espace temps, l’époque où se situe notre pion “Focus”, puis on déplace celui-ci dans une autre dimension du temps.

 

3 plateaux : le passé , le présent, le futur. Le losange blanc du plateau de gauche désigne le plateau sur lequel j’ai choisi de jouer dès le tour précédent.

 

On peut se déplacer de manière adjacente, et non en diagonale (on n’est pas si fou ^^), se faisant, on peut pousser un pion adverse, on peut se déplacer dans une époque antérieure, laissant un double de nous-même dans l’époque que l’on quitte.

On retrouve donc les sensations des jeux abstraits : quelle action dois je initier, et surtout dans quelle époque dois-je jouer au tour suivant ? Il nous faut anticiper quelques coups à l’avance nos coups ainsi que les actions de notre adversaire.. 

En se dédoublant, on s’offre plus de possibilités contre l’adversaire, mais on augmente aussi le risque du paradoxe temporel (être poussé contre son double). La partie est perdue quand un joueur n‘a plus de présence (plus de pions) dans deux époques. Attention, on n’a que quatre pions en réserve, quand on n’en a plus, on n’en a plus, ce qui pourrait nous empêcher de jouer. Simple sur le papier, mais diablement tortueux pour le cerveau.

N’attendez pas hier pour regarder le ludochrono si vous êtes perdu maintenant.

 

Une graine semée dans le jardin du jeu abstrait

Demain tu m’as tué ne se révèle qu’après quelques parties. Une fois que vous avez appréhendé les principes du voyage dans le temps, vous allez pouvoir ouvrir une des quatre boites du jeu Celles-ci contiennent du nouveau matériel, mais aussi de nouvelles mécaniques. Nous n’allons déflorer que la toute première boîte afin de vous laisser tout le plaisir de la découverte.

Croissance

 

 “Croissance” nous propose une nouvelle action possible : planter une graine, qui devient un buisson dans la période N+1, et un arbre dans la période N+2. Un buisson peut servir à empaler le pion d’un adversaire en le poussant dessus (piquant ces buissons !), mais ils peuvent aussi servir à nous protéger d’un adversaire. Un arbre peut être poussé sur un pion adverse (scrounch). En “déplantant” une graine, le buisson puis l’arbre disparaissent. 

La boîte suivante nous propose de construire des statues que l’on va tirer ou pousser. Leur déplacement sera évidement répercuté dans les époques suivantes. Comme c’est jouissif de réussir en une action à écraser deux pions dans deux époques à la fois ! Mais au fait qu’a t-il voulu nous dire en parlant d’éléphant ? 🙂 

Inception

L’auteur fait tout de même quelques entorses au principe du temps : planter une graine ne fait pas apparaître un buisson ou un arbre dans le futur si un pion est présent sur la case, alors que la construction d’une statue a bien un effet sur le pion adverse. On touche la limite de la cohérence du thème et de la mécanique, et à choisir, je préfère toujours une petite entorse si ça évite de casser le jeu, mais c’est un autre sujet.

 

Demain tu m’as brûlé les neurones

Nous avons en apparence des échecs très simplifiés, mais rapidement, on se casse la tête pour anticiper, prévoir les coups adverses. Chaque boîte offre une nouvelle façon de jouer qui va mettre vos synapses à rude épreuve. La quatrième est remplie d’enveloppes que l’on pourra ouvrir quand on aura réussi telle ou telle action. Chaque enveloppe comprend de nouveaux pouvoirs. On peut aussi mixer des boîtes.

Demain” prouve s’il en était besoin que l’on peut proposer un jeu narratif sans contenir des tonnes de lignes, la narration étant assurée par la mécanique ludo-narrative. À ce sujet, le livret de règles excellemment rédigé est bourré d’humour et parsemé de petites références subtiles qui n’alourdissent jamais l’explication, mais aident au contraire celle-ci.

 

les quatre boîtes

 

Si je devais mentionner un “défaut”, je dirais que l’on perd plus souvent que l’on ne gagne, notre victoire (ou défaite) étant liée à une erreur plus qu’à un coup de maître. Mais je ne saurais dire si c’est vraiment un défaut du jeu. Un ami amateur (plus de 20 ans de pratique) de jeu d’échecs me disait que ce qui faisait la différence entre un bon et un moins bon joueur, c’est le moment où l’un ferait une erreur.

Plus gênant, il peut arriver qu’il y ait des moments de blocage, où un joueur va perdre, mais évite le coup fatal en attendant une hypothétique erreur adverse, mais fort heureusement on peut concéder la partie. 

Il m’est extrêmement difficile de le comparer à d’autres jeux abstraits comme Tzaar, Dvonn, ou encore Hokito, Yoxii, Gyges. Le rapprochement le plus évident pour moi reste Mind Mgmt (je sais que ce n’est pas un jeu abstrait à proprement parler) à cause de sa narration et du côté évolutif, mais aussi parce qu’il se dévoile avec les évolutions. Si j’avais dû m’arrêter au mode normal, il y a des chances que je ne sois pas allé plus loin dans la subtilité proposée par le jeu (comme pour Mind Mgmt).

 

 

Je ne pense pas non plus que je le proposerai facilement, c’est plus un jeu qui va se révéler si l’on a son adversaire attitré et que l’on est prêt à faire plusieurs parties régulières pour éplucher les couches de l’oignon ^^. 

Demain tu m’as tué, n’est pas loin d’être un OLNI. C’est brillant, intelligent, un jeu atypique avec une identité marquée. il ne va pas correspondre à tout le monde, mais il serait dommage qu’il passe à l’oubli, il ne mérite pas de disparaître dans les méandres du temps, que l’on ne l’ait oublié demain.   

 

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2 Commentaires

  1. morlockbob 22/05/2023
    Répondre

    Tout à fait d’accord, il sera dommage qu’il tombe dans l’oubli mais bon sang, il faut s’accrocher (ce que je n’ai pas réussi à faire)

  2. frédéric ochsenbein 22/05/2023
    Répondre

    Il me tente bien mais comme pour les échecs, le go ou dungeon Twister il faut y jouer régulièrement avec un adversaire de même niveau et ca c’est pas évident 🙁

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